Qin Qiong vend son
cheval : une histoire et un chengyu
par Brigitte Duzan, 5 novembre
2019
Lu
Wenfu (陆文夫), Nid d’hommes 《人之窝》,
chap. 10 :
盈盈丝竹声
yíngyíng sīzhú
shēng
le son clair des instruments de musique (yíngyíng
est une onomatopée, sīzhú ‘soie et bambou’, expression
venant du chapitre sur la musique du « Livre des rites » (《礼记·乐记》)
désignant les instruments traditionnels chinois à cordes et à
vent)
Dans ce chapitre 10 du roman de Lu Wenfu, un vieux brocanteur,
fin connaisseur de livres et d’instruments de musique anciens,
explique avoir acheté un erhu (二胡)
[1]
exceptionnel à un chanteur de rue aveugle et avoir obtenu un
prix intéressant car :
“瞎子卖二胡就和秦琼卖马是一样的,走投无路时才肯卖宝贝。…”
Si un aveugle vend son violon, c’est comme Qin Qiong vendant
son cheval : c’est uniquement s’il n’a pas d’autre solution
qu’il consent à se séparer de son trésor….
Cette expression mérite quelques explications.
Qin Qiong,
personnage historique
Qing Qiong (秦琼),
encore appelé Qin Shubao (秦叔宝),
est un général chinois de la fin de la dynastie des
Sui et des débuts de la dynastie des Tang. Alors
qu’il n’était encore que simple soldat, sous le
règne de l’empereur Yang de la dynastie des Sui (隋煬帝),
il réussit à vaincre deux généraux rebelles et ses
actions d’éclat lui valurent d’être promu.
Cependant, lors d’une nouvelle rébellion, en 617, le
général sous lequel il servait ayant été tué au
combat, il se rendit avec ses hommes à l’un des
chefs de la rébellion, Li Mi (李密),
auquel il sauva la vie l’année d’après lors des
troubles ayant suivi la mort de l’empereur Yang, tué
lors d’un complot ourdi par l’un de ses généraux.
En 618, Li Yuan (李淵)
créa la dynastie des Tang, en devenant le premier
empereur, Gaozong (唐唐高).
Il s’employa dès lors à unifier le pays avec l’aide
de son fils
Qin Shubao, en dieu de la porte
Li Shimin (李世民)
auquel Qin Qiong et Li Mi se rallièrent en 619. Par la
suite, Qin Qiong fut l’un des généraux les plus valeureux de
l’empereur aux côtés de Li Shimin, Quand il mourut, en 638,
l’empereur le fit enterrer tout près de sa future tombe,
avec des statues de soldats et de chevaux en hommage à ses
hauts faits d’armes.
Chengyu et opéra
Qin Shubao, ou Qin Qiong, est l’un des dix-huit
guerriers légendaires du roman historique Shuo
Tang (《说唐演义全传》)
publié sous les Qing, à la fin du 18è siècle ;
inspiré de personnages historiques, le roman
comporte des anecdotes fantaisistes, comme celle de
Qin Qiong vendant son cheval qui a donné un
chengyu :
秦琼卖马
–
穷途末路
qín qióng mài mǎ
– qióng tú mò lù
Qin Qiong vend son cheval
– sortir de la misère, d’une impasse.
(Qin Qiong s’était arrêté dans une auberge alors
qu’il escortait des prisonniers. Lorsque
l’aubergiste s’aperçut qu’il n’avait pas d’argent
pour le payer, il commença à le vilipender, alors
Qin Qiong se vit obligé de vendre son cheval)
Le Shuo Tang
Qin Qiong vend son cheval
(秦琼卖马) est
un chant célèbre d’opéra, sur un livret de Tan Xinpei (谭鑫培) :
Qin Qiong est vénéré dans la religion populaire, en Chine, comme
l’un des deux « dieux de la porte martiaux » (武门神),
aux côtés de Yuchi Gong (尉迟恭),
un autre des dix-huit guerriers du Shuo Tang.