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Trois hommages

de Catherine Despeux, Michèle Zedde et Marie-Thérèse Lambert

22 novembre 2021

 

Note introductive

 

Une robe de papier pour Xue Tao

 

Les trois textes ci-dessous devaient initialement  figurer dans un « bouquet de traductions » qu’un groupe d’amis et d’élèves avaient prévu de dédier à Jacques Pimpaneau. Averti du projet, celui-ci refusa énergiquement toute idée d’hommage et obtint que la collection de traductions soit purgée de toute référence à sa personne et dédiée à la courtisane et poétesse d’époque Tang Xue Tao. Le livre parut donc sous le titre « Une robe de papier  pour Xue Tao ». Nous nous sentons aujourd’hui libres de partager les signes d’amitié que les auteurs avaient prévu de lui adresser dans le volume.

 

                                                 (Vincent Durand-Dastès)

          

 

 


 

Le clodo du dharma et ses compères

Catherine Despeux

 

À mon maître et ami

Jacques Pimpaneau

 

 

Ciel étoilé, clarté au cœur de la nuit,

Lampe solitaire sur la falaise ; la lune, là,

Sans être polie, brille, pleine, lumineuse,

Accrochée au ciel : tel est mon esprit.

 Hanshan

眾星羅列夜深明

巖點孤燈月未沉

圓滿光華不磨瑩      

掛在青天是我心

 

Je me souviens, les élèves de chinois de la rue de Lille étaient en effervescence. Le bruit courait qu’un nouveau prof allait arriver d’Angleterre, un jeune, dont on n’avait pas entendu parler ici. Il avait un nom que l’on n’avait pas bien compris, un certain Pim… et quelque chose. Très vite, il fut baptisé Pimpim.

 

Au premier cours, une bourrasque fit voler la poussière de cette vieille dame de la rue de Lille : les Langues’O. Un nouveau style d’enseignement qui décoiffait. Pas de temps à perdre ! Le TGV avant l’heure : tout d’abord, l’appel était vite fait, il fallait bien le faire, mais sans perdre de temps ; d’ailleurs, il n’y avait que Monsieur et Madame, pas de Mademoiselle, ce qui offusquait certaines jeunes filles!

 

On entrait ensuite dans le feu de l’action ! D’abord, une dictée à tous les cours et bien sûr, les zéros pleuvaient comme des grenouilles, seuls passaient le cap les travailleurs et les passionnés. Puis l’explication de textes commençait, cela nous changeait des petites histoires gentillettes et simplifiées auxquelles on était habitué, on avait droit à de vrais textes, avec toutes leurs difficultés, des nouvelles en langue classique (chuanqi 傳奇) des Tang. Autant vous dire que ces cours nous passionnaient et, sans Pimpim, je n’aurais sans doute pas poursuivi mes études de chinois jusqu’à en faire mon métier, comme c’est le cas de plusieurs autres de ses élèves.

 

Puis vint le temps où je me retrouvai Chargée de cours aux Langues’O qui, entretemps, s’étaient agrandies et louaient les locaux de l’université Paris-Dauphine pour les cours sur l’Extrême-Orient. Cette école avait aussi changé de nom et avait emprunté successivement ceux d’Enlov, Inlov, Inlco, avant d’adopter celui d’Inalco, « Institut National des Langues et Civilisations Orientales », encore en vigueur de nos jours ; cela fait plus sérieux, mais la vieille dame est restée Langues’O pour les intimes.

 

Porte Dauphine, dans les couloirs modernes de ce qui fut autrefois un bâtiment de l’Otan, je me retrouvai collègue de ce cher Pimpim, qui m’a fait une totale confiance, alors que je débutais avec hésitation et timidité ; il m’a aidée, comme il le faisait dans sa méthode d’enseignement, à trouver en moi les ressources pour faire face. On formait un drôle de trio avec le répétiteur Jin Daixi, un des meilleurs que les Langues’O aient jamais eu ! Nous faisions de la résistance, en pleine Révolution culturelle, et avions décidé de nous en tenir à la méthode De Francis, en caractères non simplifiés, s’il vous plaît ! Et le chinois classique était enseigné dès la deuxième année. Moi, plus timorée, il m’arrivait parfois d’enseigner le « Discours sur l’art et la littérature à Yan’an » et un ou deux autres textes de Mao, pour satisfaire les Maospontex [1], ces étudiants qui avaient trouvé dans le Grand Timonier une nouvelle idole.

 

Le musée Kwok On fut fondé par Jacques Pimpaneau en 1972. Peu après, en 1975, notre éminent professeur faisait paraître un très bel ouvrage intitulé Le Clodo du dharma. 25 poèmes de Han-shan, viiie siècle [2], présentant pour la première fois au public français cet excentrique moine du bouddhisme Chan/Zen, qui a séduit des générations de Chinois et aussi des Américains de la génération hippie, tel le père de la Beat génération Jack Kerouac, qui s’en est inspiré dans son roman Les clochards célestes. Lui est d’ailleurs dédiée une nouvelle édition du Clodo du dharma datant de 2012, accompagnée cette fois de magnifiques calligraphies de Li Kwok-wing 李國榮 [3]. Petit ouvrage superbe, sur un beau papier avec une belle mise en page de ces calligraphies, tantôt sur fond blanc, tantôt sur fond noir, inscrites dans un cercle ou sur un éventail, calligraphies cursives, en herbe, de sceaux, qui renvoient à la page de gauche, sur laquelle le lecteur trouvera les caractères chinois d’imprimerie avec à côté une traduction mot à mot et en dessous, une traduction littéraire du poème.

 

Le Clodo du Dharma,

25 poèmes de Han Shan, 2012

 

C’est en hommage à ce temps-là, des jeunes années enchantées et enchanteresses, en hommage à celui qui a su donner une place aux laissés pour compte et aux marginaux, qui a su déceler la lumière sous le boisseau et a préféré à la société des doctes savants celle des curieux et des humanistes, qui s’est dévoué corps et âme pour ses élèves et pour faire connaître un art dit populaire qui nous dit tant sur l’âme d’un peuple, celui des conteurs, bateleurs et hommes de théâtre, en hommage à Jacques Pimpaneau que je présente ici [4] les biographies de Hanshan 寒山, le « Clodo du dharma » et de quelques autres moines excentriques qui constituent un thème de prédilection dans le Chan, courant bouddhique qui aima manier le paradoxe et débusquer toutes les conventions qui ligotent l’individu et l’empêchent de trouver en lui l’amour infini.

 

 


 

Une fée-serpent du Poitou en pays Miao

Michèle Zedde

 

Cher Jacques Pimpaneau,

 

Il y a dix ans, j'ai raconté l'histoire de Mélusine, la fée serpent, dans le bourg de Danian, peuplé en majorité de populations Miao et Dong, au nord du Guangxi. Grâce à la complicité de Françoise Grenot-Wang, une de vos anciennes élèves, qui vivait sur place et œuvrait pour la scolarisation des petites filles Miao [5], le collège de Danian nous ouvrit ses portes pour jouer ce spectacle.

 

Pour l'occasion, le directeur du collège avait invité toutes les familles du bourg à venir y assister.

Accompagnée de deux musiciens, Olivier Palai et Gaël Macho, je racontais Mélusine en chinois à un public extrêmement attentif, dans la plus grande salle de classe, improvisée en salle de spectacle. A l'intérieur de la salle, le public se tenait serré et silencieux. Des familles n'ayant pas eu de place, restaient sagement à l'extérieur, derrière les fenêtres de la classe. Tout le monde était debout, et la plupart avait revêtu de beaux habits traditionnels de fêtes en notre honneur. Après le spectacle, nous fumes remerciés par un spectacle de danses et chants Miao et Dong suivis de quelques rasades d'alcool de riz, production locale offerte à tout hôte de passage qu'il eut été indécent de refuser de partager. La soirée se prolongea autour d'un dîner festif où nous avons beaucoup chanté,  les Miao et les Dong nous remerciaient en chantant des chants traditionnels et nous leur rendions la politesse en chantant de vieilles chansons françaises.

 

Les jours suivants, nous sommes allés de village en village en suivant des sentiers qui longeaient de magnifiques rizières en terrasses et  parfois traversaient des forêts de pins. Partout dans les villages, nous avons rencontré un accueil chaleureux, toujours joyeux.

 

Je n'aurais jamais eu le culot de jouer Mélusine chez les Miao si je n'avais pas appris l’art des marionnettes chinoises grâce à vous, Jacques Pimpaneau. En effet, du temps où vous étiez conservateur du musée Kwok-on à Paris et professeur de chinois à l'Inalco, vous invitiez les étudiants à apprendre l'art des marionnettes à tige cantonaises. Je fus une de ces élèves, ravie de jouer avec mes camarades bien que me sentant parfois surveillée par les regards pas toujours approbateurs de quelque divinité indienne, ou masque moqueur derrière les vitrines. Je progressais toutefois grâce à mes camarades Vincent Durand-Dastès, Sabine Trébinjac, Frédérique Touboul à qui vous aviez enseignés la manipulation et qui continuaient de transmettre la pratique de cet art. Deux ans après, alors que je sortais de leur caisse les marionnettes et que nous discutions ensemble deux minutes, vous me proposez d’aller en Chine apprendre l'art des ombres chinoises, écrivez sur le champ une lettre d’introduction, et vous « m'envoyez » presque aussitôt suivre un stage à Xi’an, au sein de la troupe professionnelle de l'Institut des arts folkloriques. J'accepte l'idée et votre aide, bien que n'ayant pas la moindre connaissance de cet art, je n’avais même jamais vu de spectacle d’ombres à l’époque.

 

J’accepte donc et aveuglément pars en Chine munie de votre lettre d’introduction, parfaitement ignorante de cet art, mais confiante parce que c’était votre idée, et qu’une aide de « Jacques Pimpaneau » ne se refuse pas. Et là, à Xi’an, je dois dire que j'ai ressenti plusieurs chocs qui allaient nourrir durablement ma passion de la Chine et surtout des Chinois. Je découvre l'art des ombres chinoises, les « vraies », finement découpées, en cuir de bovidé, comme c'est la tradition à Xi’an. Deux montreurs d'ombre se relaient pour m'enseigner la manipulation, du matin au soir pendant deux mois à raison de six jours par semaine. Sans vous, je n'aurais jamais connu cette expérience extraordinaire et si enrichissante.

 

De retour en France, je monte des petits spectacles d'ombres avec Sabine Trébinjac et Vincent Durand-Dastès, puis suis engagée par le Théâtre du petit miroir créé par Jean-Luc Penso qui avait appris l'art des marionnettes à gaine avec Li Tien-Lu [6] à Taiwan... grâce à qui ? Grace à vous également. Tiens tiens… Après de belles tournées de spectacles en France et à l'étranger, je quitte le Petit miroir et m'intéresse à l'art du conte, sans marionnettes cette fois-ci. Le conte, sobre et sans artifice. Je ne sais pas si le parcours est cohérent : passer de la marionnette au conte, mais je prends conscience que la marionnette fut une étape capitale dans ma vie en me permettant d'aborder le conte. Ce sont les marionnettes chinoises qui me guidaient naturellement vers le répertoire si proche des opéras et des contes. Sans elles, je n'aurais pas eu envie de raconter un jour des histoires... jusqu'en Chine.

 

C'est pourtant la lecture d'une histoire « bien de chez nous », poitevine précisément, l'histoire de la fée Mélusine, qui provoqua en moi  le désir impérieux de la raconter en Chine. Les destins ô combien ressemblant de Mélusine et de « sa sœur chinoise » Serpent Blanc me sautaient aux yeux : toutes deux sont des esprits-serpents qui ont pris l'apparence de femmes ravissantes. Toutes deux vivent un parfait amour avec un mortel ignorant tout du passé de sa femme. Jusqu'au jour où un troisième protagoniste finira par convaincre le mari de la nature démoniaque de son épouse. L'union contre-nature n'est acceptée dans aucune des deux histoires qui se terminent par la séparation inévitable et dramatique du couple. Mais dans les deux histoires, c'est bien le destin tragique de la serpente amoureuse qui émeut le public.

 

J’eus envie de raconter cette histoire aux thèmes si semblables au fin fond d'une montagne peuplée d'une population attachante qui perpétue encore la tradition des veillées contées.

 

Rien de tout cela n'aurait eu lieu si je n'avais pas eu la chance de jouer par hasard avec des marionnettes cantonaises de votre merveilleux musée Kwok-on.

 

Merci Jacques, infiniment !

 


 

Sur une idée de Li He (qui est mort sans le savoir)

Marie-Thérèse Lambert [7]

 

Poèmes de Li He,

 traduction M.T. Lambert

 

Adossé à sa chaire, il fume une clope

(c'est son côté Clodo du Dharma)

Puis déploie la magnifique roue de son soleil.

Ebloui, son public mi fan mi étudiant s'écrie: "C'est bien un Immortel !"

Il parle, narre, joue, mime et l'on boit ses paroles, l'on copie ses mimiques avec un enthousiasme potache.

Sortis de l'amphi, sommes-nous cerfs, poissons, à suivre sans cesse son sillage ?

Lui, bienveillant à nos timides débuts de thésards, de montreurs de marionnettes, de traducteurs laborieux, de danseurs de l'ombre, de gauches calligraphes...nous applaudit, nous encourage, prédit la floraison des pêches immortelles.

En caban et en tongs, dans un coin, pénard, un livre à la main, une chatte ronronnante sous l'autre, il est le centre de notre gravité épanouie, tout le cœur de notre vie.

Merci Jacques !

 

 

 


[1] Courant politique à la charnière du maoïsme et du courant libertaire qui se développa dans les années 1970. Le terme est un néologisme dérive de « maoïste » et « spontanéiste »

[2] Publié en 1975 à Paris par le Centre de publications de l’Asie orientale.

[3] Parue en 2012 aux éditions You Feng, Paris.

[4] Pour rappeler que le texte devait figurer en introduction de la traduction figurant dans « Une robe pour Xue Tao ».

[5] Françoise Grenot-Wang, décédée en 2008 fut la responsable en Chine de l'association Couleurs de Chine qu'elle avait créée pour venir en aide à des filles non scolarisées dans la région des Grandes montagnes Miao (Da Miao Shan) à l'extrême nord de la province du Guangxi

[6]  Li Tien-Lu est encore considéré comme le plus grand maître de marionnettes à Taiwan. Il est décédé en 1998.

[7] Traductrice de Li He, Poèmes, préfacé et annoté par Guy Degen, Gallimard, coll. Connaissance de l’Orient, série chinoise, 2007, 224 p. Traduction que Jacques Pimpaneau l’avait encouragée à entreprendre et publier alors qu’elle pensait ne traduire que quelques poèmes.

Bien avant cela, il l’avait aidée à publier un recueil de seize poèmes de Li Shangyin (李商隐 812-858), autre poète de la période Tang injustement méconnu, dit « le poète de la délectation morose » ; il n’apparaît même pas dans la célèbre « Anthologie des trois cents poèmes Tang » compilée en 1763 par Sun Zhu (孫誅) et pendant longtemps source des anthologies publiées par de nombreux traducteurs occidentaux – pas plus que n’y apparaît Li He. Le Li Shangyin de Marie-Thérèse Lambert portait en couverture le nom du poète calligraphié de la main du grand peintre et calligraphhe Zao Wouki.
Li Shang Yin, seize Poèmes, éd. Brandes/Thierry Bouchard, coll. Versant Est, 1979, 32 p.

 

Seize poèmes de Li Shangyin,

calligraphie de Zao Wouki

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

     

 

 

 

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