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Lin Bai 林白

Sous le pêcher 《桃树下》

par Brigitte Duzan, 16 septembre 2016 

 

Introduction

 

« Sous le pêcher » est l’une des nouvelles récentes de Lin Bai (林白), qui a été publiée dans le recueil des meilleures nouvelles de l’année 2015 des Editions du Peuple du Liaoning (辽宁人民出版社) [1].

 

C’est une nouvelle écrite dans un style d’un réalisme très moderne, qui représente, par rapport aux nouvelles antérieures, un renouvellement formel et thématique tout en restant fidèle aux lignes directrices que l’on retrouve dans toute l’œuvre de Lin Bai depuis ses débuts. Il y a à la fois continuité et évolution, ce qui est le propre d’une forte personnalité d’écrivain.

 

« Sous le pêcher » reprend en effet le schéma récurrent chez Lin Bai, fondé sur l’interaction de deux personnages féminins, qui sont ici en opposition. L’une des femmes est une villageoise qui revient chez elle après avoir travaillé plusieurs années à Pékin, l’autre est sa voisine, qui, elle, n’est jamais sortie de chez elle. Lin Bai dessine ainsi un tableau moderne de la vie au village, du point de vue féminin, comme toujours chez elle - village où prédomine une mentalité encore très traditionnelle, où même les phénomènes de mode s’inscrivent dans la tradition.

 

La grande originalité tient à la thématique retenue, qui fait de cette nouvelle une sorte de petit opéra de village : les danses dites de square, ou de place publique (广场舞), qui remontent, elles aussi, à une longue tradition, mais sont un élément de culture populaire rarement abordé dans la littérature chinoise. Le texte ne s’apprécie qu’en ayant en tête les danses évoquées, avec leur musique ; c’est l’une de ces danses, en particulier, qui définit l’image du personnage principal et constitue le thème principal de la nouvelle. La traduction est donc donnée avec les vidéos permettant de reconstituer l’ambiance musicale suggérée par le texte.

 

Cependant, Lin Bai est fidèle à la thématique de fond qui a été la sienne depuis les années 1980 : la psyché et la sexualité féminines, dans le contexte du monde moderne. Le titre est révélateur, qui porte sur les dernières lignes du texte, soulignant la conclusion amère, mais aussi sensible et poétique, qui donne tout son sens à l’histoire que l’auteur vient de dérouler. 

 

La traduction (partielle pour l’instant) est donnée avecun complément de notes et commentaires, outre les vidéos, pour bien comprendre les allusions à la fois culturelles et historiques, mais aussi tout simplement locales, dont le texte abonde.

 


 

1

从北京回家,县城到村子的路上,振兰1听见远近都在唱楚剧2——一个男人,扯着老婆婆的嗓子,啊啊呀呀咿咿哦哦。听得人头皮发麻。远处地里有人拔花生,路边屋子窗台上放着小型音响,窗下坐一个老人,手里扎着花生藤把,脚下堆着一堆弯曲散漫的花生藤,那楚剧就是老人放的。而村子里炊烟3疏疏升起,散发出花生藤燃烧的气味。

 

1. 振兰 Zhènlán prénom signifiant littéralement "orchidée frémissante".

2. le Chǔjù (楚剧) est une forme de théâtre populaire chanté originaire du Hubei [2], que l’on appelle aussi "théâtre des tambours fleuris de la route de l’ouest" (西路花鼓戏).

3. 炊烟 chuīyān fumées venant des cheminées de cuisine  ( chuī faire la cuisine)

 

En revenant de Pékin pour rentrer chez elle, sur le chemin menant duchef-lieu du district au village, Zhenlan entendit au loin des airs d’opéra de Chu – chantés par un homme à la voix de fausset prenant les inflexions d’une vieille femme, haha yayayiyihoho. A l’entendre, on en avait des fourmis dans la peau du crâne. Au loin, dans les champs, on voyait des gens récolter des arachides. Un petit magnétophone était posé sur le rebord de la fenêtre d’une maison, sur le bas-côté de la route, et dessous était assis un vieil homme occupé à attacher des sarments d’arachides tous tordus, jetés en monceaux étalés à ses pieds ; les chants de l’opéra venaient de son appareil. Au-dessus du village montaient de ci de là quelques fumées de cuisine qui dégageaient une odeur de sarments d’arachide brûlés.

 

到晚饭时,振兰听见隔壁轰隆1一声,高音喇叭像炸了雷似的响起来,接着又杂沓着一阵七七八八的人声。忽然老叶在门口叫道,兰儿哎!兰儿哎!振兰闷着头说,叶娘,吃饭呢!老叶一头撞进,拽上人就走。来看来看,才买的音响,八百块呢!借你U盘我试试机。

只见一只大音响立在屋檐下,有一只旅行箱大,四周瓦灰,中间锃黑2。直接插上U盘就能放出音乐来跳舞。虽在北京当了好几年保姆,但那家人不上网不玩电脑,振兰根本没有U盘。而且她一直以为音响是放磁带的3,后来变得先进,就放光碟4,从没听说过可以直接插U盘的。振兰心里暗了一暗。

 

1. 轰隆 hōnglōng (onomatopée) roulement, grondement (du tonnerre…)
2. 锃 zèng poli, luisant 

3. 磁带 cídài bande magnétique 

4. 光碟 guāngdié DVD

 

Au moment du dîner, Zhenlan entendit un fracas tonitruant provenant de la maison d’à côté, comme le grondement d’un coup de tonnerre diffusé par des haut-parleurs, suivi d’un brouhaha de voix diverses. Puis retentit soudain celle de Laoye l’appelant de la porte : Lan’er ! Lan’er ! Zhenlan lui répondit d’un air absorbé : je suis en train de manger ! Alors Laoye entra en trombe, et la tira par le bras : viens voir, viens voir, je viens d’acheter une enceinte, huit cents bâtons ! Passe-moi une clé usb pour l’essayer.

 

Il y avait un immense baffle posé sous l‘avant-toit, de la taille d’une malle, d’un noir luisant au milieu de la poussière de tuiles ambiante. Avec une clé usb, on pouvait diffuser de la musique pour danser. Bien qu’ayant été domestique à Pékin pendant un bon nombre d’années, Zhenlan ne savait pas se servir d’un ordinateur et encore moins d’internet, et n’avait donc pas de clé usb. Qui plus est, elle pensait au début qu’une enceinte fonctionnait avec une bande magnétique, puis, devenue plus moderne, elle était passée au DVD, mais elle n’avait jamais entendu dire que l’on pouvait insérer directement une clé usb. Elle était un peu ignorante de tout cela.

 

又看老叶,她是大变了,一是身形瘦了许多,再则是满身生风1。老叶原先在全村最胖,球状身材,到处都是肉,鼓着一坨一坨的2。现在目测,至少减了二三十斤。

老叶兴冲冲地说,你回了正好,就要去三店比赛,赛完再到观口区,最后就到县城比!振兰问,你当妇女主任了?老叶脸红红的,说,哪里能当上那个,我是领队。她又把振兰扯进里屋,让振兰看新做的跳舞服装。

1. 满身生风 mǎnshēn shēngfēng être plein d’énergie, dynamique

2. tuó  bosse, motte…

 

En revoyant Laoye, elle la trouva complètement changée, d’abord parce qu’elle avait beaucoup maigri, et ensuite parce qu’elle débordait d’énergie. Auparavant, elle était la plus grosse de tout le village, avec un corps comme une boule, une boule de chair toute en rondeurs. A vue de nez, elle avait perdu au moins dix ou quinze kilos.

Tu es revenue à point, lui dit Laoye d’un air joyeux, tu vas pouvoir aller à la compétition de Sandian, puis à celle de Guankou, et enfin au district ! Tu es responsable du comité local de la Fédération des femmes ? demanda Zhenlan. Laoye rougit jusqu’à la racine de cheveux : comment pourrais-je y prétendre ? répondit-elle, je suis juste chef d’équipe. Et elle entraîna Zhenlan chez elle pour lui montrer les nouveaux costumes faits pour la danse.

 

振兰这才找到空当说,叶娘现在苗条多了1。老叶忸怩一下说2,可不比你兰儿标致,身条天然好。又禁不住说,减下来五十斤都有啊!说着忙不迭地3掀起衣服露出肚子,把垂下去的肚皮拍得[ ][ ][][ ] 响,你看这儿,先前一堆肉都减没了。又打开衣柜,让振兰看她原来的裤子。她扯出一条,说,全部裤子都穿不得了,晃荡得像裙裤。这几条紧身裤新买的,跳舞穿。要说这么紧贴的玩意儿,先前想都不敢想呢。

1. 苗条 miáotiao mince, svelte 

2. 忸怩 niǔní embarrassé, timide

3. 忙不迭地 mángbùdiéde  en toute hâte

 

C’est seulement alors que Zhenlan trouva l’occasion de lui dire : dis-moi, tu as beaucoup minci ! Ah mais ce n’est rien à côté de toi, Lan’er, lui répondit Laoye en jouant l’embarras, tu as un corps naturellement superbe. Mais elle ne put s’empêcher d’ajouter : j’ai perdu vingt-cinq kilos ! et ce disant, s’empressa de soulever sa robe pour montrer son ventre en en martelant la peau flasque de petits coups sonores bang-lang-bang-lang

 

晚饭后振兰骑摩托去三店买牛奶。早餐喝牛奶吃水果,是从北京学回的时髦习惯,干活儿那家的女儿,是外企白领,说这样搭配最科学营养。只是乡邻无论如何不理解:么的好啊,兰儿不吃早饭。那她成了仙?也不是,光吃牛奶、水果。那是饭么?能吃饱人么?当然不算饭,至少是粥,好坏才算是饭。

Après le dîner, Zhenlan enfourcha sa mobylette pour aller à Sandian acheter du lait. Elle avait rapporté de Pékin l’habitude à la mode de boire du lait et de manger des fruits au petit déjeuner ; selon la fille de la maison où elle travaillait, qui était cadre dans une société étrangère, c’était la manière la plus scientifique de se nourrir. Simplement, les gens du village n’y entendaient goutte. Comment ça ? Lan’er ne prend pas de petit déjeuner. Elle est devenue immortelle ? Non, elle prend juste du lait et des fruits. Ah vous appelez ça manger, vous ? vous croyez que ça peut rassasier ? Bien sûr que ce n’est pas manger. Si au moins elle prenait un peu de gruau, déjà ce serait mieux.

 

路过村口的空地时,振兰看到老叶正领着十几个人跳舞,一堆人穿着新做的花裙子,丑成了一片。就是老叶在家里穿给振兰看的,蓝地白花的连衫裙,上身短,腰线高,下身也短,虽有一道荷叶边,也不过刚刚盖住大腿。单个穿还不显难看,一群人穿真是丑死了。十足一群乱扑腾1的老蝴蝶,人人都显得大了十岁,四十岁的像五十,五十岁的就像六十。

她们正在学一个新舞,是老叶到文化站学来的。她左手朝头顶一划拉2,右手也一划拉,看得振兰直想笑,就停了下来。

1. 扑腾 pūteng (onomatopée) battre des ailes  

2. 划拉 huála faire un mouvement de balayage de la main

 

En passant par le terrain vague à l’entrée du village, elle vit Laoye à la tête d’un groupe de quelques personnes en train de danser, portant des jupes à fleurs toute neuves qui faisaient un effet d’ensemble assez laid. C’était le modèle que Laoye avait enfilé chez elle pour le lui montrer: un ensemble chemisier-jupe à fleurs blanches sur fond bleu, avec un haut très court, une ceinture haute à la taille, et une jupe également courte qui, bien qu’ayant une bordure de feuilles de lotus, couvrait à peine les cuisses. A la limite, une personne isolée portant ce costume, cela allait encore, mais un groupe entier vêtu ainsi était d’une laideur à mourir. C’était comme un vol de vieux papillons battant des ailes dans le plus grand désordre ; toutes donnaient l’impression d’avoir pris dix ans, celles de quarante ans en paraissaient cinquante, et celles de cinquante semblaient en avoir soixante.

 

Elles étaient en train d’apprendre une nouvelle danse que Laoye avait apprise au bureau de la culture : la main gauche au-dessus de la tête descendant dans un mouvement de balayage, puis la main droite. En les regardant, Zhenlan avait envie de rire, mais elle se retint.

 

站在边上看了一小会儿,老叶就把她拉扯进了人堆。她就说,叶娘先别放音乐了,头一件是要把步子走起。一、二、三、四、五、六、七、八。她走起来,大家也跟着走起,果然不像刚才乱成一堆了。

再就是,这几个动作无非就是左边一扇风,右边一扇风,左边一擦汗,右边一擦汗,扇风用手心出去,擦汗用手背回来。如此这般,人人都一下记住了。人堆轻快起来,说,要得啦要得啦。有人也有了新发现,那个双手掌心朝下压的动作,可不正像给自行车打气么!左边打两下,右边再打两下。还有一个动作呢,无非就是拍墙。大家又扇风擦汗拍墙,又往空气中给自行车打气,又转又跳又叫又笑,闹腾一片。

 

Zhenlan resta un moment sur le côté à les regarder, mais Laoye la tira pour qu’elle se joigne au groupe. Ne mets pas tout de suite la musique, lui dit alors Zhenlan, il faut d’abord apprendre les pas. Un, deux, trois, quatre, cinq, six, sept, huit, un saut. Quand elle sauta, tout le monde sauta avec elle, et le groupe devint déjà plus ordonné.

Les quelques mouvements étaient très simples : à droite mouvement d’éventail, à gauche mouvement comme pour s’essuyer la sueur du front, et on reprend en inversant, à gauche on s’essuie la sueur du front, à droite on manie l’éventail, mouvement d’éventail paume rentrée, mouvement pour sécher la sueur du revers de la main, paume extérieure. Expliqués ainsi, les mouvements furent retenus illico, et rendus avec légèreté et vivacité ; tout le monde s’exclama : super, vraiment super ! Certaines eurent même des idées neuves : ce mouvement des deux paumes de la main pressant vers le bas, on dirait un mouvement pour regonfler une bicyclette ! et deux coups à gauche, et deux coups à droite. Et il y a aussi un autre mouvement, c’est tout simplement taper dans un mur. Alors tout le monde de « s’éventer », de « s’essuyer la sueur », de « taper dans le mur », de regonfler sa bicyclette en l’air, et de tourner, de danser, de crier, de rire, une cacophonie sans fin.

 

振兰也就一起跳了。她们会的舞真多,一个叫《打住,打住》1,全是交警2指挥交通时的动作;《接新娘》3,则是抬轿子的样子4

 

1. 《打住,打住》 dǎzhù, dǎzhù arrêtez, arrêtez

 

La danse

 

2. 交警 jiāojǐng (交通警察) agent de police réglant la circulation

3. 《接新娘》 jiēxīnniáng accueillir la nouvelle mariée

 

La chanson

 

La danse

 

4. 抬轿子 táijiàozi lever le palanquin

 

Ainsi, Zhenlan se mêla aux autres. En fait, elles connaissaient déjà beaucoup de danses, par exemple « Arrêtez, arrêtez », avec des mouvements d’agents de la circulation brandissant les bras pour régler la circulation, ou « Accueillir la nouvelle mariée », jouant la levée du palanquin.

  

她们到三店比赛的曲子叫《三十二号嫁给你》1,是老叶选的,振兰不满意,跟老叶说要换一个《北江美》2,这个电视上也有,特别好看。老叶说,那个难学得要死。又说道,谁说这个不好了,哪点不好哪点不好?文化站长都说了,晓得吧,节奏明快,易学易教,跳得来劲。振兰就不再说什么。她站在前排,收腹挺胸,音乐一响,便一二三四跳起来,步子两下就走熟了,一抬手,一出脚,也都合在拍子上。人就像踩了弹簧3,上了发条4,一上一下,一紧一松,一左一右,一前一后。她的腰是细的,也是软的,胯一送出去,再一收回来,不用说,当然比别人显眼。振兰感到自己跳得最好看,完全是领舞的范儿。

 

1. 《三十二号嫁给你》 La fille n° 32 est pour toi

 

 

La danse La fille n° 32 《三十二号嫁给你》

 

2. 《北江美》 Běijiāngměi La Beauté du fleuve Bei (ou fleuve du nord, qui est en fait dans le sud)

 

La danse La Beauté du fleuve Bei 《北江美》

 

3. 弹簧 tánhuáng ressort  

4. 上发条 shàngfātiáo remonter une pendule

 

Pour la compétition de Sandian, Laoye avait choisi un air appelé « La fille n° 32 est pour toi », mais Zhenlan n’était pas d’accord et voulait qu’elle le change pour « La Beautédu fleuve Bei » ; c’était un numéro qui passait à la télévision, un très beau numéro. C’est bien trop difficile à apprendre, contesta Laoye qui ajouta : et qui a dit que l’autre n’est pas bien ? c’est quoi qui n’est pas bien, quoi précisément ? Le directeur du bureau de la culture, il le connaît, il a dit que le rythme est enlevé, c’est facile à enseigner et facile à apprendre, une dansepleine d’énergie. Zhenlan ne dit plus rien. Debout au premier rang, ventre rentré et torse bien droit, elle commença à danser dès que la musique se fit entendre, elle connaissait les pas au bout de deux fois, et un on lève un bras, et deux on avance un pied, le tout porté par le rythme. Elle semblait montée sur des ressorts, comme mue par un mécanisme d’horlogerie bien remonté. Levée, baissée, tendue, relâchée, à gauche, à droite, en avant, en arrière. Elle avait la taille fine et souple, l’entrejambe déliée, inutile de dire qu’on la remarquait tout de suite au milieu des autres. Zhenlan avait le sentiment d’être vraiment la meilleure, le modèle pour mener la danse.

 

2

振兰四十多岁,两个儿子。大儿子二十一岁,在北京打工,是做瓦工的,有一个女朋友,两人在北京顺义1租房同居,女友每年都怀孕,每年都打胎。这样已经有几年。

一到春节,儿子就带着女朋友回家过年,女孩住在家里。儿子让母亲去女方家提亲2,提了亲好结婚,不然女孩子就要走了。每一次,振兰总是慢悠悠说道,急什么,明年再说吧。一拖拖了三四年。老叶问,你怎么不着急?听说那女伢都打了三次胎了。振兰说,急么事,反正是不成的,算过命了。老叶又问,你是怕花提亲的钱?振兰说,是,我就是不想花这好几万的彩礼钱4。你有钱,你不怕。老叶不言语,跟人说,老打胎伤身,这女伢的娘老子不知几多心疼,那兰儿是心狠的。

1. 顺义 Shùnyì  quartier périphérique de Pékin, près de l’aéroport, au nord-est de la capitale, à la hauteur du 6ème périphérique.

2. 提亲 tíqīn faire une proposition de mariage

3. 算命 suànmìng établir l’horoscope, prédire le sort

4. 彩礼钱 cǎilǐqián prix du cadeau à faire par la famille du garçon lors d’une demande en mariage

 

Zhenlan avait plus de quarante ans et deux fils. L’aîné avait vingt-et-un ans, et était parti travailler à Pékin comme maçon ; il avait une petite amie avec laquelle il habitait dans un appartement loué dans le quartier de Shunyi ; tous les ans enceinte, elle se faisait tous les ans avorter, et ce depuis plusieurs années.

 

Pour la Fête du Printemps, le fils revenait passer les fêtes chez lui en amenant sa petite amie et demandait chaque fois à sa mère d’aller rendre visite à la famille de la fille et de la demander en mariage, autrement elle ne resterait pas avec lui. Et chaque fois, Zhenlan tergiversait : pourquoi se presser, on en reparlera l’année prochaine. Cela faisait trois ou quatre ans qu’elle repoussait ainsi l’échéance d’année en année. Pourquoi barguignes-tu ainsi ? lui avait demandé Laoye, j’ai entendu dire que cette fille s’est déjà fait avorter trois fois. Pourquoi se presser, avait répondu Zhenlan, de toute façon, j’ai fait établir son horoscope, elle ne va pas. Tu as peur d’avoir à payer le cadeau de la demande en mariage ? lui avait demandé Laoye. Exactement, avait rétorqué Zhenlan, je n’ai aucune envie de gaspiller quelques dizaines de milliers de yuans sur ce genre de cadeau. Si j’avais de l’argent, ça ne me gênerait pas. Laoye n’avait rien ajouté, mais elle avait dit à d’autres : subir des avortements à répétition, c’est douloureux, cette fille fait terriblement pitié, cette Zhenlan n’a pas de cœur.

 

振兰平日不下地干活儿,她家的地荒了好几年,任由老叶的丈夫王老大捡来种。王老大热爱田地,除了吃饭睡觉,其余时间一概待在地里,像从前的长工,就差睡在田畈上了。棉花水稻花生红薯,他种的样样都是最好的,玉米也比别家的高一倍,结的苞也比别人多一半。种的菜更是吃不完,豆角丝瓜冬瓜辣椒茄子等等,老叶时不常地总要到处送人,她谁都送,不分亲疏远近,碰到谁就塞给谁,拿去拿去,日你娘的,不吃就全糟在地里了!

 

Zhenlan ne travaillait pas la terre ; son lopin étant resté en friche plusieurs années, elle avait chargé le mari de Laoye, Wang Laoda, de le cultiver. Wang Laoda adorait la terre ; le temps qu’il ne passait pas à manger et à dormir, il le passait courbé sur la glèbe, dormant presque dans les champs comme autrefois les valets de ferme. Coton, riz, arachides, patates douces, tout ce qu’il cultivait venait mieux qu’ailleurs, son maïs était deux fois plus haut, et ses cultures donnaient en moyenne moitié plus que chez les autres. Quant à ses légumes, ils étaient inépuisables : haricots verts, concombres, courges, piments, aubergines, etc… Laoye disait parfois qu’elle donnerait volontiers son mari à qui en voudrait, proches parents ou pas, peu importe, si elle trouvait une intéressée, elle le lui donnait illico, il suffisait de venir le chercher, merde quoi, en dehors des repas il était constamment fourré dans ses champs ! 

 

[每次见到振兰出村,老叶总要对着她的背影叹道,兰儿啊兰儿啊,你婆婆要还活着,迟早也要被你气死的。]振兰爱去县城逛1,县城的卤肉和蛋糕都比三店的好吃,还有就是算命和逛服装店。那个算命的住在桥头巷,是个瞎子。上一年找他算过了,说老公这几年有桃花运3,极旺;儿子这个女朋友不会成功。

是对的。

 

1. guàng se promener

2. 卤肉 lǔròu viande cuite à la sauce de soja

3. 桃花运 táohuāyùn avoir des aventures, de la chance auprès des femmes

 

[…] Zhenlan aimait aller faire un tour auchef-lieu du district ; la viande à la sauce de soja et les gâteaux y étaient bien meilleurs qu’à Sandian, mais il y avait aussi un tailleur et on pouvait s’y faire établir son horoscope. Pour cela, il fallait aller dans la ruelle au bout du pont, c’était un aveugle qui le faisait. Elle y était allée l’année précédente, il lui avait dit que son mari, ces derniers temps, avait de la chance auprès des femmes et qu’il était extrêmement prospère, mais que son fils, avec cette petite amie, ça ne pouvait pas marcher.

Tout cela était bien vrai.

 

早时老公在北京做橱柜,她也在,两人租房住,什么事也没有。去年他回家盖房,她的表妹来帮忙做饭,结果,两人就搭上了,搭得上了锁,分不开。盖完房去北京再做橱柜,那表妹也跟了去。振兰这边,小儿子要回老家上初中,她也只能回乡下,隔着千把里地干生气。人劝她,这算什么,男人单身在外,不找小姐就算好的,何况还是亲表妹,算是肥水不流外人田。

 

A Pékin, au début, son mari fabriquait des placards ; ils habitaient ensemble, dans un appartement loué, et il n’y avait pas de problème. L’année précédente, il était rentré au village pour refaire le toit de leur maison ; une cousine de Zhenlan était venue l’aider à faire la cuisine ; résultat, ils s’étaient amourachés, et étaient devenus inséparables. La toiture une fois terminée, son mari était revenu à Pékin faire ses placards, et la cousine l’avait suivi. Quant à Zhenlan, son plus jeune fils devant revenir chez eux pour entrer au collège [3], elle fut bien obligée de revenir au village, et de cuver sa colère à cinq cents kilomètres de distance. Ce n’est pas si grave, lui dit-on pour la consoler, quand un homme est seul hors de chez lui, c’est bien le diable s’il ne va pas se chercher une femme, au moins si c’est une cousine, on reste en famille, comme on dit, l’engrais ne va pas fertiliser le champ du voisin.

 

一路骑摩托到城里,径直去到桥头巷,原来的旧屋拆了,一幢楼正在盖着。打听到瞎子搬到县楚剧团对面的开水间1,振兰又一路寻去。瞎子不在屋里,上门算命去了。她就坐在门口等着,一个卖光盘的走过来问她要不要,名角唱的,楚剧,[有《征东》《征西》《反唐》,振兰这才明白,原来前村后店听到的楚剧,不过是本县楚剧团自己刻的光盘,本以为,得是大武汉的角儿才有光盘,怪不得这么难听。见她不言语,卖光盘的又说,也有广场舞,要不要呢?十块一张。振兰不搭话,眼梢却瞟在光盘上。卖者见了便说,要两张吧,一张广场舞,一张楚剧,两张十五块,楚剧给公婆听干活儿不累!振兰问他有没有那个《北江美》的曲子,卖者说,《北江美》没有,有《烟花三月下扬州》,] 还有个《太湖美》2,也很好听很好看的,穿个旗袍,打个油纸伞,透明的,梳个发髻3,留一排刘海4,舞得圆圆转转,优美的。振兰就接过光盘,左看右看。这时瞎子回来了,她赶紧起身跟进去。

 

1. 开水间 (=) pièce où l’on peut aller chercher de l’eau, aujourd’hui en général à des distributeurs

2. 《太湖美》 Tàihúměi La Beauté du lac Tai

 

Tàihúměi (variante avec des éventails)

 

3. 发髻 fàjì chignon 

4. 刘海 liúhǎi frange

 

Elle partit en moto auchef-lieu du district, et alla droit à la ruelle au bout du pont, mais la vieille maison avait été détruite, il y avait à la place un immeuble dont on achevait le toit ; on lui dit que l’aveugle avait déménagé dans la salle des distributeurs d’eau en face de l’immeuble de la troupe d’opéra de Chu du district. Zhenlan partit à sa recherche, mais il n’était pas là, il était sorti établir des horoscopes. Zhenlan s’assit sur le pas de la porte pour l’attendre. Un vendeur de DVD à la sauvette vint lui proposer des enregistrements d’opéras de Chu par des interprètes célèbres.

[il lui propose divers enregistrements, mais il

 

Salle de distributeurs d’eau

n’a pas « La Beauté du fleuve Bei »… il a « La Beauté du lac Tai »…]

 

Taihu mei, la Beauté du lac Tai

 

« La Beauté du lac Tai », c’est aussi très beau, et à écouter et à regarder : il faut mettre un qipao, prendre une ombrelle en papier huilé, transparente, et se faire un chignon, en laissant une frange ; cela se danse en rond, d’un pas harmonieux, c’est superbe. Zhenlan prit le DVD tout en regardant à droite et à gauche. Comme justement l’aveugle rentrait, elle se leva et s’empressa de le suivre.

 

 

从开水间走入,又窄又长的走道一直通到最内里,越走越暗,忽然又有了黄光,是头顶安了一盏电灯,灯是贴顶安的,用铁丝编成细网罩着,蒙了厚厚的灰尘。瞎子走得慢,却也算走得稳当。他摸索着上了楼梯,振兰跟在他身后,也慢慢上去了。瞎子一只眼是半闭着的睁不开,另一只眼翻着眼白,看上去有点儿滑稽。但他一言不发,于是又有了某种威严。

 

La salle des distributeurs d’eau donnait sur un couloir long et étroit qui menait vers l’intérieur [un couloir sombre où l’aveugle se dirige à tâtons, en montant un escalier…]

 

振兰小声报上她的生辰八字1,然后就安静等着。瞎子一时也不言语,既不见他掐指算2,也不见他翻相书,当然他眼睛看不见,翻书也枉然3。这是一个隔间,没有窗,顶上有一盏灯,没开。楼梯下方的灯光透上来,淡淡的,是强弩之末4。振兰就沉沉地坐在近于夜晚的光线里。忽然瞎子开口了,你个命是慈禧太后的命啊你个命。这话让振兰全身一凛,紧着问,么的?瞎子说,也没么的,难不成说你要当太后?哪有的!瞎子停了一停,这才说,太后的命是么命?享福的命,有吃有穿有玩,不必干活儿,好命啊好命。振兰刚紧起的一身皮才又松下来,好命啊好命。算起来,从这年起,真的是有吃有穿有玩不用干活儿。她问丈夫的桃花运要几时才了。瞎子截然说道,两年。振兰想问问自己有没有桃花运,嘴角动了一下,却没好意思说出来。片刻,瞎子道,大姐啊,桃花运是男人的运,不是女人的运啊。不问也罢。

 

1. 生辰八字 shēngchén bāzì les huit caractères de la date de naissance qui permettent de pratiquer la divination, année, mois, jour et heure, qui sont « les quatre piliers du destin » (四柱命理) – ce sont huit caractères car chaque « pilier » est représenté, comme l’année, par un double caractère constitué d’une branche terrestre (DìZhī 地支) et d’un rameau céleste (Tiān Gān 天干).

2. 掐指() qiāzhǐ (yī) suàn pratiquer la divination des huit caractères en s’aidant de ses doigts, chaque phalange des quatre doigts (hors le pouce) représentant un rameau céleste et une branche terrestre.

3. 枉然 wǎngrán en vain 

4. 强弩之末 qiángnǔ zhīmò (chengyu) une flèche au bout de sa course, donc qui a perdu sa force.

 

Schéma des mains pour la divination par les huit caractères

 

Après lui avoir donné à voix basse les huit caractères de sa date de naissance, Zhenlan attendit calmement. L’aveugle resta un moment silencieux, plongé dans ses calculs en s’aidant de ses doigts, et, bien que n’y voyant pas, feuilletant son manuel, en pure perte donc. Ils étaient dans un minuscule réduit sans fenêtre, avec au

plafond une petite lampe qui n’était pas allumée. La seule lumière était celle qui parvenait du bas de l’escalier, et éclairait à peine, comme une flèche arrivant en bout de course. Zhenlan était assise sans broncher tout près du pâle faisceau de lumière quand soudain l’aveugle énonça : ce que je vois de ton destin est celui de l’impératrice Cixi, oui c’est ton destin. Ces paroles firent trembler Zhenlan de frayeur. Comment cela ? demanda-t-elle précipitamment. Entendons-nous, dit l’aveugle, n’allez pas croire que vous allez devenir impératrice. Bien sûr que non. Il s’arrêta un moment, puis reprit : le destin de l’impératrice, c’est quel destin ? C’est la promesse d’une vie facile, nourriture, vêtements et loisirs assurés, sans nécessité de travailler, un bon destin, vraiment. Après un instant de raidissement de tout le corps, Zhenlan se détendit. Un bon destin, vraiment. Effectivement, depuis l’année écoulée, elle avait le quotidien assuré, nourriture, vêtements, loisirs, sans avoir à travailler. Elle demanda combien de temps son mari aurait encore de la chance avec le sexe opposé. Deux ans. Elle ouvrit la bouche pour demander si elle en aurait aussi, mais, gênée, ne dit rien. Alors l’aveugle lui dit : avoir de la chance avec le sexe opposé est un trait du destin qui ne s’applique qu’aux hommes, pas aux femmes. Inutile donc de demander.

 

 

出了开水间,外面阳光哗然一片。卖光碟的还等在门旁边,听见动静就抖起精神叫道,大姐大姐。振兰挑了挑,买下了两张光盘。

 

Au sortir de là, dehors, le soleil avait un éclat tapageur. Le vendeur de DVD attendait encore près de la porte. En l’entendant venir, il recouvra ses esprits et l’interpella. Zhenlan choisit deux DVD et les lui acheta.

 

3

还有几天就要到三店乡比赛了,老叶上下跳脚。她在村里大喊,这下好了,这下有钱了!大家跳,她看。她眯起眼睛,又前又后,又左又右。忽然皱眉,又听见她不知骂谁日他娘。她还从家里拿来一根长竹竿,队伍不齐整她就横上竹竿拦一下,见谁不顺眼也伸出竹竿捅一下,状似赶鸭。旁边人看着新鲜,被捅的哎哟一声怒道,老叶你发么事疯!老叶气壮山河说道,么事疯,老娘要拱第一!

[Laoye continue ses répétitions, en criant à tout va qu’elle arrivera première au concours …]

 

她让振兰排到最后一排。兰儿你个儿高,站前排就挡住别个了。振兰说不出道理,一时也只好站到最后一排。老叶却又补上一句,兰儿你的动作也有点儿大,本来手脚就比别个长,太用力了不好看。

[mais elle demande à Zhenlan de passer au dernier rang car elle trouve ses mouvements trop appuyés…]

 

振兰一生气,就不来了。老叶说,真是屎难吃1,人难做。不来就不来,不跟就不跟,老娘照样要拱第一。振兰在家闷了一天,也去买了音响。小的,三百八十元,声音够大,一插U盘,音乐就出来了,就在屋子里跳。我喜欢跳复杂的。她对人说。已是九月,外面仍烈日炎炎,屋子里是江南小调2,雨蒙蒙,雾缭绕,她袅袅婷婷从这头扭到那头。就越发不做饭了,连中午饭也只吃水果,只有到了傍晚,才用电饭煲蒸上一点儿米饭4。 [串村卖水果的人,一到这家门口就把车停下来,这人伶俐嘴甜,叫她大姐,四处没人就叫她大妹子,振兰佯嗔,却加倍买了他的苹果]

 

1. 屎难吃 shǐnánchī  litt. de la m… impossible à manger = insupportable

2. 江南小调 jiāngnán xiǎodiào musique du Jiangnan, le sud de la Chine : mélodies très douces dont Tàihúměi est un exemple.  

3. / niǎo délicat/ tíng  gracieux (adjectifs typiques de cette musique)

4. zhēng faire cuire lentement / à la vapeur (en autocuiseur = 电饭煲 diànfànbāo)

 

Furieuse, Zhenlan ne revint pas. Elle fait chier, dit Laoye, elle est imbuvable. Qu’elle vienne ou pas, qu’elle participe ou pas, on gagnera le premier prix. Zhenlan resta un jour chez elle à faire la tête, puis alla s’acheter une enceinte, une petite, à trois cent quatre-vingt yuans, c’était bien suffisant. Elle inséra la clé usb et, au son de la musique, se mit à danser à l’intérieur. Elle aimait les danses compliquées, déclara-t-elle à l’envi. On était au mois de septembre, dehors il faisait une chaleur infernale, mais, chez elle, il y avait des mélodies du sud, une petite pluie fine etdes volutes de brume, et elle virevoltait avec grâce et délicatesse d’un côté à l’autre, en ne mangeant qu’un fruit même au déjeuner ; ce n’est que le soir qu’elle allumait son réchaud électrique pour se faire cuire du riz. […]

 

文化站站长傍晚到村里,见到空地坪上跳舞的人堆多出了一堆,大的一堆二十多人,老叶正举着一根长竹竿站在队伍外。小的那堆也就五六人,一个长头发女子在教一个什么舞,走近了听出是《太湖美》。这边老叶一个曲子完了,纷纷问,站长,么样?站长说,好啊好啊。他一边应着却扭头看那边的太湖美,就问老叶。老叶说,那是我侄媳妇1振兰啊,才从北京回来的,她嫌我们这个曲子庸俗,要跳高级的。站长说,好啊好啊百花齐放2

 

1. 侄媳妇 zhíxífu l’épouse du fils d’un cousin

2. 百花齐放 bǎihuā qífàng (expression) que les cent fleurs s’épanouissent (référence ironique à la Campagne des Cent fleurs 百花运动, en 1956, tirant son nom du poème 百花齐放,百家争鸣 bǎihuā qífàng, bǎijiā zhēngmíng que cent fleurs s’épanouissent, que cent écoles de pensée rivalisent.

 

Un soir, le chef du bureau de la culture vint au village et alla voir les groupes de gens qui dansaient sur le terrain vague ; le plus grand de ces groupes comptait plus d’une vingtaine de personnes, avec Laoye face à sa troupe brandissant une longue baguette de bambou. Le plus petit avait cinq ou six personnes, auxquelles une femme aux cheveux longs enseignait une danse ; en s’approchant, il reconnut l’air de Tàihúměi. A côté, le morceau du groupe de Laoye une fois fini, tout le monde demanda en chœur : alors, c’était comment ? Très bien, très bien, répondit le chef de bureau. Mais, tout en répondant, il se tourna du côté de Tàihúměi et interrogea Laoye. C’est la femme du fils de mon cousin, Zhenlan, répondit Laoye, elle vient juste de rentrer de Pékin et trouve notre morceau trop vulgaire à son goût, elle veut une danse plus raffinée. Très bien, dit le chef du bureau, que cent fleurs s’épanouissent.

 

站长就指导振兰几个跳太湖美。这个男人头发虽然是白的,却不是老头,[看上去身板挺拔动作敏捷,皮肤也紧紧实实。他做起了示范,这个男人,他是什么舞都会跳的。太湖美呢,肩要松,胸要挺,腰要直,要收腹,要送胯,下巴也要收,臂形要弯些,上步要快。他随音乐舞起来,舞姿轻盈好看,有起伏,有韵律,有一种特别的味道,全身都含情脉脉的。]站长舞停了,看着振兰说,你这样的长头发、这样的身材,十足就是一个江南女子,跳这个最合适不过了。说得振兰不觉就有点儿妩媚起来,她喘着气,拿手捂了胸口,哎呀站长,我们乡下女人,不过就是胡乱跳跳锻炼身体1罢了。站长说,我看你一点儿都不像乡下人嘛,穿戴举止,都像见过世面的。又说,这个舞,要是穿上旗袍,啊,那就更妙了!这时老叶那边队伍也围过来几个人,站长说,不过呢不过,这个太湖美是不合适去比赛的,难度太大。将来吧,县里要组织表演就可以报上去。

 

1. 锻炼 duànliàn faire de l’exercice, se maintenir en forme

2. 穿戴/举止 chuāndài vêtements, manière de s’habiller / jǔzhǐ comportement, allure

 

Alors, le chef de bureau donna quelques indications pour danser Tàihúměi. Bien qu’il eût les cheveux blancs, il n’avait pas l’air vieux du tout. [.. il sait danser, donne des conseils en dansant lui-même : épaules souples, torse droit …] Quand il eut terminé, il s’adressa à Zhenlan : avec ces cheveux longs, cette silhouette, vous avez tout l’air d’une femme du sud, cette danse vous convient mieux que toute autre. Malgré elle, Zhenlan se sentit flattée ; reprenant son souffle, la main sur la poitrine, elle s’exclama : ah, vous savez, nous les femmes de la campagne, nous dansons n’importe comment, c’est surtout pour faire un peu d’exercice, c’est tout. Non, dit le chef de bureau, je vous ai observée, vous n’avez pas l’air du tout d’une femme de la campagne, vos vêtements et votre allure le montrent bien. Et, pour en revenir à cette danse, vous la danseriez en qipao, ah, ce serait encore plus merveilleux. A ce moment-là, quelques personnes du groupe de Laoye s'étant également approchées de leur côté, il ajouta : mais, je dis bien mais, Tàihúměi ne convient pas pour ce concours, cette danse est trop difficile. Si, à l’avenir, le district organise des spectacles, alors là vous pourrez vous inscrire.

 

老叶悄悄跟振兰说,兰儿啊,站长老跟你搭话,有点儿名堂呢1。振兰说,么名堂?老叶说,听说站长老婆死了三年,你看他那个样子,都是跟俏亮女人搭眉搭眼惯了的。莫当真,晓得不?振兰说,哪个当真了?

[老叶说,我就不信拿不回个名次!她拉扯着振兰到她那边去,说这边闹热,你跳跳这个,再跳跳那个,等赛完你来教众人太湖美。振兰说,叶娘这个曲子我不跳,等你们去三店赛赢了,再选个好舞我再参加也不迟。老叶兴奋地说,也好也好,从三店到观口,从观口还要再到县城,一路赢他个节节胜利!她把手往下一砍,又补上一句,势似破竹!]

 

1. 名堂 míngtang motivation cachée, manigance

 

Laoyedit en douce à Zhenlan : dis donc, le chef de bureau t’en as raconté, des histoires, on dirait qu’il y a anguille sous roche. Anguille sous roche ? s’étonna Zhenlan. Oui, répondit Laoye, j’ai entendu dire que la femme du chef de bureau est morte il y a trois ans, alors, avec la prestance qu’il a, il fait la cour à toutes les jolies filles. Faut pas le prendre au sérieux, tu es au courant ? Prendre quoi au sérieux ? rétorqua Zhenlan.

[… Laoye en revient à la danse et au concours… mais Zhenlan refuse de participer au concours, mais promet de revenir pour la suite … Laoye enthousiaste prévoit un triomphe]

 

第二天振兰上县城做旗袍。这番心思她早就有,上次来算命,见这条街上的一家裁缝铺门口立有一块牌子,上面用大红漆刷了订制旗袍四个大字,当时就去问了价钱。裁缝说,店里现在没有做旗袍的衣料,那种滑溜溜的丝绸料子,好久不进货了,这种大红底金色凤凰的缎子,是备着有人办喜事做被面的。裁缝是个上了年纪的男人,他不紧不慢,边做活儿边跟她说话。

 

[Le lendemain, Zhenlan va au chef-lieu de district se faire faire un qipaodans une boutique où elle s’était arrêtée la fois précédente pour demander le prix, mais le tailleur lui avait dit qu’il n’avait plus la soierie adéquate…]

 

这次振兰又来,她往门前一停,裁缝头都没抬,只往她腰间扫了一眼就招呼道,来了,做旗袍的是吧。振兰奇怪,问道,么的没看就知道?裁缝笑道,头发拖到腰的,不是你又是谁?又往手上的活儿轧了一溜,这才说,还是没得料呢,么办?振兰泄了气,却不甘1,在铺子柜面上扒拉来扒拉去,抽出一匹,展开看看,又塞回去,再抽出一匹。裁缝不言语,只是踏他的缝纫机,任她在那里折腾。半晌,才说,实在要做,就用绵绸的吧4,虽没有丝绸有档次,又太塌,但毕竟有垂感,花色也不错。再说呢,这个也便宜些,连工带料,九十元。听着这话,振兰欢喜得眉眼全开了,话一说完,立即成交。选花色,量尺寸,也没忘了把价钱讲到八十五块,开了单,付了一半定金,一星期后取货。

 

1. 泄气 xièqì  être découragé  不甘 bùgān  ne pas se résigner

2. 缝纫机 féngrènjī  machine à coudre 

3. 折腾 zhēteng  se tourner et se retourner

4. 绵绸 miánchóu  bourre de soie (lassis)

 

Cette fois-ci, quand Zhenlan arriva, elle s’arrêta à la porte ; le tailleur ne leva même pas la tête, il lui jeta juste un coup d’œil au niveau de la taille et s’écria : alors vous êtes revenue vous faire faire un qipao ! Zhenlai était stupéfaite : comment m’avez-vous reconnue sans même m’avoir regardée ? C’est à cause de vos cheveux qui tombent jusqu’à la taille, répondit en riant le tailleur, cela ne peut être que vous. Il poussa de côté ce qu’il avait à la main avant de continuer : mais je n’ai toujours pas le tissu, comment faire ? Zhenlan eut un moment de découragement, mais ne se laissa pas abattre. Elle alla fouiner dans les étoffes de la boutique, en sortit un rouleau, en étendit un bout pour regarder, le remit en place, en sortit un autre. Le tailleur resta sans rien dire, un pied sur la pédale de sa machine à coudre, en la laissant brasser à son aise un bon moment avant de lui dire : si vous voulez vraiment un qipao, la seule possibilité est d’utiliser de la bourre de soie ; bien que cela n’ait ni la qualité ni la tenue de la vraie soierie, ce sont quand même des tissus qui tombent bien, et les couleurs ne sont pas mal non plus. En outre, c’est bien meilleur marché ; en tout, tissu et main-d’œuvre, vous en aurez pour quatre-vingt-dix yuans. En entendant le chiffre, Zhenlan en écarquilla les yeux de joie et s’empressa de conclure l’affaire. Elle choisit la couleur et se fit prendre ses mesures, sans avoir oublié de faire baisser le prix à quatre-vingt-cinq yuans. Elle prit la facture, en paya la moitié, la livraison étant prévue pour la semaine d’après.

 

路过楚剧团时,正巧一个男人从剧团宿舍的边门出来,振兰一看便恭敬道,站长好。站长止步定睛,答道,好,好。他忽然想起来,哦你,桂花湾那个太湖美啊!振兰兴奋地说,正是正是,在这儿碰见你真没想到。站长说,是巧,我来是看个朋友。振兰等着想听站长再说几句什么,她看站长的眼神,仿佛有些情意似的。站长道,你的长头发好看是好看,骑摩托可要注意安全呢。振兰说,这个没事,我会绾起来的。边说就边抬手绾头发,一头长发绾上去,用一只电话线似的箍子缠上,显得脖颈颀长秀挺。站长望着说,好看,这么一绾,气质有些不同了呢。振兰红着脸说,乡下女人有么气质。站长说,有味道的,蛮好。振兰低了头不言语。站长说回头见吧,回头见。等他走出两丈远,振兰才冲他后背问道,站长么时来桂花湾?站长回头应了一声什么,就走远了。

 

[comme elle passe devant le bâtiment de la troupe d’opéra de Chu, elle tombe sur le chef du bureau de la culture qui l’apostrophe : ah c’est vous, la beauté du lac Tai !... et lui fait des compliments, sur ses cheveux etc… ]

 

振兰还站在街边,上回那个卖光盘的不知从哪里钻了出来。他叫道,大姐大姐,再买几张碟么的样?见振兰还在愣神,就凑到跟前说,那个男的,大姐你熟?振兰不言语,卖光盘的又说,他这个人,县城人人认得他的,他人不坏,就是太招女人,本来是楚剧团编戏的,犯了错,落到底下文化站了。他停了话头,等振兰问。振兰不问,他就识趣地转了话头,兜售起他的新鲜生意——刻光盘。要说时尚,这个最时尚,跳来跳去,自己看不见自己跳舞总归不好耍,录下来,刻成光盘最好,想放就放,等于上了电视,等于拍了电影。大姐你这样苗条标致,不刻可真是可惜了。这人一通絮絮叨叨,振兰却有点儿心不在焉,只说知道了知道了,一边就踩了油门。

 

[alors que Zhen Lan reprend ses esprits, apparaît le vendeur de DVD : vous connaissez cet homme ? et lui raconte les bruits qui courent sur lui : un coureur de jupons, qui était librettiste de la troupe d’opéra de Chu, mais a eu des problèmes et a été rétrogradé… mais Zhen Lan se contente de regarder ses nouveaux DVD qu’il lui vante : des enregistrements comme pour la télé… mais Zhen Lan a la tête ailleurs et repart…]

 

4

果然老叶她们在三店乡得了第一,接下来就要到区里赛1。站长帮她们选了个曲子,叫《绿旋风》2,凤凰传奇的。老叶鼓动振兰说,这曲子带劲呢,来吧来吧,站长也要来指导的。站长来了,见了振兰眼睛一闪,说,哦,太湖美。这次振兰自觉站到了第二排的边上,虽不是最靠后,却也不像在第一排挡人,老叶也不好说什么。就跳起来,站长示范一次,第二次站在前头看她们跳。振兰觉得站长两眼老往她那里瞟,她就特别地挺胸收腹,眼睛水汪汪的。[一曲罢,连连喊热,一边把长头发拦腰绾了个结,这比直垂腰间更别致,走起舞步来,发结幅度很大地摆动,人也更生动轻盈。] 站长望着说,好,好,好极。

 

1. Comme autrefois les examens impériaux, ces compétitions sont organisées par étapes, correspondant aux divisions administratives, d’abord au niveau du village (), puis du canton ().

2. 《绿旋风-凤凰传奇》 Le tourbillon vert - du groupe Phoenix Legend, une danse martiale développée dans l’armée dans les années 1990, d’une chorégraphie très simple, qui se prête aux manifestations de grande envergure pour les effets de masse.

 

La chanson

 

Version dansée

 

Laoye et sa troupe, comme prévu, remportèrent la compétition à Sandian ; l’étape suivante était donc la compétition au niveau du canton. Le chef de bureau les aida à choisir un nouvel air : « Le tourbillon vert », du groupe Phoenix Legend. Laoye relança Zhenlan : cet air est plein d’énergie, faut que tu viennes, le chef de bureau va venir nous diriger. Quand il arriva et vit Zhenlan, il s’exclama, les yeux brillants : ah, la beauté du lac Tai. Cette fois-ci, évitant d’être tout à fait derrière,mais aussi en première ligne, Zhenlan alla d’elle-même se placer au deuxième rang, sur le bord, et Laoye ne dit rien. Pour commencer, le chef de bureau montra le mouvement, puis il se mit devant elles pour les observer. Zhenlan avait l’impression qu’il avait les yeux constamment tournés dans sa direction ; les yeux brillants, elle faisait donc un effort particulier pour dresser le torse et rentrer le ventre.[ …] Le chef de bureau s’exclamait en les regardant : très bien, très bien, formidable !

 

去观口比赛。每人自己出钱置了一身新裙,是绿色的,比原先那身蓝地白花的好多了。花色好,剪裁好,一上身,人人年轻了十岁,各个也都两眼放光全身生风。[到了观口,那阵势,是与三店乡里不同,一队一队地挤着,都置了新舞服,各领队看上去也都蛮神气的。]有个乡是妇女主任亲自带队,那女人烫了头发,穿了件裹得紧紧的旗袍裙,眉毛画得黑嘴唇涂得鲜红。老叶说,这人是远近闻名的烂女人,虽然不算真正卖的,也差不多,谁说得准她的妇女主任是不是睡觉睡来的!这女人果然是不同凡响的1,属于“下自己的蛋,让别人说去吧”那一类,往那儿一站,有些睥睨群雄的样子2。[文化站长来了,她远远看到,就扭起腰身来,她自创的舞姿,双手高举过头顶,合掌,伸直,然后就像条蛇一样扭起来,正放着一个曲子呢,她几下就合上了节奏。丑!女人们说,人不人,蛇不蛇,妖不妖的。]

 

1. 不同凡响 bùtóng fánxiǎng pas ordinaire, hors du commun

2. 睥睨 bìnì regarder avec mépris  群雄 qúnxióng héros populaire / star (musique pop etc.)

 

Pour la compétition de Guankou, tout le monde dût se payer un nouveau costume : tout vert, bien plus joli que le précédent à fleurs blanches sur fond bleu, et non seulement d’une belle couleur, mais aussi d’une belle coupe ; les femmes en étaient rajeunies de dix ans, le regard radieux et le corps plein de fougue. [mais, à Guankou, c’est différent, la compétition est plus dure… ] L’un des groupes était amené par la responsable de la Fédération des femmes en personne ; cette femme s’était fait friser les cheveux, portait un qipao extrêmement moulant, et s’était peint les sourcils d’un noir de jais et les lèvres d’un rouge vif. Cette femme est une dépravée notoire, dit Laoye, tout le monde le sait, elle ne vend pas vraiment ses charmes, mais bon, d’après ce qu’on dit, c’est comme ça qu’elle a obtenu son poste à la tête de la Fédération des femmes ! Elle n’est pas ordinaire, du genre « je fais ce qui me plaît et laisse les gens parler », partout où elle va, elle joue les stars en regardant tout le monde d’un air condescendant.  [quand arrive le chef de bureau, elle se met à minauder, et s’attire les sarcasmes des femmes du groupe de Laoye]

 

文化站长,他却停住了,抱起了双臂,站在了这女人的侧旁。他点起了头,赞赏着。曲子停了,女人头一扭冲站长问,么样?站长说,有味有味。又跟大伙说,这个,是有点儿舞蹈功底的。女人望着他,又扭了几扭,妖得不成样子。她咯咯咯笑,凑近站长耳边悄悄说了句什么。站长用巴掌连连给自己扇风,躁躁地说,公平比赛,评委打分。

[ mais, en arrivant, le chef de bureau s’arrête, l’enlace, et reste à côté d’elle. … et fait l’éloge de sa danse…]

 

赛完了,名次隔日才出来,桂花湾得了第一名,那个妇女主任带的乡得了第二。老叶到观口拿回一面锦旗,中间印有“广场舞第一名”几个大字,黄灿灿的,映得亮眼。老叶得意道,么样,么样!

还领回一张光盘,是当时录的,立马放来看,妇女们看见自己像明星似的上了屏幕,人人又跳又叫,脸上都喝了酒似的酡红。只有振兰沉着脸,那上头几乎没她什么影儿,都被前排挡住了,她的身材、她的舞姿、她的长头发,没一样是整的。

 

[ finalement, c’est un autre groupe qui arrive en premier, la responsable de la Fédération des femmes arrive en second. Laoye remporte une bannière portant l’inscription « première mention du concours de danse de square »… tout le monde fait la fête, sauf Zhenlan : cachée derrière les femmes du premier rang, elle n’apparaît pas sur la vidéo…  ]

 

再练舞时,振兰就跟老叶说,叶娘,你别拉我,要说站在后头,哪个愿站哪个站,反正我不站,录个光盘,连影毛都见不到,有意思吗?老叶说,别啊,站长还惦着你呢。振兰不作声,走开了。她取回了旗袍,穿上了身。虽说是松垮的绵绸,却因剪裁合体,一上身就贴肉贴身,立时感到自己裸了半截,站在镜前,看到自己的奶坨凸着,腰也细去一半,屁股那里最绷,不过形状是好看的,下摆开了长长的衩,腿肉半遮半露。她左看右看,心里阵阵荡漾,一昂头就出了门。走到村尾,又行到村头,到了空地坪上,人已聚了不少,男人女人均看得眼直。女人说,这种裹身裙,不就是妇女主任那种么?可不敢穿。一个男人来回盯着看,然后提了一口气打听价钱,听了价钱,气顿时松下来,立时奔到女人堆里,一串声叫自己的老婆,你也去做,好看,去做,我给你两百块,做两件,天天穿。女人哄笑起来,说他名堂最是多,前一阵不让老婆跳舞,说本来就瘦,跳来跳去连点儿肉都跳没了。他这个老婆也是老实,早前连文胸都不戴的,说丑,这时倒要穿旗袍了。

 

[à la répétition suivante, Zhenlan se plaint à Laoye : sur la vidéo, on ne me voit pas… Elle va chez le tailleur chercher son qipao, et, en l’essayant, le trouve parfait…. Elle le met pour sortir répéter, mais, en la voyant, les femmes disent qu’elle est comme la responsable de la Fédération des femmes… une homme la remarque et lui demande le prix… alors il appelle sa femme :je te donne deux cents yuans, fais-en faire deux, tu en mettras un tous les jours…]

 

晚饭后仍是两堆舞。站长又来了,一来他就到振兰的太湖美那里看,问道,你怎么不参加那边呢?他目光柔软,声音好听。真可惜啊!他叹道,仿佛是从肺腑里抒出来的叹息。振兰的心慢慢荡起,说道,有么可惜的?站长说,你在里面,味道是不同的啊。振兰微低着头,一时没言语。站长又说,你穿旗袍真好看,身材少有的好。振兰脸上漾出笑容,说,这个料子不好,不是丝绸。站长说,是人穿衣服,不是衣服穿人,要看穿衣的主体。天光散尽了,站长说要到观口那边看看,他跨上摩托,一踩油门,走了。振兰一动不动望着他,站长的一举一动都是好看的,挺拔、优雅、爽利,他仿佛也知道女人们是看着自己的,他微微抿着嘴唇,轻盈连贯地完成了一连串动作。

 

[après le dîner, les deux groupes sont là quand arrive le chef de bureau… alors il demande à Zhenlan pourquoi elle ne se joint pas à l’autre groupe… ah quel dommage, dit-il en soupirant… c’est autre chose avec vous… Zhenlan ne dit rien… et ce qipao vous va à merveille… puis il repart sur sa moto, séduisant et charmeur, comme en représentation, sous le regard des femmes…]

 

定是去会那个妇女主任的。有人说。振兰想起那天在观口比赛,散时一帮妇女拥着站长,前前后后说道,站长你就住这块是不,去你屋看看么样?就进了文化站后面的院落,振兰、老叶也跟着说,去瞄下,好耍的。七八个人挤在门口,正闹腾,妇女主任来了,她的横纹连衫裙把身子裹得紧,凹凹凸凸,山山水水,女人们又恼火又眼红,一时竟谁都不言语。倒是她领头进了屋,又自说自话打开了抽屉,站长哎,我开你抽屉了——大白兔奶糖有没?瓜子呢?她又抽抽鼻子,说,么东西有味?她一侧头,忽然又笑,哈你这个,我捉到这味了!她泼辣地掀起床单,只见床底下堆着一盆脏衣服。站长被搅得又尴尬又恼火,这个女人却是乖巧的,见状立时收起了泼辣,换了频道,软声嗲气说,站长哎,我来帮你洗嘛。

 

[Il va à un rendez-vous avec la représentante de la Fédération des femmes …]

 

5

家家户户都在摘棉桃拔花生,振兰无事可做,她穿上旗袍,逛去大队,既是解闷又像招摇1。她这辈人习惯把乡叫大队,多年前,大集体时代,大队部可是个要紧的地方2,供销社、小学、合作医疗,开大会演戏、放电影、招工、招兵。现在基本就没什么名堂了。

 

1. 招摇 zhāoyáo se montrer, avec ostentation  

2. 要紧 yàojǐn urgent, sérieux, important

 

Tout le monde dans le village était occupé à récolter le coton et ramasser les arachides, mais Zhenlan, elle, n’avait rien à faire. Elle mit donc son qipao et alla en se promenant jusqu’à la brigade de production, pour se montrer autant que pour dissiper son ennui. Quand elle parlait du village, elle usait encore par habitude du terme de brigade de production, comme les gens de sa génération ; c’était un terme de l’époque de la collectivisation, il y avait longtemps de cela ; c’était alors un endroit important, avec coopérative, école, dispensaire collectif, projections de films et représentations en ouverture de réunion, avec ses travailleurs et ses soldats. Maintenant, il est vrai, rien de tout cela n’était plus pareil.

 

路过大队旁边的超市,只见支书老婆懒洋洋地靠着嗑瓜子,这个供销社变成的超市,净是冒牌假货。倒是那个医疗站,还总有人来看病,那医生上了年纪,慈眉善目,耐心,收很少的钱。支书老婆有一搭没一搭地应付她,对她的新旗袍却不置一词。一转身进了隔壁的医疗站,老医生正在给人按摩腰椎,问道,看病啊?振兰说,没什么病,就是睡不沉,做乱梦,醒来头昏。老医生应说,哦哦。问,想么心事呢?振兰说,什么都没有想。医生说,那是不可能的。振兰不言语了,想起夜里做的梦,那站长不知怎么就进了她的屋子,他站在她床边,脸俯向她,她想坐起来,站长轻声说莫起莫起,他说你穿旗袍睡觉多勒人啊,我帮你解开扣。她低头一看,自己的身子光溜溜的,不知什么时候已经全没遮拦了。振兰出了一会儿神,问,有药不?医生说,倒还有几片安定,最多给你两粒。又说,药有么好,是药三分毒,再说今天吃了药睡着了,明天还要吃药才睡得着,这一来二去的它就赖上你了。振兰有些发愁。医生又说,我有个方子,就看你愿不愿使。振兰忙答,愿的愿的,么不愿!医生说,把你家丢荒的地种回来,该插禾就插禾,该栽棉花就栽棉花,种上几垄红薯花生绿豆,翻翻地、锄锄草,日间累出一身汗,夜里哪有睡不着的?打你都不醒。

 

[si la coopérative est devenue un supermarché, au dispensaire il y a un jeune médecin ; c’est lui que vient voir Zhenlan, parce qu’elle souffre d’insomnie, sans raconter qu’elle rêve du chef de bureau… elle demande des somnifères… le médecin la met en garde, mais lui fait une ordonnance. En même temps il lui conseille de travailler, si elle est morte de fatigue, elle dormira d’un sommeil de plomb…]

 

从医疗站出来,振兰走到大队旁边的小学,学校已经完全荒掉,校舍还新着,屋脊上1的溜黄色琉璃瓦闪闪发亮,校园里的杂草却已长到半人高,升旗的旗杆断了半截,神气也就泄掉了。小学已经撤销2,教室门被卸了,窗玻璃豁了口子,里面桌椅七零八落歪在地上,墙角堆着一堆黑乎乎的花生藤。教师办公室地上有几摊鸡屎,办公桌上剩一个光秃秃的鸡毛掸子。振兰到厕所看了一眼,根本没法落脚。

 

1. 屋脊 wūjǐ  faîte du toit 

2. 撤销 chèxiāo annuler, révoquer, résilier

 

En sortant du dispensaire, Zhenlan passe par la petite école à côté, complètement dilapidée bien que le bâtiment soit encore récent ; sur le faîte du toit, les tuiles vernissées jaunes brillent encore de tout leur éclat, mais, dans la cour, les herbes folles arrivent à la taille, le mât pour hisser le drapeau national est cassé à moitié, le lieu respire l’abandon. L’école étant désaffectée, les portes des salles de classe ont été démontées, les vitres des fenêtres ont des trous, et, à l’intérieur des salles, il y a des tables et des chaises un peu partout tandis que, dans un coin, sont entassées des tiges noircies d’arachides. Le sol du bureau des professeurs est jonché de crottes de poules, et sur le bureau, il reste encore un plumeau de plumes de poulet complètement dégarni. Zhenlan voulait aller aux toilettes, mais vit qu’il était impossible d’y mettre un pied.

 

振兰向学校深处走去,她想起围墙那边有几棵桃树,是有一年从外乡移来,优良树种,结的桃要比本地的大几倍,花也不同。远远看去,那花确是灿烂,全靠它,装点了再无读书声的校园。只是几年过去,只见开花,不见结果。

 

Alors elle se dirigea vers le coin le plus éloigné de l’école, du côté du mur d’enceinte, là où elle se souvenait qu’il y avait quelques pêchers ; c’était des arbres dont les plants avaient été apportés de l’extérieur, une espèce superbe, bien plus haute que les espèces locales, avec des fleurs différentes aussi, qui resplendissaient vues de loin ; ils continuaient à orner la cour désormais privée du bruit des lectures à haute voix. Cela faisait quelques années qu’elle était partie, et ces arbres, elle ne les avait vus qu’en fleurs, elle n’en avait jamais vu les fruits.

 

已是立秋,草木的颜色都有些老了,不但花季早过,连结果的季节也过了,桃树看上去就平淡无奇,要说有用,则是折上一枝放窗台上,辟邪1。振兰是有些怕鬼的,乡下女人都有些怕鬼,晚上一人住着一幢屋,鬼会从窗口往里张望,有时确乎就听到鬼喘气的声音,嘘嘘的,呼噜呼噜的,不同的鬼,发出的声音肯定也是有别。她们在窗台上放上一些铁器,刀、剪子,或者是桃木梳子、桃树枝,当然两样都放就更加牢实了——鬼纵然站在窗口,有这两样东西挡着,无论如何,它是进不来的。

 

1. 辟邪 bìxié animal mythique dont le rôle était de traquer les mauvais esprits

                        / d’où : chasser les mauvais esprits

 

Maintenant, c’était déjà le début de l’automne ; les couleurs de la végétation avaient pâli, non seulement la saison des arbres en fleurs était passée, mais celle des fruits aussi. Les pêchers avaient perdu leur éclat, et quand à leur utilité, ils gardaient celle d’éloigner les mauvais esprits quand on en posait une branche sur le bord de la fenêtre. Zhenlan avait un peu peur des fantômes, comme toutes les femmes de la campagne ; elles craignent que, si elles sont seules, le soir, dans une pièce, un esprit vienne les observer par la fenêtre ; il leur arrive même d’entendre son souffle, et ce souffle n’est pas le

 

Un bixie

même pour tous les esprits, il y a des différences. Alors elles posent toutes sortes d’objets en fer sur le rebord des fenêtres, couteaux ou ciseaux, mais aussi des branches de pêchers et des peignes en bois de pêcher, les uns renforçant le pouvoir des autres. Même si un esprit vient se poser sur le rebord d’une fenêtre, s’il y a ces deux sortes d’objets, cela l’empêchera d’entrer.

 

桃树旁的围墙塌了一溜,墙外是一条小路。[振兰看中一杈桃枝,想够,够不着,围墙塌处还散着几块砖头,正好搬来垫脚。正搬着,一阵摩托声响过去,又退回,停在了豁口边。哎,一个男人说,你这旗袍真稀罕,让人流口水。振兰看看他,问,你是哪村的?男人咧嘴笑笑,叫你大姐呢还是叫你小姐?振兰脸一沉,说,谁是小姐!男人说,那就大姐吧,大姐的身材真好看,跟我到县城耍一夜吧。振兰板着脸说,我又不认识你。男人说,这事还用得着认识啊!说着就下了摩托,这是一个长腿男人,他一骗腿儿就跨过了豁口。振兰有点儿慌,你要干什么?男人一把箍住了她,邪里邪气地说道,干什么?帮你忙的!老公不在家,我不帮你谁帮你。振兰死命护着身子,一边说,不放开我就要喊了!男人说,你喊,越大声越好。告诉你,你喊也没人听见,有人听见也没人来管这闲事,有人来管这事又奈我何?]

 

Près des arbres, le mur d’enceinte s’était effondré, et à l’extérieur passait un chemin. …

[à ce moment-là arrive un homme à moto qui s’arrête et l’apostrophe… le reste va très vite….]

 

[振兰挣扎不过,全身软了下来。男人三下两下就得手了,他的汗滴进振兰的眼里,振兰想擦掉,双手却被那人紧紧压在脑后,她有心要咬那人一口,却又没咬。她想叫,声音出来,一点儿底气都没有。那人遂愿后放开她,邪笑说,这下爽吧,松快了吧?下次想我帮忙就到这里等着!一边说着跨出豁口,骑上摩托走了。]振兰木木地躺在地上,她听见大路那边有人吆喝着卖水果,还有汽车的喇叭声、狗叫声、打芝麻的声音,而她头顶的枝杈看上去有些古怪,像铁条,把天空划得歪歪扭扭,仿佛一张变形的人脸,凭空多出无数疤痕。

 

[…et l’homme repasse par le trou du mur et repart…]  Zhenlan restait étendue par terre,comme paralysée. Elle entendait, venant de la route, les cris de vendeurs de fruits, des klaxons de voitures, les aboiements d’un chien, le bruit du broyage de graines de sésame. Et la branche au-dessus de sa tête avait une forme très bizarre, une sorte de tige de fer toute tordue traçant sur le ciel comme le dessin d’un visage déformé, arborant d’innombrables cicatrices inexpliquées.

 

老叶的丈夫这时在不远的地垄拔花生,他看到一个男人进了围墙的豁口,还隐约听见一个女人的叫声,不过他向来懒得管这些闲事。若非看到振兰瘸着腿从豁口出来,他连提都不会跟老叶提起。

 

Au même moment, le mari de Laoye était, non loin de là,en train de ramasser des arachides. Il vit un homme entrer par le trou dans le mur, puis entendit les cris étouffés d’une femme, mais il ne s’occupait pas de ce genre de chose. S’il n’avait pas vu Zhenlan, aussitôt après, sortir clopin-clopant du même trou dans le mur, il n’en aurait certainement pas parlé à Laoye.

 

晚饭后老叶拎起音响要出门,她叮嘱1丈夫说,这种事多的是,莫要讲,讲了兰儿没脸做人了。路过振兰家时,她往窗口张了张,屋里是黑的,没开灯,有细细的音响声传出来:“太湖美呀太湖美,美就美在太湖水……”在隔壁震响的楚剧声中,这声音断断续续,仿佛呜咽。

 

1. 叮嘱 dīngzhǔ mettre en garde, exhorter de manière répétée

 

Ce soir-là, après le dîner, au moment de prendre son enceinte pour sortir danser, Laoye répéta encore à son mari de ne rien dire : ce genre de chose arrive souvent, si tu le racontes, tu feras perdre la face à Zhenlan. En passant devant chez elle, Laoye jeta un coup d’œil par la fenêtre, mais la lumière n’était pas allumée, la maison était plongée dans l’obscurité, on entendait juste de la musique, à peine distincte : « Beauté du lac Tai ah Beauté du lac Tai, belle vraiment belle sur l’eau du lac… » La musique de l’opéra de Chu vibrait dans la maison, où la mélodie, semblant ne jamais devoir cesser, revenait comme un sanglot.

 

 

(traduction en cours)

 

 


[1] C’est la seconde nouvelle du recueil, pp 10-20.

[2] Chǔ étant le terme populaire désignant la province, d’après le nom de l’ancien Etat de la dynastie des Zhou de l’Est qui se trouvait au même endroit.

[3] Ce sont des travailleurs migrants qui n’ont pas de hukou urbain, l’enfant ne peut donc pas être scolarisé à Pékin.

 

 

 

 

 

 

 

 

 
 

 

 

     

 

 

 

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