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Lecture de
L’Hôtel du Cygne : une fausse utopie
par Zhang
Guochuan
Publié le 17 septembre 2021
Ce zhongpian (ou novella)
de
Zhang Yueran (张悦然)
s’intitule L’Hôtel du Cygne, un titre
intéressant, car dans l’histoire, il n’y a pas de
cygne, ni d’hôtel. Le petit garçon Dada prend les
oies destinées à être tuées au marché pour des
cygnes qu’il a vus à Vienne. Il en choisit une pour
la ramener chez lui, et hisse une tente de camping
verte en plein milieu du salon, en la baptisant «
l’Hôtel du Cygne » pour « accueillir les enfants qui
n’ont pas d’amis » (p 11).
Dans cette histoire, seul dans un
monde d’adultes, Dada s’allie aux animaux. Son hôtel
est caractérisé par l’illusion et ressemble à une
utopie des animaux. Parmi ses invités, on compte
tout d’abord ses jouets (son ours en peluche, son
éléphant et son zèbre). Ensuite viennent les animaux
tels que le labrador de leur voisin, et le chat
blanc mort qui lui apparaît dans ses songes : « …il
avait plu, la terre était molle, le petit chat blanc
avait réussi à s’en extraire et l’avait suivi chez
lui. Il lui avait présenté son cygne et les avait
invités dans son Hôtel du Cygne tout neuf. »
(p 103) |
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L’Hôtel du Cygne |
Quelques humains figurent aussi parmi ses
invités, mais ils ont tous une caractéristique animale. Avec
« le frémissement des ailes de son nez pendant qu’elle buvait »
(p 107) qui
lui donnait des airs de cheval, Huang Xiaomin représente pour
Dada une liberté sauvage, à l’opposé de sa mère civilisée de la
haute société. Le passage suivant est illustratif :
« Endormie en travers du
sofa, elle avait une jambe sur l’accoudoir, les orteils pointés
en direction du plafond et sa bouche entrouverte émettait un son
rauque comme si un sifflet y était logé. »
(P115)
Dada s’attache également à sa nounou, Yu Ling,
dont les yeux ressemblent à ceux du cygne car ils regardent des
deux côtés à la fois (P151).
Le petit garçon lui-même ressemble à un petit chat
(P125). Même la fille
des voisins aux épaules maigrichonnes et au long cou rappelle
une girafe. (p80)
Ainsi, cet hôtel semble incarner une utopie
constituée par des animaux. En ce sens, la conception de cette
histoire est contraire à celle de La Ferme des animaux de
George Orwell. L’Hôtel du Cygne abrite le petit garçon solitaire
du monde extérieur : l’école, la réalité, la tempête de sable au
printemps à Pékin... Il se dresse en opposition à la dystopie
composée par les adultes qui cachent tous un secret. En effet,
l’auteure représente dans cette histoire plusieurs problèmes
typiques de la société contemporaine chinoise.
L’intrigue débute avec l’enlèvement de Dada par
Yu Ling et son copain, interrompu par l’enquête pour faute grave
du grand-père de Dada et l’arrestation de son père. Ici, ce
récit fait écho à une nouvelle vague de romans dits «
anti-corruption » apparus dans le cadre de la campagne lancée
par Xi Jinping depuis 2012. Dans la société contemporaine
chinoise, les relations humaines sont souvent fondées sur les
intérêts. Puissants, les parents de Dada sont toujours bien
entourés, mais une fois leur pouvoir perdu, il n’y a même plus
personne pour s’occuper de Dada. Cela rappelle à Yu Ling une
citation lue dans une revue :
眼见他起高楼,眼见他宴宾客,眼见他楼塌了
Bientôt il fit élever une haute
tour. Bientôt il tint festin pour ses invités. Bientôt sa tour
s’effondra. (p138)
Dans la société contemporaine orientée vers
l’argent, il existe un grand décalage de richesse. Les malheurs
sont souvent engendrés par le sentiment d’injustice né des
comparaisons avec ceux qui ont fait fortune. En effet, Yu Ling
se sent responsable de l’intention criminelle de son copain, car
elle lui avait trop parlé de la vie des riches. Ironiquement,
avec l’arrestation du père de Dada, ce décalage entre la nounou
et son employeur semble s’effacer : « on est tous aussi démunis
quand vient la souffrance. » (P153)
Le malheur est omniprésent. A la différence
de ses œuvres précédentes où Zhang Yueran réfléchit également
sur la situation des femmes, cette histoire reflète la vie des
femmes issues des milieux défavorisés. Yu Ling est malheureuse.
Sa mère est morte dans une inondation, son premier amoureux
s’est détourné d’elle (p 142),
son fils de trois ans s’est noyé. Elle rêve d’« un enfant
qu’elle pourrait combler de toute sa tendresse et de tout son
amour » (P57),
mais son copain est parti en emportant toutes ses économies.
Même son entourage est cruel vis-à-vis d’elle, sa vie privée est
dévoilée par la « curiosité malsaine »
(P79) de son employeuse Chen Wen et de
la femme de ménage Xiao Hui. Yu Ling est « devenue toute tordue
à force de souffrances ». En ce qui concerne son copain, « sa
cruauté et sa méchanceté puisaient à la même source que ses
bizarreries et sa morosité à elle. »
(P134)
Heureusement, sa vie n’est pas toute noire.
Elle ressent de la tendresse pour le petit garçon Dada, qui
s’attache beaucoup à elle. Mais une telle relation va-t-elle
durer ? Dans son roman tragique intitulé Dans le jardin de
l’ogre, Leïla Slimani traite également de la relation entre
une nounou et les enfants qu’elle garde. Zhang Yueran n’essaie
pas non plus de donner une fin heureuse à cette histoire, car à
la fin, quand Dada n’a personne d’autre que Yu Ling, la sonnerie
du téléphone la fait sursauter, et brise l’illusion de son
bonheur aussi éphémère que le petit bout d’arc-en-ciel qu’elle
aperçoit. (P157)
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