Magazines littéraires

 
 
 
     

 

 

Chutzpah.Tiannan : le quatrième numéro du magazine vient de sortir

par Brigitte Duzan, 28 octobre 2011

 

Le bimensuel littéraire Chutzpah. Tian Nan (《天南》), créé le 1er avril 2011, en est à son quatrième numéro : il vient de sortir, le 18 octobre.

 

Le magazine n’a rien perdu de son tonus, et

s’affirme désormais, sans doute possible, comme un élément novateur de première importance dans le monde des revues littéraires chinoises. Il a su renouveler l’ambition de départ : réfléchir sur son temps avec une très large ouverture d’esprit, en alliant à la littérature les disciplines artistiques les plus variées, photographie, dessin, architecture, cinéma et autres, traitées par des auteurs et artistes chinois et étrangers, et regroupées par thèmes représentant des sujets de réflexion sur des questions actuelles de société.

 

Chutzpah n° 4

 

Le numéro d’octobre reprend le schéma des précédents. Le magazine débute par des poèmes de Yang Lian, suivis des diverses rubriques, avec un ‘compagnon anglais’ qui donne les traductions en anglais des nouvelles des auteurs chinois incluses dans le numéro. 

 

Pierre Klossowski « Descente au sous-sol »

 

On reste sidéré par la liberté de ton du magazine, et dès l’abord, du thème choisi pour ce nouveau numéro : Vision d’Eros情色异象.

 

Ce thème est illustré par des œuvres du Français (d’origine polonaise) Pierre Klossowski, romancier, essayiste, philosophe, traducteur, scénariste (collaborateur de Bresson et Raul Ruiz) et peintre (frère du peintre Balthus), décédé en 2001 à l’âge de 96 ans. Le choix est significatif : on peut dire en effet que cet écrivain, artiste et penseur aux multiples facettes, représente l’esprit même de Tian Nan. A partir des années 1980, il s’est consacré essentiellement au dessin, la découverte de la couleur ayant entraîné chez lui l’abandon de l’écriture ; l’illustration de la couverture ainsi que les illustrations suivantes font partie d’une série intitulée « Tableaux vivants » (1).

 

L’ "espace spécial" est divisé quatre rubriques dont la première est dédiée à un texte de Jonathan Dollimore, sociologue britannique et théoricien de la culture, spécialisé, entre

autres, dans les études sur la ‘dissidence sexuelle’ (homosexualité et thèmes liés).

 

Les cinq textes suivants (rubrique ‘Fantasy’) sont des traductions de nouvelles d’auteurs étrangers, deux français, un espagnol, un américain et un russe.  Suivent deux essais, puis trois nouvelles chinoises avec leur traduction en anglais, dont une, « Le cadeau de Bill Gates » est un clin d’œil involontaire à l’actualité. Le numéro se poursuit avec deux critiques de livres et s’achève sur une autre série de poèmes de Yang Lian.

 

Guide导览       

Entrance入口

杨炼  (Yang Lian)《蚕马》  (poèmes)   

Special Space|特别策划

Vision d’Eros|情色异象

Attitude|态度
乔纳森·多利莫尔《性、文学和审查制度》

Jonathan Dollimore  « Sexe, littérature et censure »

Fantasy|想象
法国:乔治·巴塔耶我的母亲

Georges Bataille « Ma mère »

法国:贝尔纳·诺埃尔《圣餐城堡》

Bernard Noël « Le Château de Cène » (2)

西班牙:弗朗西斯科·翁布拉尔《粉红野兽

Francisco Umbral  « La bête rose » (3)

美国:玛莎·麦克菲《性爱人类学》

Martha McPhee « Anthropologie du sexe »

俄罗斯:叶莲娜·考利亚季娜《鲜花十字架》

Elena Kolyadina « Croix de fleurs » (4)

 

La bestia rosa

Sight|画面

皮埃尔·克罗索斯基《致命欲望》

Pierre Klossowski « Désir fatal »

Sound|声音

郝誉翔《欢愉之必要,革命之必要:华语情色文学的困境》

Hao Yu-hsiang « Caractère essentiel du plaisir, caractère essentiel de la révolution : le dilemme de l’érotologie chinoise »

Regular Space自由组稿

Fiction|虚构

巫昂《比尔盖茨的礼物》

Wu Ang « Un cadeau de Bill Gates »

乌青《我就是丁西拌》

Wu Qing « Je m’appelle Ding Xiban »

甘耀明《丧礼上的故事》

Kan Yao-ming « Histoires de funérailles »

Reading 深读  (critiques de livres)

王勤伯《奥匈帝国的情色挽歌:汝洛·克鲁迪<辛巴达>

Wang Qinbo « Elégies érotiques de l’empire d’Autriche-Hongrie : le "Sindbad" de Gyula Krúdy. » (5)

 

Croix de fleurs

比目鱼《完美的低俗之书:尼科尔森·贝克<洞之屋>

Bi Muyu « Le livre de la parfaite vulgarité : « House of Holes »  de Nicholson Baker » (6)

Parasite刊中刊

Peregrine

An English Companion to Chutzpah Magazine, n° 4

Traductions des trois nouvelles de la section ‘Fiction’

Exit |出口

杨炼 (Yang Lian) 《水手之家》 (poèmes)

 

Autant on est étonné, dans le contexte chinois, de l’audace du thème, ainsi que des textes choisis pour

l’illustrer, autant on est admiratif de l’érudition et de l’étendue des connaissance de la littérature étrangère qu’ils supposent, et qui vient apporter un cinglant démenti à l’opinion du professeur Kubin selon lequel les écrivains chinois contemporains seraient ignares.

 

Mais, évidemment, mis à part, peut-être, les trois nouvelles d’auteurs chinois, ce sont dans l’ensemble des textes réservés à un public cultivé. C’est sans doute la raison pour laquelle le magazine a pu passer la censure. On reste quand même pantois, surtout après la récente publication, à la suite du 17ème comité central du Parti qui vient de s’achever, du document sur la réforme du système culturel, où l’on voit de vieux slogans post-89 comme "guider l'opinion publique" (yúlùndǎoxiàng 舆论导向) remis à l’honneur.

 

Notes

(1) Ces tableaux ont fait l’objet d’une exposition au Centre Pompidou au printemps 2007, et elle était accompagnée de films réalisés en collaboration avec lui :

www.centrepompidou.fr/Pompidou/Manifs.nsf/AllExpositions/0AA46E90410E0B3DC125

721300512F9A?OpenDocument&L=1

(2) Une ode au plaisir, texte baroque et sulfureux (rééd. Gallimard/L’imaginaire 1993) qui fut interdit et saisi en 1969, puis condamné pour outrage aux mœurs en 1973, avant d’être à nouveau autorisé quatre ans plus tard, et largement oublié aujourd’hui.

(3) Francisco Umbral, mort en 2007, est l’un des plus grands écrivains espagnols contemporains. « La bestia rosa » a été publié en 1981. Présentant son livre à la presse et au public, Umbral a expliqué : « La segunda realidad propiamente humana que apareció en la historia fue el erotismo. Entonces desapareció para siempre el sexo entendido como pura biología » (la seconde réalité proprement humaine apparue au cours de l’histoire fut l’érotisme. Disparut alors pour toujours le sexe au sens de pure biologie). Il ajouta : « Je préfèrerai toujours l’érotisme, c’est-à-dire la poésie, à la biologie pure. » C’est sans doute aussi le message du magazine.

(4) Un livre très controversé sur l’érotisme et la superstition au 17ème siècle en Russie ; il a reçu

l’équivalent russe du Booker Prize en décembre 2010.

(5) Un des plus grands écrivains de la littérature hongroise moderne. Il est particulièrement connu pour son récit « La jeunesse de Sindbad » publié en 1911. Le personnage revient plusieurs fois dans son œuvre comme un alter ego de l’auteur.

(6) Sous-titré ‘a Book of Raunch’ (un livre obscène),  Simon&Schuster, 2011.

 

 

 

 

 

 

   

 

 

     

 

 

 

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