Les grands sinologues

 
 
 
     

 

 

Les grands sinologues français

Léon Vandermeersch / Wang Demai 汪德迈

1928-2021

Présentation

par Brigitte Duzan, 1er avril 2024

 

 

Léon Vandermeersch

 

 

Né le 7 janvier 1928 dans une petite ville du nord de la France, Wervicq-sud, Léon Vandermeersch est l’un des grands sinologues français du 20e siècle. C’est sa double formation de sinologue et de juriste qui le distingue parmi ses pairs. Ses recherches, poursuivies en France, à Hong Kong et au Japon, couvrent à la fois, pour la Chine ancienne, le droit, les rites, le système de divination et de l’écriture qui lui est liée, ainsi que, dans la Chine impériale, l’histoire des institutions légistes, du confucianisme et de la pensée chinoise plus généralement.

 

Début de carrière au Vietnam

 

Après des études secondaires à Amiens et à Reims, il arrive à Paris en 1945. Entré à l'École nationale des langues orientales, il y obtient un brevet de chinois en 1948, et de vietnamien en 1950. Il poursuit simultanément des études de philosophie à la faculté de lettres, décrochant un DES en 1950 pour un mémoire sur « Leibnitz et la pensée chinoise », mais aussi des études de droit, obtenant un doctorat en 1951 pour une thèse sur « Les idées économiques de Max Stirner ».

 

Il commence alors une carrière d’enseignant-chercheur à Saigon, avec un premier poste de professeur au lycée Petrus Truong Vinh-Ky de 1951 à 1954. En même temps, à partir de 1952, il enseigne le droit romain à la Faculté de droit. En 1954, il prend un congé en France, puis se voit offrir un deuxième poste au lycée Albert Sarraut de Hanoi ; mais il n’y reste qu’un an : en avril 1956, il est affecté à la conservation du musée Louis-Finot [1] – musée qui dépend alors de l’École française d’Extrême-Orient (EFEO) où Léon Vandermeersch entre comme chercheur en études vietnamiennes à Hanoi sous la direction de Maurice Durand.

 

Mais il doit aussi assurer l'administration par intérim du centre de Hanoi après le retour de Maurice Durand à Paris en 1957. Cette charge a comporté notamment, en application des accords de Genève de 1954, le transfert aux autorités de la toute jeune République populaire du Vietnam de la bibliothèque et du musée de l'École, avec toutes ses collections, puis la réinstallation du centre de l'École dans un nouveau bâtiment (ultérieurement abandonné lors de la rupture de l'EFEO avec les autorités de Hanoi en 1959).

 

 

Le musée national d’Histoire du Vietnam, anciennement musée Louis-Finot

 

 

Études chinoises à l'EFEO

 

Rentré à Paris en 1958, Léon Vandermeersch se tourne vers les études chinoises, sous la direction de Paul Demiéville. Poursuivant sa carrière à l’EFEO, il est alors affecté à Kyôto, où il travaille à l’Institut de recherche en sciences humaines de l’université de Kyôto (Kyôto daigaku Jinbun kagaku kenkyūjo 京都大学人文科学研究所) tout en poursuivant sa formation sinologique à l'université de Kyôto auprès du philosophe Shigezawa Toshio (重澤俊郎) en philosophie chinoise ancienne, du linguiste et philologue Ogawa Tamaki (小川環樹) pour l’étude de la littérature classique et du sinologue Yoshikawa Kōjirō (吉川幸次郎), plus spécialement pour l’étude du Shiji (les « Mémoires historiques » de Sima Qian).

 

En 1961, Léon Vandermeersch est reçu comme chercheur invité (research fellow) au Département de chinois de l'Université chinoise de Hong Kong. Il travaille alors la paléographie et la linguistique du chinois ancien auprès de l’orientaliste et sinologue Jao Tsung-I dont il sera ensuite l’assistant et disciple.

 

En 1964, il est de nouveau à Kyôto, pour un an. Il y travaille cette fois sur l'histoire du droit chinois ancien avec le professeur Uchida Tomoo (內田智雄), à l'université privée Dôshisha (同志社大学). Il prépare la publication du mémoire intitulé « La formation du légisme. Recherche sur la constitution d’une philosophie politique caractéristique de la Chine ancienne », mémoire qu’il avait présenté en 1962 pour obtenir le diplôme de l'École pratique des hautes études, VIe section, sous la direction d’Étienne Balazs et qui sera finalement publié en 1965.

 

Cette période est déterminante pour l’orientation de ses recherches à venir, comme le souligne Marc Kalinowsky dans la note biographique qu’il a publiée en 2022 dans le bulletin de l’EFEO (n° 108) en hommage à son ami récemment disparu :

« La fin de la période coloniale en Indochine, la reconstruction du Japon après l’occupation américaine, la guerre de Corée, l’irruption de la Chine dans le concert des nations, il a vécu tous ces événements de l’intérieur, dans leur brûlante actualité, et ces derniers ont suscité chez lui un intérêt dont il ne se départira plus pour cette région du monde au devenir encore incertain. Au contact des historiens et des érudits japonais et chinois, il s’imprègne de leurs méthodes d’investigation du passé trois fois millénaire de la culture chinoise et acquiert une maîtrise des sources épigraphiques fournies par les découvertes archéologiques du début du siècle, notamment les textes oraculaires sur os et écailles de tortues des Shang et les inscriptions sur vases rituels des Zhou occidentaux… »

 

De l'EFEO à l'université

 

En 1966, il quitte l'EFEO pour l'université, d’abord à la faculté de lettres d'Aix-en-Provence où, invité par le doyen Bernard Guyon, il occupe différents postes et crée l'enseignement du chinois. Puis, en 1973, il est invité par Jacques Gernet à l'université Paris-VII où il dirige l'UFR (Unité de formation et de recherche) des Langues et Civilisations de l’Asie orientale jusqu’en 1979. Malgré la charge de son enseignement et des tâches administratives, il prépare une thèse pour un doctorat d’État qu’il obtient en 1975. La thèse sera publiée aux presses de l’EFEO en deux volumes, en 1977 et 1980, sous le titre « Wangdao ou la Voie royale. Recherches sur l’esprit des institutions de la Chine archaïque » (Vol. 1 : Structures culturelles et structures familiales. Vol.. 2 : Structures politiques – les rites).

 

 

Wangdao ou la Voie royale

 

 

C’est un « ouvrage monumental », selon les termes de Marc Kalinowsky, qui fait la synthèse des recherches dans le domaine de la protohistoire chinoise à partir des découvertes des textes oraculaires sur os et écailles de tortues des Shang et des inscriptions sur vases rituels des Zhou occidentaux qu’il avait longuement étudiés. Son travail sur les généalogies royales et les protocoles rituels amène Léon Vandermeersch à mettre en relief l’importance primordiale du culte des ancêtres dans la religion des Shang et des Zhou, sur le plan des relations matrimoniales et des structures de parenté, mais aussi dans l’organisation territoriale et l’exercice du pouvoir politique.

 

Il étend son étude aux deux premiers empires des Qin et des Han en retraçant le processus d’élaboration des classiques confucéens et en tire des notions-clés :

- le « formalisme rituel » propre au confucianisme où la dimension religieuse du rite est progressivement remplacée par une dimension sociale de contrôle et de régulation des activités humaines ;

- le « rationalisme divinatoire » né de l’évolution aboutissant au « Livre des mutations » (le Yijing), avec développement d’un système de correspondance entre ordre naturel et monde humain témoignant d’une orientation cosmologique plutôt que théologique de la pensée chinoise ;

- et enfin la notion de « langue graphique » dont l’origine est liée à la pratique divinatoire et qui est donc ipso facto éloignée de la langue parlée.

 

Directeur d’études à l’EPHE

 

En 1980, à l’issue de sa thèse, Léon Vandermeersch entre à l'École pratique des Hautes Études (EPHE), Ve section (Sciences religieuses), où il occupe la direction d’études « Systèmes de croyances et de pensée du monde sinisé » jusqu'à sa retraite en 1993. Son enseignement porte sur les thèmes explorés dans sa thèse, mais en les enrichissant peu à peu de recherches et réflexions nouvelles sur l’écriture et l’historiographie chinoises, qu’il développera dans ses « Études sinologiques » publiées en 1994 aux Presses universitaires de France.

 

Il étend ensuite son champ de recherche à l’histoire du confucianisme à l’époque impériale, de la fin des Han au début des Song (du 2e au 11e siècle). Parallèlement, il travaille aussi à organiser des colloques et conférences interdisciplinaires et comparatistes avec d’autres chercheurs de l’EPHE, dont son collègue Kristofer Schipper, titulaire de la direction d’études « Religions de la Chine ».

 

C’est alors, de 1981 à 1984, qu'il assure en outre, par délégation, la direction de la Maison franco-japonaise de Tôkyô. En 1989, il prend la direction de l'EFEO. Ses nombreux déplacements lui font mesurer l’importance croissante de l’Asie orientale, alors en pleine effervescence, et il consigne sa vision optimiste du rôle qu’il entrevoit pour la Chine et les pays voisins dans son essai publié aux PUF en 1986 : « Le nouveau monde sinisé ».

 

 

Le nouveau monde sinisé (éd. You Feng 2004)

 

 

Par ailleurs, de 1976 à 1982, il a, entre autres fonctions, fait partie du Comité national du CNRS. En 1991, il est nommé membre correspondant de l’Académie des inscriptions et belles-lettres.

 

Une retraite qui n’en est pas une

 

Il prend sa retraite en 1993, mais n’en continue pas moins ses recherches et activités à un rythme tout aussi soutenu, avec de nombreux déplacements en Asie, et en particulier en Chine, pour donner des conférences, participer à des colloques et poursuivre ses recherches.

 

Pendant les trois décennies suivant sa « retraite », il publie sept livres et une vingtaine d’articles publiés dans des revues ou des ouvrages collectifs, dont beaucoup traduits en chinois.

 

 

Le Ciel

 

 

Il est décédé à Paris le 17 octobre 2021.

 

Sans compter ses décorations françaises (Légion d’honneur, Palmes académiques), il était décoré de l’Étoile d’or et d’argent de l’Ordre du Trésor sacré du Japon, lauréat (en 2019) du prix Huilin de l’université normale de Pékin (会林文化奖) [2], lauréat des prix Stanislas Julien et d’Aumale de l’Académie des inscriptions et belles-lettres.

 

 

Léon Vandermeersch couronné du prix Huilin (photo China Daily)

 

 


 

Publications

 

Principaux ouvrages

 

- La formation du légisme. Recherche sur la constitution d'une philosophie politique caractéristique de la Chine ancienne, Paris, EFEO, 1965 [réimpr. 1987].

- Wangdao ou la Voie royale. Recherches sur l’esprit des institutions de la Chine archaïque, 2 vol., EFEO 1977 et 1980. Rééd. You Feng, 2009.

- Le nouveau monde sinisé, PUF, 1986. Rééd. Aix-en-Provence, 1997. Rééd. You Feng avec préface de l’auteur, 2004.

Compte rendu de François Héran dans la Revue française de sociologie, 1987/4, pp. 716-718.

- Confucianisme et sociétés asiatiques, Yuzô Mizoguchi et Léon Vandermeersch (éd.), L'Harmattan - Sophia University (Tokyo), 1991.

- Études sinologiques, PUF, 1994.

Numérisé sur Gallica : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k34055121

- Sagesses chinoises, avec Jean de Miribel, Flammarion, coll. « Dominos », 1997.

- Le Ciel, avec Tang Yijie, Desclée de Brouwer, 2010.

- Les deux raisons de la pensée chinoise : divination et idéographie, Gallimard, 2013.

- Ce que la Chine nous apprend : sur le langage, la société, l’existence, Gallimard, 2019.

- La Littérature chinoise, littérature hors norme, Gallimard, 2022.

 

Chapitres dans des ouvrages

 

- « De la tortue à l’achillée », in Divination et rationalité, J.P. Vernant éd., Seuil, 1974, pp. 29-51.

- « Note sur les inscriptions oraculaires de Fenchucun », in Essays and Studies Presented to Dr. Ikeda Suetoshi in Honour of his Seventieth Birthday, Hiroshima,1980, chap. 1, pp. 1-17.

- « Le développement de la procédure écrite dans l'administration chinoise à l'époque ancienne », in State and Law in East Asia : Festschrift Karl Bünger, Dieter Eikemeier, Herbert Franke (dir.), édité par Otto Harrassowitz, Wiesbaden, 1981, pp. 1-24.

- « Une vison confucianiste moderne du bouddhisme : le nouveau cognitivisme de Xiong Shili », in De Dunhuang au Japon : Études chinoises et bouddhiques offertes à Michel Soymié, J.-P. Drège éd., EFEO/Collège de France (Institut des Hautes Etudes chinoises), Droz, 1980, rééd. 1996, 2000, pp. 301-316.

 


 

Articles

(à lire en ligne)

- « Une tradition réfractaire à la théologie : la tradition confucianiste », Extrême-Orient, Extrême-Occident. Numéro thématique : Une civilisation sans théologie ? 1985/6, pp. 9-21

- « Les origines divinatoires de la tradition chinoise du parallélisme littéraire », Extrême-Orient, Extrême-Occident. Numéro thématique : Parallélisme et appariement des choses, sous la direction de Corinne Le Mero,‎ 1989/11, pp. 11-33

Dans les inscriptions oraculaire du 2e millénaire avant J.C. apparaît une sorte de prototype du parallélisme littéraire sous la forme des divinations symétriques sur écailles de tortues, comme des sentences parallèles. Divination symétrique retrouvée dans les poèmes du Shijing comme expression de la vox populi.

 

Recensement des publications dans Persée : https://www.persee.fr/authority/249714

 


 

Conférence

- Le Confucianisme des Song du Nord, 1ère période : de Xing Bing (邢昺933-1010) à Fan Zhongyan (范仲淹 989-1052), Annuaire de l’École pratique des hautes études, 1991/100, pp. 97-102.

 


 

Bibliographie

 

- En suivant la voie royale, Mélanges offerts à Léon Vandermeersch, J. Gernet et M. Kalinowski éd., EFEO (Études thématiques 7), 1997.

- La société civile face à l’Etat dans les traditions chinoise, japonaise, coréenne et vietnamienne, actes du colloque américano-européen de Paris (29-31 mai 1991), éd. par Léon Vandermeersch, EFEO « Études thématiques », 1994.


 

[1] Le musée est aujourd’hui le Musée national d’Histoire du Vietnam et se trouve dans l’ancien bâtiment de l’EFEO, construit du temps de l’Indochine française, en 1932, par l’architecte Ernest Hébrard.

[2] Prix créé en 2015 en l’honneur de madame Huang Huilin (会林), professeur émérite de l’Université normale de Pékin, pour distinguer des personnalités, chinoises et étrangères, ayant contribué à la promotion internationale de la culture chinoise.


 

     

 

 

 

 

 

     

 

 

 

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