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La littérature sur
internet : une nouvelle littérature féminine en plein essor
par Brigitte Duzan, 9
octobre 2012
La
« littérature sur internet » est en train de prendre en
Chine un essor statistiquement incontestable, de par la
nature des choses : la facilité avec laquelle le moindre
écrivaillon en herbe peut publier ses textes sur les
sites spécialisés entraîne un foisonnement désordonné de
romans de tous genres, car, étonnamment, ce sont le plus
souvent des romans qui paraissent ainsi, et souvent très
longs.
La raison en
est assez simple : ils sont destinés à un vaste lectorat
qui privilégie une |
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La série Du Lala (4 volumes) |
bonne histoire à un
style original. Le succès vient cependant, en général, quand
l’auteur arrive à cumuler les deux. Les lecteurs remplacent les
comités de lecture, mais les éditeurs ont l’œil sur ce secteur
turbulent, prêts à récupérer les jeunes les plus prometteurs.
Bao Jingjing |
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Ce sont des
jeunes nés après 1980, et même maintenant après 1985 :
on parle d’écrivains « post-85 » (85后作家).
Ils n’ont connu la période maoïste que par ouïe dire, et
vivent dans la frange urbaine et prospère d’une Chine
ambitieuse et conquérante, comme eux.
Ces jeunes
sont, en outre, de plus en plus majoritairement des
romancières, jeunes professionnelles qui trouvent leurs
lecteurs parmi leurs pairs, les jeunes d’une classe
moyenne urbaine émergente. On peut faire remonter le
phénomène à Li Ke (李可)
et son bestseller de l’année 2007 « La promotion de Go
Lala » (《杜拉拉升职记》),
qui décrivait une jeune femme se battant pour gagner des
galons – et son indépendance, économique et personnelle
- dans le monde machiste de son entreprise.
Fin novembre
2007, le livre avait atteint les cent mille exemplaires
vendus, et, un an plus tard, en était à six cent
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mille. Il y a
maintenant, sous le même titre, un coffret de quatre livres, et
le roman a été adapté au cinéma et à la télévision (1), même au
théâtre….
Il y a aussi
une kyrielle de romans du même genre qui tentent de
capter leur part du marché, écrits par des jeunes femmes
qui travaillent dans des grandes entreprises (IBM, Dell,
etc…) et qui proposent à leurs … lectrices,
principalement, des sortes de contes de fées du monde du
travail. On leur a déjà trouvé un terme générique,
calqué sur l’américain : les « romans de bureau », que
les Américains appellent aussi career novels (职场小说).
Le secteur est
cependant en train de se décanter, et apparaissent
quelques vraies plumes, dont les écrits sont presque
systématiquement adaptés à l’écran, petit et grand, par
les auteurs mêmes qui sont aussi très souvent
scénaristes. L’an dernier, ce fut le cas de
Bao Jingjing (鲍鲸鲸)
dont le roman « Love is Not Blind » (《失恋33天》),
d’abord publié sur internet, puis adapté au cinéma en
2011, |
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Cui Manli |
et à la
télévision en 2012, a connu un incroyable succès. Dans
ce cas, l’écriture pleine d’humour y est pour beaucoup,
le film lorgnant vers le succès, aux Etats-Unis, de la
série Ally McBeal.
En 2012,
Bao Jingjing (鲍鲸鲸)
a ensuite adapté, pour la télévision, un autre roman à
succès également publié initialement sur internet :
« Hauts et bas » (《浮沉》),
d’une autre romancière post-85, Cui Manli (崔曼莉),
née en février 1988, qui travaille dans une société
d’informatique. Celle-ci est souvent citée avec Jiu
Yehui (九夜茴)
qui
en est déjà à son quatrième roman et est en train
d’écrire le scénario adapté de l’un d’eux.
Elles ont pour caractéristique commune d’avoir commencé
à écrire très jeunes ; c’est une écriture impulsive
qu’elles |
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Cui Manli et Jiu Yehui |
peaufinent
peu à peu. Jiu Yehui, par exemple, a révisé plusieurs fois son
roman « Premier amour » (《初恋爱》) avant qu’il soit publié,
en octobre 2009. Internet fait office à ces jeunes écrivain(e)s
de matrice initiale en leur permettant de faire leurs premières
armes et de les affiner (2).
Hauts et Bas et son adaptation télévisée |
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On a dit que la
littérature sur internet montrait la prédominance des jeunes
sur le marché littéraire. Ce qui est intéressant, c’est
de voir naître une littérature essentiellement féminine,
totalement nouvelle, mais qui n’est pas sans rapport,
pourtant, avec son équivalent dans les années 1940,
lorsque
Zhang Ailing (张爱玲)
publiait
dans la presse shanghaienne, avec la même revendication
d’indépendance…
Aujourd’hui, on
a l’impression que ce sont |
ces
jeunes femmes qui
représentent l’élément le plus progressif de la société
chinoise, le plus turbulent et le plus subversif, même si elles
semblent se moquer comme d’une guigne de la politique et faire
table rase de l’histoire.
Notes
(1) Les deux sont
réalisés par Xu Jinglei (徐静蕾),
actrice passée à la réalisation qui, née en 1974, fait presque
figure de vétéran dans le contexte.
Voir
:
www.chinesemovies.com.fr/cineastes_Xu_Jinglei.htm
(2) La littérature
apparaît, en ce sens, comme le mode d’expression novateur par
excellence, diffusé sur internet, et relayé par le cinéma, puis
la télévision pour toucher le public le plus vaste (tout en
assurant les recettes maximales).
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