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Wang Wenxing / Wen-hsing 王文興

1939-2023

Présentation

par Brigitte Duzan, 14 février 2017, actualisé 18 juillet 2022

 

Wang Wenxing est l’un des plus grands écrivains taïwanais du 20ème siècle. Orfèvre de la langue, il en joue comme Joyce jouait de l’anglais, et ses romans, surtout le dernier, ont la complexité de Ulysses. Il aura passé près de trente ans à écrire le second, treize ans à rédiger le troisième. L’œil pétillant d’ironie derrière ses lunettes, il dit écrire une trentaine de caractères par jour … Il n’a pas d’équivalent sur le Continent.

 

Un immigré

 

Né à Fuzhou (福州), dans le Fujian, en 1939, Wang Wenxing est parti à Taiwan avec sa famille en 1946. Après deux ans dans une petite ville du sud de l’île, ses parents se sont installée en 1948 à Taipei, et c’est là que Wang Wenxing a grandi.

 

Wang Wenxing

 

Avec son épouse, dos à la mer

 

Il a fait des études de langues et littérature à l’Université nationale de Taiwan (國立臺灣大學), en même temps que Bai Xianyong (白先勇), Chen Ruoxi (陳若曦) et Ouyang Zi (歐陽子) avec lesquels, en 1960, il a créé la revue « Littérature moderne » (現代文學).

 

Puis, après l’obtention de son diplôme, il est parti aux Etats-Unis où il a obtenu un master en écriture créative à l’Atelier d’écriture de l’université de l’Iowa (Iowa’sWriters’ Workshop), avant de revenir à Taiwan en 1965.

 

 

Premières nouvelles

 

Il a commencé par publier des nouvelles dès son séjour aux Etats-Unis, mais dans un style traditionnel non représentatif de son œuvre à venir. C’est de cette époque que date, par exemple, « Défaillance » (《欠缺》), publiée en 1964 dans la revue « Littérature moderne » ; le jeune Wang Wenxing y décrit une histoire d'amour sans lendemain, celui d'un jeune garçon pour sa voisine, qui s'enfuit en emportant l'argent qui lui a été confié dans le cadre d’une tontine [1].

 

A sa table de travail

 

La tour du dragon, éd. 1969

 

C’est après son retour des Etats-Unis qu’il écrit des récits beaucoup plus personnels. Sa première nouvelle à sortir véritablement de l’ordinaire est « La Tour du Dragon » (《龍天樓》), écrite en 1967 et pourtant restée longtemps méconnue. Elle raconte les retrouvailles d’anciens généraux nationalistes qui se rencontrent pour célébrer l’anniversaire de l’un d’eux, ancien préfet de Taiyuan. A cette occasion, ils évoquent les péripéties douloureuses de leur exode à Taiwan. Le seul qui les considère, avec vénération, comme des héros est le serveur du restaurant, un ancien soldat. Ils apparaissent en réalité comme des survivants d’un épisode historique humiliant, traumatisant, qui les a laissés sans espoir, bien loin de l’esprit de reconquête insufflé par le régime. Quant aux soldats eux-mêmes, personne ne s’intéresse à eux…

 

Il faudra attendre trente ans pour que Wang Wenxing revienne avec autant de force et de violence sur ce passé douloureux gravé dans la mémoire collective. En attendant, il écrit des nouvelles pleines de sensibilité et du sens du destin, comme « Ligne de vie » (《命運的跡線》) où un écolier prétend lire l’avenir de ses camarades dans les lignes de leurs mains et, à l’un d’eux, prédit qu’il va mourir à l’âge de trente ans ; le gamin est pétrifié car il veut devenir écrivain, mais a, justement, prévu de ne commencer à écrire qu’à trente ans, pour avoir suffisamment de maturité…  alors il se rallonge sa ligne de vie d’un coup de couteau…

 

Puis Wang Wenxing se tourne vers la critique de la société chinoise traditionnelle, et de l’un de ses traits fondamentaux, la piété filiale.

 

Deux romans

 

C’est le sujet de son premier roman, publié en 1973 : « Processus familial » (《家), l’histoire d’un fils qui tente d’oublier un père qui a soudain disparu : il est sorti un jour sans rien dire, en pantoufles, sans argent ni papiers, et n’est jamais revenu. C’est un roman qui frappe d’abord par sa construction, en deux parties inégales : recherche du père introuvable aux chapitres A à 0, et souvenirs du père du chapitre 1 à 157.

 

La disparition du père a d’abord ravivé la mémoire de son fils, mémoire involontaire suscitée par la culpabilité qui le lance dans une recherche obsessionnelle, pour se libérer de cette culpabilité. Mais c’est une quête symbolique qui mène en fait à l’oubli, seul moyen pour le fils de trouver le bonheur, et qu’il finit par atteindre au chapitre zéro.

 

Processus familial

 

Le roman a rendu Wang Wenxing célèbre par le scandale qu’il a soulevé, en raison de la réponse proposée au traumatisme de l’histoire, avec une sorte de froideur sarcastique : la volonté de se détourner du passé, de l’enfouir pour ne pas avoir à l’affronter, et le désir de se libérer des illusions longtemps entretenues. Mais le roman est aussi intéressant pour sa forme, d’un double point de vue : d’une part un style fragmentaire, tenant de la tradition du sanwen, qui le rattache à la littérature chinoise classique, mais par ailleursun langage qui frappe par ses audaces, audaces que l’auteur a développées systématiquement dans son second roman.

 

Un homme dos à la mer

 

Ecrit sous la forme d’un long monologue, ce second roman, « Un homme dos à la mer » (《背海的人》), a nécessité vingt-cinq ans de travail, en deux temps – premier volet publié en 1981, second en 1999 ; c’est un écrit expérimental « sur la dérive du sens à l’intérieur du cadre romanesque » selon sa traductrice Sandrine Marchand. On l’a comparé à « Ulysses » de James Joyce, et il s’en rapproche par les jeux sur la langue et les « rapports des sons aux mots », qui en rendent la lecture difficile.

 

C’est un roman important dans l’histoire de la littérature taïwanaise moderne car il représente une première synthèse des deux courants littéraires des années 1960 et 1970 à Taiwan : littérature moderniste par sa recherche sur la langue, privilégiée aux dépens de la narration, et littérature du terroir par son cadre et son sujet (de pauvres hères dans un petit village de pêcheurs). Tout en

s’y rattachant, il dépasse ainsi la littérature moderniste par sa volonté de se rattacher aussi au passé et à la réalité du « terroir », et d’en témoigner.

 

Tout comme le jeune Fan Ye, dans « Processus familial », avait une identité brisée, l’homme « dos à la mer » a une identité mutilée ; pris dans les rouages de l’histoire et soumis à ses violences sans susciter ni considération ni compassion, il rappelle le AQ de

 

Une page du manuscrit

Lu Xun – nouvelle qui était aussi une sorte de manifeste pour une nouvelle littérature, écrite en baihua, rejoignant ainsi les recherches propres à Wang Wenxing.

 

2000-2010 : fiction et non fiction

 

Après ces deux romans magistraux, Wang Wenxing se tourne un temps vers la non-fiction avec des essais et conférences, à commencer par deux recueils d’essais sanwen en 2002 et 2003 :

 

2002 Surplus d’encre au-delà de la fiction 《小說墨餘》

2003 Pensées vagabondes de la Tour de la pluie d’étoiles 《星雨樓隨想》

2009 Six conférences sur « Processus familial » 《家變六講:寫作過程回顧》

2011 Neuf conférences sur « La maison de poupée » 《玩具屋九講》

2013 L’égale élégance des mathématiques et de la poésie, un recueil du siècle nouveau par Wang Wenxing 《原來數學和詩歌一樣優美――王文興新世紀讀本》

 

En 2006, il revient vers la fiction avec une nouvelle ‘moyenne’ (zhongpian) publiée dans un recueil de neuf « Nouvelles choisies de l’année 95 » (《九十五年小說選》) : « Une nuit brillamment éclairée par la lune» (明月夜)

 

2016 : Troisième roman

 

Une histoire d’ailes coupées

 

Mais il faut attendre août 2016 pour que paraisse un nouveau roman, qu’il annonce dans le documentaire sur lui réalisé en 2011 (voir ci-dessous) en disant qu’il lui faudrait peut-être encore cinq ans pour le terminer, ou peut-être dix…

 

C’est « Une histoire d’ailes coupées » (《剪翼史》) qu’il aura mis finalement treize ans à écrire. Il y poursuit sa déconstruction de la langue, qui apparaît coupée d’onomatopées, de mots en anglais en majuscules, voire majuscules et minuscules mélangées, parfois en gras, et ponctuée de tirets de toutes tailles, répétés ad libitum.

 

Wang Wen-hsing est décédé le 29 septembre 2023, à l'âge de 84 ans.

 

 


 

Traductions en français

 

Nouvelles

 

- La fête de la déesse Matsu, recueil de huit nouvelles traduites par Camille Loivier, Zulma 2004 – nouvelles tirées du recueil de 15 récits (十五篇小說) publié en 1979, dont :

Premier amour 《欠缺》/ Ligne de vie 《命運的跡線》/Mère 《母亲》/

Le calendrier 《日历》/ Le pistolet d’enfant 《玩具手枪》/

Le plus grand bonheur 《最快乐的事》/ Le serment 《践约》/

La fête de la déesse Matsu au bord de la mer 《海滨圣母节》

 

- L’homme en noir 《黑衣》 nouvelle traduite par André Nougé, dans son Anthologie de la littérature chinoise contemporaine (Taiwan : 1949-1974), Institut national de la traduction, Taipei 1989, vol. 2 (Nouvelles) pp. 315-325.

 

Romans

- Processus familial 《家, traduit et présenté par Camille Loivier, Actes Sud, coll. Un endroit où aller, 1999.

- Un homme dos à la mer 《背海的人》, traduit et préfacé par Camille Loivier, Vagabonde, 2022,

392p. [2]

 


 

Principales traductions en anglais

 

Romans

Family Catastrophe: A Modernist Novel. tr. Susan Wan Dolling, Hawaii University Press, 2011.

Backed Against the Sea. tr. Ed. Gunn, Cornell East Asia Series, 1993.

 

Recueil

Endless War: Fiction and Essays by Wang Wen-hsing. eds. Shuning Sciban and Fred Edwards. Cornell East Asia Program, 2011.

 

Nouvelles

"The Man in Black" tr. Shen Li-fen. In Chi Pang-yuan et al. eds., An Anthology of Contemporary Chinese Literature. Taipei: National Institute for Compilation and Translation, 1975, II, pp. 309-318.

"Such a Symphony of Written Characters One Must Not Allow to Disperse" tr. Helmut Martin. In Martin, ed., Modern Chinese Writers: Self-portrayals. M.E. Sharpe, 1992, pp. 194-95.

 


 

A lire en complément

 

Wang Wenxing, le « dos à dos » avec le présent, par Sandrine Marchand, Perspectives chinoises année 2006, vol. 94 n° 1, pp. 46-54

A lire en ligne : http://www.persee.fr/doc/perch_1021-9013_2006_num_94_1_3413

 

Taiwan Literature, English Translation Series, Special Issue on Wang Wen-hsing, n° 39 Jan. 2017
A lire en ligne : extraits de Clipped Wings, a History, tr. Darryl Sterk

https://www.academia.edu/30904076/Story_of_Clipped_Wings_%E5%89%AA%E7%BF%BC%

E5%8F%B2_by_Wang_Wenxing_%E7%8E%8B%E6%96%87%E8%88%88_excerpt_

 


 

Bibliographie

 

La littérature taïwanaise : état des recherches et réception à l’étranger, ed. par Angel Pino et Isabelle Rabut, éd. You Feng nov. 2011 – 4ème partie : de quelques œuvres taïwanaises, 4. Réminiscences et instants de mémoire dans le roman de Wang Wenxing Jiabian, par Sandrine Marchand, pp. 277-284.

 

Reading Wang Wenxing : Critical Essays, eds. Shu-ning Sciban and Ihor Pidhainy, University of Hawai’i Press, nov.2015.

 


 

Documentaire

 

A la recherche de l’homme dos à la mer ou The Man Behind the Book 《尋找背海的人》

Réalisé par Lin Jing-jie (林靖傑) en 2011.

 

Extrait :

 

 

(il existe une version sous-titrée en DVD)


 


[1] La nouvelle a été traduite en français et figure sous le titre « Premier amour » dans le recueil « La fête de la déesse Matsu », Zulma 2004. Voir Traductions.

[2] Publication saluée par une pléthore d’articles dans la presse française, dont :
- un article de P. E. Peillon dans « Le Monde des livres » :
- un autre de Dominique Aussenac pour « Le Matricule des anges »
- et un troisième de Léon-Marc Levy pour « La Cause littéraire » dont l’intégralité est accessible en ligne :
https://www.lacauselitteraire.fr/un-homme-dos-a-la-mer-wang-wen-hsing-par-leon-marc-levy?fbclid=IwAR3J8bnpNNQ52HFZuDKu6q8vmITDINz9wGPiM12GXW8OFHVWMpw78xkLQi4
Tous ces articles sont essentiellement des commentaires sur la version française, comme l’annonce d’entrée de jeu Léon-Marc Levy.

 

 

 

 

 

 

 

     

 

 

 

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