Nouvelles et textes traduits par leurs spécialistes

 
 
 
          

 

 

Deux nouvelles de Xiao Hong (萧红)

tirées du recueil « Rue du commerce » (《商市街》),

traduites, présentées et illustrées par Simone Cros-Morea

      

Rue du commerce, recueil d'une quarantaine de nouvelles, terminé en 1935 et publié en 1936  à Shanghaï, se présente sous la forme d'un journal non daté d'environ 150 pages dans lequel Xiao Hong relate sa vie à Harbin au moment de l'occupation japonaise. A travers son récit, l'on découvre la dure existence des créateurs à une époque où toute forme d'expression relevait de l'héroïsme tant sur le plan moral que matériel, avec un regard particulièrement aiguisé sur le rôle de la femme parmi eux et au sein de son foyer.

      

Dans un style simple, spontané parfois anecdotique mais toujours émouvant, elle nous fait  partager ses angoisses, ses incertitudes, ses illusions et son désespoir face à un avenir chaque jour plus précaire. Davantage que la solitude, le manque de moyens sans oublier la peur latente d'une éventuelle arrestation, ce sont la faim et le froid qui constituent les véritables ennemis de la

 

Edition originale de « Rue du commerce »

romancière, au point de devenir une réelle obsession parfois capable de modifier les rapports amoureux que Xiao Hong entretenait avec Lang Hua, plus généralement connu sous le nom de plume de Xiao Jun.

      

Sans nul doute, ces notes nous offrent la possibilité de connaître une époque, un lieu : le Nord-est de la Chine, un milieu (celui des arts) mais également servent à nous rappeler que les conditions de création dans ce pays, en dépit du temps, demeurent sensiblement identiques.

      


      

L'HOTEL EUROPE

《欧罗巴旅馆》

      

  楼梯是那样长,好象让我顺着一条小道爬上天顶。其实只是三层楼,也实在无力了。手扶着楼栏,努力拔着两条颤颤的,不属于我的腿,升上几步,手也开始和腿一般颤。
  等我走进那个房间的时候,和受辱的孩子似的偎上床去,用袖口慢慢擦着脸。他——郎华,我的情人,那时候他还是我的情人,他问我了:“你哭了吗?”
  “为什么哭呢?我擦的是汗呀,不是眼泪呀!”
  不知是几分钟过后,我才发现这个房间是如此的白,棚顶是斜坡的棚顶,除了一张床,地下有一张桌子,一围藤椅。离开床沿用不到两步可以摸到桌子和椅子。开门时,那更方便,一张门扇躺在床上可以打开。住在这白色的小室,我好象住在幔帐中一般。我口渴,我说:“我应该喝一点水吧!”

 

  他要为我倒水时,他非常着慌,两条眉毛好象要连接起来,在鼻子的上端扭动了好几下:“怎样喝呢?用什么喝?”
  桌子上除了一块洁白的桌布,干净得连灰尘都不存在。
  我有点昏迷,躺在床上听他和茶房在过道说了些时,又听到门响,他来到床边。我想他一定举着杯子在床边,却不,他的手两面却分张着:
  “用什么喝?可以吧?用脸盆来喝吧!”
  他去拿藤椅上放着才带来的脸盆时,毛巾下面刷牙缸被他发现,于是拿着刷牙缸走去。
  旅馆的过道是那样寂静,我听他踏着地板来了。
  正在喝着水,一只手指抵在白床单上,我用发颤的手指抚来抚去。他说:
  “你躺下吧!太累了。”
  我躺下也是用手指抚来抚去,床单有突起的花纹,并且白得有些闪我的眼睛,心想:不错的,自己正是没有床单。我心想的话他却说出了!
  “我想我们是要睡空床板的,现在连枕头都有。”说着,他拍打我枕在头下的枕头。
  “咯咯——”有人打门,进来一个高大的俄国女茶房,身后又进来一个中国茶房:
  “也租铺盖吗?”
  “租的。”
  “五角钱一天。”
  “不租。”“不租。”我也说不租,郎华也说不租。
  那女人动手去收拾:软枕,床单,就连桌布她也从桌子扯下去。床单夹在她的腋下。一切都夹在她的腋下。一秒钟,这洁白的小室跟随她花色的包头巾一同消失去。

  我虽然是腿颤,虽然肚子饿得那样空,我也要站起来,打开柳条箱去拿自己的被子。
  小室被劫了一样,床上一张肿胀的草褥赤现在那里,破木桌一些黑点和白圈显露出来,大藤椅也好象跟着变了颜色。
  晚饭以前,我们就在草褥上吻着抱着过的。
  晚饭就在桌子上摆着,黑“列巴”和白盐。
  晚饭以后,事件就开始了:
  开门进来三四个人,黑衣裳,挂着枪,挂着刀。进来先拿住郎华的两臂,他正赤着胸膛在洗脸,两手还是湿着。他们那些人,把箱子弄开,翻扬了一阵:

 

  “旅馆报告你带枪,没带吗?”那个挂刀的人问。随后那人在床下扒得了一个长纸卷,里面卷的是一支剑。他打开,抖着剑柄的红穗头:
  “你哪里来的这个?”
  停在门口那个去报告的俄国管事,挥着手,急得涨红了脸。
  警察要带郎华到局子里去。他也预备跟他们去,嘴里不住地说:“为什么单独用这种方式检查我?妨碍我?”
  最后警察温和下来,他的两臂被放开,可是他忘记了穿衣裳,他湿水的手也干了。
  原因日间那白俄来取房钱,一日两元,一月60元。我们只有五元钱。马车钱来时去掉五角。那白俄说:
  “你的房钱,给!”他好象知道我们没有钱似的,他好象是很着忙,怕是我们跑走一样。他拿到手中两元票子又说:“60元一月,明天给!”原来包租一月30元,为了松花江涨水才有这样的房价。如此,他摇手瞪眼地说:“你的明天搬走,你的明天走!”
  郎华说:“不走,不走……”
  “不走不行,我是经理。”
  郎华从床下取出剑来,指着白俄:
  “你快给我走开,不然,我宰了你。”
  他慌张着跑出去了,去报告警察,说我们带着凶器,其实剑裹在纸里,那人以为是大枪,而不知是一支剑。
  结果警察带剑走了,他说:“日本宪兵若是发现你有剑,那你非吃亏不可,了不得的,说你是大刀会。我替你寄存一夜,明天你来取。”
  警察走了以后,闭了灯,锁上门,街灯的光亮从小窗口跑下来,凄凄淡淡的,我们睡了。在睡中不住想:警察是中国人,倒比日本宪兵强得多啊!
  天明了,是第二天,从朋友处被逐出来是第二天了。
      

       L'escalier était si raide que j'avais l'impression de gravir un sentier me menant au sommet de la voûte céleste. En réalité, il ne comportait que trois étages qui me laissaient à bout de forces. La main crispée sur la rampe, je m'efforçais de lever mes jambes flageolantes, paraissant être désolidarisées  de mon corps,  et après quelques marches, c'était au tour de mes mains de trembler.

         Sitôt entrée dans la chambre, telle une enfant fautive, j'allai m'étendre sur le lit, puis me frottai lentement le visage du revers de mes manches.

 

         Langhua, mon amant, car il était encore mon amant à cette époque, s'inquiéta :

-Tu pleures ?

- Et pourquoi voudrais-tu que je pleure ? C'est  pas des larmes que j'essuie mais de la sueur !

         Quelques minutes s'écoulèrent avant que je ne réalise combien cette pièce était blanche,  que le plafond s'en allait de guingois et, qu'en dehors du lit, il n'y avait qu'une table et un grand fauteuil de rotin que l'on pouvait atteindre en moins de deux pas. Quant à  ouvrir la porte, c'était pratique puisque l'on pouvait le faire sans avoir à se lever du lit. J'évoluais dans ce petit espace blanc comme au  milieu d'un voilage. J'avais la gorge sèche.

-Il me faut boire un peu d'eau !

          Au moment où il s'apprêtait à aller en chercher,  il sembla troublé, ses sourcils parurent se rapprocher davantage et il plissa le nez.

-Comment vas-tu boire? Avec quoi ?

         Sur la table, il n'y avait rien d'autre qu'une nappe immaculée, impeccable de propreté.

         Je fus prise d'un léger vertige. Du lit, je l'entendis s'entretenir un moment dans le couloir avec le garçon servant le thé puis il y eut un bruit de porte. Contrairement à ce que j'avais imaginé, il revint près de moi les mains vides, paumes ouvertes :

-Qu'est-ce que je pourrais bien utiliser ? Que dirais-tu  si je prenais la bassine ?  En la retirant du fauteuil sur lequel elle était posée, il aperçut le gobelet à dents caché sous la serviette et sortit avec. Dans le couloir, tout était silencieux. Je percevais distinctement le glissement de ses pas sur le plancher. De ma main libre, je caressais fébrilement le drap blanc et buvais de l'autre.

-Allonge-toi! Tu es trop fatiguée.

            Je m'exécutai tout en continuant à promener mes doigts sur l'étoffe aux formes décoratives et aux reflets presque éblouissants. "C'est beau,  pensais-je,  dire que  je n'ai  pas une seule paire de draps à moi." Il exprima à haute voix le fond de ma pensée :

-Moi qui imaginais que nous allions dormir dans un lit vide, voilà que nous avons aussi un oreiller. Sur ce,  il le tapota pour le faire gonfler un peu.

       Toc, toc,  quelqu'un frappa à la porte. Une femme plantureuse, d'origine russe,  chargée de  servir le thé, entra suivie d'un employé chinois.

 

-Avez-vous aussi loué la literie ?

-Oui.

-Alors, c'est cinq jiao la journée.

         A l'unisson, nous répondîmes  par la négative. D'un geste, elle rassembla le moelleux oreiller, les draps et la nappe qu'elle cala sous ses aisselles. En moins de rien, tout disparut de la petite chambre blanche sur le sillage de la matrone au foulard imprimé.

         Malgré mes jambes faibles et la faim qui me tenaillait l'estomac, je parvins jusqu'à la malle en osier dans laquelle je pris une couverture. On aurait dit que l'on venait de nous cambrioler. Le lit était recouvert d'une paillasse, la table abîmée montrait des auréoles noires et le fauteuil, lui aussi, paraissait avoir changé de couleur.

         Avant de passer à table, nous nous sommes enlacés et embrassés sur la paillasse.

         Pour le repas, nous avons disposé sur la table du "lieba" et du sel.

         C'est après que les ennuis ont commencé.

         La porte s'est ouverte. Trois hommes, vêtus de noir, armés de fusils et de sabres, ont fait leur apparition. Ils ont d'abord saisi les bras de Lang Hua qui, torse nu et les mains mouillées, était en train de faire sa toilette. Ils ont ensuite ouvert la malle et l'ont fouillée de fond en comble.

-L'hôtel nous a informés que vous déteniez une arme, est-ce exact ? demanda celui qui tenait un sabre. Il ramassa de dessous le lit un long rouleau en papier dans lequel était enveloppée une épée. Il le déroula, secouant le pompon rouge attaché au bout du manche.

-D'où sortez-vous ça ?

          Sur le seuil, le gérant de l'hôtel qui était russe et nous avait dénoncés, agitait les mains, le visage tout congestionné.

           Les policiers étaient décidés à emmener Lang Hua au commissariat. Celui-ci se préparait donc à les suivre tout en ne cessant de maugréer :

-Pourquoi suis-je le seul à être perquisitionné de la sorte ? Qu'est-ce que j'ai encore fait ?

         Finalement, les policiers se radoucirent et relâchèrent leur étreinte. Dans le feu de l'action, Lang Hua avait oublié de passer une chemise et ses mains, entre-temps, avaient séché.

         L'affaire remontait au jour où le Russe blanc était venu nous réclamer le montant du loyer, soit deux yuans par jour ou seize pour le mois. Or nous n'avions sur nous que cinq yuans, ayant donné le reste au cocher qui nous avait transportés jusqu'ici.

-Allez, donnez-moi l'argent du loyer ! avait-il ordonné. On aurait dit qu'il pressentait que nous étions sans le sou. Il paraissait très pressé comme s'il avait peur de nous voir prendre la fuite. Les deux billets en main, il avait ajouté :

-Il me faut la totalité du mois pour demain.

               Au départ, la somme s'élevait à trente yuans mensuels mais à cause de la crue de la rivière Songhua, nous avions bénéficié d'un rabais.

-Demain, vous déménagerez, oui, vous quitterez les lieux, avait-il dit en gesticulant.

 

-Non, nous ne partirons pas! lui avait rétorqué Lang Hua.

-Faites attention à vous, c'est moi le patron ici..."

         C'est alors que Lang Hua avait sorti l'épée de dessous le lit et l'avait brandie dans sa direction en le menaçant :

-Si vous m'obligez à partir, je vous mettrai en pièces.

         Sur ce, le gérant affolé était allé porter plainte au commissariat, leur racontant que nous étions en possession d'une arme dangereuse. A vrai dire, il avait pris l'épée toujours enveloppée dans le papier pour un fusil.

         En définitive, les policiers nous la confisquèrent en nous lançant cet avertissement :

-Si vous aviez eu affaire à la police militaire japonaise, vous auriez été inévitablement condamnés, cela aurait été terrible, ils vous auraient accusés d'appartenir à la secte des Grands Couteaux ; à votre place, j'attendrais demain avant d'aller la récupérer.

         Après leur départ, nous avons éteint la lampe et fermé la porte à clé. Par la fenêtre s'introduisait la pâle lumière froide des réverbères. Nous nous endormîmes avec une seule pensée en tête : les policiers chinois étaient autrement plus souples que la police militaire japonaise !

         L'aube pointait. Nous en étions à notre second jour depuis que l'on nous avait chassés de chez l'ami qui nous hébergeait.

      


       

LE RECUEIL

册子

      

  永远不安定下来的洋烛的火光,使眼睛痛了。抄写,抄写……
  “几千字了?”
  “才三千多。”
  “不手疼吗?休息休息吧,别弄坏了眼睛。”郎华打着哈欠到床边,两只手相交着依在头后,背脊靠着铁床的钢骨。我还没停下来,笔尖在纸上作出响声……
  纱窗外阵阵起着狗叫,很响的皮鞋,人们的脚步从大门道来近。不自禁的恐怖落在我的心上。
  “谁来了,你出去看看。”
  郎华开了门,李和陈成进来。他们是剧团的同志,带来的一定是剧本。我没接过来看,让他们随便坐在床边。
  “吟真忙,又在写什么?”
  “没有写,抄一点什么。”我又拿起笔来抄。
  他们的谈话,我一句半句地听到一点,我的神经开始不能统一,时时写出错字来,或是丢掉字,或是写重字。
  蚊虫啄着我的脚面,后来在灯下也嗡嗡叫,我才放下不写。

 

  呵呀呀,蚊虫满屋了!门扇仍大开着。一个小狗崽溜走进来,又卷着尾巴跑出去。关起门来,蚊虫仍是飞……我用手搔着作痒的耳,搔着腿和脚……手指的骨节搔得肿胀起来,这些中了蚊毒的地方,使我已经发酸的手腕不得不停下。我的嘴唇肿得很高,眼边也感到发热和紧胀。这里搔搔,那里搔搔,我的手感到不够用了。
  “册子怎么样啦?”李的烟卷在嘴上冒烟。
  “只剩这一篇。”郎华回答。
  “封面是什么样子?”
  “就是等着封面呢……”
  第二天,我也跟着跑到印刷局去。使我特别高兴,折得很整齐的一帖一帖的都是要完成的册子,比儿时母亲为我制一件新衣裳更觉欢喜。……我又到排铅字的工人旁边,他手下按住的正是一个题目,很大的铅字,方的,带来无限的感情,那正是我的那篇《夜风》。

  那天预先吃了一顿外国包子,郎华说他为着册子来敬祝我,所以到柜台前叫那人倒了两个杯“伏特克”酒。我说这是为着册子敬祝他。
  被大欢喜追逐着,我们变成孩子了!走进公园,在大树下乘了一刻凉,觉得公园是满足的地方。望着树梢顶边的天。外国孩子们在地面弄着沙土。因为还是上午,游园的人不多,日本女人撑着伞走。卖“冰激凌”的小板房洗刷着杯子。我忽然觉得渴了,但那一排排的透明的汽水瓶子,并不引诱我们。我还没有养成那样的习惯,在公园还没喝过一次那样东西。
  “我们回家去喝水吧。”只有回家去喝冷水,家里的冷水才不要钱。
  拉开第一扇门,大草帽被震落下来。喝完了水,我提议戴上大草帽到江边走走。
  赤着脚,郎华穿的是短裤,我穿的是小短裙子,向江边出发了。

 

  两个人渔翁似的,时时在沿街玻璃窗上反映着。
  “划小船吧,多么好的天气!”到了江边我又提议。
  “就剩两毛钱……但也可以划,都花了吧!”
  择一个船底铺着青草的、有两副桨的船。和船夫说明,一点钟一角五分。并没打算洗澡,连洗澡的衣裳也没有穿。船夫给推开了船,我们向江心去了。两副桨翻着,顺水下流,好象江岸在退走。我们不是故意去寻,任意遇到了一个沙洲,有两方丈的沙滩突出江心,郎华勇敢地先跳上沙滩,我胆怯,迟疑着,怕沙洲会沉下江底。
  最后洗澡了,就在沙洲上脱掉衣服。郎华是完全脱的。我看了看江沿洗衣人的面孔是辨不出来的,那么我借了船身的遮掩,才爬下水底把衣服脱掉。我时时靠沙滩,怕水流把我带走。江浪击撞着船底,我拉住船板,头在水上,身子在水里,水光,天光,离开了人间一般的。当我躺在沙滩晒太阳时,从北面来了一只小划船。我慌张起来,穿衣裳已经来不及,怎么好呢?爬下水去吧!船走过,我又爬上来。
  我穿好衣服。郎华还没穿好。他找他的衬衫,他说他的衬衫洗完了就挂在船板上,结果找不到。远处有白色的东西浮着,他想一定是他的衬衫了。划船去追白色的东西,那白东西走得很慢,那是一条鱼,死掉的白色的鱼。
  虽然丢掉了衬衫并不感到可惜,郎华赤着膀子大嚷大笑地把鱼捉上来,大概他觉得在江上能够捉到鱼是一件很有本领的事。

  “晚饭就吃这条鱼,你给煎煎它。”
  “死鱼不能吃,大概臭了。”
  他赶快把鱼腮掀给我看:“你看,你看,这样红就会臭的?”
  直到上岸,他才静下去。
  “我怎么办呢!光着膀子,在中央大街上可怎样走?”他完全静下去了,大概这时候忘了他的鱼。
  我跑到家去拿了衣裳回来,满头流着汗。可是,他在江沿和码头夫们在一起喝茶了。在那个样的布棚下吹着江风。他第一句和我说的话,想来是:“你热吧?”

 

  但他不是问我,他先问鱼:“你把鱼放在哪里啦?用凉水泡上没有?”
  “五分钱给我!”我要买醋,煎鱼要用醋的。
  “一个铜板也没剩,我喝了茶,你不知道?”

  被大欢喜追逐着的两个人,把所有的钱用掉,把衬衣丢到大江,换得一条死鱼。
  等到吃鱼的时候,郎华又说:“为着册子,我请你吃鱼。”
  这是我们创作的一个阶段,最前的一个阶段,册子就是划分这个阶段的东西。
  八月十四日,家家准备着过节的那天。我们到印刷局去,自己开始装订,装订了一整天。郎华用拳头打着背,我也感到背痛。
  于是郎华跑出去叫来一部斗车,一百本册子提上车去。就在夕阳中,马脖子上颠动着很响的铃子,走在回家的道上。
  家里,地板上摆着册子,朋友们手里拿着册子,谈论也是册子。同时关于册子出了谣言:没收啦!日本宪兵队逮捕啦!
  逮捕可没有逮捕,没收是真的。送到书店去的书,没有几天就被禁止发卖了。

      

La lueur sans cesse vacillante de la bougie me fatiguait les yeux. Copier, copier...

-A combien d'idéogrammes en es-tu ?

-Plus de trois mille.

-N'as-tu pas mal à la main ? Allez, repose-toi un peu sinon tu vas finir par t'abîmer la vue.

Lang Hua s'étira et alla s'étendre sur le lit, les mains derrière la nuque, le dos appuyé contre les montants métalliques. Je continuai à écrire, accompagnée du grattement de la pointe de ma plume sur la feuille de papier...

 

Au-delà du rideau de gaze, j'entendis un chien aboyer suivi d'un crissement de chaussures. De la porte d'entrée principale, les pas se dirigeaient vers chez nous. Un sentiment incontrôlable de panique me saisit.

-Qui cela peut-il bien être ? Va voir.

Lang Hua ouvrit la porte. Li et Chen Cheng entrèrent. C'étaient des camarades de la troupe de théâtre qui, certainement, nous apportaient des textes. Sans  prendre seulement le temps de le vérifier, je les laissai s'installer à leur guise sur le lit.

-Yin est vraiment très occupée, qu'est-ce qu'elle écrit actuellement ?

-Rien, je fais simplement quelques copies, répondis-je en me remettant à l'oeuvre.

De leur conversation, je ne captai que des bribes. L'esprit déconcentré, je me mis à commettre des erreurs de graphie, à oublier des caractères, à en doubler d'autres.

Après m'avoir dévoré les pieds, les moustiques se mirent à tournoyer sous la lampe en susurrant, m'obligeant à poser la plume.

Aya ! La porte était restée grande ouverte, les moustiques avaient désormais pris possession de  la pièce  entière !  Un petit chien errant entra, fit un tour, puis ressortit en détalant la queue en boule. L'on ferma la porte mais les moustiques continuèrent leur ronde... Je me grattai le pourtour des oreilles, les jambes et les pieds...Aux jointures, à l'endroit des piqûres, mes doigts avaient enflé. Mes lèvres avaient doublé de volume et je sentais de la chaleur et un resserrement de la peau tout autour des yeux. Je me grattais tant et tant que mes mains en étaient rendues  inefficaces.

-Où en est votre livre ? Des volutes de fumée s'échappèrent de la bouche de Li.

-Il ne nous reste plus qu'un chapitre, répondit Lang Hua.

-Et la couverture, comment est-elle?

-C'est précisément ce que nous attendons...

Le lendemain, je le suivis chez  l'imprimeur.  A la vue des feuilles ainsi coupées et alignées une à une  et  de l'ouvrage pratiquement achevé,  je fus emplie d'une joie  particulière,  supérieure à celle que j'éprouvais lorsque,  étant enfant, j'étrennais la robe que Mère m'avait confectionnée. Je m'approchai de l'ouvrier chargé de mettre en place les caractères en plomb. Sa main pressait un titre constitué de grands idéogrammes de forme carrée. Une immense bouffée d'émotion me submergea. C'était justement le titre de ma nouvelle «Brise nocturne».

Ce jour-là, on commença par  une miche de pain, puis Lang Hua s'en fut  au comptoir commander au serveur  deux petits verres de «Vodka»  afin de célébrer la sortie de mon livre, annonça-t-il. J'ajoutai que c'était aussi en l'honneur du sien.

Ivres de bonheur, nous étions redevenus des enfants ! Nous entrâmes dans le jardin public, et nous reposâmes à l'ombre de grands arbres pour bénéficier d'un brin de fraîcheur. Nous avions la sensation de nous trouver à l'endroit parfait. Nos regards

 

cherchaient le ciel par-delà  la cime des arbres. Des enfants étrangers jouaient par terre avec du sable. Etant donné l'heure matinale, les promeneurs étaient rares. Des dames japonaises passèrent munies de leurs ombrelles. Le vendeur de glaces nettoyait des soucoupes dans sa petite baraque en planches. Il me vint une envie subite de boire mais l'alignement des bouteilles de soda ne nous tenta guère. A défaut  d'avoir cultivé ce genre d'habitude, il ne nous était jamais arrivé de goûter à ces boissons.

-Retournons boire à la maison ! Au moins chez nous, l'eau fraîche ne nous coûterait pas un centime.

Sitôt avoir poussé les battants de la porte, je me débarrassai de mon grand chapeau de paille, bus mon content et , coiffée à nouveau de mon couvre-chef,  je proposai d'aller nous promener du côté du fleuve.

Nous allions nu-pieds, Lang Hua portait un short et moi, une robe courte. A en juger par l'image que nous renvoyaient au passage les vitrines, nous avions  l'air de deux pêcheurs.

-Allons ramer,  il fait trop beau !  M'exclamai-je une fois sur place.

-Avec les deux jiao qu'il me reste...c'est possible, dépensons-les !

Notre choix se porta sur une barque, au fond  recouvert d'une natte, fournie avec une paire de rames. Après avoir négocié avec le propriétaire, nous tombâmes d'accord pour payer un jiao cinq fen l'heure. Notre intention première n'étant pas du tout de nous baigner, nous n'avions pas mis nos maillots de bain. Le propriétaire de l'embarcation  nous poussa hors de la rive puis nous  gagnâmes le milieu de la rivière. Là,  les rames relevées, nous dérivâmes au gré du courant tandis que le  rivage semblait reculer. Par le plus grand des hasards, nous rencontrâmes  une île  émergeant au coeur de la rivière, flanquée de part et d'autre d'un ban de sable. Lang Hua sauta courageusement sur l'un, quant à  moi, moins téméraire, j'hésitai, craignant que le terrain ne s'affaisse.

               Nous finîmes par nous baigner, non sans avoir, au préalable,  laissé nos vêtements sur le ban de sable.  En deux temps, trois mouvements, Lang Hua enleva tout. Pour ma part, je ne me déshabillai qu'après avoir glissé dans l'eau, m'être assurée que les lavandières ne me voyaient pas et mise à l'abri de la coque du bateau. De temps en temps, je me rapprochai du ban de sable par crainte d'être emportée par  le courant.

               Les vagues faisaient osciller le fond de la barque à laquelle je m'étais agrippée. La tête hors de  l'eau et le corps ainsi immergé au milieu des reflets de l'eau et du ciel, j'avais l'illusion de quitter le monde des humains. Ensuite,  j'allai m'allonger sur la grève pour me sécher au soleil. C'est à ce moment-là que surgit une petite barque, venant du nord, se rapprochant de nous. Je me levai d'un bond, complètement affolée. Je n'avais pas le temps de m'habiller, alors que faire ? Le mieux fut de me laisser glisser dans l'eau, d'attendre que le bateau soit passé avant de remonter sur le sable.

                   Je  finis de m'habiller bien avant Lang Hua. Ce dernier cherchait sa chemise. Il l'avait lavée,  me dit-il, accrochée à la barque et, à présent, ne la trouvait plus. Distinguant au loin une chose blanche qui flottait, il s'imagina immédiatement que c'était son bien. On se mit donc à ramer dans cette direction  à la poursuite de l'objet qui continuait à dériver lentement.  C'était un poisson. Un poisson, blanc et moribond.

                     Nullement préoccupé par la perte de sa chemise, Lang Hua attrapa le poisson à pleine main en criant et riant à gorge déployée,  certainement persuadé  d'avoir réussi un exploit.

-Nous le mangerons ce soir, tu le feras frire.

-Mais on ne peut pas manger du poisson mort, il  peut être pourri.

                       Il s'empressa de lui ouvrir les branchies pour  le vérifier :

-Regarde, regarde, rouges comme elles sont, c'est impossible, non ?

                      Et il continua à s'agiter de la sorte jusqu'à ce que l'on accoste.

 

-Qu'est-ce que je vais faire ? Je ne peux tout de même pas descendre  l'Avenue du Centre torse nu, non ? Se demandait-il, cette fois calmé, presque oublieux de sa pêche.

                       Je fis l'aller et retour jusqu'à la maison, et revins avec une chemise, le visage dégoulinant de sueur. Je le trouvai en compagnie de bateliers buvant du thé au bord de l'eau. Sous la tente en forme de parapluie soufflait une brise venant du fleuve. Contrairement à mon attente, il ne me demanda pas si j'avais chaud mais s'inquiéta plutôt du sort du poisson.

-Où l'as-tu posé ? Tu l'as bien arrosé avec de l'eau fraîche j'espère ?

-Donne-moi cinq jiao pour que j'aille acheter du vinaigre car il nous en faut pour le faire frire.

-Il ne me reste plus un centime, j'ai tout dépensé pour le thé, tu ne vois pas ?

                      Dans nos élans de joie, nous avions troqué notre impécuniosité et la perte d'une chemise  pour un  malheureux poisson mort.

                      Au moment de l'entamer, Lang Hua s'écria : « En l'honneur du livre, je t 'invite à un repas de poisson. »

                      Voilà comment nous sommes passés de la phase initiale,  la création, à la suivante, la réalisation du livre.

                       Le quatorze août, jour où habituellement toutes les familles se préparent à célébrer la fête de l'Automne, nous sommes allés chez l'imprimeur afin de relier l'ouvrage à l'aide d'agrafes. Nous avons passé la journée entière à la reliure.  Lang Hua se massait les vertèbres avec les pouces et mon dos était tout endolori.

                         Ensuite, il est allé louer une voiturette dans laquelle on a entassé une centaine de copies. Et, à la nuit tombée, nous avons regagné nos pénates au son du grelot de la clochette suspendue au cou du cheval.

                         Chez nous,  nous avons réparti les volumes à même le plancher et les amis les ont feuilletés tout en faisant des commentaires. Au même moment, des rumeurs concernant le recueil commencèrent à circuler : il serait confisqué ! La police japonaise allait  venir nous arrêter !

                   S'il n'y eut pas d'arrestation, en revanche, la confiscation eut bien lieu.  Il fut retiré des librairies et, quelques jours plus tard,  interdit à la vente.

      


      

 

Simone Cros-Morea, septembre 2011.

      

 

 

 

 

 

 

     

 

 

 

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