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Han Dong 韩东

Présentation

par Brigitte Duzan, 26 août 2014, actualisé 26 avril 2023

 

Han Dong fait partie de la génération des écrivains chinois qui ont commencé à écrire au début des années 1980, mais il y occupe une place bien à part, en dehors des grands mouvements littéraires.

 

Il est d’abord poète, et un poète dit d’avant-garde, passé ensuite à la fiction, sans rupture de style. Au début des années 1990, il a été l’un des chefs de file d’un mouvement  de rupture avec les institutions littéraires, pour devenir écrivain indépendant, et préserver la liberté de ton qui est l’une de ses caractéristiques essentielles.

 

Il reste l’une des voix les plus originales de la littérature chinoise contemporaine, et, si ses textes ont fait l’objet de nombreuses traductions en anglais, grâce à Nicky Harman, il est étonnant qu’aucun n’ait encore été traduit en français où il reste pratiquement inconnu.

 

La Révolution culturelle et ses lendemains

 

Han Dong (photo CFP – source :

Nanfang Zhoumo 南方周末)

 

Han Dong est né le 17 mai 1961 à Nankin. Cinq ans plus tard éclate la Révolution culturelle…

 

Jeunes années dans le nord du Jiangsu

 

Maison traditionnelle du Subei (photo 2012)

 

Il a huit ans quand ses parents sont envoyés dans un village du nord du Jiangsu, la province dont Nankin est la capitale. L’exil semble relatif, comparé à celui de tous ceux envoyés au même moment dans les coins les plus inhospitaliers du pays. Mais le nord de la province ou Subei (苏北), c’est-à-dire la région au nord du Yangtse qui coupe le Jiangsu en deux, est une zone totalement différente du sud du fleuve ou Jiangnan (江南), fertile et riche à tous égards, y compris culturellement.

 

Si la région est aujourd’hui assainie et développée, les « subei » ont longtemps été une population à part, pauvre, peu éduquée et méprisée, sujette à des inondations récurrentes entraînant des migrations vers Shanghai où le terme était une insulte dans le dialecte local. Pour des intellectuels de Nankin, c’était un véritable exil.

 

Etudes et enseignement dans les années d’ouverture

 

A la réouverture des universités, après la Révolution culturelle, Han Dong entre à l’université du Shandong (山东大学)  pour étudier la philosophie, et en sort diplômé en 1982. Il est alors envoyé enseigner à Xi’an (西安), à l’Institut d’économie et de finances du Shaanxi (陕西财经学院), puis à Nankin, en 1984, à l’Institut d’audit de de Nankin (南京审计学院). En fait de philosophie, il enseigne le marxisme-léninisme.

 

Mais il a commencé à écrire dès 1980…

 

Poète d’abord

 

… Et il écrit d’abord de la poésie, créant une première controverse en 1982.

 

La Pagode de l’Oie sauvage

 

Cette controverse est suscitée par son poème désormais célèbre : « La Pagode de l’oie sauvage » (有关大雁塔). Cette pagode, la Grande Pagode de l’Oie sauvage (大雁塔), initialement construite au 7ème siècle sous l’empereur Gaozong des Tang, est un site renommé de Xi’an dont l’une des fonctions est de conserver les sutras et figurines de Bouddha rapportées d’Inde par le moine Xuanzang (玄奘) en 645. Elle est généralement l’objet d’une vénération quasi religieuse dont Han Dong s’amuse à montrer l’aspect superficiel.

 

La Grande Pagode de l’Oie sauvage

 

有关大雁塔                             De la Pagode de l’oie sauvage 
我们又能知道些什么              que peut-on savoir vraiment ?
有很多人从远方赶来              on vient en foule de loin
为了爬上去                             pour grimper jusqu’en haut
做一次英雄                             et jouer une fois au héros
也有的还来做第二次              certains viennent même deux fois
或者更多                                 et d’autres bien plus encore
那些不得意的人们                  des gens frustrés,
那些发福的人们                     des gens qui ont grossi
统统爬上去                             tous grimpent là-haut
做一做英雄                             pour jouer au héros
然后下来                                 puis redescendent
走进这条大街                         jusque dans la rue
转眼不见了                             et disparaissent aussitôt
也有有种的往下跳                  laissant les plus hardis sauter
在台阶上开一朵红花              et teinter les marches d’une fleur écarlate
那就真的成了英雄                  voilà les vrais héros
当代英雄                                 les héros de notre temps
有关大雁塔                             De la Pagode de l’oie sauvage 
我们又能知道什么                  que peut-on savoir vraiment ?
我们爬上去                             on grimpe tout en haut
看看四周的风景                     voir la vue du sommet
然后再下来                             et puis on redescend.

 

Le poème a un style d’une simplicité trompeuse, à l’opposé de celui des poèmes « obscurs » (朦朧)  qui ont fleuri au lendemain de la Révolution culturelle. Il est – entre autres - une déconstruction ironique du poème de Yang Lian (杨炼) de 1980 sur le même sujet qui présente la pagode, de façon conventionnelle, comme noble emblème de la civilisation chinoise [1].  Les héros suicidaires de Han Dong sont aussi dérisoires que le « héros de notre temps » de Lermontov : les temps ne sont plus à l’héroïsme, comme à l’époque du communisme triomphant, mais plutôt à la morne banalité du quotidien, dénuée d’émotion et de toute trace de culture.

 

Définition d’un style

 

Ce poème annonce le style de ceux qui vont suivre sous la plume de Han Dong. Un style dont il a, en 1995,  résumé les caractéristiques en dix points :

- discernable dans le ciel, la poésie en descend pour prendre forme dans le monde des humains grâce au désir et à l’attente patiente du poète ;

- elle n’est pas de l’ordre du travail épuisant ; elle est attente : 诗歌是等待

- la poésie n’est pas de l’ordre du savoir : elle est le domaine de ceux qui ont conservé l’innocence ; un bon écrivain n’a pas plus de légitimité en tant que poète que le bon lecteur, les deux se répondent en termes de sentiments ;

- si l’on ne ressent rien en lisant un poème, c’est soit qu’il n’est pas un don de la nature (并非是天赋之做), soit que l’on a perdu l’innocence ;

- la mauvaise poésie (糟糕的诗) est susceptible d’exciter ses lecteurs autant que son auteur : on ne peut pas mesurer la valeur d’un poème en termes du degré de passion suscité ;

- comment distinguer un bon poème ? Il est souvent vu rapidement, découvert après avoir été négligé, mais, quand on est dans la bonne disposition d’esprit, on se sent attiré ;

- la valeur d’un bon poème augmente avec le temps ; un mauvais poème se consomme en une seule fois, les lectures ultérieures ne sont jamais aussi bonnes que la première ; on ne lit pas un poème pour se divertir ;

- un poème se lit quand nos sens sont en plein éveil ; il faut être détendu mais non léthargique ;

- la langue chinoise moderne est différente des autres ; ce n’est que lorsqu’elle est exprimée en poésie que l’on peut comparer une langue à une autre ; très souvent on ne compare que le contenu, ce qui n’a pas de sens ;

- le chinois moderne a un sens plus étendu que le chinois classique ; celui-ci ne vit que dans le chinois moderne, et non l’inverse ; la poésie moderne n’est pas un descendant dégénéré de la poésie classique, celle-ci représente simplement un illustre ancêtre.

 

Han Dong creuse la différence avec ses prédécesseurs et contemporains, et ses conceptions en matière de poésie influeront ensuite sur sa prose lorsqu’il se mettra à en écrire. Il ne s’agit pas de préceptes ou d’une méthode, mais d’une pensée profonde qui tient autant à sa conception de la vie que de l’écriture. Dans une interview donnée en 1989, il a déclaré n’écrire ses poèmes pour personne, même pas pour lui, car la tâche du poète est comme celle d’un couvreur qui se préoccupe de faire le toit parce qu’une maison n’en serait pas une sans cela, mais sans se soucier des gens qui vont habiter dedans. La poésie est une fin en soi, et la gloire comme l’héroïsme en est exclue.

 

Une fois passé à la prose, que ce,soit dans ses essais, ses nouvelles ou ses romans, Han Dong gardera les mêmes impératifs, le même style concis, clair, proche du langage populaire (民间), et non du langage « du peuple » (人民), comme celui des slogans et de la littérature du même nom.  Sa prose est une prose marquée du sceau de sa poésie.

 

Duanlie ou la rupture

 

Han Dong s’est engagé dès 1982 dans une intense activité éditoriale en marge de la presse littéraire officielle, d’abord avec son propre journal, Laojia – la maison ancestrale, ou le pays natal (老家). Puis, en 1985, il prend une part active à la création du magazine Tamen – eux (他们), qui devient le porte-parole d’un groupe d’abord de poètes puis d’écrivains, liés par affinité : les poètes Yu Jian (于坚), Ding Dang (丁当), Yu Xiaowei (于小伟), Xiao Hai (小海), etc… auxquels se joignent Zhu Wen (朱文) et beaucoup d’autres.

 

Leur désir commun est de rompre avec le poids de la tradition, pour revenir à un langage simple, recherchant la musicalité de la langue dans ses aspects les plus prosaïques, sans allusions, citations ni élitisme stylistique. Han Dong est le rédacteur en chef et l’âme du journal dont neuf numéros paraissent de 1985 à 1988 puis de 1993 à 1995 [2].

 

1992 est une année charnière dans la carrière de Han Dong : il démissionne de son poste d’enseignant pour se consacrer entièrement à l’écriture, en tant qu’écrivain indépendant (自由写作者). C’est une décision rare et courageuse dans un pays où la principale aspiration de tout écrivain est de devenir « écrivain professionnel », avec des émoluments mensuels payés par l’Association des écrivains.

 

Fidèle à lui-même, Han Dong préfère sa liberté. En 1994, il travaille à l’Institut de littérature pour les jeunes (青年文学院), dans la province du Guangdong. En 1996, il devient écrivain sous contrat avec la société Nike Arts.

 

Il fait des émules. Un véritable mouvement prend forme, fait boule de neige, et devient activisme littéraire en 1998 sous le nom de Duanlie - rupture, fracture (断裂), sous l’égide de Han Dong et Zhu Wen (朱文) [3]. Duanlie commence avec une liste de treize questions envoyées à une centaine d’écrivains, concernant la validité et la valeur des institutions et critiques littéraires chinois, des principaux magazines, des prix littéraires et des auteurs montés en épingle, ainsi que l’influence, dans le domaine littéraire, de penseurs comme Heidegger, Barthes ou Foucault.

 

Les 55 réponses reflètent plus l’amertume et les frustrations de leurs auteurs qu’elles ne permettent de se faire une idée claire des influences en cause, mais le mouvement a eu un effet catalyseur en offrant un modèle alternatif au système institutionnel gravitant autour de l’Association des écrivains, mais pas seulement comme l’a souligné Han Dong : « Notre rupture est non seulement dans le temps mais aussi dans l’espace… Nous devons rompre avec l’ordre littéraire établi… mais aussi avec toutes sortes de monopole ou d’autorité qui tend à manipuler l’activité littéraire et les choix esthétiques. » [4]

 

Zhu Wen a cessé d’écrire en 2000. Han Dong a continué, mais en diversifiant ses formes d’écriture, écrivant dès lors surtout de la prose, romans, nouvelles et essais.

 

Ecrivain de fiction et essayiste

 

De 2000 à 2004, Han Dong est rédacteur en chef du bimensuel littéraire Furong ou Lotus Magazine (《芙蓉》) publié par les éditions des lettres et des arts du Hunan (湖南文艺出版社). Mais il s’est ensuite surtout consacré à l’écriture, devenant un écrivain recherché dans les manifestations littéraires un peu partout.

 

Il a depuis 2000 publié cinq romans, et plusieurs recueils de nouvelles, d’essais et de poésies [5]. Il publie aussi régulièrement des

 

Furong/Lotus magazine, année 2001

articles dans la presse, en particulier dans le Nanfang Zhoumo (南方周末) [6].

 

2003 : Premier roman

 

En 2003 paraît son premier roman, aux éditions Littérature du peuple (人民文学出版社).  Le titre, Zhāgēn (扎根), signifie littéralement « prendre racine », mais a été traduit « Banished ! » par Nicky Harman. Il s’agit en fait d’apprendre à prendre racine après avoir été banni.

 

Zhagen

 

L’histoire débute en 1967, au début de la Révolution culturelle. Avec de nombreux autres cadres, la famille Tao (老陶一家) – les grands-parents, les parents et leur fils – est envoyée à la campagne, dans un lointain village du nord du Jiangsu. Ils s’installent dans ce qui était une étable et acceptent leur sort avec une apparente sérénité. Le père, qui était écrivain, se consacre à l’agriculture et introduit de nouvelles cultures dans le village. Sa femme devient un médecin aux pieds nus, tandis que l’enfant grandit. Ils mènent une vie calme et paisible, sans doute appréciable après les terribles sessions de « lutte » qu’ils ont dû endurer à Nankin. Mais les tensions refont finalement surface, les conflits politiques de la ville se répercutant dans le village ; chaque membre de la famille est frappé tour à tour, sauf le jeune Tao.

 

Le roman est évidemment autobiographique, et les descriptions de la vie au village doivent leur précision et la fraîcheur de leurs détails – y compris par moments en dialecte local - à l’expérience vécue par l’auteur lui-même, dans la même région, pendant la Révolution culturelle. On peut penser qu’il en est de même des épreuves endurées par les membres de la famille. Il est intéressant de voir Han Dong, qui n’a écrit que de la poésie pendant toute la période de « littérature des cicatrices », revenir à ce sujet près de vingt ans plus tard, comme pour se libérer enfin de ce poids, par effet cathartique. 

 

Le roman est cependant intéressant pour sa forme et son style. A lire à plusieurs niveaux, il reste étrangement classique dans sa structure, en épisodes séparés comme les grands romans de la tradition chinoise. Mais c’est le style qui est le plus original, changeant de ton à plaisir, comme l’a noté Nicky Harman :

 

 “[Han Dong] describes village life carefully, sometimes lovingly, but there is an underlying sense of political tension. There is humor, often scatological, but the depiction towards the end of the book of Tao, the frustrated writer, is bitter and painful. The language is occasionally lyrical but usually appears quite plain; then again, there are parts which are enigmatic to say the least, especially when they come from the unnamed ‘I’ voice. The emotional relationships are understated, but there is real warmth in the adults’ protectiveness of the child, young Tao, and the latter’s feelings for his father.

 

Moi et toi

 

Le texte chinois: http://www.chinawriter.com.cn/fwzj/writer/142.shtml

 

2005 – 2010 : trois autres romans

 

Un héros de petite ville… (édition 2008)

 

Le second roman, « Moi et toi » (我和你), est publié en août 2005 aux Editions des arts et des lettres de Shanghai (上海文艺出版社). C’est l’histoire d’un amour malheureux, également tirée de l’expérience personnelle de l’auteur. Ici aussi, c’est le style qui importe.

 

Quant au troisième roman, « Un héros de petite ville avance à grands pas » (《小城好汉-英特迈往》), publié en janvier 2008 chez le même éditeur, il semble poursuivre l’histoire du premier roman, même si les personnages sont différents. Il s’agit ici de trois garçons, Zhu, Ding et le narrateur, « Je », qui ont grandi ensemble dans une petite ville dans les années 1970. Mais, quand ils deviennent adultes, leur amitié d’enfance est anéantie par leurs différences de caractères et d’origines familiales. Zhu, le dur, devient soldat mais finit exécuté pour meurtre ; le timide Ding lutte pour survivre ; et le narrateur, venu d’un milieu privilégié, rêve de devenir un artiste célèbre.

 

Tous trois doivent faire des compromis. On en vient à se demander si les idéaux valent la peine de s’y accrocher. Et quel est le véritable héros du titre. C’est évidemment ironique. Le roman déborde d’humour froid autant que  d’ironie, et Han Dong se plaît à surprendre et choquer au détour du récit.

 

Quatrième roman, « La métamorphose d’un jeune instruit » (知青变形记) est publié à la maison d’édition Huacheng (花城出版社) en avril 2010.  C’est une nouvelle histoire qui se passe pendant la Révolution culturelle, cette fois en 1968, formant comme une trilogie avec les premier et troisième romans. Le titre est une allusion à Kafka, voulue par l’éditeur, le rapprochement s’arrête là, mais, si l’histoire n’est pas surréaliste, elle est absurde.

 

Luo Xiaofei (罗晓飞)  fait partie des millions de collégiens, « jeunes instruits », envoyés dans de lointains villages sur les ordres du président Mao pour se former auprès des paysans pauvres et moyen pauvres. Le village n’a qu’une vache, soignée par un paysan tellement pauvre qu’il partage l’étable avec l’animal. Pour se distraire de leur ennui, les étudiants font croire qu’ils ont violé la vache. Mais la plaisanterie fait long feu quand la vache tombe malade. Ils

 

La métamorphose d’un jeune instruit

sont accusés de saboter la production, et Xiaofei, trahi par les autres, est l’accusé principal. On pense à « La plaisanterie » de Milan Kundera.

 

Le président Mao, le soleil dans nos cœurs

 

Selon Nicky Harman, le titre provisoire du roman était initialement Ri (《日》) qui peut être compris de deux façons différentes : dans le sens de ‘soleil’, évoquant alors le « soleil rouge dans nos cœurs » qu’était le président Mao dans la vulgate maoïste de l’époque (毛主席是我们心中的红太阳) ; mais aussi dans le sens argotique de ‘se faire baiser’, ce qui renvoie à l’histoire de la vache, mais aussi à la trahison subie par Xiaofei, et, au-delà, par toute sa génération.

 

Le style a évolué. Le texte se présente toujours à la manière des romans classiques, en courts chapitres. Mais le récit fait plus de place à la narration ; il ménage un suspense jusqu’à la fin : on se demande si le personnage va abandonner la paysanne qu’il a épousée et son enfant pour revenir en ville, et s’il a véritablement été transformé, ou jusqu’à quel point. En outre, le ton est ici drôle à l’extrême dans certaines scènes : Han Dong a développé son talent d’humoriste, tout en gardant une grande chaleur envers ses personnages.

 

C’est un humour froid, que l’on retrouve, avec des variations personnelles, chez de nombreux auteurs chinois aujourd’hui. On le retrouve aussi chez le cinéaste Li Hongqi (李红旗), maître de l’absurde, grand ami de Han Dong qui a interprété le rôle principal dans son film de 2005 « So Much Rice » (《好多大米》) , dont il a également été conseiller technique ; c’est un film que Li Hongqi a présenté comme « une plaisanterie, mais une triste plaisanterie » (一个玩笑——一个悲伤的玩笑) [7] : on pourrait définir ainsi aussi bien le roman de Han Dong.

 

Han Dong (à dr.) dans le film So Much Rice

 

Si l’on ne peut véritablement parler d’école (une « école de Nankin »), il s’agit bien d’une famille spirituelle, un pai au sens ancien, qui regroupe poètes et musiciens, et perpétue l’esprit de Tamen et de Duanlie.

 

Fin 2011 : cinquième roman

 

Les amants chinois

 

En novembre 2011 est paru un nouveau roman, « Les amants chinois » (中国情人), qui est plutôt apparenté au roman de 2005. Il commence cette fois au milieu des années 1990 et raconte l’histoire de trois jeunes artistes : Zhang Zhaohui (张朝晖), sa petite amie Quhong  (瞿红) et leur ami Changle (常乐). Ils vivent des moments exaltants dans la bohême d’artistes de la banlieue de Pékin, puis Zhang Zhaohui part aux Etats-Unis. Quand il revient, 14 ans plus tard, Quhong est devenue marchand d’art, et Changle un « maître du guoxue » qui anime des émissions à la télévision. Le guoxue (国学), c’est l’étude de la culture nationale dans sa forme la plus traditionnelle, remise récemment au goût du jour. On sent tout de suite la satire féroce de la société chinoise actuelle. Inutile de dire que Zhaohui a du mal à s’y retrouver…

 

 

Plusieurs recueils de nouvelles

 

C’est cependant plutôt dans le genre de la nouvelle, courte et moyenne, que Han Dong déploie son style au mieux. Il en a publié plusieurs recueils, dont quatre principaux publiés à partir de 2007 :

Dans le ciel à l’ouest 西天上

Mon Platon 我的柏拉图

Nos corps 我们的身体

Brillantes blessures 明亮的疤痕

 

La forme courte lui permet en effet d’être incisif à plaisir, mais aussi de réagir à l’occasion à l’actualité, comme dans « Brand New World » (《崭新世界》) écrite en 2010 pour le magazine GQ, et inspirée des suicides intervenus à l’usine Foxconn cette année-là.  La nouvelle dépeint les conditions de vie dans les dortoirs de l’usine, où les hommes qui travaillent de nuit dorment la journée, tandis que les femmes font l’inverse. Han Dong raconte la rencontre de deux jeunes

 

Dans le ciel à l’ouest (édition 2007)

employés dans ces conditions, la jeune fille finissant par se suicider. Le titre renvoie à Aldous Huxley, et la nouvelle, bien que d’un ton sombre, conserve des touches d’humour ; l’épisode final est traité de manière surréaliste, comme celui du roman « La métamorphose d’un jeune instruit » écrit à peu près au même moment.  

 

Nos corps (édition janvier 1996)

 

On ne peut pas dresser un tableau général du style de Han Dong dans ses nouvelles. Elles sont toutes différentes, et, même si l’on retrouve des caractéristiques communes, la concision du trait, comme dans ses poésies, ainsi que l’ironie et l’humour en particulier, elles ont chacune un ton spécifique en lien avec l’histoire contée. Ce sont des peintures du quotidien, mais avec des nuances.

 

Une nouvelle comme « L’étrange histoire de Hua Hua » (《花花传奇》), par exemple, l’une des neuf nouvelles du recueil « Mon Platon », décrit la vie d’une famille qui tourne autour d’un chat incontinent et agoraphobe. Le récit frise le macabre et le surréel. Première des neufs nouvelles du recueil « Nos corps », « Gu Jieming, a Life » (《古杰明传》) est, elle, l’histoire d’un personnage qui est un héros pour lui-même, décrit par un narrateur qui est un anti-héros ; c’est une satire acerbe de la « société harmonieuse », avec un

côté obscur dans le processus narratif qui rend le récit original…

 

Ce ne sont que des exemples. Il faudrait accorder aux nouvelles de Han Dong autant d’attention qu’à ses romans, et les traduire. Elles font ressortir l’importance primordiale du style dans la définition de cet auteur, le style comme marque indélébile de son être, et, partant, de son écriture.

 

Réalisateur

 

Fin 2015, le studio Emei (峨嵋电影制片厂) de Chengdu a annoncé avoir signé un accord avec Han Dong pour la production en 2016 de son premier film, « A Night on the Wharf » (《在码头》), adapté de son zhongpian du même nom écrit en 1998.

 

Produit par Jia Zhangke, le film est sorti en octobre 2017 au festival de Busan, dans la section « New Currents », mais il a reçu un accueil critique mitigé, de même qu’à la Cinémathèque de Paris où il a été programmé le

 

Mon Platon (édition octobre 2000)

19 décembre 2019. Histoire satirique d’une bande de malfrats qui s’en prennent à des poètes pour une obscure raison, la novella était difficile à adapter [8].  

 

Bande annonce

 


 

Traductions en anglais 

 

Poèmes traduits par Maghiel van Crevel :

A Phone Call from Dalian: Collected Poems, Zephyr Press 2012.

 

Roman et nouvelles traduits par Nicky Harman :

- Banished! A Novel, University of Hawai Press, 2008.

- The Moron is Dead, in Shi Cheng, Short Stories from Urban China, ed. Liu Ding, Carol Yinghua and Ra Page, Comma Press, April 2012 (nouvelle initialement publiée dans un recueil publié aux Editions du peuple de Shanghai en 2008)

- A Tabby-cat’s Tale, Frisch & Co, août 2014.

- One Night on the Wharf 《在码头》, in Perspectives in the Arts & Humanities Asia [9], Special Double Issue « Nanjing Literature and Arts », vol. 11, 2021, pp. 217-261.

 


 

A lire et écouter en complément

 

La nouvelle “Brand New World” 《崭新世》 traduite en anglais par Helen Wang et Nicky Harman :

 http://paper-republic.org/helenwang/han-dong-brand-new-world-short-story/

 

La nouvelle “Gu Jieming – a Life” 古杰明传 traduite en anglais par Nicky Harman

http://media.paper-republic.org/files/12/06/Han_Dong-Gu_Jieming-A_Life-extract.pdf

 

La nouvelle “Deer Park” traduite en anglais par Nicky Harman et lue par Steve Wasserman

http://readmesomethingyoulove.com/podcasts/DeerPark.mp3

 


 

[1] Voir l'analyse intertextuelle de divers poèmes ultérieurs sur le même thème : Chinese Poetry in Times of Mind, Mayhem and Money, Maghiel van Crevel, Brill 2008, chapitre 2, pp 67 sq.

[2] Tamen a été relancé en août 2002 sous forme de magazine numérique sur internet : www.tamen.net. Les ressources du site sont maintenant archivées à l’université de Leiden :  

http://leiden.dachs-archive.org/poetry/tamen.html

[3] Duanlie, ou fracture, est par ailleurs un concept global utilisé par les sociologues pour caractériser la société chinoise des années 1990.

[4] Cité dans : Consuming Literature : Best Sellers and the Commercialization of Literary Production in Contemporary China, Shuyu Kong, Stanford University Press, 2005, chapitre 1, pp 34&sq.

[5] Il a tenu jusqu’en 2016 un blog où l’on trouve essais et poèmes : https://blog.sina.com.cn/u/1340426274

[6] Articles  du Nanfang Zhoumo 2009-2013 : http://www.infzm.com/author/%E9%9F%A9%E4%B8%9C

[8] Voir la critique de Patrick Fraser au festival de Busan :

https://variety.com/2017/film/asia/china-han-dong-dark-humor-in-wharf-1202590303/

[9] Revue de la School of Humanities de l’université Ateneo de Manila.

 

     

 

 

 

 

     

 

 

 

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