Mo Yin 默音
Présentation
par Brigitte
Duzan, 29 février 2024
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Mo Yin |
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Née à Dali,
dans le Yunnan, en 1980 mais résidant aujourd’hui à Shanghai, Mo
Yin (默音) est l’une des voix « silencieuses » (c’est le sens de
Mo Yin) de la science-fiction chinoise au féminin dans la Chine
d’aujourd’hui, celle du covid et de l’après-croissance. Mais
l’étiquette de science-fiction est un peu réductrice dans son
cas : son œuvre tient plutôt du surnaturel, un monde de
l’étrange où le passé détient les clés des mystères du présent.
L’une de ses novellas -
« Ville de rêve »
(《梦城》)
-
figurait dans la
Sélection des meilleures nouvelles courtes et moyennes de
l’année 2021 de la revue Shouhuo,
(收获文学榜2021中短篇小说-中篇小说
).
Écrivaine et traductrice
Mo Yin est le
nom de plume de Tian Xiaoxia (田肖霞).
Elle avait dix ans quand ses parents sont allés vivre à
Shanghai. Elle a commencé à écrire des nouvelles de
science-fiction quand elle avait 16 ans, nouvelles qui ont été
publiées dans la revue « Le monde de la science-fiction » (《科幻世界》).
À 18 ans,
cependant, elle rate le concours d’entrée à l’université et
arrête ses études. Elle devient vendeuse dans un mall de
Shanghai. Elle continue malgré tout à écrire des nouvelles tout
en apprenant le japonais. Finalement, en 2010, elle obtient un
master de japonais à l’Université des langues étrangères de
Shanghai et elle devient traductrice du japonais tout en
continuant d’écrire. C’est d’ailleurs sa connaissance de la
littérature et de la culture japonaises qui lui a inspiré la
novella sélectionnée par Shouhuo en 2021 :
« Ville de rêve »
(《梦城》).
Récits
entre le Yunnan et Shanghai
Ses récits
trouvent leur inspiration dans le contraste entre la campagne
sauvage de son lointain Yunnan natal et la vie moderne de la
mégapole internationale qu’est Shanghai, avec des personnages
qui font le pont entre les deux univers, comme des alter ego
démultipliés d’elle-même.
La campagne
sauvage du Yunnan est naturellement entourée de mystère ; les
croyances et superstitions ancestrales forment un cadre propice
à l’imagination et peuvent facilement dériver en surnaturel.
C’est là l’originalité des récits de Mo Yin, qui partent de ce
fond de culture locale se prêtant au mystère pour intégrer le
surnaturel dans un contexte moderne, un peu à la manière de Pu
Songling dans ses
contes du
Liaozhai,
c’est-à-dire dans le registre de « l’étrange » comme l’a si bien
traduit André Lévy. À cet égard, ses récits relevant plus
généralement de la « fantasy » - autre manière de concevoir
« l’étrange » - sont plus intéressants que ceux tombant plus
carrément dans le genre de la science-fiction.
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Novellas diversifiées
En 2016, elle
a publié un recueil de cinq zhongpian intitulé « Encore
en rêve » (《犹在梦中》).
Le recueil reflète la diversité des genres abordés par Mo Yin
tout en montrant bien, en fait, l’unité fondamentale de son
inspiration, entre le Yunnan et Shanghai. Deux sont vraiment des
histoires de science-fiction, les autres plutôt de fantasy, et
deux sont sur des thèmes LGBT :
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« Une
clé de caractère » (《人字旁》)
est l’un des récits à thème LGBT : un jeune garçon vivant au
bord de la mer sauve une petite fille en train de se noyer ; sa
famille l’adopte et ils grandissent ensemble, mais il pense
qu’elle est une sirène…
- « Vrai
visage » (《真实的模样》)
est un récit de science-fiction. Un jeune biologiste rencontre
une femme mystérieuse dans une vallée perdue : elle se comporte
comme un animal et ne sait pas parler. Il la ramène chez lui
mais se trouve alors victime d’une sombre histoire.
- « Encore
en rêve » (《犹在梦中》)
est plutôt de la fantasy. Un photographe venu prendre des photos
dans un village perdu du Yunnan se trouve par hasard être témoin
d’un sacrifice rituel : une jeune fille de 15 ans est laissée
dans une grotte pour « servir la divinité des rêves ». Il la
sauve et la ramène en ville avec lui, mais ils sont ensuite
confrontés au surnaturel…
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Encore en rêve |
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- « Peinture
de l’âme » (《魄绘》)
est une autre histoire du même genre : alors qu’une jeune femme
soupçonne son petit ami de la tromper, un boutiquier lui montre
un portrait d’une jeune fille du Yunnan peint par son père,
portrait qui semble avoir des pouvoirs surnaturels…
- « La
rose d’hier » (《昨日玫瑰》)
est le deuxième récit de science-fiction du recueil : un jeune
homme s’introduit dans la chambre d’hôtel d’une actrice pour lui
voler son ordinateur et vendre les informations qu’il contient,
mais quand il sort de la chambre, il se retrouve vingt-six ans
auparavant. Il découvre alors le passé de sa mère, de son père
biologique et de son père adoptif, qui tous ont un lien avec
l’actrice.
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Une
trilogie mémorielle
Mo Yin a aussi
publié trois romans formant une trilogie intitulée « Mémoires de
Shanghai 1999 » ; elle y dépeint les changements de la ville
pendant une vingtaine d’années, mais c’est une vision sur fond
de croyances ancestrales du Yunnan, mêlées à des éléments
surréalistes et mystérieux ; les trois romans sont bâtis autour
d’un personnage central lié à un mystère, avec un fort élément
de suspense, surtout dans le troisième.
2015 : « Un
mot, seize printemps » (《一字十六春》)
avait pour titre original « Printemps, été, automne et hiver de
la sœur de ma grand-mère » (《姨婆的春夏秋冬》) :
c’est une grand-mère mystérieuse qui semble détenir un secret
familial concernant le petit garçon qu’elle a adopté et auquel
elle a dit qu’elle était la sœur de sa grand-mère. Elle peut
aussi prédire l’avenir.
2017 : «
Talismans de papier » (Jiama《甲马》)
est sans doute le roman le plus connu de Mo Yin à ce jour. C’est
l’histoire d’un autre petit garçon appartenant à une famille
tout aussi mystérieuse du Yunnan qui détient un savoir
ancestral, les fameux Jiama du titre. Il s’agit de
gravures imprimées sur papier utilisées traditionnellement au
Yunnan – et en particulier chez les Bai de Dali - pour prier les
divinités de la nature, comme les montagnes, les arbres ou le
feu, mais aussi les ancêtres, surtout pour éliminer les
épidémies et les catastrophes naturelles. Dans le roman de Mo
Yin, les jiama familiaux permettent de lire les pensées
afin d’influer sur le sort des gens. Du temps du grand-père de
l’enfant, pendant la guerre, la famille a été impliquée dans un
événement lié à des étudiants venus de Shanghai. À 18 ans, le
garçon part à Shanghai pour tenter de savoir ce qui s’est passé
et résoudre le mystère familial.
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Talismans de papier
Jiama |
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2020 :
« Étoiles dans l’abîme » (《星在深渊中》)
se lit comme un roman policier. Chen Xiaoyan (陈晓燕),
une vieille femme qui vivait seule, est retrouvée assassinée. Le
seul témoin qui pourrait apporter des éclaircissements sur sa
mort est son amie Yang Qixing (杨其星),
qui souffre d’aphasie. L’enquête policière va remonter le
« fleuve du temps » pour révéler les secrets liés à six jeunes
qui, dans les années 1980, sont venus à Shanghai tenter de
trouver du travail. En fait, Yang Qixing a perdu la parole à la
suite d’un accident. La part de surnaturel ici tient dans les
gâteaux qui sont sa spécialité, et qui ont le pouvoir de faire
resurgir des souvenirs longtemps oubliés. On n’est pas loin de
la madeleine de Proust. Et bien sûr, Chen Xiaoyan vivait dans le
lilong de Caojiaodu (曹家渡的弄堂),
celui-là même où Mo Yin a vécu quand elle est arrivée enfant à
Shanghai. Le contexte du passé lié au Yunnan est donc ici encore
très important dans la narration ; c’est même la clé du destin
de la vieille femme assassinée.
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Une
étoile dans l’abîme |
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Il y a une
grande unité dans l’œuvre de Mo Yin : non seulement l’intrigue
est toujours peu ou prou de la même manière bâtie sur des
mystères liés au passé, et au passé yunnanais qui offre les clés
pour comprendre le présent, mais on retrouve dans certains
récits des références croisées à des récits antérieurs. Il y a
ainsi une similitude thématique entre « Étoiles dans l’abîme »
et « Talismans de papier » : les gâteaux de Yang Qixing
ont la même fonction mémorielle que les papiers magiques du
roman précédent, fonction mémorielle que l’on retrouve encore
dans un roman antérieur, de 2012, « Fleur de lune » (《月光花》),
où c’est cette fleur mystérieuse qui a le pouvoir magique de
révéler les souvenirs.
Ville de
rêve
Le
zhongpian « Ville de rêve » (《梦城》),
initialement publié dans le numéro de mars 2021 de la revue
« Arts et Lettres du Xiangjiang » (《湘江文艺》),
est d’une inspiration totalement différente : elle l’a écrit en
hommage à une écrivaine japonaise, Takeda Yuriko (武田百合子),
dont elle a lu le roman « Journal du Fuji » (《富士日记》)
au début de l’été 2020
.
« Ville de
rêve » est une dystopie qui se passe dans un futur où la lecture
a quasiment disparu ; à la place, les gens créent des rêves.
Dans le « néo-Tokyo » d’alors, le nec plus ultra est une série
télévisée « immersive » (沉浸式体验电视剧)
adaptée d’œuvres d’écrivains célèbres, mais projetée dans les
esprits des spectateurs. La série s’appelle « Vision de rêve » (“视梦”).
Dans le cadre de cette série est adapté le roman « Journal du
Fuji », car les romans du mari de l’écrivaine ne sont plus lus,
mais son roman à elle trouve une nouvelle vie dans cette
adaptation télévisée.
« Journal du
Fuji » en son temps avait posé la question de la définition du
roman. Avec « Ville de rêve », Mo Yin rend hommage à
Takeda Yuriko tout en poursuivant la réflexion sur l’avenir de la
fiction. Cela semble éloigné de ses thématiques précédentes mais
en fait on retrouve un fil commun : la lecture a un pouvoir
caché, un pouvoir occulte sur les esprits, quelle que soit la
forme qu’elle adopte, y compris les adaptations en réalité
immersive… En tout cas, les récits de Mo Yin ont certainement un
tel pouvoir.
Et
ensuite…
De l’été 2022
à l’été 2023, Mo Yin a passé un an à Tokyo pour traduire,
justement, le « Journal du Fuji ». En même temps, elle a
découvert une autre écrivaine japonaise, féministe dans le Japon
de l’ère Showa :
Toshiko Tamura (田村俊子),
dont le premier roman a été publié en 1910 et qui a vécu en
Chine pendant la guerre, à Shanghai où elle a édité la revue
littéraire Nüsheng ou « La voix des femmes » (《女声》)
de 1942 à sa mort en avril 1945…
Le Japon semble devoir remplacer le Yunnan comme source
d’inspiration de Mo Yin.
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