Sanwen

 
 
 
     

 

 

Bao'erji Yuanye 鲍尔吉・原野

Deux sanwen

par Brigitte Duzan, 19 janvier 2017

 

« Un clair de lune comme un mouchoir» 月光手帕

 

很多年以前,我在医院为父亲陪床。病人熟睡后,陪床的人并没有床可睡。时间已是后半夜,我在一楼和三楼的楼梯间散步。这时医院里没什么人走动了,几个乡下人披着棉袄蹲在楼梯口吸烟。偶尔,有带着罩的护士手执葡萄糖瓶轻盈往来。

 

Il y a longtemps de cela, je me suis occupé de mon père alors qu’il était hospitalisé. Une fois les malades endormis, les personnes qui les accompagnent n’ont pas de lit où pouvoir dormir. Je me suis ainsi retrouvé, à minuit passé, à errer dans les escaliers entre le rez-de-chaussée et le deuxième étage. A cette heure-là, au milieu de la nuit, il n’y a pas âme qui vive dans un hôpital ; on ne rencontre guère que quelques paysans venus de leur campagne qui, enveloppés dans une veste molletonnée, fument une cigarette accroupis sur le palier de l’escalier. Il arrive aussi de voir une infirmière, un masque sur le visage, passer doucement en portant un flacon de glucose.


    我下到一楼,又拾阶上楼。走在我前面的一个小姑娘,约莫是个中学生,行走间蹲下,在捡一样东西,旋即又走开了,并回头瞅我一眼。她走开后,地上一个薄白之物仍放着,像一块手帕。我走近一看,这不是手帕,而是一小片月光摊在楼梯上。为什么是一小片呢?原来是从被钉死的落地长窗斜照进来的,只有一方手帕大的小窗未钉死。子夜之时,下弦月已踱到西天。这一片月光射入,在昏黄的楼道灯光下,弥足珍贵。

 

Arrivé en bas de l’escalier, il ne me restait qu’à remonter. Un jour, j’ai vu, marchant devant moi, une adolescente de l’âge d’une lycéenne, peu ou prou, qui s’est soudain accroupie pour ramasser quelque-chose, puis s’est vite écartée avant de tourner la tête et me lancer un regard. Quand elle s’est éloignée, il restait par terre une petite chose blanche qui ressemblait à un mouchoir. En m’approchant, j’ai réalisé que ce n’était pas un mouchoir, mais un minuscule reflet de la lune projeté sur l’escalier. Pourquoi un reflet si minuscule ? Parce qu’il était réduit à la lumière projetée sur le sol par un mince

 

Un clair de lune comme un mouchoir

(source : blog Qing Hu 青狐)

faisceau tombant en oblique de la fenêtre, qui ne faisait pas plus, au sol, que la surface d’un mouchoir de poche. A minuit, le troisième quartier de lune était à l’ouest, dans le ciel. Pénétrant ainsi par la fenêtre et éclairant la cage de l’escalier plongée dans l’obscurité, la lueur de la lune avait un éclat précieux.

    
小姑娘误以为这是奶白色的手帕,她弯腰时,手指触到冰凉的水泥地便缩回去了。她瞅了我一眼,也许是怕笑话。

 

L’adolescente s’était trompée et avait pensé qu’il s’agissait d’un mouchoir d’une blancheur laiteuse, mais lorsqu’elle se pencha, ses doigts touchèrent le sol de ciment glacé, et se rétractèrent aussitôt. Si elle me lança un regard, peut-être était-ce parce qu’elle craignait que je me moque d’elle.


    
我不会嘲笑她,这一举动里充满了生机。小姑娘也是一个病人的家属,我不知她的家人在床上受着怎样的煎熬,但她的心里仍装着美,不然不会把月光误作为手帕。
 

Mais je ne pouvais pas me moquer, son geste était plein de vie. Elle était, elle aussi, la parente d’un malade, et savoir pas quels tourments ce patient endurait sur son lit d’hôpital, mais son âme à elle était empreinte de beauté, autrement elle n’aurait pas pris un reflet de lune pour un mouchoir.


    
在她发现这块“月光手帕”前,我已将楼梯走了几遍,对周遭懵然无动于衷1,正是因为她弯腰,才诱使我把这一小片月色看成是手帕,或者像手帕,但我感伤于自己没有她那样的空灵,走过来也不会弯下腰去。因为一双磨炼得很世俗的眼睛极易发现月光的破绽,也就失去了一次美的愉悦。
 

Avant de la voir commettre cette méprise, j’avais déjà parcouru l’escalier plusieurs fois, et j’étais totalement insensible à mon environnement ; c’est parce qu’elle s’est baissée que j’ai été incité à considérer ce rayon de lune comme un mouchoir, ou quelque chose qui ressemblait à un mouchoir, et j’ai ressenti une grande tristesse en voyant que je n’avais pas sa spontanéité, et que moi, je ne m’étais pas baissé au passage. Parce que j’avais un regard ordinaire et exercé capable de déceler l’erreur de perception de la lumière de la lune, j’avais raté la joie d’un instant de beauté.


    
许多年过去了,我对此事有了新的想法。多么喜欢她把这块“手帕”捡起来,抖一下,这是不可能的事情,但我替月光遗憾,它辜负了小姑娘轻巧的半蹲捡手帕的纯真心灵。

 

En y resongeant bien des années plus tard, je vois les choses différemment. Que j’aie tant aimé ce geste de l’adolescente se baissant pour ramasser le « mouchoir » et en tremblant un peu, c’est impossible. Ce que je regrette, cependant, c’est que le rayon de lune ait trahi la pureté du geste spontané de cette adolescente se courbant prestement pour ramasser le mouchoir.

 

Une carte de vœux dans la neige 《雪地贺卡》

 

今年,沈阳的雪下得大,埋没膝盖,到处都有胖乎乎的雪人。

下班时,路过院里的雪人,我发现一件奇怪的事:雪人的胸前插着一张纸片。我这人好奇心重,抽出来一看,原来是一张贺卡,画面是一个满脸雀斑的男孩,穿着成人牛仔装,在抹鼻涕。贺卡上写着:

Cette année, il a beaucoup neigé, à Shenyang [1], la neige nous arrive aux genoux et il y a partout de gros bonshommes de neige.

En sortant du travail, je suis passé devant l’un d’eux, dans une cour, et j’ai remarqué une chose étrange : il avait un bout de papier inséré sur la poitrine. Je suis quelqu’un de très curieux, j’ai donc retiré le papier pour le regarder, et j’ai vu que c’était une carte de vœux avec, dessus, l’image d’un petit garçon au visage plein de taches de rousseur ethabillé en cow-boy qui s’essuyait la morve du nez.

Sur la carte était écrit :

 

雪人:

你又白又胖,橘红的嘴唇,真好看。你一定不怕冷,半夜自己害怕吗?你饿不饿呀?咱俩做个好朋友吧!

祝你:新年快乐,心想事成!

阳光小学二年级四班刘玲

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Cher bonhomme de neige,

Tu es gros et blanc, avec des lèvres faites de morceaux de peau d’orange, c’est vraiment très joli. Forcément, tu ne crains pas le froid, mais as-tu peur la nuit ? as-tu faim ? Soyons amis, tous les deux !

Meilleurs vœux, très bonne année, que tous tes souhaits se réalisent !

Liu Ling, classe de CE1 n° 4 de l’école de Yangguang.

24 décembre.

 

我也曾寄出或接受过一些贺卡,这张贺卡却格外让人心动。我有点嫉妒雪人,能收到刘玲这么诚挚的关爱。

我把贺卡放回雪人的襟怀,只露一点小角。回到家,放不下这件事,于是以雪人的名义,给刘玲写了一张贺卡。我不知这样做对不对,希望不至于伤害孩子的感情。

 

J’envoie et reçois moi aussi beaucoup de cartes de vœux, mais celle-ci avait un côté peu ordinaire, très touchant. J’enviais un peu ce bonhomme de neige pour les sentiments si sincères qu’il suscitait chez Liu Ling.

J’ai remis la carte sur la poitrine du bonhomme de neige en en laissant seulement apparaître un coin. Mais je n’ai pas laissé tomber l’affaire une fois rentré chez moi, et, au nom du bonhomme de neige, ai écrit une carte de vœux à Liu Ling. Je ne savais pas si j’avais raison d’agir ainsi, mais je ne voulais surtout pas froisser les sentiments de l’enfant.

 

刘玲:

真高兴得到你的贺卡,在无数冬天里面,从来没人送给我贺卡。你是我的好朋友!

祝你:学习进步永远快乐!

雪人

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Ma chère Liu Ling,

Je suis très content d’avoir reçu ta carte ; depuis tant d’hivers, c’est la première fois que quelqu’un m’en envoie une. Tu es ma très bonne amie !

Je te souhaite de faire des progrès à l’école et d’être éternellement joyeuse !

Le bonhomme de neige,

31 décembre.

 

我把贺卡寄了出去,贺卡封面是圣诞老人滑雪橇的图画。几天里,我时不时看一眼雪人,刘玲是否会来?认识一下也好。第三天,我看见雪人的肩膀上又插了一张贺卡,忙抽出来读。

Puis je sortis porter la carte, qui était illustrée d’un traîneau avec le Père Noël. Les jours qui suivirent, je suis allé donner un coup d’œil au bonhomme de neige, pour voir si Liu Ling était venue. J’aimais autant savoir tout de suite. Trois jours plus tard, je vis qu’une autre carte était glissée sur son épaule et je me suis précipité pour la lire.

 

雪人:

我收到你的贺卡高兴得跳了起来。神话不是实现了吗?但我的同学说这是假的。是假的吗?我爸说这是大人写的。请你告诉我这是不是真的。我也觉得你不会写贺卡,那大人是谁?你能告诉我吗?十万火急!(15个惊叹号)

祝你:万事如意心想事成!

刘玲

13

Cher bonhomme de neige,

En recevant ta carte de vœux, j’ai bondi de joie. C’est donc que les légendes peuvent se réaliser ? Pourtant mes camarades, à l’école, disent que c’est une arnaque. C’est vrai ? Mon père dit que c’est une grande personne qui a écrit la carte. Dis-moi, s’il te plaît, si c’est vrai. Moi aussi, je pense que tu ne peux pas écrire de cartes de vœux, mais la grande personne, alors, qui est-ce ? Tu peux me le dire ? Réponds vite, c’est urgent ! (15 points d’exclamation)

Tous mes vœux t’accompagnent, que tes souhaits se réalisent !

Liu Ling

3 janvier.

 

我把贺卡放回去,生出别样心情。刘玲是个相信神话的孩子,多么幸福,我也有过这样的年月。在这场游戏中,我应该小心而且罢手了。尽管刘玲焦急地期待回音。

就在昨天,星期日的下午,雪人前站着一个女孩,背对着我家的窗。她装束臃肿.胳膊都放不下来了。这必是刘玲。她痴痴地站在雪人边上,不时捧雪拍在它身上。雪人橘红的嘴唇依然鲜艳。

我不忍心让刘玲就这么盼望着,像骗了她。但我更不忍心破坏她的梦。不妨让她惊讶着,在长大后跟自己的朋友讲这张贺卡的奇遇。

一个带有秘密的童年是多么的幸福。

 

J’ai remis la carte à sa place, j’avais changé d’idée. Liu Ling avait la chance de croire encore aux légendes ; moi aussi, à son âge, j’y croyais. Il fallait que je sois prudent, en jouant ce jeu, et il valait mieux que je ne continue pas. Même si Liu Ling attendait avec impatience une réponse.

Et hier, dimanche après-midi, j’ai vu une petite fille debout devant le bonhomme de neige, tournant le dos à la fenêtre de ma maison. Elle était empêtrée dans des vêtements tellement épais qu’elle pouvait à peine baisser les bras. C’était certainement Liu Ling. Elle était là,comme une idiote, à côté du bonhomme de neige, prenant un peu de neige de temps en temps pour le tapoter çà et là. La couleur des lèvres en peau d’orange du bonhomme de neige étaient toujours aussi vive.

Je n’avais pas le cœur à laisser Liu Ling espérer ainsi, j’avais l’impression de la tromper. Mais j’avais encore moins le cœur à détruire son rêve. C’était aussi bien de la laisser à son étonnement ; plus tard, quand elle aurait grandi, elle parlerait avec ses amis de l’incroyable histoire de la carte de vœux.

Il n’y a pas plus heureux qu’une enfance avec des secrets.


 


[1] Shenyang est la capitale de la province du Liaoning, dans le nord-est de la Chine, où habite maintenant l’auteur.

 

 

 

 

 

 

 

     

 

 

 

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