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Luo Ying 骆英 / Huang Nubo 黄怒波

Présentation

par Brigitte Duzan, 14 septembre 2022

 

 

Huang Nubo (photo geren jianli)

 

 

Né en 1956 à Lanzhou dans le Gansu (甘肃兰州), Huang Nubo est un homme d’affaires également poète, sous le nom de plume de Luo Ying (骆英).

 

De la rue aux affaires…

 

Né dans une famille de militaires, il grandit à Yinchuan, capitale du Ningxia (宁夏银川). Lors de la campagne anti-droitiers qui fait suite à la campagne des Cent Fleurs, son père est étiqueté « contre révolutionnaire actif » et se suicide en avalant des médicaments ; il a deux ans. Sa mère est réduite à la mendicité et à charrier de la terre pour nourrir ses quatre enfants. Dix ans plus tard, elle meurt d’une intoxication au gaz. Huang Nubo a 13 ans.

 

 

Huang Nubo, alias Luo Ying, l’homme au double visage

(dessin chinawriter)

 

 

C’est la Révolution culturelle, il est Garde rouge, rebelle et voyou. Il se prénommait Yuping (玉平), c’est-à-dire « Paix de jade » ; il a changé son prénom pour Nubo (怒波), qui signifie « Vague de colère », comme les flots du fleuve Jaune qu’il observait de sa bicyclette en revenant du lycée. En 1969, il est envoyé à la campagne, dans le Ningxia. Cela lui inspirera des poèmes dont il publiera un recueil en 2012 après être revenu dans le village où il était : le « Journal intime d’un jeune instruit » (《知青日记及后记》), ce qui est une façon de parler, car en fait d’instruction, il n’avait guère eu que celle de la rue et des champs.

 

Il revient à Pékin après la mort de Mao et la chute de la Bande des Quatre, et c’est en 1977 qu’il entre à l’université de Pékin, dont il sort diplômé en littérature chinoise en 1981. Contrairement à ce que racontent certaines de ses biographies, il n’est pas entré sur concours au moment de la réouverture des universités. En réalité, c’est au sein de la dernière promotion des étudiants « ouvriers-paysans-soldats » (工农兵) admis à l’université pour leur brillant pedigree rouge. Il le dit bien dans son recueil de poèmes « Adieu la mélancolie » (《拒绝忧郁》) en ajoutant combien ils étaient honnis des ouvriers comme des journalistes :

                … nous ne nous sentions guère à l’aise.

                Sur le chemin de la fac, les ouvriers criaient en nous voyant « À bas les

                ouvriers-paysans-soldats ! »

                Malgré notre assiduité, les journaux nous traitaient de « génération perdue » et de

                « bons à rien ».

    … N’avions-nous pas, cependant, été admis à l’université sur recommandation, en

    tant qu’élite de la Révolution culturelle, émanation du peuple ? [1]

 

De 1981 à 1990, il travaille au Département de la propagande du Comité central du Parti dont il est membre. De 1996 à 1998, il prépare une maîtrise en Business Administration à la China Europe International Business School (CEIBS 中欧国际工商学院), créée à Shanghai en 1994. Il a fait ses premières armes, littéralement, dans l’édition, et le raconte sans fard à la fin de « Adieu la mélancolie » ; la seule chose qu’il ne dit pas, c’est le nom de la maison d’édition : c’était celle de la ville, sous l’égide de l’Associations des maires de Chine (中国市长协会), donc un établissement officiel. La gestion de la maison relevait des luttes de gardes rouges – la victoire va aux braves, dit-il, et, peut-on ajouter, à ceux qui ne s’embarrassent pas de procédures légales. Tout le monde attaque ses rivaux à coups de licenciements et lettres de délation, le tout se soldant par une victoire à la Pyrrhus, sur les décombres.

 

Fatigué sans doute d’avoir à se battre ainsi et désireux d’être maître chez lui, en 1995, Huang Nubo fonde sa propre affaire, une société de conseil bientôt transformée en société d’investissement, le groupe Beijing Zhongkun Investments (北京中坤投资集团), devenu un empire de l’immobilier et de l’hôtellerie. Le garde rouge a fait fortune mais continue de lancer des opérations coups de poing ; son affaire est gérée de manière dictatoriale. Huang Nubo, dit de lui l’association des écrivains [2], fait partie de la « secte de ’92 » (“九二派”), celle qui s’est enrichie après l’appel de Deng Xiaoping à faire fortune lancé lors de son « voyage dans le sud » en 1992 (鄧小平南巡). Les gardes rouges se sont mués en loups, pas seulement au niveau symbolique.

 

Depuis 2013, Huang Nubo soigne son image. Il a multiplié les actions de mécénat, en particulier au profit des actions de l’Unesco en faveur du développement durable en matière de tourisme. Il cultive aussi la nostalgie, comme le président Xi Jinping a encouragé les Chinois à le faire – nostalgie pour les vieilles bâtisses et plus généralement pour le patrimoine culturel. Huang Nubo utilise les ressources culturelles pour développer le tourisme en ciblant les Chinois fortunés, comme dans la région de  Pu’er (普洱). Il a même investi à Kashgar, au Xinjiang. Il envisage maintenant de s’attaquer au tourisme en Europe du Nord en nouant des accords de coopération entre les acteurs locaux et son groupe. En France, il ambitionne de « transformer le tourisme traditionnel en divertissement culturel » [3]. Malgré tout son entregent, il risque quand même de se heurter là à quelque résistance, comme lorsqu’il a voulu acheter une parcelle du territoire islandais pour en faire un club de vacances.

 

Après avoir gravi les plus hauts sommets des cinq continents, et fait deux expéditions aux pôles, il a conçu en 2014 un nouveau défi : se faire défenseur du patrimoine culturel mondial en parcourant 758 patrimoines culturels, répartis dans plus de 160 pays, en dix ans. Projet qu’il a intitulé « Les Visages de l’Humanité ». L’épidémie de covid19 lui a un peu coupé l’herbe sous les pieds.

 

Qu’à cela ne tienne, il a une autre corde à son arc : il est poète. Et même « avant tout poète », dit-il.

 

… et à la poésie

 

Pays idéal pour loup aspirant à la paix

 

La poésie, proclame-t-il, est « mon pays idéal » (“诗歌是我的理想国”). Il a commencé à écrire des poèmes à l’âge de 14 ans et a publié son premier recueil en 1992, sous le nom de plume de Luo Ying (骆英) : « Il ne faut pas m’aimer de nouveau » (《不要再爱我》). Il est suivi de deux autres, en 1995 et 2003.

 

On peut se douter qu’il n’écrit pas de manière conventionnelle ; barbare, il dit écrire de manière barbare. Cependant, après ses trois premiers recueils, il a cherché une nouvelle forme d’expression et s’est tourné vers une poésie narrative à partir d’une forme ancienne, entre prose et poésie, le () [4]. Ses poèmes, de 2005 à 2011, prennent alors pour thème les mutations de la société chinoise.

 

 

La Neuvième nuit 《第九夜》 (2011)

 

 

En 2011, le recueil « 7+2 » regroupe des poèmes liés à ses expéditions en montagne et aux pôles. Puis, en août 2012, il publie un « Journal intime d’un jeune instruit » (《知青日记及后记》) où il évoque le souvenir des amis et des événements de ses années à la campagne, dans les années 1970 de la Révolution culturelle. Le recueil comporte une postface, « Eau. Magie » (·), qui regroupe des poèmes, écrits tard le soir et tôt le matin, qui sont des réflexions philosophiques sur la nature et la vie, et le rapport de l’individu à son temps. Luo Ying prend des accents à la Walt Whitman, d’ailleurs son préfacier français, Jacques Darras, est traducteur de ce poète.

 

 

Journal intime d’un jeune instruit 《知青日记及后记》 (2012)

 

 

 

Journal intime d’un jeune instruit, une page

 

 

Invité et traduit en France

 

En 2011, il a été invité par l’université Paris Diderot pour lire ses poèmes dans le cadre du « Printemps des poètes ». En mai 2013, à l'occasion du 50e anniversaire de l'établissement des relations diplomatiques entre la Chine et la France, il a participé aux Rencontres poétiques sino-françaises.

 

Deux de ses recueils ont été traduits en français. Le premier, « Lapins, lapins » (traduction de 《小兔子》), publié en édition bilingue en août 2013, Huang Nubo l’a offert au président François Hollande. Il y est question d’enfer, dans une version dantesque adaptée à la jungle urbaine chinoise, avec ses vieux quartiers qui disparaissent pour être remplacés par des tours auprès desquelles tout rapetisse, le tout vu par le « petit lapin » homme d’affaire. Mais le ton est froid : les dégâts sont faits, il n’y a plus qu’à constater, et s’y habituer.

 

 

Lapins, lapins, traduction

 

 

Le deuxième, « Le gène du garde rouge », traduction du recueil de 1995 « Adieu la mélancolie », a été publié aux éditions Gallimard en 2015. C’est un témoignage direct et sans concession, sur la période de la Révolution culturelle et la participation du jeune Huang Nubo aux exactions des bandes de Gardes rouges. Il lutte à sa manière contre l’amnésie institutionnalisée, avec lucidité ; il montre combien il est encore gangrené par « l’esprit garde rouge », comme toute sa génération, y compris les diplomates et dirigeants :

                « Même sans brassards, on est toujours des gardes rouges…

                … nous faisons la loi, l’esprit de combat est le trait dominant de notre nation au XXIe

                siècle. » [5]

 

 

Le gène du garde rouge, traduction

 

 

Huang Nubo/Luo Ying est aujourd’hui membre de l’Association des écrivains chinois et directeur adjoint de l’Institut de recherche sur la poésie nouvelle de l’université de Pékin (北京大学新诗研究所副所长). S’il est resté un homme d’affaires sauvage, il se veut poète élégant. Mais une bonne partie de ses poèmes sont introuvables car interdits : cela, aussi, fait partie d’une stratégie de garde rouge.

 


 

Publications

 

Recueils de poèmes

1992 : Il ne faut pas m’aimer de nouveau《不要再爱我》

1995 : Adieu la mélancolie 《拒绝忧郁》

2003 : Le recueil des fleurs tombées 《落英集》

2005 : Errances urbaines 《都市流浪集》

2008 : Lapins, lapins 《小兔子》

2011 : La Neuvième nuit 《第九夜》

2011 : 7+2, journal d’ascensions en montagne 7+2登山日记》

2012 : Journal intime d’un jeune instruit 《知青日记及后记》

 

Nouvelle moyenne 中篇小说

Soleil bleu 《蓝太阳》

 


 

Traductions en français

 

- Lapins, lapins , édition bilingue, trad. Xu Shuang, avec la collaboration de Martine Chardoux, préface de Jacques Darras, Le Castor Astral, 2013.

- Le gène du garde rouge, souvenirs de la Révolution culturelle, trad. Xu Shuang et Martine de Clercq, préface de Jacques Darras, Gallimard, 2015.

 


 

Adaptation théâtrale

 

Adieu la mélancolie, spectacle de Roland Auzet, adaptation de Pascale Ferran,

Théâtre des Quartiers d’Ivry, 30.09/08.10.2022

« Librement adapté du « poème document » de Luo Ying, "Le gène du garde rouge" »

https://www.theatre-quartiers-ivry.com/saison/spectacle/adieu-la-melancolie.htm

 


 

À lire en complément

 

Luo Ying et le devoir de mémoire, du « Gène du garde rouge » à son adaptation au théâtre


 


[1] Le gène du garde rouge, trad. Xu Shuang/ Martine de Clercq, pp. 173-174.

[3] Selon ses déclarations à un membre de la rédaction de La Chine au présent  :

http://www.chinatoday.com.cn/french/Dossier/article/2014-06/09/content_623381.htm

[5] Le gène du garde rouge, trad. Xu Shuang/ Martine de Clercq, p. 204.

 

 

     

 

 

 

 

 

     

 

 

 

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