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Problèmes de
traduction des chengyu :
comprendre avant de
traduire
par
Brigitte Duzan, 24 juin 2020
Il
est parfois des chengyu
qu’il est difficile de traduire tant ils jouent sur des notions
profondes de la pensée chinoise pour lesquelles nous n’avons pas
d’équivalent exact. Le sens en est évanescent et fluctuant. Il
nécessite de se replacer d’abord dans le contexte des textes
classiques dont ils sont tirés.
C’est le cas de : Rén zhì yì jìn
仁至义尽
dont on donnera provisoirement la traduction
suivante :
Pousser à leur ultime point de perfection les vertus
de
rén
et de yì.
Pour mieux comprendre, il faut d’abord se plonger
dans le classique dont il est tiré.
Source
Ce chengyu prend sa source dans un chapitre
du
« Livre
des rites » :
le chapitre « Sacrifices des faubourgs » (Li Ji –
Jiāo
Tè Shēng
《礼记・郊特牲》)
.
Ce chapitre concerne les sacrifices rituels
jì
(祭)
pratiqués dans la Chine ancienne, et plus
particulièrement le sacrifice zhà (蜡)
pratiqué en fin d’année
.
Le texte décrit très précisément à qui étaient
dédiés ces sacrifices : tous ceux, jusqu’aux plus
lointains ancêtres, qui avaient permis les récoltes
de l’année écoulée, |
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La procession du
sacrifice zhà |
sans oublier les divers animaux (les chats parce qu’ils
avaient dévoré rats et souris, les tigres, car ils avaient
éliminé les sangliers, etc.) : les anciens sages jugeaient
nécessaire d’exprimer leur reconnaissance envers tous les
êtres qui avaient rendu service. Ainsi, est-il dit :
“蜡之祭,仁之至,义之尽也。”
Le
sacrifice nommé tchä [pinyin zhà] était
l’expression de la bonté la plus grande et de la justice la plus
complète (trad. Séraphin Couvreur).
Sacrifice zhà sur
l’Autel du Ciel |
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La double sentence 仁之至,义之尽也
est répétée deux fois dans le même paragraphe, la
première fois étant traduite avec une variante :
« ainsi la bonté et la justice se
manifestaient(-elles) au plus haut point ». Le choix
des termes ainsi que la répétition montrent bien
l’importance donnée à la recherche de la perfection
dans la pratique de ce rituel, perfection en termes
de « bonté » - rén
仁
- et de « justice » -
yì
义/義
– soit
deux des cinq vertus de la sagesse confucéenne.
Mais leur traduction n’est qu’approximative, ce sont
les caractères (non simplifiés) qui en expriment
toute la signification.
Rén
仁
représente l’homme |
(clef à gauche) en harmonie avec le ciel et la terre, en
paix avec ses semblables.
Yì
義
est également double : il comporte dans la partie
supérieur un mouton yáng
羊,
l’animal sacrificiel par excellence, et en-dessous la
représentation d’une arme évoquant celui qui la porte, moi
wǒ
我.
On
voit bien dès lors qu’il ne s’agit pas seulement de bonté et de
justice, mais des qualités profondes d’harmonie de l’homme dans
le monde et de perfection dans son rapport à tous les êtres.
Chengyu
仁至义尽
rén zhì yì jìn
C’est donc de cela qu’il est question dans ce chengyu qui
est en fait une synthèse des termes du « Livre des rites » :
porter à la perfection, à leur plus haut point, les vertus qui
vont permettre à chacun d’être en harmonie avec l’univers. Le
traduire est forcément restrictif, et devrait se faire en
fonction du contexte, et en particulier de sa fonction dans la
phrase où il est utilisé.
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Les cinq vertus
confucéennes |
Mais pour l’expliquer et le comprendre, il est un texte de
Nathalie Sarraute qui offre une méthode d’approche intéressante
et originale : « Ton père, ta sœur »
.
Le
ren, le yi
« L’usage de la parole » regroupe des textes inspirés par
certaines « paroles » courantes entendues de ci-de là, dont
Nathalie Sarraute tire des significations insoupçonnées sous les
représentations convenues, formant clichés. Il s’agit chaque
fois d’un formidable exercice de mise en forme de l’imagination
appelée à se déployer pour faire ressortir tout ce qu’une phrase
usuelle, et ancrée dans l’oralité, peut déceler en profondeur.
Dans « Ton père, ta sœur », elle part de la phrase presque
rituelle, d’une mère s’adressant à son fils : « Si tu continues,
ton père va préférer ta sœur. » Elle commence par isoler les
deux termes « ton père, ta sœur » et fait le portrait en creux,
telle qu’elle l’imagine, et nous avec elle, de la mère qui s’est
retirée derrière ces deux grandes figures symboliques de la
cellule familiale, le père et la mère prenant au passage des
statures de personnages confucéens.
Une fois ses deux personnages bien posés, dans tout leur
hiératisme, leur rigidité de figures symboliques, il s’agit nous
dit-elle, de considérer les deux autres termes de la phrase :
« si tu continues » … « va préférer ». Et là se dessine tout de
suite l’ébauche d’un drame, d’une histoire de famille
nauséabonde… qu’elle se garde bien de développer.
Ce
qui nous intéresse, ce n’est pas cette histoire, que Sarraute
laisse d’ailleurs en plan, c’est sa manière de procéder en deux
étapes, en mettant en lumière, tour à tour et deux à deux, les
termes de la phrase. On peut faire de même avec
rén zhì yì jìn
仁至义尽 :
- ce
dont il est question, d’abord, c’est des deux vertus
fondamentales du confucianisme, le rén et le
yì,
posées comme identités abstraites et symboliques, et tellement
telles qu’elles en sont intraduisibles. On ne peut les aborder
que par un processus descriptif à la Sarraute, en remontant au
texte ;
- et
puis, il y a zhì .. jìn qui représentent en quelque sorte
l’élément narratif, qui nous fait sortir du symbole pour
retomber dans le réel et le concret : ces deux vertus, dans le
sacrifice de fin d’année sur l’Autel du Ciel, elles sont portées
à leur plus haut point de perfection.
Dans son ouvrage « Le taoïsme et les religions
chinoises » (Gallimard/nrf ,1971, p. 107)), Henri
Maspero en donne cette description : « ce sacrifice sur
l’Autel du Ciel au solstice d’hiver qu’on appelait
simplement le sacrifice de la Banlieue jiao,
était une des cérémonies les plus importantes de la
religion officielle… » Cet Autel du Ciel était un tertre
rond à trois étages qui se trouvait dans le grand enclos
du Temple du Ciel, dans la banlieue sud de la capitale (nanjiao
南郊).
Le sacrifice était d’abord destiné au Suprême Seigneur
de l’Auguste Ciel (Huangtian Shangdi
皇天上帝)
dont le trône était disposé sur le gradin supérieur.
Ren
仁 Yi
義 Li
礼 Zhi
智 Xin
信.
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