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Dung Kai-cheung
董啟章/董启章
Présentation
par Brigitte Duzan, 6 juillet 2016
Journaliste, dramaturge,
essayiste et critique littéraire, mais surtout
romancier,
Dung Kai-cheung est l’une des figures marquantes de
la littérature contemporaine de Hong Kong. Depuis le
début des années 1990, il a créé un espace
imaginaire original, nourri de ses études en
littérature comparée, qui est comme un écho de Hong
Kong perçu à travers l’histoire littéraire, une
image en miroir de la ville recréée par la fiction,
en jouant subtilement de la relation dialectique
éminemment fuyante entre celle-ci et la réalité.
Cartographie imaginaire
Biographie essentielle
Né à Hong Kong en 1967,
Dung
Kai-cheung est
diplômé de littérature comparée de l’Université de
Hong Kong où il est chargé de cours. Il a commencé à
publier des nouvelles au |
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Dung Kai-cheung |
début des années 1990, mais il est aussi critique littéraire
et écrit régulièrement dans divers journaux ; en 1994, il a
fondé à Hong Kong le journal Cultural Criticism (文化评论).
Mais c’est pour son œuvre de fiction qu’il est célèbre, tant à
Taiwan qu’à Hong Kong, tandis qu’il continue à être ignoré en
Chine continentale. Il a été élu écrivain de l’année à la Foire
du livre de Hong Kong en 2014.
1992: Cecilia
Ce qui frappe, chez Dung Kai-cheung, c’est l’extrême cohérence
de sa démarche : partant de ses études littéraires, il déroule
une réflexion traduite en thèmes allégoriques qui sous-tendent
ses récits. Sa première nouvelle, « Cecilia » (《西西利亞》),
publiée en 1992
,
annonce déjà bien des thèmes de ses œuvres ultérieures.
Insensible à l’amour secret que lui porte une collègue, un jeune
employé de bureau tombe amoureux d’un mannequin en plastique
manchot exposé dans la vitrine d’un magasin de vêtements. Il lui
envoie des lettres d’amour qu’il confie à une vendeuse, et la
vendeuse lui répond au nom du mannequin. Une relation affective
très originale se développe ainsi entre les trois personnages.
L’histoire se termine sur la faillite du magasin, mais
l’histoire de Cecilia n’a pas de raison de s’arrêter là…
On trouve dès ce premier récit des thèmes fondés sur des
oppositions binaires qui seront repris et développés par la
suite : création et invention, désir et réalité etc… Mais le
personnage même de Cécilia annonce aussi toute une lignée
d’"objets féminins", comme Xuxu (栩栩)
et Beibei (贝贝),
avec des relations bizarres entre humains et objets, dont le
fétichisme. Certains critiques ont vu dans le passé colonial de
Hong Kong la source d’un réseau d’échanges matériels qui
brouillent la distinction entre objets et êtres humains ; les
objets suscitent des émotions et sont une source créative, de
même que la réalité extérieure pour le poète.
1994: Androgyny et The Young Shen Nong
Androgyny |
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Suivent deux nouvelles publiées en 1994 à Taiwan,
aux éditions Unitas (联合文学出版社)
: la nouvelle moyenne « Androgyny » (《安卓珍尼》)
et la nouvelle courte « The Young Shen Nong »
(《少年神农》),
chacune primée dans sa catégorie par l’Association
littéraire Unitas
.
Dans « Androgyny », Dung Kai-cheung traite de la
dialectique du désir homosexuel à travers le récit
d’une narratrice androgyne, thème qu’il reprendra
dans le roman de 1997 « The Double Body » (《双身》).
C’est un thème dans l’air du temps à Hong Kong, mais
c’est aussi un thème fondamental dans l’œuvre de
Dung Kai-cheung, que l’on retrouve sous une forme ou
une autre dans ses romans postérieurs. Il recouvre
l’idée d’explorer comment le désir se rattache à la
culture et à la nature, et à leurs multiples
orientations. |
Les aventures transsexuelles d’une femme sont
contées en parallèle avec la recherche d’un lézard
androgyne qui, dans le cours de l’évolution, a
réussi à se libérer de la domination du mâle. Dans
le récit, l’image de l’androgynie est donc double,
et la limite entre nature et culture évolutive, de
même que les concepts binaires usuels,
sombre/lumineux, vrai/faux, mâle/femelle etc… sont
en interaction plutôt qu’en opposition.
Le sous-titre du récit, « Histoire de l’évolution
d’une espèce non-existante » (《一个不存在的物种的进化史》),
le rattache directement au grand roman de la
maturité de Dung Kar-cheung, « L’origine des
espèces » (《物种原始》),
en brouillant dès l’abord les frontières usuelles
entre existant et non existant.
Quant à
« The Young Shen Nong », on peut dire que c’est un
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Double Body |
autre texte
fondamental des débuts de Dung Kai-cheung : une subversion
des conventions narratives propres à la légende. Le récit
est en deux parties : à la recréation de Shennong comme
divinité légendaire de l’agriculture chinoise fait écho dans
la seconde partieson image en miroir dans la réalité
d’aujourd’hui. C’est la confrontation avec le réel qui fait
ressortir le caractère fictif de la pseudo-réalité du passé.
Mais c’est l’originalité de l’écriture qui est le facteur
subversif essentiel, dès l’introduction du récit
.
1995-97 : l’histoire d’une Hong Kong imaginaire
Dans la seconde moitié des années 1990, Dung Kar-cheung étend sa
méthode au discours sur l’histoire. A la veille de la
rétrocession, dont la perspective plonge la colonie britannique
dans l’effroi, plusieurs de ses textes revisitent l’histoire de
Hong Kong, et de ses rues en particulier.
The Atlas |
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Le premier, en 1995, est « The Rise and Fall of
Wing Shing Street » (《永盛街兴衰史》)
qui retrace l’histoire d’une rue fictive, mais plus
vraie que nature.
Mais le chef-d’œuvre de la période est l’« Atlas,
archéologie d’une ville imaginaire » (《地图集》),
métafiction sur la ville de Victoria (cœur
historique de Hong Kong), amalgamant faux et vrai,
texte et images, anecdotes et histoire, le tout en
51 textes brefs, subtilement organisés en quatre
sections, avec des narrateurs multiples, parfois
même dans un même texte.
Les deux parties historiques centrales sont situées
dans un 21ème siècle où la ville de
Victoria a disparu – le narrateur tente donc d’en
assembler les morceaux d’archives et documents épars
pour reconstituer une carte et retracer |
l’évolution de la ville pendant les 156 ans de colonie
britannique, de 1841 à 1997 :
1) Théorie
est une série de brèves sous-sections comme autant de
méditations aussi fantaisistes que théoriques sur le rapport
entre la carte et la réalité qu’elle prétend rendre ;
2) La
Ville
tente de donner une base historique à la mémoire, mais la ville
reste de l’ordre du mirage et son histoire affaire
d’imagination ;
3) Rues
reprend le problème de l’identité historique de la ville en
proposant une série d’anecdotes entre étrange et fiction, sur
certaines rues ;
4) et
dans Signes, l’approche poétique (au sens
d’invention de l’Encyclopédie) est abandonnée au profit de la
critique culturelle du présent, et même au-delà si l’on
considère la date de publication du livre.
Le roman est clairement une poursuite de la réflexion menée par
Calvino dans « Cités invisibles », sur les cartes comme outil de
contrôle politique au service de l’empereur, donc symboles de
pouvoir. Ce n’est pas pour rien que « Atlas » a été écrit juste
avant la date fatidique de la rétrocession de Hong Kong à la
Chine, et publié cette même année. Si la première partie du
titre suggère un ouvrage glorifiant la mémoire collective, la
seconde partie est plus complexe : comment peut-on parler
d’archéologie d’une cité imaginaire ? et pourquoi ? C’est bien
tout le problème.
En fait, les textes ne sont pas classés par ordre chronologique,
mais dans une discontinuité typique du concept d’hétérotopie de
Foucault : chez ce dernier, entre utopies et hétérotopies, il y
a le miroir ; dans « Atlas », entre l’utopie qui est Dieu et
l’hétérotopie qui est du domaine de l’homme, il y a le miroir
qui est la carte. Mais pour bien comprendre, a expliqué Dun
Kai-cheung lui-même, dans une postface à son roman, il faut
concevoir la carte hors de toute fonctionnalité : la carte n’est
jamais un simple outil. Elle est « la matérialité du pouvoir
dans l’espace »; en fait, c’est une pratique de construction
historique, à analyser comme telle
.
Il donne un exemple : la frontière entre Kowloon et
les Nouveaux Territoires est d’abord apparue sur la
carte, donc le monde réel a changé en accord avec
elle. Cette fois-ci, Dun Kai-cheung se fait l’écho
de l’idée de Borges dans son
Histoire universelle de l’infamie :
ce n’est pas le territoire qui précède la carte,
c’est la carte qui précède le territoire
.
En même temps, on a une idée de la richesse des
références littéraires du texte. Et il s’agit d’un
caractère récurrent dans l’œuvre de Dun Kai-cheung
que l’on retrouve démultiplié dans ses œuvres
suivantes.
1998 : The Catalog
La fin des années 1990 est prolifique. Dun
Kai-cheung publie d’abord «
The Same Generation»
(《同代人》),
premier volet d’une trilogie d’essais sur la vie à
Hong Kong que l’on pourrait traduire par « Mes
contemporains » ; il sera suivi dix ans plus tard,
en 2009, de « To The Same Generation» (《致同代人》)
et, en janvier 2012, d’un troisième volet : « In
Answerto The Same Generation» (《答同代人》). |
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The Catalog (ed. 1999) |
La tétralogie |
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Mais le plus intéressant de la période est le roman
publié en 1999 : « The Catalog »
ou Mèng Huà Lù (《梦华录》)
qui sera réédité après révision en juin 2011, et qui
est en fait le second volet de « la série de la
ville V » (V城系列)
dont « The Atlas » est le premier volet. De manière
symbolique, il est composé de 99 textes courts,
comme des propos de fin de dîner, ou des brèves de
comptoir ; à la suite de l’« Atlas », il couvre en
effet la période 1998-1999, c’est-à-dire un an après
la rétrocession, et décrit une ville de Hong Kong à
laquelle est promis le statu-quo pendant cinquante
ans, donc une ville sur laquelle pèse un avenir
incertain.
Fidèle à lui-même, Dung Kai-cheung a choisi un titre
chargé de références littéraires qui soulignent son
propos. Il signifie |
« chronique d’un rêve de splendeur », et évoque le
célèbre ouvrage de Meng Yuanlao (孟元老)
intitulé « Chronique du rêve de Hua dans la capitale
de l’Est » (《东京梦华录》)
où la capitale de l’Est est Kaifeng (开封),
capitale de l’empire chinois au temps des Song du
Nord, et Hua (qui signifie aussi splendide) est ici
un raccourci pour Hua Xu (华胥之国),
le pays d’harmonie et de joie parfaite vu en rêve
par Huangdi, l’Empereur Jaune
.
La préface de Meng Yuanlao est datée de 1147, alors
que l’auteur résidait à Lin’an après avoir été
chassé de chez lui, à Kaifeng, par les hordes des
Jürchen. Son ouvrage est donc une description
nostalgique d’une ville de rêve, dont il décrit la
vie, les festivals, les coutumes, tout ce dont il se
souvient et qui n’est plus, avec une forte
« conscience des ruines » (废墟意识)
que l’on retrouve chez Dung Kai-cheung. |
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Les illustrations de Li Zhihai |
Brief History of the Silverfish |
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Derrière sa Hong Kong du
Mèng Huà Lù se
profile en effet la capitale des Song investie par
les barbares, et la menace d’un destin similaire
pour l’ancienne colonie britannique. Une ville aux
contours flous, à inventer (l’atlas) et réinventer
(le catalogue) constamment, en revisitant son
histoire. On reste dans le concept d’archéologie, et
d’hétérotopies, de Foucault.
Autre caractéristique, enfin, le roman est illustré
de 33 planches de dessins du dessinateur de
manhua Li Zhihai (李智海),
grand illustrateur de la littérature de Hong Kong.
On pourrait traduire Album plutôt que Catalogue,
mais c’est le choix de l’auteur. C’est une autre
analogie avec les classiques de référence.
Ces deux opus ont été complétés par deux ouvrages
supplémentaires qui forment une véritable
tétralogie. |
Années 2000 : histoire naturelle
Au tournant du siècle, Dung Kai-cheung élargit son
propos, mais en partant toujours de l’histoire de
Hong Kong. Les années 2000 sont marquées par la « Trilogie
de l’histoire naturelle » (“自然史三部曲”)
qui reste une histoire de création, mais celle d’une
humanité qui a évolué en se dégageant de la nature,
ou plutôt en l’« humanisant ».
2005 : histoire de Xuxu
Le titre du premier voletest traduit « Works
and Creation : Vivid and Lifelike»
(《天工开物.栩栩如真》),
mais c’est encore un jeu de caractères. La première
partie est une référence à un ouvrage célèbre du
savant et encyclopédiste de la fin des Ming, Song
Yingxing (宋应星) :
« L’exploitation des œuvres de la nature » ou
Tiangong Kaiwu (《天工开物》),
daté de 1637. Song Yingxing avait raté les examens
impériaux, mais son encyclopédie est une référence;
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Tokyo, la Mer de la fertilité et
Okutama |
Joseph Needham l’a appelé « Le Diderot chinois » ; la
référence à l’Encyclopédie est ici indirecte.
Le Tiangong Kaiwu
(une planche illustrant un système
d’irrigation) |
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Quant à la seconde partie du titre, elle signifie
aussi « portrait véridique de Xuxu » et annonce le
contenu du roman : une saga familiale – et la vie de
la jeune Xuxu - contant la prospérité de Hong Kong,
sa création d’abord, sa préservation ensuite. Mais
c’est une création par domination de la nature,
comme l’implique la référence à Song Yingxing, qui
est d’autant plus nette que le roman commence avec
le grand-père de Xuxu, qui possédait une copie du
Tiangong Kaiwu.
Cette domination de la nature est illustrée à
travers treize objets choisis comme symboles de
l’interaction de l’homme avec son environnement
matériel (radio, télégraphe, téléphone, machine à
coudre, télévision, machine à écrire etc…). |
On ne peut éviter de penser aux « Mythologies » de Barthes.
Cependant, si histoire familiale il y a, le style narratif n’en
est ni simple ni linéaire. Il y a une double voix narrative, un
narrateur Hei, ou Noir (黑)
et le Dictateur (独裁者)
qui écrit la préface du roman, qu’il attribue à Hei….
2007 : histoires du temps
Le second volet de la trilogie, « Histories
of Time : the Lustre of Mute Porcelain»
(《时间繁史‧哑瓷之光》),
a un titre composé de manière semblable que le volet
précédent. La première partie est une référence à
l’ouvrage de Stephen Hawkins « A Brief History of
Time : from the Big Bang to Black Holes ». La
différence étant que, chez Dung Kai-cheung, la
perspective n’étant pas la même, le temps n’est ni
bref ni unique : il y a une multiplicité
d’histoires.
La seconde partie du titre annonce l’histoire, avec
ici aussi un jeu sur les caractères : la
« porcelaine muette » est en fait une femme appelée
ainsi, Yaci (哑瓷) :
elle est l’épouse du Dictateur devenu le personnage
principal, qui rencontre une vendeuse avec laquelle
il se lance dans une correspondance sur les origines
de l’univers. On retrouve ici un personnage de
vendeuse épistolière qui rappelle celle de la
première nouvelle de Dung Kai-cheung, « Cecilia »,
ce qui renforce le caractère de création totale de
son œuvre. |
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Histories of Time |
Le malheureux dictateur est atteint de paralysie, et, retiré à
la campagne, ne perçoit le temps (ou l’espace-temps) qu’à
travers les trois femmes autour de lui : son épouse, la vendeuse
et une étudiante sino-britannique nommée Virginia venue lui
rendre visite. La ville de V ayant été inondée, ils
écrivent/inventent des histoires du futur, un futur qui comporte
une femme au cœur artificiel nommé Virginia qui rappelle,
encore, le mannequin Cecilia….
2010 : l’origine des espèces
Le troisième volet de la trilogie, « The Origin of Species :
Beibei is reborn » (《物種原始 :贝贝重生》),
fait cette fois-ci référence à « L’origine des espèces » de
Darwin, mais à travers les critiques de Thomas Huxley. C’est
certainement le texte le plus complexe de Dung Kai-cheung, où il
a cependant tenté de revenir vers une narration plus concrète,
après les longs développements abscons de ses histoires de
temps.
Quant à Beibei, comme Xuxu, c’est un personnage féminin. Le
roman conte la vie d’une étudiante, Zhi (芝),
quisemble être la réincarnation de Beibei, après l’obtention de
son diplôme de fin d’études. Comme le Dictateur, Zhi appréhende
le monde à travers les personnages qu’elle rencontre, et qui
sont autant de facettes de sa propre personnalité : une
chanteuse avec laquelle elle partage un appartement, Zhong (中),
et l’homme dont elle tombe amoureuse, son homonyme Zhi (志)
dont le nom signifie idéal, cet idéal étant de servir la
société. Avec un quatrième personnage, ils militent pour la
défense des vieilles rues de Hong Kong. Mais, quand Zhong
s’avère être en fait un homme, le roman change de ton, et on
retrouve le thème de l’androgynie des débuts de Dung Kai-cheung.
Wilhelm Meisters Lehrjahre |
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Mais cette histoire n’est que le cadre du discours
principal qui est déroulé au long de douze
discussions d’un groupe de lectures dont font partie
les deux Zhi. Si « Histories of Time » était une
réflexion métaphorique sur la science, « Origin of
Species » est une analyse d’œuvres littéraires
fondamentales, ou posées comme telles par Dung
Kai-cheung : le Wilhelm Meister de |
Goethe, le Rabelais de Bakhtin, le Walden de Thoreau, les
poèmes de Pessoa, etc… ; il en propose une lecture nouvelle,
pour leur donner une nouvelle vie au contact de la réalité
moderne : la renaissance de Beibei est allégorique aussi en
ce sens.
Ce qui ressort comme modèle, cependant, c’est le Wilhelm
Meister, en tant que Bildungsroman (roman d’apprentissage)
emblématique. « Origin of Species » a pour sous-titre « Les
années d’apprentissage » ou Xuexi Niandai (《学习年代》)
qui est une traduction des Lehrjahre du titre complet de Goethe.
Dung Kai-cheung mêle habilement les douze discussions avec les
éléments de son intrigue, les thèmes des unes venant en
illustration symbolique des autres.
Mais, si le Wilhelm Meister se dégage du lot des
lectures discutées comme le modèle transcendant,
c’est aussi à deux autres niveaux symboliques :
d’une part pour la symbolique des personnages, y
compris l’ambiguïté sexuelle qui est l’un des thèmes
récurrents de Dung Kai-cheung et que l’on trouve
chez Zhong, à l’image de Mignon, mais d’autre part,
aussi, pour l’analogie de l’époque d’écriture du
roman de Goethe - période historique charnière de
l’histoire allemande comme de celle de Hong Kong,
entraînant une réflexion du même ordre.
C’est une réflexion qui se nourrit de la littérature
et de la pensée internationales, de Darwin à Hannah
Arendt en passant par Bakhtin ou Kenzaburō Ōe, comme
dans les grandes périodes d’ouverture en Chine, que
ce soit lors du mouvement du 4 mai ou lors de la
période d’ouverture, au début des années 1980. Dans
tous les cas, il s’agit de périodes historiques
charnières, sinon de rupture. Et c’est bien cela
dont il est question dans la Hong Kong des années
2000 et 2010.
Comme s’il n’arrivait pas à mettre un point final à
sa trilogie, en 2014, Dung Kai-cheung lui a ajouté
un texte qu’il a défini comme avant-propos et
postface :« Virtù » (《美德》「自然史三部曲前言后语」).
Années 2010 : l’aventure continue
Dung Kai-cheung poursuit son écriture en revisitant
sans cesse ses thèmes et axes de réflexion liés à
Hong Kong et son histoire, comme si, écrivant un
nouvel opus, il était constamment ramené à ce qu’il
a écrit auparavant, et poussé à en faire une
nouvelle exégèse. |
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Virtù
Visible Cities |
En 2012, il a publié « Visible Cities » (《繁胜录》)
qui est une autre réflexion, après l’« Atlas »,sur les
« Invisibles Cities » d’Italo Calvino. Le livre est suivi de
« Collections » (《博物志》).
Cœur
Dialogue littéraire entre le maigre
et le gras |
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En 2016, cependant, Dung Kai-cheung a publié deux
autres ouvrages majeurs à quelques mois
d’intervalle, l’un en janvier, l’autre en mai, où il
semble avoir opéré une ouverture dans sa thématique,
tout en restant fidèle à son modèle d’écriture
fondée sur des références littéraires.
En janvier, « Cœur »
(《心》)est
inspiré d’un roman de SōsekiNatsume (l’un des plus
grands romanciers japonais modernes). A travers deux
cas de maladies, « Cœur » explore deux époques, et
deux sortes d’angoisse qui leur sont liées.
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Dung Kai-cheung et Luo Yijun |
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En mai est paru ce que l’on pourrait traduire par
« Dialogue littéraire entre le maigre et le gras » (《肥瘦对写》),
C’est un recueil de vingt-six textes de profonde
réflexion sur « l’âme » de la littérature (文学心魂),
conçue comme un dialogue entre Dung Kai-cheung et
Luo Yijun (駱以軍),
écrivain de Hong Kong (le maigre) et écrivain de
Taiwan (le gras). L’opposition binaire du titre
renvoie au concept de yin et de yang souligné par la
couverture du livre, le maigre et le gras renvoyant
aussi à un concept bouddhiste.
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On peut faire confiance à Dun Kai-cheung pour ne pas s’éloigner
beaucoup des sujets fondamentaux qui lui sont chers, récurrents
sinon obsessifs. Pour le plus grand bien de la littérature.
Principales œuvres publiées
(Recueils de nouvelles et romans)
1994 Androgyny《安卓珍尼》
Le jeune Shennong《少年神》
1995 Xiaodong’s Schoolyard
《小冬校园》
(livre pour enfants)
1996 Atlas : The Archaeology of an Imaginary City
《地图集》
1997 The Double Body
《双身》
1997 The Rose of the Name
《名字的玫瑰》
(recueil de nouvelles)
1998 The Same Generation《同代人》suivi
de :
2009 To The Same Generation
《致同代人》
2012 In Answer To The Same Generation《答同代人》
1999 Catalog
《梦华录》
(réédité juin 2011)
2000 Beibei’s Literary Adventures
《贝贝的文字冒险》
2002 Brief History of the Silverfish
《衣鱼简史》
(recueil de sept nouvelles)
2004 Tokyo, la Mer de la fertilité* et Okutama
《东京.丰饶之海.奥多摩》
Notes de voyage.
*Tétralogie de Yukio Mishima dont le titre évoque une plaine sur
la lune, symbole du désert le plus absolu.
2005 Works and Creation: Vivid and Lifelike
《天工开物.栩栩如真》
2007 Histories of Time : the Lustre of Mute Porcelain
《时间繁史‧哑瓷之光》
(en deux tomes)
2010 The Age of Learning《学习年代》
Avril 2012 Visible Cities
《繁胜录》/
Collections
《博物志》
Avril 2014 Virtù《美德》──「自然史三部曲前言后语」
Janvier 2016 Cœur《心》
Avril 2016 Dialogue littéraire entre le maigre et le
gras
《肥瘦对写》
Traductions en anglais
Extraits de The Young Shennong, tr. By Ian Chapman,
Renditions, n°s 47&48, printemps/automne 1997, pp. 11-22
A lire en ligne :
https://www.cuhk.edu.hk/rct/pdf/e_outputs/b4748/v47&48p011.pdf
Atlas, translated by
Dung Kai-cheung,
Anders Hansson and Bonnie S. Mc Dougall,
Columbia University Press 2011/reed. August 2012 – Preface by
Dung Kai-cheung and
introduction by
Bonnie
S. Mc Dougall.
Traduction en français
- Cécilia, trad. Annie Curien in Annie
Curien ed., L’Horloge
et le dragon, Caractères, Paris 2006.
- Le Kaléidoscope, trad. Sebastian Veg in Annie
Curien ed., Alibi
2 : Dialogues littéraires franco-chinois, Vol. 2, La
Maison des sciences de l’homme, Paris 2010.
- Atlas : Archéologie d’une ville imaginaire (extraits),
trad. SebastianVeg, Revue
Critique, 2014/8, n°807-808
-
Sept extraits d’« Atlas, archéologie d’une ville imaginaire »,
trad.
Gwennaël Gaffric, Jentayu n° 4, juillet
2016.
("Utopie",
"Subtopie", "Transtopie", "Multitopie", "Unitopie",
extraits de la première partie, « Théorie » ;
"Plan de la ville de de Victoria, 1889" extrait de la seconde
partie, « La Ville » ; et "Sugar Street" extrait de la troisième
partie « Rues »)
Bibliographie
“Symptom of an Era”: Dung Kai-cheung’s Histories of Time, by
Carlos Rojas, Frontiers of Literary Studies in China, Vol. 10
Issue 1 2016, pp 133-149
http://booksandjournals.brillonline.com/content/journals/10.3868/s010-005-016-0008-9
Oxford Handbook of Modern Chinese Literatures, ed. Carlos Rojas
and Andrea Bachner, Oxford University Press 2016.
3.14 On Time: Anticipatory Nostalgia in Dung Kai-cheung’s
Fiction, by Carlos Rojas p. 847-865
A Hong Kong Miracle of a Different Kind: Dung Kai-cheung’s
writing, action and Xuexiniandai, by David Der-Wei Wang,
China Perspectives 1, 2011, pp. 80-85
A lire en ligne :
https://chinaperspectives.revues.org/5393?file=1
Voir la traduction en anglais du début du texte, par Ian
Chapman – références ci-dessous :
Le terme d’archéologie est ici à prendre au sens
méthodologique que lui a donné Foucault dans
« L’archéologie du savoir » qui redéfinit la lecture
structurelle de l’histoire en montrant que les
narrations continues ne sont que des procédés naïfs de
projeter notre propre conscience sur le passé.
La trilogie étant, selon David Der-Wei Wang, la forme
moderne la plus récente du « roman philosophique »
chinois. Mais celle de Dung Kai-cheung, par son fil
narratif, se rattache aussi à la grande saga familiale
du type « Torrents » (“激流三部曲”)
de
Ba Jin (巴金).
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