Les grands sinologues

 
 
 
     

 

 

Les grands sinologues français

Jacques Gernet (1921-2018)

Présentation

par Brigitte Duzan, 8 octobre 2025

 

Éminent maître de la sinologie française, Jacques Gernet est entre autres l’auteur d’un ouvrage sur l’histoire de la Chine qui reste une référence : « Le Monde chinois », initialement publié en 1972.

 

 

Jacques Gernet (photo Collège de France)

 

 

Son père était l’helléniste Louis Gernet (1882-1962), élève de Durkheim, ami de Marcel Granet et de Marcel Mauss, et historien de la pensée juridique et morale de la Grèce ancienne. Et c’est parce que son père venait d’être nommé professeur à l’université d’Alger que Jacques Gernet est né là, en 1921, trois jours avant Noël.

 

Il suit d’abord les pas de son père et obtient une licence de lettres classiques à l’université d’Alger en 1942, mais ses études sont interrompues par la guerre car il est mobilisé entre 1942 et 1945. C’est son échec à l’agrégation de lettres classiques qui l’oriente vers les études chinoises, mais il reste fidèle au modèle paternel en contribuant à introduire une approche anthropologique dans l’étude de l’histoire chinoise. Il obtient en 1947 un diplôme de chinois à ce qui était encore l’École nationale des langues orientales (Langues-O, devenue INALCO), puis en 1948 à l’École pratique des Hautes Études (EPHE) où il a été l’élève de Paul Demiéville qui y était directeur d’étude depuis 1945.

 

Il intègre alors l’École française d’Extrême-Orient (EFEO) et réside de février 1949 à novembre 1950 à Hanoï où il publie son premier magnum opus : la présentation et la traduction des enseignements de Shenhui (Heze Shenhui 菏澤神會/菏泽神会), patriarche du 8e siècle de l’"école du sud" du bouddhisme Chan. À son retour en France fin 1950, Jacques Gernet devient chercheur au CNRS.

 

En 1955, il est nommé directeur d’études à la VIe section de l’EPHE (future l’EHESS). Il soutient l’année suivante sa thèse pionnière sur les aspects économiques du bouddhisme dans la société chinoise du 5e  au 10e siècle. À partir de 1957, il enseigne également la langue et la civilisation chinoises à la Sorbonne, d’abord comme maître de conférences, puis comme professeur à partir de 1959 ; il poursuit sa carrière dans le même poste à l’université Paris 7 à sa création après Mai 68. En 1968, il y fonde l’Unité d’enseignement et de recherche des Langues et civilisations de l’Asie de l’Est et la dirige jusqu’en 1973.

 

En 1974, Rolf Stein, titulaire de 1966 à 1981 au Collège de France de la chaire Étude du monde chinois : institutions et concepts, plaide pour l’élection de Jacques Gernet au Collège. C’est ainsi que, le 4 décembre 1975, dix ans après le départ à la retraite de son maître Paul Demiéville, Jacques Gernet inaugure la chaire d’Histoire sociale et intellectuelle de la Chine (Histoire et archéologie) qu’il occupera jusqu’à son départ à la retraite en 1992. En  juin 1979, c’est encore à Paul Demiéville, trois mois après son décès, que Jacques Gernet succède à l'Académie des inscriptions et belles-lettres.

 

Dans son hommage à son illustre prédécesseur, Anne Cheng cite les remarques de Jean Levi considérant les travaux de Gernet sous une triple approche : d’une part, la conviction qu’une histoire véritablement universelle ne peut négliger la spécificité chinoise et ses apports aux autres cultures ; d’autre part, une méthode comparative inspirée de Marcel Granet, partant du concret et s’inscrivant dans une réalité et une temporalité spécifiques pour remonter vers le général ; des travaux, enfin, qui s’inscrivent dans le courant de la micro-histoire, en particulier à travers l’étude des mentalités.

 

Mais, sous des dehors quelque peu austères, Jacques Gernet était profondément simple et humain comme aiment à le rappeler ceux qui l’ont connu, et sont encore là, telle Anne Cheng, pour en témoigner. Il était aussi gentiment provocateur parfois, et certaines de ses idées n’en finissent pas de résonner comme un rébus à déchiffrer : « Le monde chinois, bien plus complexe que l’on a toujours tendance à l’imaginer, a connu différentes humanités successives. »

 


 

À lire en complément

 

L’Hommage d’Anne Cheng à Jacques Gernet sur le site du Collège de France.

Hommage qui commence par un bref retour historique sur les éminents représentants de la sinologie française qui ont précédé Jacques Gernet au Collège de France depuis 1814, et dont elle est la dernière héritière, 1814 c’est-à-dire « l’année où fut créée une chaire Langue et littérature tartares-mandchoues attribuée à Jean-Pierre Abel-Rémusat », suivi de manière quasi-continue par Édouard Chavannes (1865-1918), Paul Pelliot (1878-1945) ou encore Henri Maspero, mort en déportation à Buchenwald en 1945. « Le flambeau fut repris après la guerre par Paul Demiéville, titulaire de la chaire Langue et littérature chinoises de 1946 à 1964, que Jacques Gernet considérait comme son maître et auquel il vouait une admiration sans borne ».

 

Jacques Gernet, leçon inaugurale de la chaire Histoire sociale et intellectuelle de la Chine du Collège de France, prononcée le 4 décembre 1975.

 

 

Exposition et hommage à la bibliothèque

de l’université de Macau, mars-mai 2018

 

  


 

Principales publications

 

Ouvrages

- Entretiens du maître de dhyâna Chen-houei du Ho-tsö (668-760), Hanoi, EFEO, 1949 [rééd. 1974].

- Les aspects économiques du bouddhisme dans la société chinoise du Ve au Xe siècle, Saigon, EFEO, 1956 [rééd. 1977].

- La vie quotidienne en Chine à la veille de l'invasion mongole, Hachette, 1959 [rééd. 1978, 1990], in : « Écrit et histoire en Chine », Journal de psychologie normale et pathologique, janv.-mars 1959.

- Catalogue des manuscrits chinois de Touen-houang (Fonds Pelliot-chinois), de la Bibliothèque nationale, vol. 1, avec Wu Chiyu, Paris, Bibliothèque nationale, 1970.

- Le Monde chinois, Armand Colin, coll. « Destins du monde », 1972[1] [rééd. 1980, 1990, 1999], ouvrage abondamment illustré de planches et de cartes.

Rééd. Pocket 2006, en 3 tomes : I. De l’âge du bronze au Moyen-Âge (2100 av. JC-Xe s. après JC) ; II. L’époque moderne (Xe-XIXe s.) ; III. L’époque contemporaine (XXe s.).

 

 

Le Monde chinois, Armand Colin 1999

 

 

- Chine et christianisme, action et réaction, Gallimard, 1982 [rééd. sous-titrée : La première confrontation, 1991].

- Tang Zhen, Écrits d'un sage encore inconnu, Gallimard, 1991

- L'intelligence de la Chine : le social et le mental, Gallimard, coll. « Bibliothèque des histoires », 1994.

- La Raison des choses : Essai sur la philosophie de Wang Fuzhi (1619-1692), Gallimard, coll. « Bibliothèque de philosophie », 2005.

- Société et pensée chinoises aux XVIe et XVIIe siècles (résumés des cours du Collège de France, 1975-1992), Fayard/Collège de France, 2007.

- La Vie quotidienne en Chine à la veille de l'invasion mongole, 1250-1276, Hachette, 1959/1978, Philippe Picquier, 2007.

 

Articles

- « Être enterré nu », Journal des savants, Persée, vol. 1, no 1,‎ janv.-sept.1985, p. 3-16

[Sur l’importance des rites funéraires, mais aussi la nécessité d’éviter les excès en « faisant retour à l’authentique].

- « Clubs, cénacles et sociétés dans la Chine des XVIe et XVIIe siècles », Comptes rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, Persée, vol. 130, no 4,‎ 1986, p. 676-685

- « L'École française d'Extrême-Orient et les études chinoises », Comptes rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, Persée, vol. 144, no 4,‎ 2000, p. 1501-1505


 

[1] Compte rendu par Michel Cartier dans la revue Annales, 1973, 28-2, pp. 464-466

Compte rendu par Roger Levy, dans la revue Politique étrangère, 1972, 37-5, pp. 705-708.

Roger Levy souligne quelques-unes des questions que pose cette histoire : « La Chine a-t-elle vocation centralisatrice ? Est-elle sujette à des éclatements ? A-t-elle été expansionniste, l’est-elle redevenue ? etc. À ces questions,… parmi d’autres, répondent les commentaires de M. Gernet qui montre que la Chine fut centralisatrice et ignora les voies transcendantes » citant Marcel Granet : « En Chine, ni dieu ni loi. »

Réponses souvent originales et non-conformistes, comme dans l’analyse des relations de la Chine avec le Japon, dont Jacque Gernet souligne l’influence positive, et même pacifique, qu’il a pu avoir.

 

 

     

 

 

 

 

 

     

 

 

 

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