Les grands penseurs, historiens et témoins

 
 
 
     

 

 

Xu Zhangrun 许章润

Présentation   

par Brigitte Duzan, 29 mars 2024

 

 

Xu Zhangrun (photo rfa.org)

 

 

Né en octobre 1962 dans le district de Lujiang, dans la province de l’Anhui (安徽庐江), Xu Zhangrun (许章润) est connu pour ses travaux sur la théorie et la philosophie du droit. L’un de ses principaux sujets de recherche concerne l’héritage du confucianisme dans le droit chinois.

 

Philosophe et historien du droit

 

À la fin du lycée, et de la Révolution culturelle, faute d’avoir réussi le concours d’entrée à l’Institut des Beaux-arts, il opte pour des études de droit à l’Université du Sud-ouest de science politique et de droit (西南政法大学) de Chongqing où il entre en septembre 1979. Il en sort avec un premier diplôme en 1983, puis continue comme étudiant en maîtrise à l’Université chinoise des sciences politiques et du droit (中国政法大学) de Pékin. Il obtient son diplôme en juillet 1986 et reste enseigner à l’université.

 

À partir d’avril 1992, il est directeur du Centre chinois de recherche en criminologie (中国犯罪学研究会) et fait des recherches sur le système carcéral et les camps de réforme par le travail (laogai 劳改). Mais, en 1994, il part en Australie poursuivre des études à la faculté de droit de l’université de Melbourne. En 2000, il termine son doctorat en philosophie et histoire du droit, avec une thèse sur le système légal australien.

 

À son retour en Chine, il est nommé professeur de droit constitutionnel à la faculté de droit de l’université Qinghua (《清华法学》) à Pékin. Il est en même temps directeur de divers instituts de recherche, dont le Centre de recherche sur les droits humains et l’État de droit.

 

Penseur du confucianisme moderne

 

C’est à la faveur de la campagne de critique de Lin Piao et Confucius (批林批孔运动) initiée en 1973 qu’il découvre les Analectes (论语) de Confucius ainsi que Liang Shuming (梁漱溟), penseur néo-confucéen original des débuts de la République de Chine qui aura sur le jeune Xu Zhangrun une influence majeure. Liang Shuming a publié en 1921 un livre intitulé « Les cultures d’Orient et d’Occident et leurs philosophies » (《东西文化及其哲学》) qui esquisse les traits d’un confucianisme moderne incluant des idées occidentales aussi bien que bouddhistes ; cependant, considérant que la civilisation occidentale est vouée à l’échec, il a été l’un des principaux artisans, de 1931 à 1937 dans le Shandong, d’un mouvement de reconstruction rurale (乡村建设) fondée sur « la substance de la culture chinoise » et les caractéristiques de la structure sociale de la Chine ; il a aussi été un promoteur de la liberté intellectuelle et l’un des fondateurs de la Ligue démocratique de Chine initiée en 1941 (中国民主同盟).

 

 

Les cultures d’Orient et d’Occident

 et leurs philosophies, éd. 2009

 

 

Au début des années 1980, Xu Zhangrun a rencontré Liang Shuming à Pékin grâce à Wang Xiaobo (王小波). On retrouve beaucoup de ses idées dans ses écrits, et surtout l’importance primordiale accordée à la culture chinoise dans une vision modernisée du confucianisme, sur fond  de lutte pour la liberté de pensée. Penseur libéral, Xu Zhangrun a longtemps affiché une certaine distance vis-à-vis des  intellectuels publics et des activités sociales. C’est l’évolution de la politique menée par le président Xi Jinping qui l’a fait sortir de cette réserve et lui a valu d’être démis de ses fonctions.

 

Penseur engagé

 

En juillet 2018, il a publié un article intitulé « Nos peurs et espoirs dans l’immédiat » (我们当下的恐惧与期待》) dans lequel il critiquait les changements de politique du président Xi Jinping, et tout particulièrement la suppression de la limite à deux des mandats que peut exercer un président chinois, en déplorant la restauration d’un véritable culte de la personnalité. La traduction en anglais par Geremie Barmé a été publiée en août 2018 sur le site China Heritage [1], de même que les traductions suivantes regroupées dans la rubrique « Xu Zhangrun Heritage ».

 

Début février 2020, dans son essai « Dix lettres de l’année Gengzi » (《庚子十劄》), Xu Zhangrun condamne la gestion par le gouvernement chinois de l’épidémie de covid19, et en particulier la censure des informations sur l’épidémie qui a contribué à sa propagation rapide, problème qu’il lie expressément, dans son essai, au manque de liberté d’expression en Chine.  

 

Le titre est représentatif de son style et de sa pensée, imprégnés d’histoire et de classiques. Selon le cycle calendaire de soixante ans, l’année Gengzi (庚子年) est l’année 2020-2021 ; mais elle est liée dans l’imagination populaire à des années de catastrophes, les trois dernières en particulier : 1840 se situe pendant la première guerre de l’opium (début septembre 1839-fin août 1842), 1900 marque le début de la Révolte des Boxers, et 1960 l’apogée de la Grande Famine entraînée par le Grand Bond en avant. L’année 2020-2021 restera dans les annales liée à l’épidémie du covid19.

 

Le 6 juillet 2020, après cette prise de position extrêmement critique envers le gouvernement, Xu Zhangrun est arrêté et détenu, accusé d’avoir « sollicité des prostituées » [2] pendant un voyage au Sichuan avec des amis fin 2019. En même temps, il est démis de ses fonctions à l’université, privé de retraite, et obligé de quitter son appartement sur le campus de l’université. Le 12 juillet, il est libéré, de manière aussi soudaine qu’il avait été arrêté, mais assigné à résidence avec interdiction de quitter Pékin.

 

Ses étudiants à Qinghua et tous ceux qui l’admirent et le soutiennent ont aussitôt lancé une opération de crowdfunding pour lui venir en aide. Mais Xu Zhangrun n’a pas accepté l’argent et a écrit une lettre de remerciement qui a également été traduite en anglais et publiée sur China Heritage.

 

Le mois suivant (à la mi-août), il a été nommé à un poste honorifique (non rémunéré) comme chercheur associé au Fairbank Center for Chinese Studies de Harvard. Il a alors écrit une lettre de remerciement : « A Letter to the Fairbank Center for Chinese Studies at Harvard University ». En septembre, il a encore rédigé deux autres lettres : l’une, le 9 septembre, « Lettre aux dictateurs chinois : sur l’incarcération et la détention de Geng Xiaonan », l’autre « Questioning China’s Scholars of Criminal Jurisprudence ».

 

Les lettres ont été traduites par Geremie Barmé et ses traductions annotées publiées sur le site China Heritage avec les textes originaux en chinois. Ont été ajoutés trois textes explicatifs sur le personnage de l’éditrice de livres d’art, productrice et critique culturelle Geng Xiaonan () :

- Geng Xiaonan, une « décembriste chinoise » (10 sept) par Xu Zhangrun,

- Geng Xiaonan’s Dance of Defiance (16 sept.) par la réalisatrice engagée Ai Xiaoming ().

- The Kafkaesque Trials of Geng Xiaonan (20 sept.) par Guo Yuhua (于华), professeur de sociologie à l’université Qinghua.

 

L’ idée fondamentale de Xu Zhangrun est que, pour pouvoir rejoindre la communauté internationale avec un rôle qui corresponde à son histoire et son importance dans le monde, la Chine doit embrasser les valeurs universelles que sont la liberté d’expression, le multipartisme, une justice indépendante et une presse libre. Il préconise donc une lutte active pour la liberté, contre la servitude imposée par le pouvoir. Plus précisément, il défend une vision d’un gouvernement fondé sur les grands principes de la morale confucéenne selon Mencius (孟轲) et Xun Zi (荀子) corrigés par l’idée de « conscience morale innée » (liángzhī) de Wang Yangming (王陽明).

 

Note sur le style

 

Ce qui est extraordinaire, au sens propre du terme, c’est que Xu Zhangrun s’exprime dans une langue qui est celle de ses modèles, une langue de lettré à l’ancienne. Comme l’a dit Geremie Barmé : c’est un « style élégant et lapidaire qui combine le classique et le moderne avec une aisance qui fait penser aux passages les plus envoutants de la tradition littéraire, des débats historiques et de la pensée philosophique chinois ». Ses textes sont en outre parsemés de références classiques.

 

Ainsi, dans un cycle de conférences (讲座) données à l’Université normale d’Anqing en avril 2017 dont on trouve le texte en ligne [3], il exprime sa conception du bon gouvernement en termes du plus pur confucianisme : les lois doivent être fondées sur la morale, mais aussi les sentiments et la raison ( “情理法). Quant à la voie morale du souverain, il la définit en revenant à la notion de « gouvernement par le peuple » de Mencius. En le citant : « Si le souverain me considère comme une graine de moutarde, moi je considère le souverain comme un ennemi » (“君视我如草芥,我视君若仇寇”). Mais la citation n’est parfaitement compréhensible que replacée dans son contexte, c’est-à-dire le Livre IV du Mencius « sur le gouvernement du prince », chapitre Li Lou (3) :

《孟子·离娄下》:“孟子告齐宣王曰:'君之视臣如手足,则臣视君如腹心;君之视臣如犬马,则臣视君如国人;君之视臣如土芥,则臣视君如寇仇。

Mengzi donna les avis suivants au prince Xuan de Qi : « Si le prince considère ses ministres comme les membres de son corps, les ministres considéreront le prince comme leur cœur et leurs entrailles. Si le prince considère ses ministres comme des chiens et des chevaux, les ministres considéreront le prince comme un citoyen ordinaire (qui leur est indifférent). S’il considère ses ministres comme de la boue et de la paille, les ministres le considéreront comme un malfaiteur et un ennemi. » 

(Traduction Sébastien Couvreur)

 

Autre exemple : pour désigner la Chine entière, Xu Zhangrun utilise au cours d’une de ses conférences le terme de Chixian/Shenzhou (赤县神州). Il s’agit en fait d’un terme ancien qui fait allusion de manière métaphorique à la Plaine centrale. Il est tiré de la « Biographie de Mencius et Xun Zi » (《孟子荀卿列传》) des « Mémoires historiques » de Sima Qian (中国名曰赤县神州,赤县等同神州,也即九州。) et s’explique ainsi : pendant la période des Royaumes combattants, c’est ainsi que Zou Yan, de l’Etat de Qi (齐人邹衍), appelait la Chine. Selon la légende, Chixian (赤县) était l’endroit sous la juridiction de l’empereur Yandi, tandis que la région sous la juridiction de l’empereur Huangdi était appelée Shenzhou (神州). Une fois unifiées, les deux zones ont donné le pays des Han, divisé en neuf Etats, Jiuzhou (九州).

 

Chez Xu Zhangrun, la forme est indissociable du fond… ce qui ne rend pas les traductions faciles.

 


 

Traductions en anglais

 

- “Western law in China: transplantation or transformation: four cases and Liang Shuming’s responses.” Social Sciences in China. 3 (Fall 2004): 134-151.

- “Talk Law, Live Law, make Law(s).” tr. Tom Clarke, Australian Journal of Asian Law 1 (1999): 80-89.

Originally published in the November 1997 edition of Dushu, 

(representative of an emerging strain of Chinese legal thought, which seeks to interrogate the cultural ‘baggage’ of transplanted laws and procedures and to challenge the assumption that a ‘rule of law’ can be instigated by legislative reform alone.)

- Imminent Fear, Immediate Hopes, tr. Geremie Barmé, China Heritage, Aug. 1st 2018.

- And Teachers, Then ? They Juste Do Their Things, tr. Geremie Barmé, China Heritage, Nov. 2018.

- 1900 & 2020 – An Old Anxiety in a New Era, China Heritage, April 2020.

- Xi’s China, the Handiwork of an Autocratic Roué, tr. Geremie Barmé, The New York Review of Books, Aug. 9, 2021. Edited version of “Alarms and Excursions Permit No Peace” (笳鼓悲鳴遣人驚).

- Ten Letters from a Year of Plague (《庚子十劄》), tr. and notes Geremie Barmé, Bowen Books, NY, Aug. 2021.

 


 

Traduction en français

- Alerte virale, quand la colère est plus forte que la peur, trad. et préface de Jean-Philippe Béja, R&N éditions, août 2021.

 

 

Alerte virale

 

 


[1] Inauguré en décembre 2016, le site est une expansion du projet China Heritage lancé en 2005 par Geremie Barmé et du journal numérique trimestriel China Heritage Quaterly qui lui était lié, et qui a paru de 2005 à 2012.

[2] Accusation fallacieuse que les autorités chinoises utilisent souvent contre des acteurs ou des réalisateurs qu’ils veulent mettre au pas en en faisant des exemples de turpitude morale.

[3] Sur le site de l’université d’Anqing : https://fxy.aqnu.edu.cn/info/1060/1335.htm

Traduction en français en préparation pour un ouvrage à paraître en 2025.

 

 

     

 

 

 

 

 

     

 

 

 

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