par Brigitte
Duzan, 26 août 2014, actualisé 9 juin 2024
Han
Dong fait partie de la génération des écrivains chinois
qui ont commencé à écrire au début des années 1980, mais
il y occupe une place bien à part, en dehors des grands
mouvements littéraires.
Il est
d’abord poète, et un poète dit d’avant-garde, passé
ensuite à la fiction, sans rupture de style. Au début
des années 1990, il a été l’un des chefs de file d’un
mouvement de rupture avec les institutions littéraires,
pour devenir écrivain indépendant, et préserver la
liberté de ton qui est l’une de ses caractéristiques
essentielles.
Il
reste l’une des voix les plus originales de la
littérature chinoise contemporaine, et, si ses textes
ont fait l’objet de nombreuses traductions en anglais,
grâce à Nicky Harman, il est étonnant qu’aucun n’ait
encore été traduit en français où il reste pratiquement
inconnu.
La Révolution culturelle et ses lendemains
Han Dong (photo CFP – source :
Nanfang Zhoumo 南方周末)
Han Dong est né
le 17 mai 1961 à Nankin. Cinq ans plus tard éclate la Révolution
culturelle…
Jeunes
années dans le nord du Jiangsu
Maison traditionnelle du Subei (photo
2012)
Il a
huit ans quand ses parents sont envoyés dans un village
du nord du Jiangsu, la province dont Nankin est la
capitale. L’exil semble relatif, comparé à celui de tous
ceux envoyés au même moment dans les coins les plus
inhospitaliers du pays. Mais le nord de la province ou
Subei (苏北),
c’est-à-dire la
région au nord du Yangtse qui coupe le Jiangsu en deux,
est une zone totalement différente du sud du fleuve ou
Jiangnan (江南),
fertile et riche à tous égards, y compris
culturellement.
Si la région
est aujourd’hui assainie et développée, les « subei » ont
longtemps été une population à part, pauvre, peu éduquée et
méprisée, sujette à des inondations récurrentes entraînant des
migrations vers Shanghai où le terme était une insulte dans le
dialecte local. Pour des intellectuels de Nankin, c’était un
véritable exil.
Etudes et
enseignement dans les années d’ouverture
A la
réouverture des universités, après la Révolution culturelle, Han
Dong entre à l’université du Shandong (山东大学)
pour étudier la philosophie, et en sort diplômé en 1982. Il est
alors envoyé enseigner à Xi’an (西安),
à l’Institut d’économie et de finances du Shaanxi (陕西财经学院),
puis à Nankin, en 1984, à l’Institut d’audit de de Nankin (南京审计学院).
En fait de philosophie, il enseigne le marxisme-léninisme.
Mais il a
commencé à écrire dès 1980…
Poète
d’abord
… Et il écrit
d’abord de la poésie, créant une première controverse en 1982.
La Pagode de
l’Oie sauvage
Cette
controverse est suscitée par son poème désormais
célèbre : « La Pagode de l’oie sauvage » (有关大雁塔).
Cette pagode, la Grande Pagode de l’Oie sauvage (大雁塔),
initialement construite au 7ème siècle sous
l’empereur Gaozong des Tang, est un site renommé de
Xi’an dont l’une des fonctions est de conserver les
sutras et figurines de Bouddha rapportées d’Inde par le
moine Xuanzang (玄奘)
en 645. Elle est généralement l’objet d’une vénération
quasi religieuse dont Han Dong s’amuse à montrer
l’aspect superficiel.
La Grande Pagode de l’Oie sauvage
有关大雁塔
De la Pagode de l’oie sauvage
我们又能知道些什么
que peut-on savoir vraiment ?
有很多人从远方赶来
on vient en foule de loin
为了爬上去
pour grimper jusqu’en haut
做一次英雄
et jouer une fois au héros
也有的还来做第二次
certains viennent même deux fois
或者更多
et d’autres bien plus encore
那些不得意的人们
des gens frustrés,
那些发福的人们
des gens qui ont grossi
统统爬上去
tous grimpent là-haut
做一做英雄
pour jouer au héros
然后下来
puis redescendent
走进这条大街
jusque dans la rue
转眼不见了
et disparaissent aussitôt
也有有种的往下跳
laissant les plus hardis sauter
在台阶上开一朵红花
et teinter les marches d’une fleur écarlate
那就真的成了英雄
voilà les vrais héros
当代英雄
les héros de notre temps
有关大雁塔
De la Pagode de l’oie sauvage
我们又能知道什么
que peut-on savoir vraiment ?
我们爬上去
on grimpe tout en haut
看看四周的风景
voir la vue du sommet
然后再下来
et puis on redescend.
Le poème a un
style d’une simplicité trompeuse, à l’opposé de celui des poèmes
« obscurs » (朦朧诗)
qui ont fleuri au
lendemain de la Révolution culturelle. Il est – entre autres -
une déconstruction ironique du poème de Yang Lian (杨炼)
de 1980 sur le même sujet
qui présente la pagode, de façon conventionnelle, comme noble
emblème de la civilisation chinoise [1].
Les héros suicidaires de Han Dong sont aussi dérisoires que le
« héros de notre temps » de Lermontov : les temps ne sont plus à
l’héroïsme, comme à l’époque du communisme triomphant, mais
plutôt à la morne banalité du quotidien, dénuée d’émotion et de
toute trace de culture.
Définition
d’un style
Ce poème
annonce le style de ceux qui vont suivre sous la plume de Han
Dong. Un style dont il a, en 1995, résumé les caractéristiques
en dix points :
- discernable
dans le ciel, la poésie en descend pour prendre forme dans le
monde des humains grâce au désir et à l’attente patiente du
poète ;
- elle n’est
pas de l’ordre du travail épuisant ; elle est attente :
诗歌是等待
- la poésie
n’est pas de l’ordre du savoir : elle est le domaine de ceux qui
ont conservé l’innocence ; un bon écrivain n’a pas plus de
légitimité en tant que poète que le bon lecteur, les deux se
répondent en termes de sentiments ;
- si l’on ne
ressent rien en lisant un poème, c’est soit qu’il n’est pas un
don de la nature (并非是天赋之做),
soit que l’on a perdu l’innocence ;
- la mauvaise
poésie (糟糕的诗)
est susceptible d’exciter ses lecteurs autant que son auteur :
on ne peut pas mesurer la valeur d’un poème en termes du degré
de passion suscité ;
- comment
distinguer un bon poème ? Il est souvent vu rapidement,
découvert après avoir été négligé, mais, quand on est dans la
bonne disposition d’esprit, on se sent attiré ;
- la valeur
d’un bon poème augmente avec le temps ; un mauvais poème se
consomme en une seule fois, les lectures ultérieures ne sont
jamais aussi bonnes que la première ; on ne lit pas un poème
pour se divertir ;
- un poème se
lit quand nos sens sont en plein éveil ; il faut être détendu
mais non léthargique ;
- la langue
chinoise moderne est différente des autres ; ce n’est que
lorsqu’elle est exprimée en poésie que l’on peut comparer une
langue à une autre ; très souvent on ne compare que le contenu,
ce qui n’a pas de sens ;
- le chinois
moderne a un sens plus étendu que le chinois classique ;
celui-ci ne vit que dans le chinois moderne, et non l’inverse ;
la poésie moderne n’est pas un descendant dégénéré de la poésie
classique, celle-ci représente simplement un illustre ancêtre.
Han Dong creuse
la différence avec ses prédécesseurs et contemporains, et ses
conceptions en matière de poésie influeront ensuite sur sa prose
lorsqu’il se mettra à en écrire. Il ne s’agit pas de préceptes
ou d’une méthode, mais d’une pensée profonde qui tient autant à
sa conception de la vie que de l’écriture. Dans une interview
donnée en 1989, il a déclaré n’écrire ses poèmes pour personne,
même pas pour lui, car la tâche du poète est comme celle d’un
couvreur qui se préoccupe de faire le toit parce qu’une maison
n’en serait pas une sans cela, mais sans se soucier des gens qui
vont habiter dedans. La poésie est une fin en soi, et la gloire
comme l’héroïsme en est exclue.
Une fois passé
à la prose, que ce,soit dans ses essais, ses nouvelles ou ses
romans, Han Dong gardera les mêmes impératifs, le même style
concis, clair, proche du langage populaire (民间),
et non du langage « du peuple » (人民),
comme celui des slogans et
de la littérature du même nom. Sa prose est une prose marquée
du sceau de sa poésie.
Duanlie ou
la rupture
Han Dong s’est
engagé dès 1982 dans une intense activité éditoriale en marge de
la presse littéraire officielle, d’abord avec son propre
journal, Laojia – la maison ancestrale, ou le pays natal
(老家).
Puis, en 1985, il prend une part active à la création du
magazine Tamen – eux (他们),
qui devient le porte-parole d’un groupe d’abord de poètes puis
d’écrivains, liés par affinité : les poètes Yu Jian (于坚),
Ding Dang (丁当),
Yu Xiaowei (于小伟),
Xiao Hai (小海),
etc… auxquels se joignent Zhu
Wen (朱文)
et beaucoup d’autres.
Leur désir
commun est de rompre avec le poids de la tradition, pour revenir
à un langage simple, recherchant la musicalité de la langue dans
ses aspects les plus prosaïques, sans allusions, citations ni
élitisme stylistique. Han Dong est le rédacteur en chef et l’âme
du journal dont neuf numéros paraissent de 1985 à 1988 puis de
1993 à 1995 [2].
1992 est une
année charnière dans la carrière de Han Dong : il démissionne de
son poste d’enseignant pour se consacrer entièrement à
l’écriture, en tant qu’écrivain indépendant (自由写作者).
C’est une décision rare et courageuse dans un pays où la
principale aspiration de tout écrivain est de devenir « écrivain
professionnel », avec des émoluments mensuels payés par
l’Association des écrivains.
Fidèle à
lui-même, Han Dong préfère sa liberté. En 1994, il travaille à
l’Institut de littérature pour les jeunes (青年文学院),
dans la province du Guangdong. En 1996, il devient écrivain sous
contrat avec la société Nike Arts.
Il fait des
émules. Un véritable mouvement prend forme, fait boule de neige,
et devient activisme littéraire en 1998 sous le nom de
Duanlie - rupture, fracture (断裂),
sous l’égide de Han Dong et Zhu
Wen (朱文)
[3].
Duanlie commence avec une liste de treize questions
envoyées à une centaine d’écrivains, concernant la validité et
la valeur des institutions et critiques littéraires chinois, des
principaux magazines, des prix littéraires et des auteurs montés
en épingle, ainsi que l’influence, dans le domaine littéraire,
de penseurs comme Heidegger, Barthes ou Foucault.
Les 55 réponses
reflètent plus l’amertume et les frustrations de leurs auteurs
qu’elles ne permettent de se faire une idée claire des
influences en cause, mais le mouvement a eu un effet catalyseur
en offrant un modèle alternatif au système institutionnel
gravitant autour de l’Association des écrivains, mais pas
seulement comme l’a souligné Han Dong : « Notre rupture est non
seulement dans le temps mais aussi dans l’espace… Nous devons
rompre avec l’ordre littéraire établi… mais aussi avec toutes
sortes de monopole ou d’autorité qui tend à manipuler l’activité
littéraire et les choix esthétiques. » [4]
Zhu Wen a cessé d’écrire en 2000. Han Dong
a continué, mais en diversifiant ses formes d’écriture, écrivant
dès lors surtout de la prose, romans, nouvelles et essais.
Ecrivain
de fiction et essayiste
De 2000
à 2004, Han Dong est rédacteur en chef du bimensuel
littéraire Furong ou Lotus Magazine (《芙蓉》)
publié par les éditions des lettres et des arts du Hunan
(湖南文艺出版社).
Mais il s’est ensuite surtout consacré à l’écriture,
devenant un écrivain recherché dans les manifestations
littéraires un peu partout.
Il a depuis 2000 publié cinq romans, et plusieurs
recueils de nouvelles, d’essais et de poésies
[5].
Il publie aussi régulièrement des
Furong/Lotus magazine, année 2001
articles dans la presse, en particulier dans le Nanfang Zhoumo (南方周末)
[6].
2003 : Premier roman
En 2003 paraît son premier roman, aux éditions Littérature du
peuple (人民文学出版社).
Le titre, Zhāgēn (《扎根》),
signifie littéralement « prendre racine », mais a été traduit « Banished ! »
par Nicky Harman. Il s’agit en fait d’apprendre à prendre racine
après avoir été banni.
Zhagen
L’histoire débute en 1967, au début de la Révolution
culturelle. Avec de nombreux autres cadres, la famille
Tao (老陶一家)
– les grands-parents, les parents et leur fils – est
envoyée à la campagne, dans un lointain village du nord
du Jiangsu. Ils s’installent dans ce qui était une
étable et acceptent leur sort avec une apparente
sérénité. Le père, qui était écrivain, se consacre à
l’agriculture et introduit de nouvelles cultures dans le
village. Sa femme devient un médecin aux pieds nus,
tandis que l’enfant grandit. Ils mènent une vie calme et
paisible, sans doute appréciable après les terribles
sessions de « lutte » qu’ils ont dû endurer à Nankin.
Mais les tensions refont finalement surface, les
conflits politiques de la ville se répercutant dans le
village ; chaque membre de la famille est frappé tour à
tour, sauf le jeune Tao.
Le
roman est évidemment autobiographique, et les
descriptions de la vie au village doivent leur précision et la
fraîcheur de leurs détails – y
compris par moments en dialecte local - à l’expérience vécue par
l’auteur lui-même, dans la même région, pendant la Révolution
culturelle. On peut penser qu’il en est de même des épreuves
endurées par les membres de la famille. Il est intéressant de
voir Han Dong, qui n’a écrit que de la poésie pendant toute la
période de « littérature des cicatrices », revenir à ce sujet
près de vingt ans plus tard, comme pour se libérer enfin de ce
poids, par effet cathartique.
Le
roman est cependant intéressant pour sa forme et son
style. A lire à plusieurs niveaux, il reste étrangement
classique dans sa structure, en épisodes séparés comme
les grands romans de la tradition chinoise. Mais c’est
le style qui est le plus original, changeant de ton à
plaisir, comme l’a noté Nicky Harman :
“[Han
Dong] describes village life carefully, sometimes
lovingly, but there is an underlying sense of political
tension. There is humor, often scatological, but the
depiction towards the end of the book of Tao, the
frustrated writer, is bitter and painful. The language
is occasionally lyrical but usually appears quite plain;
then again, there are parts which are enigmatic to say
the least, especially when they come from the unnamed
‘I’ voice. The emotional relationships are understated,
but there is real warmth in the adults’ protectiveness
of the child, young Tao, and the latter’s feelings for
his father.
Le
second roman, « Moi et toi » (《我和你》),
est publié en août
2005 aux Editions des arts et des lettres de Shanghai (上海文艺出版社).
C’est l’histoire d’un amour malheureux, également tirée
de l’expérience personnelle de l’auteur. Ici aussi,
c’est le style qui importe.
Quant
au troisième roman, « Un héros de petite ville avance
à grands pas » (《小城好汉-英特迈往》),
publié en janvier 2008 chez le même éditeur, il semble
poursuivre l’histoire du premier roman, même si les
personnages sont différents. Il s’agit ici de trois
garçons, Zhu, Ding et le narrateur, « Je », qui ont
grandi ensemble dans une petite ville dans les années
1970. Mais, quand ils deviennent adultes, leur amitié
d’enfance est anéantie par leurs différences de
caractères et d’origines familiales. Zhu, le dur,
devient soldat mais finit exécuté pour meurtre ; le
timide Ding lutte pour survivre ; et le narrateur, venu
d’un milieu privilégié, rêve de devenir un artiste
célèbre.
Tous trois
doivent faire des compromis. On en vient à se demander si les
idéaux valent la peine de s’y accrocher. Et quel est le
véritable héros du titre. C’est évidemment ironique. Le roman
déborde d’humour froid autant que d’ironie, et Han Dong se
plaît à surprendre et choquer au détour du récit.
Quatrième roman, « La métamorphose d’un jeune
instruit » (《知青变形记》)
est publié à la
maison d’éditionHuacheng (花城出版社)
en avril 2010. C’est
une nouvelle histoire qui se passe pendant la Révolution
culturelle, cette fois en 1968, formant comme une
trilogie avec les premier et troisième romans. Le titre
est une allusion à Kafka, voulue par l’éditeur, le
rapprochement s’arrête là, mais, si l’histoire n’est pas
surréaliste, elle est absurde.
Luo
Xiaofei (罗晓飞)
fait partie des millions de collégiens, « jeunes
instruits », envoyés dans de lointains villages sur les
ordres du président Mao pour se former auprès des
paysans pauvres et moyen pauvres. Le village n’a qu’une
vache, soignée par un paysan tellement pauvre qu’il
partage l’étable avec l’animal. Pour se distraire de
leur ennui, les étudiants font croire qu’ils ont violé
la vache. Mais la plaisanterie fait long feu quand la
vache tombe malade. Ils
La métamorphose d’un jeune instruit
sont accusés de
saboter la production, et Xiaofei, trahi par les autres, est
l’accusé principal. On pense à « La plaisanterie » de Milan
Kundera.
Le président Mao, le soleil dans nos
cœurs
Selon
Nicky Harman, le titre provisoire du roman était
initialement Ri (《日》)
qui peut être
compris de deux façons différentes : dans le sens de
‘soleil’, évoquant alors le « soleil rouge dans nos
cœurs » qu’était le président Mao dans la vulgate
maoïste de l’époque (毛主席是我们心中的红太阳)
; mais aussi dans le sens argotique de ‘se faire
baiser’, ce qui renvoie à l’histoire de la vache, mais
aussi à la trahison subie par Xiaofei, et, au-delà, par
toute sa génération.
Le style a
évolué. Le texte se présente toujours à la manière des romans
classiques, en courts chapitres. Mais le récit fait plus de
place à la narration ; il ménage un suspense jusqu’à la fin : on
se demande si le personnage va abandonner la paysanne qu’il a
épousée et son enfant pour revenir en ville, et s’il a
véritablement été transformé, ou jusqu’à quel point. En outre,
le ton est ici drôle à l’extrême dans certaines scènes : Han
Dong a développé son talent d’humoriste, tout en gardant une
grande chaleur envers ses personnages.
C’est
un humour froid, que l’on retrouve, avec des variations
personnelles, chez de nombreux auteurs chinois
aujourd’hui. On le retrouve aussi chez le cinéaste Li
Hongqi (李红旗),
maître de l’absurde, grand ami de Han Dong qui a
interprété le rôle principal dans son film de 2005 « So
Much Rice » (《好多大米》)
, dont il a également été conseiller technique ; c’est
un film que Li Hongqi a présenté comme « une
plaisanterie, mais une triste plaisanterie » (一个玩笑——一个悲伤的玩笑)
[7]
: on pourrait définir ainsi aussi bien le roman de Han
Dong.
Han Dong (à dr.) dans le film So Much
Rice
Si l’on ne peut
véritablement parler d’école (une « école de Nankin »), il
s’agit bien d’une famille spirituelle, un pai
派au sens
ancien, qui regroupe poètes et musiciens, et perpétue l’esprit
de Tamen et de Duanlie.
Fin 2011 :
cinquième roman
Les amants chinois
En
novembre 2011 est paru un nouveau roman, « Les amants
chinois » (《中国情人》),
qui est plutôt apparenté au roman de 2005. Il commence
cette fois au milieu des années 1990 et raconte
l’histoire de trois jeunes artistes : Zhang Zhaohui (张朝晖),
sa petite amie Quhong (瞿红)
et leur ami Changle (常乐).
Ils vivent des moments exaltants dans la bohême
d’artistes de la banlieue de Pékin, puis Zhang Zhaohui part aux
Etats-Unis. Quand il revient, 14 ans plus tard, Quhong
est devenue marchand d’art, et Changle un « maître du
guoxue » qui anime des émissions à la télévision. Le
guoxue (国学),
c’est l’étude de la culture nationale dans sa forme la
plus traditionnelle, remise récemment au goût du jour.
On sent tout de suite la satire féroce de la société
chinoise actuelle. Inutile de dire que Zhaohui a du mal
à s’y retrouver…
Plusieurs
recueils de nouvelles
C’est
cependant plutôt dans le genre de la nouvelle, courte et
moyenne, que Han Dong déploie son style au mieux. Il en
a publié plusieurs recueils, dont quatre principaux
publiés à partir de 2007 :
Dans le
ciel à l’ouest
《西天上》
Mon
Platon
《我的柏拉图》
Nos
corps
《我们的身体》
Brillantes blessures
《明亮的疤痕》
La
forme courte lui permet en effet d’être incisif à
plaisir, mais aussi de réagir à l’occasion à
l’actualité, comme dans « Brand New World » (《崭新世界》)
écrite en 2010 pour le magazine GQ, et inspirée des
suicides intervenus à l’usine Foxconn cette année-là.
La nouvelle dépeint les conditions de vie dans les
dortoirs de l’usine, où les hommes qui travaillent de
nuit dorment la journée, tandis que les femmes font
l’inverse. Han Dong raconte la rencontre de deux jeunes
Dans le ciel à l’ouest (édition 2007)
employés dans ces conditions, la jeune fille finissant
par se suicider. Le titre renvoie à
Aldous Huxley, et la nouvelle, bien que d’un ton sombre,
conserve des touches d’humour ; l’épisode final est traité de
manière surréaliste, comme celui du roman « La métamorphose d’un
jeune instruit » écrit à peu près au même moment.
Nos corps (édition janvier 1996)
On ne
peut pas dresser un tableau général du style de Han Dong
dans ses nouvelles. Elles sont toutes différentes, et,
même si l’on retrouve des caractéristiques communes, la
concision du trait, comme dans ses poésies, ainsi que
l’ironie et l’humour en particulier, elles ont chacune
un ton spécifique en lien avec l’histoire contée. Ce
sont des peintures du quotidien, mais avec des nuances.
Une
nouvelle comme « L’étrange histoire de Hua Hua » (《花花传奇》),
par exemple, l’une des neuf nouvelles du recueil « Mon
Platon », décrit la vie d’une famille qui tourne autour
d’un chat incontinent et agoraphobe. Le récit frise le
macabre et le surréel. Première des neufs nouvelles du
recueil « Nos corps », « Gu Jieming, a Life » (《古杰明传》)
est, elle, l’histoire d’un personnage qui est un héros
pour lui-même, décrit par un narrateur qui est un
anti-héros ; c’est une satire acerbe de la « société
harmonieuse », avec un
côté obscur
dans le processus narratif qui rend le récit original…
Ce ne
sont que des exemples. Il faudrait accorder aux
nouvelles de Han Dong autant d’attention qu’à ses
romans, et les traduire. Elles font ressortir
l’importance primordiale du style dans la définition de
cet auteur, le style comme marque indélébile de son
être, et, partant, de son écriture.
Réalisateur
Fin
2015, le studio Emei (峨嵋电影制片厂)
de Chengdu a annoncé avoir signé un accord
avec Han Dong pour la production en 2016 de son premier
film, « A Night on the Wharf » (《在码头》),
adapté de son zhongpian du même nom écrit en 1998.
Produit
par Jia Zhangke, le film est sorti en octobre 2017 au
festival de Busan, dans la section « New Currents »,
mais il a reçu un accueil critique mitigé, de même qu’à
la Cinémathèque de Paris où il a été programmé le
Mon Platon (édition octobre 2000)
19
décembre 2019. Histoire satirique d’une bande de malfrats qui
s’en prennent à des poètes pour une
obscure raison, la novella était difficile à adapter [8].
Bande annonce
Traductions
en anglais
Poèmes
traduits par
Maghiel van Crevel :
A
Phone Call from Dalian: Collected Poems,
Zephyr Press 2012.
Roman et
nouvelles traduits par Nicky Harman :
-
Banished! A Novel,
University of
Hawai Press, 2008.
- The
Moron is Dead, in Shi Cheng, Short Stories from Urban China,
ed. Liu Ding, Carol Yinghua
and Ra Page, Comma Press, April 2012 (nouvelle initialement
publiée dans un recueil publié aux Editions du peuple de
Shanghai en 2008)
-
A Tabby-cat’s Tale, Frisch & Co, août 2014.
-
One Night on the Wharf
《在码头》,
in Perspectives in the
Arts & Humanities Asia
[9],
Special Double Issue
« Nanjing Literature and Arts », vol. 11, 2021, pp. 217-261.
Des poèmes
tirés du recueil « Un nouvel homme » (2012) traduits par des
étudiants de l’ENS Lyon dans le cadre d’un atelier de
traduction, en lien avec la MEET de Saint-Nazaire où Han Dong a
été en résidence en septembre 2013 :
https://www.cairn.info/revue-poesie-2014-3-page-54.htm
« Par-delà les
sentiments :
l'œuvre de Han Dong
韩东,
une écriture de la Chine contemporaine », thèse de Sophie
Coursault sous la direction d’Isabelle Rabut, (Sorbonne
Paris Cité, février 2018) :
Allocution de Xu Shuang,
professeure de l’UFR langues et civilisations de l’Asie
orientale, Université Paris Cité, à l’occasion de la
rencontre avec Han Dong le 25 mai 2024, coorganisée par
l’Association des écrivains du Jiangsu, l’éditeur Phoenix
Publishing et l’université :
[1]
Voir l'analyse intertextuelle de divers poèmes
ultérieurs sur le même thème : Chinese Poetry in Times
of Mind, Mayhem and Money, Maghiel van Crevel, Brill
2008, chapitre 2, pp 67 sq.
[2]Tamen
a été relancé en août 2002 sous forme de magazine
numérique sur internet : www.tamen.net.
Les ressources du site sont maintenant archivées à
l’université de Leiden :
[3]Duanlie, ou fracture, est par ailleurs un concept
global utilisé par les sociologues pour caractériser la
société chinoise des années 1990.
[4]
Cité dans : Consuming
Literature : Best Sellers and the Commercialization of
Literary Production in Contemporary China, Shuyu Kong,
Stanford University Press, 2005, chapitre 1, pp 34&sq.