Yi Xiaohe
易小荷
Présentation
par Brigitte
Duzan, 10 juin 2023, actualisé 1er décembre 2024
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Yi Xiaohe (photo China
Digital Times) |
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Journaliste et
écrivaine originaire de Zigong (自贡),
dans le Sichuan, Yi Xiaohe (易小荷)
est diplômée du département d’anglais de l’Institut des langues
étrangères du Sichuan (四川外语学院英语系).
Elle vit maintenant à Shanghai.
Elle a d’abord
été journaliste sportive et a publié plusieurs ouvrages
regroupant ses reportages sur le monde du basketball, sur la
base d’interviews de sportifs réalisés aux Etats-Unis pour la
NBA (National Basketball Association). Elle s’est fait remarquer
par son style et elle est entrée en 2012 au comité de rédaction
de l’hebdomadaire Southern Metropolis (《南都周刊》)
dont elle est devenue rédactrice en chef.
Anthologies littéraires
Après ses
ouvrages sur le monde du sport, elle a élargi ses publications
au monde de la littérature et des arts :
- Décembre
2017 : « Avons-nous encore des âmes ou non ? » (《我们是否还拥有灵魂》)
Une douzaine
d’histoires vécues tirées de ses souvenirs, de son passé à la
campagne ; tout le monde voit ses idéaux réduits en miettes,
d’où la question du titre.
- Janvier
2018 : « Lettres et arts d’âmes sœurs : écrits en écho » (《soul
客文艺:聚响》),
écrit et éd. par Yi Xiaohe et Dong Xiao (董啸).
Compilation de
textes de
Yu Hua (余华),
Hong Feng (洪峰),
Jiang Fanghou (蒋方舟),
Wang Xiaoshan (王小山),
Zhou Yunpeng (周云蓬),
A Yi (阿乙),
Miao Xinyu (苗欣宇),
Ren Xiaowen (任晓雯),
Zheng Xiaolü (郑小驴),
le réalisateur
Yang Shupeng (杨树鹏).
En quatre
parties :
呓语
Divagations
/影像
Images
/回望
Rétrospection
/浮生
Vies fugitives*
* Cette
dernière partie emprunte son titre au recueil éponyme de Ren
Xiaowen dont il comporte deux « vies » :
Yuan Gendi (袁跟弟)
et Yang Min’an (杨敏安).
L’ouvrage est
suivi de deux autres anthologies selon les mêmes principes :
- En
avril 2018 : « Lettres et arts d’âmes sœurs : vision de Yi » (《soul客文艺:易见》).
Avec dans la
dernière partie deux autres « vies fugitives » de Ren Xiaowen :
Dai Xiurong (戴秀蓉)
et Xu Zhifang (许志芳).
- En
janvier 2019 : « Lettres et arts d’âmes sœurs : né pour être
homme » (《soul客文艺:生而为人》).
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soul
客文艺 |
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Le bourg
du sel
Yi Xiaohe
s’est ensuite tournée, pour l’explorer, vers le monde des femmes
vivant à la campagne et a publié en février 2023
« Le bourg du sel » (《盐镇》)
qui a été salué comme le « premier ouvrage d’excellence qui
dépeint en profondeur la vie, les sentiments et le destin des
femmes de la campagne chinoise » (第一本深度书写中国乡镇女性生活、情感与命运的佳作).
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Yi
Xiaohe présentant « Le bourg du sel »
(photo Beijing ribao) |
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Pour écrire le
livre, Yi Xiaohe a vécu pendant un an, à partir de juillet 2021,
dans la petite ville de Xianshi (仙市),
dans le sud-ouest du Sichuan – à une dizaine de kilomètres de sa
ville natale de Zigong. Elle l’a rebaptisée « le bourg du sel »
parce que c’était le richesse locale et qu’elle a fait du sel le
symbole de toute l’infortune des femmes qui vivent là : les
femmes, dit-elle, tentent de panser leurs plaies tandis que les
hommes y versent du sel. Arrivée de Shanghai, elle a d’abord eu
une impression de nature inviolée, mais cela a vite changé :
chaque femme rencontrée avait une histoire éprouvante à
raconter ; toutes semblaient considérer la violence comme un
fait acquis, inéluctable.
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« Le
bourg du sel » Yan zhen |
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Comme ce sont
des femmes sans éducation, elles n’ont pas un discours logique
et cohérent, il faut les écouter longtemps pour arriver à
reconstituer la trame de leurs histoires. Yi Xiaohe avait pensé
rester trois mois, elle est finalement restée un an. Le temps
qu’il faut pour se rendre compte qu’il n’est pas facile de
partir de là, même si on en a très envie. Ces femmes témoignent
d’un avenir bloqué, sans horizon, où il s’agit juste de de vivre
jusqu’au lendemain, comme une sorte de fatalité. Et c’est sans
doute le plus poignant.
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L’ancien bourg de
Tianshi, photo Yi Xiaohe |
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L’ouvrage
n’est cependant pas un simple reportage : il vaut pour sa
qualité d’écriture. Interrogée,
Yi Xiaohe a expliqué qu’elle n’a pas d’imagination et ne peut
pas écrire des histoires à la Borges. On pense à Proust rentrant
crevé d’une soirée et répliquant à sa fidèle Céleste qui lui
demandait pourquoi diable il avait besoin de sortir comme ça si
ça le fatiguait autant : mais Céleste, c’est parce que je n’ai
pas d’imagination…
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L’ancien bourg promu
attraction touristique, avec ses
habitantes, photo Yi
Xiaohe (source : The Paper) |
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En fait, il y
a une continuité dans l’œuvre de Yi Xiaohe : son écriture s’est
affinée alors qu’elle écrivait ses reportages sur les sportifs
de la NBA ; à l’époque, cependant, ses innovations stylistiques
n’étaient pas bienvenues, c’est dans « Le bourg du sel » qu’elle
leur donne libre cours. L’ouvrage est malgré tout de la même eau
que ses écrits antérieurs : il a la vie pour point d’ancrage.
C’est ce qu’elle dit à Luo Xin (dans l’interview cité) :
我没有那样有张力的想象力,我是必须要到生活里去的那种人,那样子我才能知道天空的颜色、空气的滋味,所以非虚构才是我最擅长的。
Je n’ai pas
une grande force d’imagination, je suis le genre de personne qui
a besoin d’aller vers la vie, c’est seulement ainsi que je vois
la couleur du ciel, que je sens l’arôme de l’air ; aussi la
non-fiction est-elle ce en quoi j’excelle.
Le livre est
divisé en dix parties, avec préface et postface
.
Yi Xiaohe en explique la genèse et le contenu dans la préface :
Extrait 1 :
La condition des femmes dans le « bourg du sel »
这样的小镇,特别适合作为一个样本,用以管窥更广阔的真实中国的面貌。对于西方人而言,它的位置似乎可以等同于“锈带”——二十世纪之初的伯明翰或者二十世纪后期的底特律。我在当地陆续住了一年,采访了近一百位当地居民,和无数人做朋友。这里面的女性,尤其让人动容。古镇的辖区总人口约为四万,女性占到其中一半。
Un petit
bourg de ce genre est idéal pour offrir une image très large de
la réalité chinoise. Pour un regard occidental, il a une
position équivalente à la « Rust Belt » - c’est Birmingham au
début du 20e siècle ou Detroit à la fin du siècle.
J’ai passé là une année, interviewé près d’une centaine de
personnes et me suis fait d’innombrables amis. Les femmes qui
vivent là m’ont particulièrement touchée. La population totale
du district est de 40 000 personnes, et la moitié sont des
femmes.
然而在21世纪的今天,我们在北京、上海高谈角论女性权利的时候,她们仍旧重复经历着古老时代的轮回。我请地们吃饭,参加她们的婚礼坝坝宴,看她们做葬礼的道场,甚至和她们—起去请仙婆,尽一切可能感受她们的感受,从她们的角度打量世界最后,不断“打捞”女性的幸存者。
贫困始终是古镇女性必须时刻抗争的敌人,而伴随贫困的是见识的狭窄和环境的逼仄,更重要的是随之而来的次生灾害一来自家庭男性成员的欺压和剥削。这是一个男性相对游手好闲,不事生产的地方,婚姻和贫困成为套在女性脖子上的双重绞索一我目光所及的古镇女性,无一例外都在挣扎着求生,从十六七岁的辍学少女到九十岁的老妪,所得固然各不相同,努力却都一般无二。而生活本身的重压之下,她们还要遭受来自男人的普遍歧视和无休止的暴力。书中大部分女性,或者目睹过母亲遭受父亲的暴力殴打,或者自身就是家庭暴力的受害者。当她们通过努力工作改变生活处境的同时,还必须击败来自男性家人的“父权”和“夫权”,才能掌握自己的命运。
Et
pourtant, alors qu’aujourd’hui, au 21e siècle, on
discute des droits de la femme en haut lieu à Pékin et à
Shanghai, ces femmes, elles, n’en finissent pas de revivre le
même cycle de vie suranné. Je les ai invitées à déjeuner, ai
participé à leurs banquets de mariage, les ai observées
pratiquer les rites funéraires taoïstes ou bouddhistes et suis
même allée avec elles consulter des nécromanciennes ; j’ai tout
fait pour partager leurs émotions et considérer le monde de leur
point de vue, après quoi je n’ai cessé de « repêcher » les
survivantes.
C’est la
pauvreté qui a été l’éternel ennemi à combattre pour les femmes
de ce vieux bourg car la pauvreté entraîne une étroitesse de
vues et de connaissances en induisant un cloisonnement de
l’environnement ; mais bien plus importants encore sont les
désastres secondaires nés de l’oppression et de l’exploitation
de la femme dans la famille patriarcale. Voici un endroit où les
hommes sont relativement oisifs et ne produisent rien. Le
mariage et la pauvreté sont ainsi devenus un double nœud coulant
autour du cou des femmes. D’après ce que j’ai pu constater,
toutes les femmes du vieux bourg sans exception luttent pour
survivre, des adolescentes de seize ou dix-sept ans qui doivent
abandonner leurs études aux vieilles femmes de quatre-vingt-dix
ans ; il y a bien sûr des variations dans les niveaux de
ressources, mais les efforts déployés sont du même ordre. Sous
la pression de leurs conditions de vie, elles souffrent d’une
discrimination généralisée et d’une perpétuelle violence de la
part des hommes. Dans le livre, une grande partie des femmes ont
été témoin de la violence exercée sur leur mère par leur père,
ou elles-mêmes ont été victimes de cette violence domestique. Et
quand elles parviennent, par un travail acharné, à améliorer
leurs conditions de vie, il leur faut encore s’attaquer au
« pouvoir du père » et au « pouvoir du mari » et les vaincre
afin de réussir à contrôler leur destin.
Extrait 2 :
Les conditions de vie locales
规模宏大的制盐产业逝去已久,旧日的财富化为云烟。自贡从曾经的“川C”沦为现在的一个五线城市,在镇上生活的人们的生活更是介于贫困和温饱之间。曾经的工厂变成了路边的废墟,年轻人几乎没有什么像样的工作机会,这里找不到任何关于“文化”的痕迹,我不会因为腋下夹着一本余秀华的诗集受人尊重。这里的人几乎不关心什么宏大命题,他们把眼光放在最近的地方,只有金钱才能意味着个人的尊严。而古镇也只是依靠旅游者的好奇打量,才勉强连接到互联网和现代经济之中。上天把这样一片宁静的土地赐予他们的同时,贫穷或者灾难也时常降临在他们头上。河水运走井盐,带来财富,河水也常常变成山洪,成为对财产的威胁,地震、雷暴、火灾更是不一而足。这里没有教堂,寺庙的师父大部分时候一个人寂寞地做着早课、晚课。每当一家人遭遇了什么都解决不了的问题,他们最常做的事情就是去请教附近村里的仙婆,她用他们在地下亲人的声音告诉他们:这个世界还有人在记挂他们,一切都会好起来的。
La grande
industrie du sel a disparu depuis longtemps, et la richesse des
jours anciens s’est envolée en fumée. De métropole sichuanaise
autrefois de troisième rang
,
Zigong a aujourd’hui dégringolé au rang de petite ville de
niveau 5 ; réduits à la pauvreté, les habitants doivent se
battre pour assurer leurs besoins essentiels, nourriture et
vêtements. L’ancienne usine n’est plus qu’une ruine au bord de
la rue, les jeunes n’ont que peu de possibilités d’emploi
correct, il n’y a aucune trace ici d’une quelconque « culture »,
je n’ai aucune chance d’attirer le respect en me promenant avec
un recueil de poèmes de Yu Xiuhua sous le bras
.
Les gens d’ici ne se soucient gère des grands problèmes de
l’heure ; ils ont le regard fixé étroitement sur le bout de
terre la plus proche et seul l’argent peut, à leurs yeux,
apporter un élément de dignité personnelle. L’ancien bourg ne
compte plus que sur la curiosité des touristes ; c’est à peine
s’il est connecté à Internet et intégré à l’économie moderne.
Dieu a
donné aux gens d’ici ce pan de terre paisible, mais en même
temps la pauvreté et les calamités sont un péril constant. L’eau
de la rivière emporte le sel des puits, qui était la richesse,
mais l’eau se transforme soudain aussi en torrents de montagne
qui menacent tout sur leur passage, et ce sans compter les
tremblements de terre, les incendies et autres catastrophes. Pas
d’église, ici ; le prêtre du temple, le plus souvent, fait seul
les cours du matin et du soir. Chaque fois qu’une famille
rencontre un problème insoluble, la plupart du temps, ils vont
demander conseil à la nécromancienne du village voisin ; parlant
alors par la voix des parents d’outre-tombe, elle leur dit qu’il
y a encore des gens en ce monde qui se souviennent d’eux, et que
tout va donc s’arranger.
Au
bout du monde
Après « Le
bourg du sel », Yi Xiaohe a poursuivi ses recherches dans
les montagnes du sud du Sichuan. Elle en a tiré un nouveau
livre intitulé « Au bout du monde » (《世界尽头》),
dont le texte a initialement été publié dans le numéro
d’automne 2024 de la revue Shouhuo consacré aux
textes longs, de fiction et de non-fiction (《收获》长篇小说2024秋卷).
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« Au bout du monde » |
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La genèse
et l’histoire du livre – désormais annoncé comme le second
volet d’une trilogie dont « Le bourg du sel » constituait le
premier volet – sont ainsi présentés dans la revue :
《世界尽头》是作家易小荷的“底层女性三部曲”非虚构系列的第二部,在完成《盐镇》的写作之后,她把目光转向更偏远也更荒凉的地方,从2023年6月起到2024年6月,走遍大凉山的西昌市、美姑县、昭觉县、布拖县、雷波县和金阳县。就在大凉山深处,十年前,彝族姑娘苦惹作的死亡在两个家族间引发了一场争斗,但很快就平息了。十年之后,已经很少有人记得她的名字,但易小荷背着行囊,跋山涉水来到这大山之间的小小彝村,她在村民和亲族的记忆中探访、寻找苦惹作的消息,并最终勾勒出一幅完整的画卷……这本书不仅是苦惹作的一生,还有她的母亲、姐妹和女儿,以及千百年来,每一位在这苍茫大山中无声无息地出生和死亡的女性。作家为这些女性,“大山里的无权者”争取到被正视和被讲述的权利。
« Au bout
du monde » est le deuxième volet de la « trilogie des femmes
des bas-fonds » de Yi Xiaohe. Après « Le bourg du sel » qui
en était le premier volet, elle s’est intéressée à un
endroit encore plus reculé et désolé : de juin 2023 à juin
2024, elle a parcouru la ville de Xichang [chef-lieu de la
préfecture autonome yi des monts Liang, au sud du
Sichuan] et les districts de Meigu, Zhaojue, Butuo, Leibo et
Jinyang C’est là, dans un village au plus profond des monts
Liang, qu’une jeune fille yi nommée Ku Rezuo a été
tuée, il y a dix ans, meurtre qui a déclenché une rixe entre
deux familles. Dix ans plus tard, cependant, l’histoire est
tombée dans l’oubli, quasiment plus personne ne se souvient
même du nom de Ku Rezuo. Yi Xiaohe est partie avec son sac à
dos jusqu’à ce minuscule village. Elle a interrogé les
villageois et leurs parents pour tenter de sonder leur
mémoire et retrouver les traces de Ku Rezuo…. Mais le livre
n’est pas seulement son histoire, c’est aussi celle de sa
mère, de ses sœurs et de sa fille, ainsi que de toutes les
femmes qui sont nées et sont mortes dans ces montagnes dans
le plus parfait silence depuis l’aube des temps. Prenant
fait et cause pour ces parias dans leurs montagnes,
l’auteure conte leur histoire sans fermer les yeux sur la
réalité, pour que soient reconnus leurs droits.
Le livre
est en cours de publication.
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