Cinéma

 
 
 
           

 

 

« Rides sur les eaux dormantes » de Li Jieren

et le film de Ling Zifeng « Ripples on stagnant waters »

par Brigitte Duzan, 20 avril 2011

       

I. Le roman de Li Jieren

        

Genèse et réédition

       

 « Rides sur les eaux dormantes »,

édition d’octobre 1955

 

« Rides sur les eaux dormantes » (《死水微澜》) a été achevé en juillet 1935, et publié un an plus tard. Dans la préface, Li Jieren (李劼人) explique que c’est à partir de 1925, après son retour de son séjour en France dans le cadre du programme « Travail - Etudes », qu’il forma le projet de décrire, dans une série de romans, la vie sociale qu’il avait pu observer dans son Sichuan natal au cours des dix années précédentes, années mouvementées et cruciales dans l’histoire de la Chine.

        

Ce n’est cependant que dix ans plus tard, en 1935, qu’il

eut l’occasion de le réaliser. C’est alors, en effet, qu’il décida d’abandonner son poste de directeur d’une usine de réparation de bateaux à vapeur à Chongqing pour rentrer à Chengdu et se consacrer à l’écriture. Il écrivit au responsable du département de traductions des éditions de Chine à Shanghai qui accepta de publier les œuvres projetées.

        

C’est ainsi que Li Jieren se lança dans l’écriture de sa trilogie couvrant la période 1894-1911 :

-          « Rides sur les eaux dormantes » (《死水微澜》) décrit la vie dans une petite ville des environs de Chengdu, Tianhui (天回镇),  des lendemains de la première guerre sino-japonaise (1894-95) à la signature du protocole de paix de 1901 mettant fin à la rébellion des Boxers ;

-          « Vent de tempête avant la pluie » (《暴风雨前》) se passe à Chengdu de 1901 à 1909, et décrit le développement du mouvement réformiste ;

-          « La grande vague » (《大波》) relate la révolte des chemins de fer du Sichuan en 1911, mouvement préalable à l’insurrection de Wuchang et à la chute de la dynastie. Mais le quatrième tome n’était pas terminé quand éclata la guerre sino-japonaise, en juillet 1937, et il est resté inachevé.

 

« Vent de tempête avant la pluie »,

édition de janvier 1956

       

En 1954, comme on lui avait proposé de rééditer ses romans, Li Jieren entreprit de les corriger. Il commença par « Rides sur les eaux dormantes » qu’il remania cependant très peu, terminant les corrections en juin 1955. C’est cette édition, d’octobre 1955, que nous connaissons, et qui a été publiée en traduction française chez Gallimard en 1981.

        

Bref résumé

        

Le roman se divise en six parties :

Première partie : Prologue (序幕)

Présentation du personnage principal, Deng Yaogu (邓玄), par un narrateur qui raconte alors son histoire en flash back, quarante ans auparavant.

Deuxième partie : Au bourg de Tianhui  (在天回镇)

Présentation du bourg, de l’une de ses deux plus importantes boutiques, Xingshunhao (兴顺号), et des trois personnages principaux de l’histoire.

- Il y a d’abord le propriétaire de la boutique, Cai Xingshun (兴顺), un benêt qui a hérité de la boutique paternelle après la mort de son père et que tout le monde appelle gentiment « l’idiot » (蔡傻子).

- C’est lui qu’a épousé la séduisante Deng Yaogu, qui rêvait d’aller vivre à Chengdu, mais pour qui ce mariage est un compromis ; désormais appelée belle-sœur Cai (蔡大嫂), elle a eu un fils et mène une vie tranquille, en aidant son mari dans la boutique.

- Cai Xingshun a un cousin qui le protège et veille sur ses intérêts : Luo Desheng (罗德生), surnommé Luo Waizui (罗歪嘴), non point parce qu’il a la bouche tordue, mais parce qu’il la tord en voyant une femme ; il n’est toujours pas marié, préférant la compagnie des prostituées. Quand commence l’histoire, il vient d’en ramener une nouvelle au bourg, Liu Sanjin (刘三金)

Troisième partie : Les croisements (交流)

Description des activités de la société secrète à laquelle appartient Luo Waizui : la secte des Aînés et des Anciens (哥老会), secte d’entraide populaire devenue très active après la défaite des Taiping, l’une des ses sources de revenus provenant de cercles de jeux qui lui servent aussi de bureaux de recrutement ; mais elle a aussi pour objectif d’écraser les étrangers et renverser les Mandchous au pouvoir ; elle s’oppose donc aux chinois qui se sont convertis au christianisme, le plus souvent pour profiter du soutien des étrangers. Elle est cependant en déclin, et traverse une crise financière.

Pour renflouer leurs caisses, ils plument un petit propriétaire local, Gu Tiancheng (顾天成), en le tabassant, qui plus est, pour le chasser avant qu’il découvre la tricherie perpétrée. Resté veuf après la mort de sa femme de tuberculose, il n’aura désormais plus pour seul objectif que se venger.

Quatrième partie : Histoire de Xingshunhao (兴顺号的故事)

Liu Sanjin repart sans avoir réussi à convaincre Luo de l’épouser, mais, au moment de partir, lui glisse que la belle sœur Cai est amoureuse de lui. Cette révélation est déterminante pour le reste de l’histoire : attirés l’un par l’autre, ils deviennent amants, au vu et au su de tout le monde, y compris du mari qui accepte la situation.

Cinquième partie : Rides sur les eaux dormantes (死水微澜

Luo Waizui emmène la belle sœur Cai à la Fête des Lanternes à Chengdu. Gu Tiancheng y est aussi, avec sa fille Zhaodi (招弟). Voyant Luo de loin, il songe à sa vengeance, et incite deux amis rencontrés là à s’attaquer à la belle sœur Cai. Mais Luo est avec toute une bande d’amis de la secte Gelao, et Gu Tiancheng se fait rosser. Qui plus est, dans la bagarre, il perd sa fille qui reste introuvable. Tombé malade, il est sauvé par des « remèdes étrangers » administrés par une voisine.

Zhaodi, elle, a été enlevée et, rebaptisée Chunxiu (春秀 ), vendue à une famille de riches marchands de Chengdu. De son côté, son père, pensant pouvoir ainsi assouvir son désir de vengeance, se convertit « à la religion étrangère », ce qui a pour effet de le faire exclure du temple des ancêtres, l’obligeant à fuir la ville.

C’est un mois et demi avant les premiers succès des Boxers contre « les étrangers », nouvelle qui provoque quelques « rides sur les eaux dormantes » de la vieille ville de Chengdu. Mais arrive bientôt la contre nouvelle de la prise de Pékin par l’Alliance des huit nations. Les « convertis » relèvent la tête.

Luo Waizui et les autres membres de la secte sont obligés de fuir pour ne pas être arrêtés, et exécutés.

Ne trouvant que Cai Xingshun quand ils arrivent, les soldats l’emmènent, après l’avoir battu ainsi que sa femme. Laissée inconsciente, elle est emmenée chez ses parents avec son fils.

Sixième partie : Ultime vague (余波)

Elle se rétablit peu à peu. Gu Tiancheng vient lui rendre visite. La septième fois, il lui propose de

l’épouser.  Voyant dans ce mariage la seule solution pour elle d’assurer son avenir et celui de son fils tout en faisant sortir Cai Xingshun de prison, la jeune femme, que les circonstances ont aguerrie, impose un contrat de mariage draconien, que Gu Tiancheng accepte avec sa veulerie ordinaire….

        

Aperçu de la vie à Chengdu au tournant du vingtième siècle

        

Quelques pincées d’Emma Bovary

        

On a tendance à faire de « Rides sur les eaux dormantes » une version chinoise de « Madame Bovary » et de Li Jieren l’émule de Flaubert. Il est vrai qu’il avait traduit le roman et que la belle-sœur Cai (蔡大嫂) a bien des points communs avec Emma Bovary : comme l’héroïne de Flaubert, elle prend un amant pour rompre la monotonie de sa vie avec un mari un peu simplet.

        

Cet adultère tranquille est suffisamment remarquable dans le contexte chinois de l’époque pour avoir fait couler beaucoup d’encre, et même suscité des thèses sur le sujet (1). Il faut cependant se garder de trop exagérer la comparaison avec Flaubert. La belle-sœur Cai n’a pas le caractère d’Emma : c’est une jeune paysanne qui a accepté un mariage qui, loin de lui être défavorable, lui a permis de s’évader de la vie à la campagne ; elle ne conteste pas sa situation et a au départ un caractère effacé.

        

Quant à sa relation avec le cousin de son mari, elle est décrite en termes très retenus, comme née des circonstances. Ce qui est le plus choquant, en l’occurrence, c’est qu’elle ne soit pas cachée, mais affichée au grand jour, et en particulier du mari qui n’en est pas exclus. Et le plus intéressant est la description toute en finesse de l’évolution du caractère de la belle sœur Cai : petite paysanne coquette prenant conscience de son pouvoir de séduction au contact de Liu Sanjin, gagnant en assurance au fur et à mesure que s’affirme sa relation avec Luo Waizui, et assurant enfin son avenir matériel par un mariage à ses conditions.

        

La femme n’apparaît donc pas victime de la société, sauf la femme de Gu Tiancheng, et encore elle est plutôt victime de la veulerie de son mari et de la pauvreté où il l’a réduite, et victime du fait de sa soumission à lui ; ce sont les femmes comme la belle sœur Cai qui sont posées en modèles : fortes et libres. Il n’y a pas ici de dénonciation de la condition féminine ni du mariage ; s’il y a dénonciation, elle concerne plutôt le sort de la petite Zhaodi, vendue à une famille riche après avoir été enlevée, et qui se retrouve corvéable à merci sans pouvoir même s’échapper.

         

Tableaux de la vie à Chengdu

       

Chengdu : temple Qingyang

 

Chaque partie commence par la description du cadre de l’épisode que Li Jieren va y conter, comme ces tableaux chinois horizontaux que l’on découvre en les déroulant peu à peu : tout se passe dans la plaine de Chengdu, entre Chengdu même et le bourg de Tianhui (天回镇), « au-delà de la porte du nord ».

        

Chengdu y apparaît comme une ville relativement riche et ouverte, peuplée de gens de tous horizons venus là comme fonctionnaires ou pour y fonder des commerces prospères,

tel ce monsieur Hao (Hao Dasan 郝达三), mêlant dans sa riche demeure manière de vivre traditionnelle et objets occidentaux.

       

En regard, la vie à Tianhui est celle de la Chine traditionnelle, où les femmes ont encore les pieds bandés et sont volontiers données comme concubines à de riches notables, où l’on fume beaucoup l’opium, où les réjouissances restent les grandes fêtes qui ponctuent l’année, et où Chengdu fait figure de paradis inaccessible, où l’on se rend de temps à autre, pour la fête des lanternes ou les fêtes de certains temples, taoïstes plus que bouddhistes.

        

C’est un univers de coutumes et de superstitions dont Li Jieren nous dresse un véritable catalogue à travers ses personnages : devoir du veuf, rites d’enterrement, en particulier concernant le lieu de la sépulture pour qu’il ne nuise pas à la famille, coutumes relatives à l’adoption (d’un fils d’une autre branche de la famille si l’on n’en a pas soi-même), etc…

        

Parmi ces superstitions figurent celles concernant les « étrangers » et leur religion. Principe de base : les étrangers sont des barbares qui viennent de l’extérieur, comme l’explique Luo Waizui à la belle sœur Cai :

穿戴也奇,行为也奇,又不作揖磕头,又不严分男女,每每不近人情,近乎鬼祟,故名之为洋鬼子,贱之也!

…ils s’habillent bizarrement, agissent de même, ne saluent pas, ne séparent pas rigoureusement les hommes des femmes, n’ont pas nature humaine mais se conduisent en démons (鬼祟), c’est pourquoi on les appelle « diables étrangers » (洋鬼子), par mépris !

         

Quant à leur religion, c’est un moyen d’asseoir leur pouvoir, alors que les Chinois ont déjà tout ce dont ils ont besoin :

我们中国自有我们的教,读书人有儒教,和尚有佛教,道士有道教,治病的有医,打鬼的有巫,看阴阳论五行的有风水先生,全了,关于人生祸福趋避,都全了...

Nous, les Chinois, nous avons nos propres croyances : le confucianisme pour les lettrés,  le bouddhisme pour les moines, le taoïsme pour les taoïstes, la médecine pour soigner les malades, la sorcellerie pour chasser les esprits et la géomancie pour les adeptes de la théorie des cinq phases, cela suffit pour conjurer les malheurs de la vie et assurer le bonheur …

        

La peinture de la crainte inspirée par les étrangers et de leur emprise sur les esprits est sans doute l’un des aspects les plus intéressants du roman : leur pouvoir est décrit comme reposant sur la collusion avec les autorités locales autant que sur la force des armes, ainsi que sur le nombre de « convertis », cohorte d’opportunistes cherchant des promotions rapides (2).

        

Leçon d’histoire très personnelle

        

Ce tableau de la vie provinciale au tournant du vingtième siècle est aussi, en filigrane, une leçon

d’histoire : histoire de Chengdu, mais aussi histoire de la chute annoncée de la dynastie mandchoue, vue à travers le miroir légèrement déformant des réactions des personnages aux événements dont ne leur parvient qu’un vague écho.

        

L’insurrection des Boxers prend ainsi un aspect irréel et mythique, fondé sur autant de superstitions alimentées par la rumeur. La plus belle page est celle où l’ami de Hao Dasan lui explique qui sont ces adeptes de la « Lampe rouge » (红灯照 ), « cousins des Boxers, mais plus forts que les Boxers », qui pratiquent la magie sous une lampe rouge, d’où leur nom, et sont capables de frapper de la foudre les maisons des étrangers d’un seul signe du doigt. Comme les étrangers sont des diables à peine humains, seule la magie peut en venir à bout.

        

C’est au cours d’une réception au bureau de change, autour de la table de jeu, qu’arrive la nouvelle de la prise de Pékin par l’armée des Huit Nations. L’une des invitées s’esclaffe : quelle nouvelle ridicule… et reprend son jeu. Les hommes, cependant, prennent les choses plus au sérieux : c’est que ce n’est pas bon pour les affaires. Premières rides sur les eaux dormantes.

        

La catastrophe nationale se traduit cependant en catastrophe individuelle et locale lorsque, à la faveur de la déroute mandchoue,  les membres de la secte des Aînés et des Anciens doivent s’enfuir pour éviter d’être arrêtés et exécutés, et que Cai Xingshun et sa femme font les frais des représailles. Autres rides sur les eaux dormantes.

        

Li Jieren aborde l’histoire comme les historiens de la « nouvelle histoire », s’attachant à dresser un tableau des mentalités plutôt qu’à recenser les événements : ses romans forment une sorte d’« histoire de la vie privée » à la manière de Duby, mais dans le Sichuan du siècle passé.

        

*

« Rides sur les eaux dormantes » a été redécouvert dans les années 1980, au moment où la Chine se mettait en quête de ses racines culturelles, et en particulier des œuvres littéraires oubliées de la première moitié du siècle.

        

Cette redécouverte initiale a été suivie d’une vague ultérieure plus récente, témoin les deux séries télévisées qui ont été adaptées de l’œuvre : une première de douze épisodes en 1987, et une seconde de vingt épisodes en 2008.  

        

Le film de Ling Zifeng (凌子) qui en est l’adaptation, « Ripples across stagnant waters » (), a suivi le premier mouvement de redécouverte, mais plus tardivement, en 1992. Il correspond en fait à une thématique spécifique de l’œuvre du cinéaste à cette époque.

        

II. Le film de Ling Zifeng

       

« Ripples across stagnant waters » () , sorti en 1992, a été réalisé quatre ans après « Chuntao » (春桃) avec lequel il forme une sorte de diptyque sur le même thème : l’émancipation féminine (3).

        

Le film de Ling Zifeng reprend le cadre et les principaux personnages du roman, et le scénario est fidèle au schéma général du récit. Mais, là où l’œuvre littéraire foisonnait de descriptions qui en faisait un petit précis d’histoire de la vie et des mentalités dans la région de Chengdu au tournant du siècle dernier, le film se concentre surtout sur la peinture du caractère des personnages principaux, en laissant l’histoire en marge, comme cadre du récit. Il en résulte un certain flou qui rend difficile la compréhension de certains passages si l’on n’a pas lu le livre, mais qui a un autre objectif.

       

Des faiblesses dans la peinture de l’histoire

 

Ling Zifeng

        

Il manque au film la richesse descriptive caractéristique de l’œuvre littéraire qui donne au récit toute sa profondeur : description des lieux (et en particulier de Chengdu) et surtout description de l’histoire, ou de l’histoire vue par les principaux protagonistes.

       

Affiche du film

 

On a en particulier du mal à comprendre, dans le film, ce

qu’est véritablement cette société des Aînés et des Anciens à laquelle appartient Luo Waizui : elle y apparaît comme une vague organisation typique des nombreuses sectes qui sont apparues tout au long de l’histoire chinoise. Son  rôle spécifique dans le contexte de la lutte contre les étrangers et le pouvoir mandchou n’est pas clairement expliqué, si bien que le mandat d’arrêt contre Luo Waizui  et sa fuite in extremis n’apparaissent que comme le résultat d’une basse vengeance d’un petit propriétaire qu’il a ruiné en

l’escroquant au jeu, ce qui n’est qu’une partie superficielle de l’intrigue du livre.

        

De même, les étrangers n’apparaissent jamais dans le roman ; ils gardent un aspect mythique alimentant d’autant mieux toutes les superstitions et tous les

racontars possibles. Ling Zifeng, au contraire, a imaginé une séquence dans laquelle une femme étrangère passe au bourg de Tianhui accompagnée de ses deux enfants. Il n’évite pas ici la caricature propre aux films chinois qui ont voulu mettre en scène des étrangers, toutes périodes confondues, et ce d’autant plus qu’il doit les représenter comme ses personnages se les imaginent. Il perd la force du récit qui se contentait de les évoquer à travers les dialogues des personnages.

       

Le film, en outre, esquive certains détails caractéristiques de l’époque. C’est vrai en particulier des nombreuses scènes montrant les personnages en train de fumer de l’opium, activité aussi courante dans le roman que fumer une cigarette aujourd’hui. De même, il n’est fait aucune allusion aux pieds bandés des femmes, ce qui donne une connotation beaucoup plus moderne au film. Ceci tend à lui donner un impact plus direct en brouillant la perception du contexte historique.

        

Un scénario resserré autour d’un thème principal

       

Dans le livre, il y a toute une galerie de personnage où

 

Photo du tournage

chacun, même secondaire, a une profondeur donnée par son histoire personnelle. Dans le film, beaucoup ont été supprimés pour ne pas diluer l’intrigue principale. Ceux qui subsistent n’existent que par leurs liens avec celle-ci et les personnages principaux.

       

Ce n’est pas tellement l’histoire elle-même telle qu’elle est développée par Li Jieren qui semble intéresser Ling Zifeng et sa scénariste Han Lanfang (韩兰芳), mais bien plutôt le caractère de la ‘belle sœur Cai’, dont ils font une petite sœur de Chuntao dans le genre femme émancipée, libérée des contraintes de la société traditionnelle et de ses règles morales.

       

Photo du film

 

Cependant, si Chuntao se libérait de ces règles pour privilégier avec force ses propres critères humains, et affirmer ses propres valeurs, offrant ainsi un contre-exemple moral à la société confucéenne, la ‘belle sœur Cai’ ne rentre pas dans le même cas de figure. Chuntao avait un fort caractère, sa consœur en acquiert un, en évoluant sous l’effet des circonstances : d’abord petite paysanne timide rêvant de la ville, puis épouse soumise, devenant adultère presque naturellement, c’est dans l’adversité qu’elle montre son aptitude à se tirer d’affaire, bien mieux que les hommes autour d’elle, en retournant la

situation en sa faveur et en utilisant un second mariage à ses fins propres. Dans cette conclusion audacieuse, le film rejoint le roman.

        

Ling Zifeng semble donc, avec ces deux films, exprimer sa confiance dans la capacité des femmes à résister aux pires difficultés, en faisant fi au besoin des traditions et coutumes qui pourraient les en empêcher. Il dépasse le cadre du roman, en brouillant les repères historiques, pour faire de son héroïne une femme presque moderne, une avant-gardiste : une femme décidée à s’affirmer coûte que coûte dans la vie. C’est d’ailleurs sans doute une création de la scénariste, Han Lanfang, autant que de Ling Zifeng lui-même (4).

       

       

Notes

(1) Voir par exemple l’étude de Mathilde Kang publiée en 2006 dans le French Studies Bulletin d’Oxford -

Madame Bovary et son pastiche chinois : « Rides sur les eaux dormantes » - où l’auteur trace des parallèles entre les deux œuvres, mais en allant jusqu’à faire des interprétations tendancieuses du texte pour le faire cadrer avec sa thèse : elle voit par exemple dans l’attitude du mari Cai Xingshun un « encouragement » à aller à la fête des lanternes avec son amant qui « recoupe irrésistiblement la bêtise de Charles poussant Emma dans les bras de Rodolphe lors de leur première promenade à cheval », alors que Li Jieren explique dans un paragraphe entier à quel point le pauvre Cai, loin de l’avoir encouragée, s’est simplement pliée à sa volonté par faiblesse, et se morfond resté seul dans la boutique. M. Kang reconnaît bien que le plus intéressant est la peinture de la petite vie du bourg, mais pour ajouter qu’en cela Li Jieren « s'affiche comme héritier incontestable de Flaubert ».

(2) C’est un tableau fascinant qui fait mieux comprendre la crainte qui reste ancrée dans l’esprit des dirigeants encore aujourd’hui et constitue l’une des raisons du strict contrôle des religions occidentales en Chine, à un moment où l’on assiste à une renaissance des autres religions, taoïsme et bouddhisme populaires en particulier.

(3) Sur « Chuntao », voir :

http://cinemachinois.blogs.allocine.fr/cinemachinois-299795-_chuntao__de_ling_zifeng__vendredi_25_mars_a_paris_diderot.htm

(4) Han Lanfang était la seconde épouse de Ling Zifeng. Elle-même a dû s’affirmer quand Ling Zifeng l’a épousée, quelques mois après la mort de sa première épouse.

       

       

       
       
 

 

 

   

 

 

 

 

     

 

 

 

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