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Qi Liaosheng : préface à
« L’histoire de la pierre »
石头记
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戚蓼生序
Publié le 24 août
2023
Texte
original (caractères simplifiés)
戚序批:吾闻绛树两歌,一声在喉,一声在鼻;黄华二牍,左腕能楷,右腕能草。神乎技也,吾未之见也。今则两歌而不分乎喉鼻,二牍而无区乎左右,一声也而两歌,一手也而二牍,此万万不能有之事,不可得之奇,而竟得之《石头记》一书。嘻!异矣。夫敷华掞藻、立意遣词无一落前人窠臼,此固有目共赏,姑不具论;第观其蕴于心而抒于手也,注彼而写此,目送而手挥,似谲而正,似则而淫,如春秋之有微词、史家之多曲笔。试一一读而绎之:写闺房则极其雍肃也,而艶冶已满纸矣;状阀阅则极其丰整也,而式微已盈睫矣;写宝玉之淫而痴也,而多情善悟,不减历下琅琊;写黛玉之妒而尖也,而笃爱深怜,不啻桑娥石女。他如摹绘玉钗金屋,刻画芗泽罗襦,靡靡焉几令读者心荡神怡矣,而欲求其一字一句之粗鄙猥亵,不可得也。盖声止一声,手只一手,而淫佚贞静,悲戚欢愉,不啻双管之齐下也。噫!异矣。其殆稗官野史中之盲左、腐迁乎?然吾谓作者有两意,读者当具一心。譬之绘事,石有三面,佳处不过一峰;路看两蹊,幽处不逾一树。必得是意,以读是书,乃能得作者微旨。如捉水月,只挹清辉;如雨天花,但闻香气,庶得此书弦外音乎?乃或者以未窥全豹为恨,不知盛衰本是回环,万缘无非幻泡,作者慧眼婆心,正不必再作转语,而千万领悟,便具无数慈航矣。彼沾沾焉刻楮叶以求之者,其与开卷而寤者几希!
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La
préface, texte original |
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Traduction Jacques Dars et Chan Hingho
:
J'ai ouï
dire que Jiang Shu chantait deux parties à la fois : une voix
dans la gorge, une voix dans le nez ; que Huang Hua écrivait sur
deux tablettes en même temps : le poignet gauche traçait les
caractères réguliers, le poignet droit, la cursive. Divine
habileté ! Certes, je ne l'ai pas constaté de visu. Mais, de nos
jours, deux chants sans disjoindre la gorge du nez, deux
tablettes sans distinguer la droite de la gauche, une voix et
deux chants, une main et deux tablettes ? Impossible ! Merveille
inimaginable ! Eh bien ! Moi, cette merveille, je l'ai trouvée
dans ce livre, dans Mémoires de la pierre, aussi étonnant
[que cela puisse paraître] !
Qu'en cet
ouvrage la fleur et l'élégance du style, la délicatesse du
langage, la force et l'expression des idées, ne se lovent pas
dans le nid des formes anciennes, il suffit d'avoir des yeux
pour s'en rendre compte ; inutile d'insister. Mais au-delà :
cœur lourd, main agile ; vise ceci, écrit cela ; l'œil suit
[l'œil sauvage], la main touche [le luth ] ; le déroutant est
l'évidence ; sous la règle, le dérèglement ! Telles des
Printemps et Automnes les subtiles allusions, tels des
historiens les fréquents méandres.
Voyez !
L'atmosphère des appartements des femmes, dignes et convenables
; mais par-dessus, que de charme et de séduction ! Le tableau
d'une famille puissante et prospère, ses œuvres, ses pompes,
mais déjà rongée par le déclin ! Voici Baoyu, sensuel, nigaud ;
mais aussi sensible et fin, non moins que [Wang Boyu] de Langya
ou [Li Qingzhao] de Li Xia. Voici Daiyu, jalouse, mordante ;
mais aussi âme aimante, cœur profond, non moins que Sang E ou la
dame Shi. Tantôt d'élégantes personnes, de riches demeures ;
tantôt des grâces et des beautés villageoises. A cette lecture,
le cœur s'enflamme, l'esprit s'exalte ; et quiconque chercherait
là une seule phrase, un seul mot grossier ou vulgaire en serait
pour sa peine.
Une voix,
une main suffisent : péché et vertu, joie et mélancolie
[apparaissent] comme sous l'effet des pinceaux géminés [de Zhang
Zhao] ! Oui, sublime ! Et l'égal, pour ce qui est des récits
romanesques, de l'aveugle Zuo et du castré Qian. Cependant,
disais-je, si l'auteur s'exprime sur deux registres, le lecteur,
lui, devra s'y attacher d'un seul cœur. Ainsi, pour le peintre,
un rocher a trois faces, mais il en est une plus belle que les
autres ; une route se voit des deux côtés, mais on admire
d'abord les arbres.
Voilà l'idée
dont il se faut pénétrer en lisant cet ouvrage ; alors
appréhendera-t-on de l'auteur le subtil dessein. Comme lorsque
voulant saisir la lune dans l'eau on n'en puise que la
quintessence, comme lorsque [les filles du] ciel faisant
pleuvoir des fleurs on n'en décèle que l'arôme, ainsi
émanera-t-il de ce livre une résonance d'outre les cordes.
D'aucuns se
plaindront de ne pas apercevoir le léopard en entier, alors que
grandeur et déclin ne cessent d'alterner en ce monde d'illusion
et de vanité. Mais l'auteur, œil éveillé, cœur sensible, n'a
aucunement besoin d'achever le cycle pour être entendu de la
plupart, et qu'ainsi d'innombrables barques de compassion
[soient lancées].
Dans :
Comment lire un roman chinois : Anthologie de préfaces
et commentaires aux anciennes œuvres de fiction,
Philippe Picquier, 2001, p.238-241.
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