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Les épidémies dans
l’histoire chinoise (III)
Wenchang Dijun,
dieu de la littérature… et des épidémies
par Brigitte Duzan, 18 juin 2020
Le taoïsme a pourvu de dieux toutes les
professions, civiles et militaires. Pour les
premiers, le principal patron est le Dieu de la
littérature
Wénchāng Dìjūn
(文昌帝君)
ou simplement Wéndì
(文帝),
l’Empereur de la littérature.
Wénchāng
désigne une constellation de six étoiles proche
de la Grande Ourse : quand elle brille, la
littérature est prospère, nous dit Henri Maspero.
Il est souvent représenté comme un vieux lettré
accompagné de deux assistants, et on fait appel
à lui quand on manque d’inspiration ou avant
d’aller passer un examen.
Si l’on trouve des légendes très différentes le
concernant, c’est qu’il a eu soixante-treize
incarnations depuis la dynastie des Zhou,
contées dans des ouvrages comme la « Biographie
du Dieu de la littérature » (Wéndì
Dìjūn
běnzhuàn
《文昌帝君本传》)
ou le « Livre des Transformations de l’Empereur
de la littérature » (Wéndì
huàshū
《文帝化书》).
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Wenchang Dijun,
statuette du début des Qing |
Et, au cours d’une de ses multiples existences, ce même Zhang
Yazi a également été divinité protégeant … des épidémies.
Protecteur de Shu et patron des lettrés
A l’origine protecteur du pays de Shu
Le temple du mont Qiqu |
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Selon Henri Maspero, il y aurait eu à l’origine
un très ancien culte d’une divinité locale du
Tonnerre parmi les populations « barbares » du
nord du Sichuan, le centre se trouvant dans la
localité de Zitong (梓潼)
dont le dieu a longtemps porté le nom (Zǐtóng
shén
梓潼神).
Toujours selon Maspero, encore quelques siècles
après l’ère chrétienne, il y avait là, sur le
mont Qiqu (七曲山),
un temple en planches où les gens allaient
chaque année faire des |
offrandes au dieu. Ce temple a été dûment reconstruit :
c’est le Grand Temple du mont Qiqu (七曲山大庙).
Selon la légende, le dieu serait apparu là sous la forme
d’un serpent pour effrayer la fille du duc Fujian de Qin
(秦苻坚)
envoyée au pays de Shu – le Sichuan - pour en épouser le
prince et préparer la conquête du pays. Le dieu avait
protégé le Shu en faisant écrouler la montagne sur la
princesse et sa suite.
Il existait un temple de ce dieu Zitong dans d’autre localités,
ainsi qu’à Chengdu ; détruit par un incendie, il fut reconstruit
en 194
.
Par la suite, lorsque la révolte d’An Lushan (安史之乱)
força l’empereur Tang Xuanzong (唐玄宗)
à fuir la capitale Chang’an en 756 pour chercher refuge au
Sichuan, quand il arriva à Chengdu, le dieu de Zitong lui
apparut en rêve et lui prédit que la dynastie survivrait ; quand
Tang Suzong (唐肃宗),
troisième fils de Xuanzong, monta sur le trône, le 12 août 756,
Xuanzong vit que la prédiction était juste, et il décerna au
dieu le titre de Premier Ministre ou Ministre de gauche (chéngxiàng
丞相).
Un siècle plus tard, en 881, une autre révolte, celle de Huang
Chao (黄巢起义),
obligeait à nouveau l’empereur – Tang Xizong (唐僖宗)
- à s’enfuir au Sichuan : il passa par le mont Qiqu, fit des
offrandes au dieu et lui décerna le titre de roi (Jìshùn Wáng
济顺王).
Sous les Song du Nord, Zhang Yazi apparut encore en l’an mille
sur les murailles de Chengdu pour protéger la ville et inspirer
à un soldat l’annonce que les troupes rebelles qui l’occupaient
allaient être vaincues par les armées de l’empereur, Song
Zhenzong (宋真宗).
Ce qui arriva effectivement à la date dite et valut à Zhang Yazi
d’être à nouveau distingué
.
Comment retrouve-t-on ensuite ce même dieu confondu avec la
constellation Wenchang et protecteur de la littérature ?
Devenu protecteur de la littérature
On ne sait trop comment s’est effectuée la transition. Selon une
légende, ce serait sous les Qin postérieurs (后秦),
du temps des Seize Royaumes (384-417), que le personnage nommé
Zhang Yazi (张亚子)
aurait été chargé par l’Empereur de Jade de tenir les registres
des titres des hommes, et de distinguer entre bons et mauvais
lettrés afin de donner récompenses et avancement aux premiers,
et éventuellement de punir les seconds s’ils le méritaient.
En fait, on peut supposer que les jeunes lettrés
qui allaient passer les examens impériaux se
plaçaient sous la protection des dieux locaux en
les priant de leur accorder la réussite jusqu’à
ce que, finalement, sous les Song du Sud, le
dieu de Zitong ait été reconnu comme étant plus
efficace que les autres.
Finalement, en 1316, sous la dynastie des Yuan,
tenant compte également des services rendus à
ses prédécesseurs, l’empereur Renzong (元仁宗)
éleva Zhang Yazi au rang d’Empereur
bienveillant de la constellation Wenchang,
chargé des traitements officiels ([辅元开化]文昌司禄宏仁帝君).
Depuis lors, il est représenté en habit de
mandarin, tenant le sceptre (rúyì
如意)
symbole de son autorité, et flanqué de deux
assistants : le vieillard à habit écarlate Zhuyi
(朱衣神),
protecteur des candidats mal préparés, et
Kuíxing (initialement
奎星,
devenu
魁星),
divinité associée à l’une des quatre étoiles
formant le chariot de la Grande Ourse.
C’est en fait Kuixing qui est plutôt le
protecteur des candidats aux examens impériaux,
mais en tant qu’acolyte de Wenchang. |
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Kuixing, bronze de la fin des
Ming |
Chinese Mythology, Anthony
Christie |
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Selon la tradition taoïste, il était laid et
difforme, tordu comme le caractère de son nom ;
il est donc représenté avec un visage hideux,
souvent torse nu, debout sur la jambe droite,
jambe gauche levée en arrière, brandissant un
pinceau au-dessus de sa tête de la main droite
et un sceau officiel de la main gauche. C’est en
fait un avatar de Zhong Kui (钟馗)
:
ayant réussi le dernier niveau des examens
impériaux, il était tellement laid que
l’empereur refusa de le recevoir, il se jeta à
l’eau de désespoir, et fut sauvé par une tortue
géante. On le représente donc le pied droit sur
cette tortue mythologique (áo
鳌),
ou parfois un immense poisson.
Les confucéens n’ont jamais approuvé ce culte
qu’ils ont taxé d’inconvenant et inapproprié (yín
sì 淫祀).
Le dieu de Zitong reste uniquement taoïste, et
on avait fini par le vénérer à l’égal de
Confucius ; on disait : « Au nord il y a
Confucius, au sud Wenchang » (“北孔子、南文昌”).
Mais il avait une autre identité. |
Dieu protecteur des épidémies
Selon une autre de ses incarnations, Zhang Yazi
était aussi à l’origine vénéré comme le dieu de
la peste et autres maladies dans la région de
Bashu (巴蜀),
qui englobait autrefois le Sichuan et Chongqing.
D’après la légende, la mère de Zhang Yazi étant
affaiblie et malade, il lui prépara à manger
dans la nuit en prenant un morceau de chair de
sa cuisse, et le lendemain matin sa mère était
guérie. Ce que |
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Classique de l’Immortel de la
Grande Grotte, charmes et incantations |
voyant, le ciel s’en émut, et lui envoya en rêve le
« Classique de l’Immortel de la Grande Grotte » (《大洞仙经》)
en lui recommandant de le lire : il pourrait ainsi
« vaincre les forces du mal et venir à bout des
épidémies » (zhìxié
qūwēn
治邪祛瘟)
.
Une autre légende raconte que, si l’empereur Xuanzong a vénéré
le dieu de Zitong quand il s’est réfugié au Sichuan au moment de
la révolte d’An Lushan, c’est parce que ses soldats étaient
tombés malades et que Zhang Yazi lui est alors apparu en songe
et lui a donné la recette pour les guérir.
Statues de Wenchang et de ses
deux acolytes Kuixing et
Zhuyi dans le temple de
l’Institut Fongyi à Kaohsiung (Taiwan) |
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Par ailleurs, toujours selon une légende, alors
qu’il s’était retiré dans le monastère du mont
Qiqu, il vit cinq esprits maléfiques qui
répandaient des épidémies. Il partit les
combattre, pour ce faire prenant une apparence
martiale et résolue, brandissant d’une main une
épée précieuse tandis que l’autre était changée
en griffe de faucon, ce qui lui permit de
pourfendre ses adversaires. Les ayant vaincus,
il devint le Grand Dieu ancestral des épidémies
(Wēnzǔ
dàshén
瘟祖大神). |
Dans le temple du mont Qiqu dédié à Wenchang Dijun, on peut
apporter des offrandes à la statue du Dieu et venir y prier lors
de chaque épidémie.
Les cinq dieux des épidémies
On retrouve trace des cinq divinités des
épidémies dans les croyances populaires, et en
particulier dans un livre de la dynastie des
Yuan, en sept tomes, avec cent vingt
illustrations : « Sources premières des
recherches des dieux des trois religions » (《三教源流搜神大全》).
Pour chaque dieu, en regard de l’illustration,
sont donnés son nom et ses différentes
attributions ; l’ouvrage donne ainsi les noms de
cinq « responsables » des « pestilences » liées
aux saisons : celles du printemps, Zhang Yuanbo
(张元伯),
celles de l’été, Liu Yuanda (刘元达),
celles de l’automne Zhao Gongming (赵公明),
celles de l’hiver, Zhong Shigui (钟士贵)
et, au-dessus d’eux, leur chef, également
protecteur des lettres.
On trouve ces divinités sous les noms les plus
divers et ils ont des légendes locales tout
aussi diverses, ce qui manifeste bien
l’importance de la lutte contre les épidémies
dans l’histoire populaire chinoise. A Huangyan (黄岩),
par exemple, district de la préfecture de
Taizhou dans le Zhejiang
(台州),
les chroniques font état d’histoires de « cinq
sages »
(“五圣”),
qui étaient cinq frères protecteurs de la
population contre les maladies du temps des
Dynasties du nord et du sud (南北朝),
aux 5e-6e siècles ; |
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Sources des recherches
des dieux des trois religions |
un temple leur est dédié à Dongmenling (东门岭),
le temple des Cinq Sages (Wǔ
shèng miào
五圣庙),
honorant « les cinq sages et le grand dieu » (“五圣大神”),
et la région conserve des traditions spécifiques.
Le Wusheng miao à Dongmenling |
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Autrefois, dans la vieille ville de Huangyan, on
utilisait un bateau pour « emporter » la maladie
sur la rivière Wuzhi (五支河),
devant le temple de Lingji (灵济庙).
Dans toute la région de Taizhou, il y avait une
coutume estivale consistant à « larguer le grand
bateau du plein été » (“送大暑船”)
pour chasser les pestilences (sòng
wēn
送瘟).
C’était un grand bateau de papier que l’on
brûlait ensuite car il était jugé
catastrophique, si les vents et les courants
changeaient, de voir le bateau revenir –
événement qui est arrivé au 18e
siècle, |
avec pour
résultat une épidémie terrible
.
Mao Zedong a écrit un poème en l’honneur de cette
coutume : « Envoyer le dieu des épidémies » (《送瘟神》),
publié le 30 juin 1958 dans « Littérature du peuple »
.
A Taizhou, le dieu
des épidémies a aussi un temple dans le district
de Jiaojiang (椒江区).
Il est également vénéré dans d’autres villes du
Zhejiang et du Jiangsu sous le nom de Maréchal
Wen (温元帅)
.
Pour l’anniversaire de sa mort, il était coutume
de le sortir pour une parade dans les rues, en
vêtements d’apparat et avec une bouteille
derrière lui : sur son passage, les pestilences
étaient recueillies dans la bouteille, ce qui
constituait une prévention des épidémies. Une
coutume similaire se retrouve dans le Fujian et
à Taiwan où le dieu est nommé Wángyé, le
vieux roi (“王爷”).
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Les cinq protecteurs |
Epidémies et richesse
Les
coutumes ont évolué. Initialement sacrifiés comme dieux cruels à
combattre, les dieux des épidémies se sont peu à peu transformés
en dieux protecteurs ;
ils ont été liés à la prospérité du peuple, celle-ci étant
fonction de sa capacité à lutter contre les maladies (“送瘟行福”),
croyance illustrée par un dicton populaire mettant en parallèle
le dieu des épidémies qui apparaît comme le protecteur même du
dieu de la richesse, ou de la bonne fortune (Cáishén
财神)
:
“一手送瘟神、一手迎财神”
« D’une main envoyer le dieu des épidémies, de l’autre
accueillir le dieu de la fortune »
Il est cité dans l’« Histoire des Ming » (《明史》),
la dernière (achevée) des
24 annales dynastiques,
section « Rites » (《礼志》) :
梓潼帝君,姓张,名亚子,居蜀七曲山…
Zitong Dijun, patronyme Zhang, prénom Yazi, habitant le
mont Qiqu au pays de Shu…
Selon l’« Histoire fantastique des immortels divins »
《神仙传奇故事》
Zhenzong a imposé le taoïsme à la cour, et a promulgué
des décrets qui élevaient l’empereur de Jade au rang le
plus haut des divinités célestes.
Poème en deux quatrains de doubles vers de sept
caractères :
七律二首
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