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Ke Lan 柯蓝

Présentation

par Brigitte Duzan, 23 novembre 2018 

 

Ke Lan est le nom de plume de Tang Yizheng (唐一正), né en 1920 à Changsha dans le Hunan (湖南长沙). Il serait sans doute resté connu de quelques happy few si l’un de ses récits n’avait été adapté en scénario, devenu après révision celui du film mythique des débuts de la cinquième génération : « La Terre jaune » (Huang tudi《黄土地》) [1].

 

De Tang Yizheng à Ke Lan

 

Les souvenirs de jeunesse de celui qui était encore Tang Yizheng sont mêlés à ceux de la guerre : il était soldat et a combattu sur le front. Ses écrits reflètent cette expérience douloureuse, et en particulier un épisode spécifique, d’où vient le choix de son nom de plume, mais qui est lié aussi à l’histoire, en grande partie autobiographique, à la base du scénario de « La Terre jaune ».

 

Ke Lan

 

Xu Teli avec Mao Zedong à Yan’an en 1936

 

C’est en 1937, après avoir terminé ses études secondaires au lycée dépendant de l’Université normale du Hunan à Changsha, qu’il part à Yan’an, sur la recommandation de Xu Teli (徐特立), compagnon de route de Mao [2]. Après une brève formation à l’Institut Lu Xun, il part au front et devient correspondant de guerre pour un journal de la région frontalière, contrôlée par les communistes, du Shaanxi-Gansu-Ningxia (陕甘宁边区) : le « Journal des masses de la région frontalière » (《边区群众报》).

 

Un jour, lors d’un bombardement aérien japonais, le chef de son escouade est blessé, et il l’accompagne à l’hôpital militaire du front. Il y a là une jolie infirmière de seize ans, fille d’un riche marchant de la communauté chinoise d’Asie du sud-est ; elle avait apporté des médicaments donnés par son père à la Huitième armée de route et était restée à l’hôpital. Tang Yizheng tomba amoureux d’elle. Mais, lors d’un transfert de blessés, elle fut elle-même grièvement blessée, et mourut en criant son nom.

 

Elle s’appelait Ke Lan (柯蓝). En 1939, en souvenir d’elle, Tang Yizheng prit ce nom de plume, et le garda jusqu’à sa mort.

 

Du journaliste à l’écrivain

 

Ke Lan commence à publier au début des années 1940. En 1944, il publie une nouvelle « moyenne » (ou novella) intitulée « Histoire des tubes d’acier étranger » (《洋铁桶的故事》), première nouvelle moyenne à chapitres (章回体形式的中篇小说) racontant des souvenirs de la guerre contre le Japon. Elle est suivie l’année suivante d’une autre nouvelle du même ordre relatant le mouvement visant à stimuler la production dans la zone frontalière : « Le drapeau rouge flotte allègrement » (《红旗呼啦啦飘》). Il continue avec des nouvelles courtes et des souvenirs.

 

En 1949, il devient rédacteur en chef, à Shanghai, du « Journal du travail » (《劳动报》) et en 1950 devient membre de l’Association des écrivains chinois. Il se spécialise dans l’écriture d’essais sanwen et prend la tête de la société d’étude sur le sanwen et les poèmes en prose ; il deviendra plus tard rédacteur en chef de la revue « Poèmes en prose » (《散文诗》杂志).  

 

Au début des années 1950, Ke Lan écrit aussi des scénarios pour des films traitant de la vie et des luttes des travailleurs à Shanghai : « Le chant du char de parade » (《彩车曲》) en 1952,

 

Ke Lan et sa revue « Poésie en prose »

« Les fleurs rouges du travail » (《劳动红花》) en 1953. Puis, à sa création en avril 1957, il devient le responsable du département littéraire du studio Tianma (天马电影制片厂文学部主任). Il écrit alors le scénario du premier film produit par le studio, réalisé en 1958 par Wang Weiyi (王为一) : « La prison en flamme » (《铁窗烈火》) qui se passe en 1948, à la veille de la libération de Shanghai, et qui est couronné du prix des Cent Fleurs.  

 

Le film La prison en flamme, 1958

 

Pendant cette période, il écrit aussi un recueil de récits pour enfants, en 1954, et publie en 1956 un recueil d’essais sanwen et un recueil de nouvelles intitulé « Le berger » (《放牛郎》), suivis d’une série d’autres recueils dans les années suivantes.  Il alterne ainsi nouvelles et sanwen.

 

En 1963, il revient chez lui dans le Hunan, et se consacre uniquement à l’écriture, son dernier recueil de nouvelles avant la Révolution culturelle étant publié en 1964.

 

Après la Révolution culturelle, il recommence à publier en 1979, et d’abord un recueil de nouvelles courtes. Il coécrit un roman sur le soulèvement de la moisson d’automne (《秋收起义》), puis revient sur ses souvenirs des années de guerre en publiant en 1980 un autre recueil de nouvelles : « Les dix-huit méandres de la rivière Liu » (《浏河十八湾》). Dans les années 1980, ensuite, il publie surtout des recueils de sanwen. Ces textes qui dérivent des poèmes en prose et de la prose lyrique de la période du 4 mai sont surtout écrits par des auteurs plus âgés – Ba Jin par exemple ; ils expriment le plus souvent des sentiments et émotions liés à l’évocation de souvenirs.

 

C’est le cas du sanwen révisé dont est adapté le scénario du film « La Terre jaune » : « Echos dans la vallée profonde » (《深谷回声》), initialement écrit comme une nouvelle, et révisé au début des années 1980 sous forme de sanwen.

 

Echos dans la vallée profonde 

 

Dans une première partie introductive, Ke Lan raconte qu’il n’aime pas entendre des échos se répercuter dans des vallées encaissées, cela le rend triste et mal à l’aise, et cela tient sans doute, dit-il, à une histoire qui lui est arrivée… en 1942.

 

Il commence ainsi, en datant le récit de l’année 1980 :

 

1942年,大约是38年之前,我才22岁,那时,我在延安老根据地,因为工作关系,到离延安六七十里的宜川具采录顺天游民歌兰花花。这是一首在陕甘宁边区流行较广的古老的情歌,它的主要情节描写青年姑娘兰花花,和自己心爱的人恋爱的时候,由于她的绝色美貌,被地主看中,用优厚的财礼收买了她的父母,被逼迫定亲。兰花花百般痛苦,挣扎反抗无效,最后喝鸦片自杀身死,当时陕北著名盲艺人韩启祥同志告诉我,说现在作的民歌“兰花花”只有几十句。原来的“兰花花”却有上千句,里面光是描写兰花花的容貌和衣角就有一百多句。甚至还包括了许多有趣的盘歌,和描写婚丧仪式的,还有节日风俗的诗句,我听了连忙问:现在还可以收集得到吗?
En 1942, il y a donc environ trente-huit ans, j’avais à peine 22 ans ; à l’époque, j’avais établi ma base d’opérations à Yan’an car, dans le cadre de mon travail, je devais recueillir des chants populaires du type « lan huahua » dans le district de Yichuan, à une trentaine de kilomètres de Yan’an. C’est un type de vieilles chansons d’amour très répandues dans la zone frontalière du Shaanxi-Gansu-Ningxia. Le chant raconte l’histoire d’une jeune fille nommée Lan Huahua (petite fleur bleue), qui est amoureuse d’un jeune garçon, mais son joli minois attire l’attention du propriétaire foncier qui réussit à suborner sa mère avec des cadeaux en la poussant à accepter de lui donner sa fille. Lan Huahua désespérée se tue en avalant de l’opium pour échapper à ce sort. A l’époque, le célèbre chanteur aveugle Han Qixiang m’avait dit que la chanson n’avait plus que quelques lignes, mais qu’elle en avait bien plus autrefois, peut-être un millier, dont une centaine pour décrire le visage de la jeune fille et ses vêtements. Dans le même genre il y avait aussi des chants de mariage et de funérailles, et des poèmes pour les fêtes. Je lui ai aussitôt demandé si l’on pouvait encore en trouver…

 

On a donc ici le modèle du soldat qui recueille les chants populaires dans le film Huang tudi, et c’est un souvenir personnel de Ke Lan. Le reste de l’histoire est également autobiographique. Le texte est relativement court, environ 13 000 caractères [3]. Le fil narratif a été conservé dans le scénario du film, dans ses grandes lignes, sauf la fin : dans le texte de Ke Lan, la jeune Cuiqiao se suicide comme dans la chanson Lan Huahua, en prenant de l’opium, tandis que dans le film elle disparaît en tentant de traverser le fleuve pour rejoindre l’armée [4]

 

L’écho qui ne cesse de hanter l’auteur quarante ans plus tard est celui de la jeune fille lui criant au revoir lorsqu’il est parti sans l’emmener avec lui. Il se sent toujours responsable de sa mort…

 

Plusieurs autres de ses nouvelles ont été adaptées au cinéma et à la télévision. En particulier, la nouvelle « Battre le gong » (《打铜锣》) est celle qui a inspiré le film éponyme de Wang Weiyi (王为一) sorti en 1965, adapté en opéra huaguxi du Hunan (湖南花鼓戏).

 

Battre le gong, de Wang Weiyi : https://www.youtube.com/watch?v=0_V7I0Dp6RY

 

 

 


[1] Voir l’analyse du film à partir du scénario : http://www.chinesemovies.com.fr/films_Chen_Kaige_La_terre_jaune.htm

[2] Personnage marquant de l’entourage de Mao, il avait participé à la Longue Marche et était originaire de Changsha où il avait enseigné à l’Université normale.

 

 

     

 

 

 

 

 

 

     

 

 

 

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