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Demain en Chine, la
littérature sur téléphone mobile…
par Brigitte Duzan, 14 avril 2011
Alors que l’on
assiste à une offensive tous azimuts pour le contrôle
des smartphones, les éditeurs chinois s’intéressent à ce
média comme support littéraire de demain. Pour la
littérature, en effet, internet, en Chine, c’est
dépassé ;
l’avenir, c’est
le téléphone mobile. Ou tout au moins pour une certaine
littérature.
Développement de la technologie
Selon un
article du Financial Times du 22 mars, le CEO du groupe
du moteur de recherche Baidu (百度),
Robin Li (Li
Yanhong
李彦宏), a annoncé que le groupe travaillait à |
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Lecture sur téléphone mobile |
l’élaboration de son propre système d’exploitation pour terminaux
mobiles. L’objectif principal des recherches en cours est de
créer une « boite de recherche » rendant les appareils
fonctionnels après un démarrage très rapide.
Logo Baidu |
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Leader en Chine
de la recherche sur le web, Baidu se positionne ainsi à
nouveau en rival de Google, cette fois en concurrence
directe de son système Android pour smartphones, voire
du système Chrome OS.
On apprend par
ailleurs qu’Alibaba, de son côté, va bientôt offrir un
logiciel de lecture en ligne pour les |
iphones d’Apple et va
investir ce marché à travers sa filiale de vente en ligne
Taobao, déjà positionnée sur le marché de la vente de romans et
nouvelles en ligne.
Ce sont deux exemples
d’un mouvement de fond qui touche aussi les opérateurs de
télécommunication comme China Unicom et China Mobile qui ont
commencé à lancer des plate-forme de lecture sur mobiles.
Parallèlement, au fur et à mesure que la technologie se met en
place et que les smartphones de toutes sortes se développent et
se multiplient, le marché de la littérature sur téléphone
portable se développe et attise de plus en plus de convoitise.
Apparition d’une
nouvelle littérature
Cela fait déjà trois
ans que paraissait dans le China Digital Times (中国数字时代)
un article prédisant le développement rapide de la littérature
sur téléphone mobile, particulièrement adaptée au mode de vie et
aux goûts de la jeune génération, parfaitement adaptée aussi à
l’écriture chinoise qui permet une concision naturelle.
D’abord au Japon
Non seulement le
téléphone mobile attire les jeunes lecteurs, il attire aussi les
écrivains en herbe. Imitant au départ la littérature épistolaire
ou le journal intime, les nouvelles et romans écrits sur
téléphone mobile se sont développés au Japon depuis quelques
années. C’est ce qu’on a appelé « mobile (ou cell) phone
novels » (keitai
shosetsu),
genre influencé par celui des anime, avec de courts dialogues et
des caractères très peu élaborés.
Certains sont
devenus des bestsellers. Le premier fut « Deep Love » (Ayu
no Monogatari),
d’un certain Yoshi, en 2003. Ecrit de façon très
concise, il séduisit un nouveau lectorat en diffusant
son histoire en brefs épisodes, et en incorporant au fil
du temps les commentaires renvoyés par les lecteurs.
« Deep Love » devint un |
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Deep Love |
succès d’édition, puis
fut adapté en manga, et même au cinéma.
Le plus grand succès
fut sans doute « Love Sky, a sad love story » (Koizora:
Setsunai Koi Monogatari), connu sous le titre abrégé de
« Koizora » (恋空).
Ecrit à l’origine sur téléphone portable en 2005,
le
'Cell-phone novels' au Japon |
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roman fut
ensuite publié en deux tomes par la maison
d’édition
Starts Publication en octobre 2006 et devint un
bestseller vendu à 1,3 million
d’exemplaires,
puis adapté en manga, en film et en série télévisée.
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Le genre est devenu un
moyen d’expression pour les jeunes Japonaises bridées par la
société traditionnelle de leur pays qui se défoulent dans des
histoires violentes et déviantes qui suscitent une levée de
boucliers.
Et maintenant en
Chine
Le mouvement touche
maintenant la Chine pour des raisons similaires : ce nouveau
genre littéraire, shouji xiaoshuo (手机小说),
est d’autant plus apprécié des jeunes Chinois que, outre son
coût réduit, il offre l’avantage supplémentaire d’une relative
liberté d’expression. Beaucoup de ces écrivains en herbe sont
des étudiants. Quant aux éditeurs, ils y voient le moyen
d’identifier des auteurs et des œuvres qui ont su se créer un
public et sont capables de générer de substantiels bénéfices.
Le premier vrai roman
sur téléphone mobile en Chine a été « Out of Town » de Qian
Fucheng, en 2004. C’était une somme de 60 chapitres de 70
caractères chacun, soit 4 200 caractères au total, ce qui est la
taille des très courtes nouvelles dites xiao xiaoshuo,
mais avec des impératifs de concision draconiens, y compris dans
la ponctuation.
Le livre a recueilli
plus de 800 000 souscriptions, chaque abonné recevant un
chapitre deux fois par jour. L’auteur a ensuite vendu les droits
en Chine et à Taiwan, pour 500 000 yuans, soit environ 58 000 €,
ce qui fait très cher le caractère, et témoigne de la valeur
marchande de ce genre de livre, surtout lorsqu’on considère les
adaptations qui peuvent en être réalisées, à la télévision ou au
cinéma, voire en jeux sur ordinateur.
Il s’agit bien d’un
nouveau genre littéraire à part entière, et qui correspond aux
attentes des lecteurs potentiels : selon des chiffres publiés
par le China Internet Network Information Centre, près de 40 %
des utilisateurs de téléphones portables en Chine veulent des
contenus spécifiques nouveaux pour leurs téléphones, plutôt que
des versions sur mobiles de livres papier. Ils ont raison : les
conditions de lecture ne sont pas les mêmes, le temps est
fragmenté et l’environnement généralement bruyant, peu propice à
la concentration.
De nouvelles
règles émergent : pour ne pas fatiguer le lecteur,
chaque épisode ne devrait pas dépasser quatre lignes, et
devrait contenir un élément drôle incitant à continuer
la lecture. Les genres les plus souvent retenus sont les
histoires d’amour ou d’horreur et les romans
historiques.
Quant aux
éditeurs qui s’intéressent au secteur, le plus important
est
Shanda Entertainment,
qui a déjà des centaines de millions de hits par
jour sur ses sites internet spécialisés dans la
littérature, et prévoit la création des outils
nécessaires pour fidéliser un lectorat sur ce nouveau
support. D’autres s’y préparent aussi, comme Wanrong, la
société de
Lu Jinbo qui en
a fait un créneau de développement majeur pour les
années à venir.
Le téléphone
mobile apparaît ainsi non seulement comme
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Lu Jinbo |
un relais de croissance
pour les maisons d’édition, mais aussi comme un outil permettant
le développement d’un genre littéraire encore embryonnaire, mais
qui pourrait réserver des surprises si des écrivains doués s’y
intéressent.
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