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Cheng Xiaoqing 程小青

1893-1976

Présentation

par Brigitte Duzan, 29 avril 2019

 

Auteur de romans policiers, et traducteur de romans policiers étrangers, Cheng Xiaoqing (程小青) est célèbre pour sa série de romans mettant en scène les enquêtes du détective Huo Sang (霍桑), considéré comme le Sherlock Holmes asiatique. Cheng Xiaoqing est donc l’équivalent chinois de Conan Doyle : le « Conan Doyle de l’Est » (“东方的柯南道尔”).

 

Il a été extrêmement populaire auprès des lecteurs chinois dans la première moitié du 20e siècle, mais longtemps dédaigné par les lettrés et les chercheurs, et finalement oublié. Ce n’est qu’au début des années 2000 qu’il a suscité un nouvel intérêt, y compris auprès d’universitaires américains, comme littérature vernaculaire de la période du 4 mai. En France, il reste inconnu : il n’y a aucune traduction de ses œuvres.

 

Cheng Xiaoqing

 

Du roman policier au roman d’aventure

 

Débuts difficiles

 

Cheng Xiaoqing jeune

 

Né en août 1893 à Shanghai dans une famille pauvre qui avait trois enfants dont il était l’aîné. Son père travaillait dans une boutique de tissus qui ferma ; il vendit alors des journaux pour nourrir la famille, mais il mourut en 1903 alors que Cheng Xiaoqing n’avait que dix ans. Sa mère était couturière et fit son possible pour qu’il puisse aller à l’école.  Mais il fut quand même obligé d’arrêter ses études à l’âge de quinze ans pour travailler afin de l’aider.

 

A l’âge de seize ans, il devient apprenti chez un horloger auquel il emprunte des livres. A ses heures de loisir, il lit les classiques chinois, achète de vieux livres et commence à écrire des nouvelles influencées par ses lectures, en particulier Edgar Allan Poe, Maupassant et Alexandre Dumas fils. Il publie sa première nouvelle en 1911 dans le Mensuel de la nouvelle (《小说月报》). Mais il prend aussi des cours du soir d’anglais.

 

C’est la lecture des « Aventures de Sherlock Holmes » de Conan Doyle publiées dans une revue de Shanghai qui le décide à écrire lui-même des romans policiers.

 

Son premier récit policier, « Une ombre dans la lumière du lampadaire » (《灯光人影》), paraît en 1914 dans le supplément « Merry Forest » (《快活林》) « du journal Xinwen bao (《新闻报》). C’est la première apparition du détective Huo Sang (霍桑) – ce qui est une erreur typographique, le nom ayant orthographié au départ Huo Sen (霍森). Cheng Xiaoqing gagne ensuite un concours littéraire avec cette nouvelle. Il créera par la suite soixante-quatorze romans avec Huo Sang ainsi que son fidèle assistant Bao Lang (包朗), inspiré de John Watson, l’assistant de Sherlock Holmes. 

 

En 1915, il va s’installer à Suzhou avec sa mère et le reste de la famille et devient professeur de langue Wu dont le berceau est à Suzhou, et l’un des dialectes dérivés est celui

 

La traduction de Sherlock Holmes

de Shanghai. L’un de ses collègues lui donne des leçons d’anglais. Il va bientôt pouvoir lire le journal et commencer à faire des traductions.

 

La revue « le nouveau détective », n° 4

 

La revue « le nouveau détective », septembre 1946 (67 p.)

 

En mars 1916, la Zhonghua Book Company (中华书局) de Shanghai l’invite, avec une équipe de douze personnes, pour traduire les œuvres complètes de Conan Doyle, douze volumes au total. L’ensemble est préfacé par Bao Tianxiao (包天笑) et Liu Bannong (刘半农), La collection, avec des notes détaillées, est très populaire. En 1927 est publiée une version révisée et complétée, par les éditions du Monde, toujours à Shanghai (上海世界版). A partir de 1953, cette traduction sera rééditée à Taiwan avec des modifications des termes spécifiques du dialecte de Shanghai.

 

Apogée à la fin des années 1950

 

 

L’anthologie de 1946 (les treize premiers volumes)

 

 

Ses romans le rendent célèbrent dans les années 1920, mais surtout pendant la décennie suivante. En 1946, il publie une collection qui contient pratiquement toutes les histoires de Huo Sang : « La collection de poche des enquêtes de Huo Sang » (《霍桑探案袖珍丛刊》). Elle est en trente volumes, ce qui donne une idée de la prolixité de l’auteur. En même temps, il devient rédacteur en chef de l’éphémère revue bimensuelle « The New Detective » (《新侦探》) : faute de textes à publier, il est obligé de mettre la clef sous la porte et revient à l’enseignement des langues, dans un collège de Suzhou.

 

 

Deux romans de 1956 : L’affaire du village du grand arbre et Pourquoi a-t-elle été tuée ?

 

 

Après la fondation de la République populaire, dans les années 1950, il occupe des fonctions officielles. En 1956, il devient écrivain professionnel.et écrit des romans inspirés de faits divers lus dans les journaux : « L’affaire criminelle du village du grand arbre » (《大树村血案》) en janvier 1956 et « Entre la vie et la mort » (《生死关头》) en 1957. Ces romans sont tirés à 200 000 exemplaires.

 

Le film « L'affaire Xu Qiuying » (1958)

 

L’un des films célèbres sorti en août 1958, « L'affaire Xu Qiuying » (《徐秋影案件》), a été adapté de l’un de ses romans, par Yu Yanfu (于彦夫). C’est devenu un classique de la période. Mais l’écrivain est attaqué au moment du mouvement contre les droitiers et n’ose plus écrire.

 

En 1962, il fête ses 70 ans avec ses amis Zhou Shoujuan (周瘦鹃), Fan Yanqiao (范烟桥) et Jiang Yinqiu (蒋吟秋). Tous trois sont l’objet d’attaques au début de la Révolution culturelle. Fan Yanqiu en meurt en 1967. Zhou Shoujuan se suicide en août 1968 en se jetant dans un puits. Chen Xiaoqing en est très affecté. Il est placé en résidence surveillée de 1970 à 1971.

 

Il meurt en octobre 1976 d’une maladie de l’estomac à l’âge de 83 ans.

 

Le Conan Doyle chinois

 

Littérature : influences croisées

 

Cheng Xiaoqing est reconnu comme le grand maître de la littérature policière chinoise pour « Les enquêtes de Huo Sang » (《霍桑探案》) bien qu’il en ait écrit bien d’autres, comme « Le fantôme de la villa » (《别墅之怪》), qui ont été publiées dans diverses revues.

 

Dans le cadre d’un vaste mouvement de redécouverte et d’analyse des histoires de détectives dans la littérature chinoise moderne ces dix ou vingt dernières années [1],  les analogies des histoires de Huo Sang avec celles de Sherlock Holmes ont attiré un intérêt particulier : en effet, on a remarqué que les histoires de Conan Doyle reposent sur la supériorité du détective privé par rapport à la police et à ses enquêteurs, et ce tout particulièrement quand la situation est trop politiquement sensible pour permettre la révélation de tous les éléments d’un dossier, ou quand la discrétion s’impose pour éviter de

 

Un poème manuscrit

mettre en cause la réputation d’un individu ou d’une famille.

 

En ce sens, la morale victorienne a bien des analogies avec celle de la société chinoise. Ainsi, deux intrigues de la série des Huo Sang comme « Une chaussure » (一只鞋) ou « L’autre photographie » (《第二张照片》) impliquent la réputation d’une femme que le détective doit sauver. Mais d’autres histoires de Cheng Xiaoqing reflètent la situation politique du moment, et les luttes pour le pouvoir à Shanghai, et en Chine plus généralement.  

 

Rééditions récentes :

Trace de main ensanglantée 《血手印》

 

C’est là une grande différence avec Conan Doyle. Chez lui, Londres apparaît comme une toile de fond intemporelle, alors que, chez Cheng Xiaoqing, les histoires de Huo Sang et Bao Lang sont prétexte à réflexion sur la nature humaine et la rapidité des changement sociaux, ainsi que sur les clivages croissants entre riches et pauvres, ce qui est une constante dans ce genre littéraire en Chine aujourd’hui encore. Récemment, on a fait de Cheng Xiaoqing le « père de la littérature spéculative chinoise » (“中国推理小说之父) [2].

 

Les histoires de Huo Sang ont à leur tour influencé d’autres auteurs chinois, et en particulier le grand ami de Cheng Xiaoqing Sun Liaohong (孙了红) dont les aventures de Lu Ping (魯平) sont, elles, inspirées d’Arsène Lupin, la réponse française à Conan Doyle au début du 20e siècle. Toutes ces histoires ont été rééditées en Chine à partir de la fin des années 1980 après avoir disparu pendant près de trente ans.

  

Cinéma : le film policier

 

La popularité des nouvelles attire très tôt les cinéastes.

 

En 1926, « Le cœur de la mère » (《母之心》) est adapté par le scénariste Chen Zhiqing (陈趾青). Puis, à partir 1931, Cheng Xiaoqing lui-même devient scénariste pour les grands studios de Shanghai (Mingxing 明星, puis Guohua 国华 à partir de 1939).

 

On compte pas moins de vingt films réalisés d’après ses scénarios de 1931 à 1941, soit une moyenne de deux films par an, dont huit par Zhang Shichuan (张石川) et cinq par Zheng Zhengqiu (郑正秋) [3], deux grands réalisateurs de l’époque.  C’est une décennie de troubles et de guerre, c’est aussi la grande période des films dits « de gauche » qui ont mis fin à la grande vogue des films d’arts martiaux ou wuxiapian (武侠片) qui a marqué la fin des années 1920. En ce sens, ces films policiers ont remplacé les films d’arts martiaux, dont les plus célèbres sont les dix-huit épisodes de « L’incendie du temple du Lotus rouge » (《火烧红莲寺》), réalisés à partir de 1928 par… Zhang Shichuan et son vieux complice Zheng Zhengqiu, à la Mingxing [4] !

 

On redécouvre ce répertoire aujourd’hui. En 2017 a été achevé un film de Roy Chow (周显扬) intitulé « The Great Detective » (《大侦探霍桑》) qui est adapté des « Enquêtes de Huo Sang ». Le film est sorti en Chine le 25 janvier 2019 [5].

 

 

61 textes originaux (chinois) à lire en ligne : http://www.shuku.net:8082/novels/zhentan/chengxqwx/chengxqwx.html

 


 

Traductions en anglais

 

- “The Ghost in the Villa.” Tr. Timothy C. Wong. In Wong, Stories for Saturday: Twentieth Century Chinese Popular Fiction. Honolulu: University of Hawaii Press, 2003, 175-89.

 

- Sherlock in Shanghai: Stories of Crime and Detection by Cheng Xiaoqing. Tr. Timothy C. Wong. Honolulu: University of Hawaii Press, 2006.

Le recueil comporte huit nouvelles :  

-          The Shoe / Une chaussure 一只鞋

-          The Other Photograph / L’autre photographie 《第二张照片》

-          The Odd Tenant / L’étrange locataire 怪房客

-          The Examination Paper / La copie d’examen 《试卷》

-          On the Huangpu / Sur le Huangpu 《黄浦江中》

-          Cat’s Eye / L’oeil du chat猫儿眼

-          At the Ball / Au bal 《舞场中》

-          One Summer Night / Tragédie d’une nuit d’été   《夏夜的惨剧》

(Les deux dernières nouvelles sont sans Huo Sang, remplacé par un autre détective ; dans la dernière c’est un conteur).

 


 


[1] Voir en particulier, en anglais : Chinese Justice, the Fiction : Law and Literature in Modern China, de Jeffrey C. Kinkley, Stanford University Press, 2000.

[2] Voir l’article paru en juin 2016 dans la revue Un temps pour la spéculation 岁月推理 :

Première analyse de l’héritage de Cheng Xiaoqing, le « père de la littérature spéculative chinoise »

浅析中国推理小说之父程小青的贡献  

Article en chinois en ligne :  https://shulaquan.com/column/13137 

[3] Voir la liste chronologique avec les noms des réalisateurs et des studios (en chinois) à la fin de la présentation de l’auteur sur baidu :

https://baike.baidu.com/item/%E7%A8%8B%E5%B0%8F%E9%9D%92

[5] Voir chinese movies (à venir)

 

 

     

 

 

 

 

 

 

     

 

 

 

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