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Les épidémies dans
l’histoire chinoise (I)
Première grande
épidémie : 3000 ans avant notre ère
par Brigitte Duzan, 8 avril 2020
Les épidémies (liúxíng
bìng
流行病)
ont constamment ravagé l’humanité et changé le cours de
l’histoire. Les premières sont apparues au début du néolithique.
Tant que la population mondiale n’était encore que de quelques
millions d’habitants répartis en îlots isolés, il existait peu
de danger de contagion. Mais, à partir de 10 000 ans avant notre
ère, la croissance démographique accompagnée de sédentarisation
a permis et favorisé les épidémies.
La première grande épidémie, connue grâce à l’archéologie, est
survenue dans le nord-est de la Chine, vers 3000 ans avant notre
ère ; si elle reste encore nimbée de mystère, elle commence à
livrer quelques clés qui sont autant de leçons pour les temps
présents.
Chantier archéologique
Le site préhistorique de Hamin Mangha (哈民忙哈)
où l’on a fait la découverte est situé en
Mongolie intérieure, dans la bannière Kezuozhong
(科左中旗),
à une vingtaine de kilomètres au sud-est du
bourg de Shebotu (舍伯吐镇),
au sud-est de la chaîne des Grands Xing’an (大兴安岭),
dans l’arrière-pays de la prairie de Horqin (科尔沁草原)
.
En mai 2010, un projet de reconstruction et
d’extension de la voie de chemin de fer
Tong / Liao -Huo / Linhe (通(辽)-霍(林河)) a
poussé à la création, par l’Institut
archéologique de Mongolie intérieure associé au
Centre |
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Le site de Hamin Mangha,
répartition des habitations
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de recherche archéologique à la frontière chinoise de
l’université de Jilin, d’une équipe archéologique
visant, dans un premier temps, à faire des recherches le
long de la voie ferrée. La première période, de mai à
septembre 2010, a été poursuivie en 2011 et les
excavations, menées par le professeur Sun Yonggang (孙永刚)
et ses collègues Zhao Zhijun (赵志军)
et Ji Ping
(吉平),
ont été faites sur plus de 3000 m2 sur une superficie
totale évaluée à près de 100 000 m2, ce qui correspond
pour l’époque à un groupement important de population,
peut-être un centre régional.
Localisation du site de Hamin
Mangha,
dans le district de Tongliao, à
l’est |
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Le site a dévoilé 43 maisons, six tombes et
diverses structures, le tout entouré d’un fossé.
C’est l’un des sites archéologiques les mieux
préservés du nord de la Chine. Les maisons sont
en partie enterrées, constituées d’une pièce
avec un foyer central et recouverte d’une
charpente en bois. Elles étaient disposées en
rangées et orientées sud-est. Les archéologues
ont découvert une masse d’objets divers, dont
des poteries, des pilons pour écraser des
graines et divers couteaux de pierre taillée,
des flèches et des objets de jade en lien avec
la culture de Hongshan qui |
était alors sur son déclin (红山文化)
;
c’était une population vivant essentiellement de
cueillette et de chasse.
Mais si le site est désormais célèbre, c’est pour la découverte
faite dans la maison F40 (第40号房址).
Découverte macabre
Les archéologues ont découvert la maison pleine
de près de cent squelettes – 97 exactement –
entassés les uns sur les autres. En observant
les ossements de plus près, ils se sont rendu
compte que les squelettes de la partie
nord-ouest étaient presque entiers, tandis que,
de ceux du côté est, il ne restait que les
crânes et quelques os des membres. Au sud, il y
avait une pile d’os en deux ou trois couches, et
au centre de la pièce, de nombreux squelettes
entiers éparpillés en désordre. La maison
semblait avoir été incendiée, |
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Hamin Mangha, structure d’une
habitation,
entrée sud-ouest et charpente effondrée |
délibérément ou accidentellement, car certains os
étaient carbonisés et déformés. Le toit en bois s’était
effondré sous l’action du feu, et les poutres étaient
tombées sur les squelettes en-dessous, ce qui en avait
abîmé certains.
Les ossements sur le sol de la
maison F40 |
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L’équipe de l’université de Jilin a procédé à
l’examen des os ; elle a montré que la moyenne
d’âge des morts était de 26,8 ans, la moitié
étant âgée de 19 à 35 ans. Le plus étonnant est
qu’ils n’ont trouvé aucuns restes d’enfants très
jeunes ni de vieillards, mais les morts sont des
deux sexes. Quoiqu’il en soit, le village a été
vidé de ses habitants les plus jeunes et les
plus solides, dont dépendait ses ressources et
sa survie. Il a été abandonné, et le restera
pendant des siècles. |
L’énigme reste entière mais une majorité des chercheurs a
tendance à considérer que la catastrophe a été provoquée par une
épidémie redoutable, si terrible que les habitants ne sont pas
parvenus à tenir le rythme des enterrements. Alors ils ont juste
entassé les corps dans la maison.
L’autre possibilité serait un empoisonnement
massif, mais rejoint la thèse de l’épidémie. Un
village non loin de Hamin Mangha a connu un
épisode semblable à quelque cinq cents ans de
distance : celui de
Miaozigou (庙子沟),
dans la bannière de l’aile droite de Qahar (察哈尔右翼前旗),
où l’on a retrouvé une fosse commune, suggérant
aussi une épidémie dramatique.
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Les crânes et os épars de la
partie est |
Recherches récentes
Les recherches ont continué sur le site, menées par les membres
de l’équipe de l’université de Jilin et de l’Institut
d’archéologie de Mongolie intérieure auxquels se sont joints des
archéologues de l’Université du peuple, à Pékin et de
l’Université normale d’Anyang.
Les conclusions d’une première étude, par les trois principaux
chercheurs sur le site, a été publiée en juillet 2016 dans le
journal d’archéologie Huaxia kaogu (华夏考古),
vol.
116 n°2 : « Etude des vestiges végétaux découverts sur le site
préhistorique de Hamin Mangha » (哈民忙哈史前聚落遗址出土植物遗存研究).
Les principales plantes trouvées sont, outre le millet, des
graines, des noix et des plantes sauvages.
Les conclusions d’une autre étude ont été publiées dans le
numéro de novembre 2016 du journal Acta Anthropologica Sinica (人类学学报),
étude intitulée « Etude des outils de pierre du site de Hamin
Mangha » (哈民忙哈遗址之石器工具)
et complémentaire de la précédente.
L’abstract du rapport de l’étude de terrain explique pourquoi
les archéologues ont concentré leurs études sur les outils de
pierre taillée trouvés sur le site ; leur méthode est aussi
intéressante que les conclusions qu’ils en ont tirée : en effet,
vu les exigences de préservation du site, il n’était ni
souhaitable ni possible de retirer des os de la maison ou même
d’y toucher, et leur mauvais état de conservation (dû au feu et
à l’effondrement du toit en particulier) rend de toute façon
l’étude difficile. C’est donc une approche indirecte qui a été
choisie.
哈民忙哈遗址以发现大量凌乱堆弃的人骨而闻名,了解当时生产方式、文化生态关系对于了解史前灾难的原因很有意义。通过石器工具组合的功能分析,可以较清晰地了解到,其石器组合缺乏真正的农耕工具,当时人们依赖的是一种以狩猎采集兼营农业的生产方式,强调植物根茎与坚果的利用。结合当时的文化背景与自然环境条件分析,则进一步了解到,哈民忙哈先民利用了一个从前很少利用的农业边缘环境,他们选择了一种与其经济基础不相宜的集中居住模式,这为史前灾难埋下了祸根。
Le site de Hamin Mangha est connu pour la grande quantité
d’ossements humains que l’on y a trouvés, entassés en désordre
et abandonnés.
Pour comprendre les raisons d’une telle catastrophe
préhistorique, il est nécessaire d’étudier le mode de production
et les relations culturelles à l’écologie des habitants. En
analysant les fonctions de l’outillage de pierre, on peut voir
qu’il manque des outils agricoles ; les habitants dépendaient
donc de la chasse et de la cueillette, et très peu des activités
agricoles, l’essentiel de leur production étant des racines et
des noix
.
Si l’on avance encore d’un pas dans l’analyse et que l’on
considère le contexte culturel de l’époque et les rapports de la
population avec son environnement naturel, on se rend compte que
les anciens habitants de Hamin Mangha avaient colonisé une zone
marginale, pauvre en ressources agricoles, et qu’ils avaient
choisi un mode d’habitat très concentré qui ne correspondait pas
à leur base économique. C’est là que sont les racines de la
catastrophe.
L’étude explique donc que la catastrophe provient de manière
caractéristique d’une inadéquation entre l’habitat et les
exigences d’un mode d’économie mixte qui nécessitait une
organisation sociale plus mobile. Ayant à disposition un
éventail limité de ressources alimentaires, la population a
exercé une énorme pression sur son environnement et a dû vouloir
utiliser des ressources de peu de valeur mais à haut risque (价值不高与高风险的资源)
qui se sont révélées nocives et ont provoqué l’épidémie fatale.
Une leçon universelle
Les études se poursuivent, mais on peut déjà affirmer que le cas
de Hamin Mangha constitue, a priori, un exemple-type
d’inadaptation à l’environnement. La tragédie peut aussi être
considérée comme une conséquence de l’effondrement de la culture
de Hongshan, qui a disparu très vite, et de manière inexpliquée,
vers l’an 3000, justement. Or, la culture intermédiaire
Xiaoheyan (小河沿文化)
qui lui succède pour quelque quatre cents ans est caractérisée
par un effondrement drastique de la population, et l’abandon de
ses lieux de vie et de rituels.
Cette période se trouve être celle d’un changement climatique
important, entraînant une tendance marquée à la sécheresse dans
ces régions. L’inadaptation initiale devenait dramatique dans
ces conditions, entraînant l’abandon des sites.
Cette histoire date de près de cinq mille ans, mais a beaucoup
de traits communs avec celle que nous vivons aujourd’hui. Le
réchauffement climatique ne fait que souligner et renforcer les
pressions exercées sur notre environnement naturel par un mode
de production qui conduit à la catastrophe, les épidémies en
étant un phénomène parmi d’autres.
C’est bien ce que prédisaient, au 3ème siècle avant
Jésus-Christ, les taoïstes du courant yin-et-yang quand ils
insistaient sur la nécessaire adéquation de la vie humaine avec
son environnement naturel, comme il est noté dans l’ouvrage
encyclopédique
« Les
Printemps et automnes de Lü Buwei » (Lüshi chunqiu
《吕氏春秋》).
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