阎连科《黑猪毛白猪毛》
Yan Lianke « Poil
de cochon blanc, poil de cochon noir »
par Brigitte Duzan, 21 avril 2010
Présentation
Voilà une nouvelle très
subtile qui fait pénétrer de plain pied dans la vie d’un petit
village du Henan dont on devine qu’il doit ressembler fortement
à celui où est né et a grandi l’auteur, mais qui pourrait aussi
bien, hormis les tournures dialectales, être n’importe où en
Chine aujourd’hui.
C’est un condensé des
travers d’une société où les cadres du Parti ont, grâce à leur
pouvoir, une autorité sans partage sur le petit peuple qu’ils
sont sensés administrer, suscitant une vénération qui n’a rien
d’éthéré, mais est au contraire très prosaïque : tout est
question des avantages matériels que l’on peut espérer tirer de
leur contact, et éventuellement des sacrifices que l’on peut
être amené à consentir en leur faveur.
S’ils descendent dans
un boui-boui de campagne au hasard d’une panne de voiture, leur
seul passage pourra ensuite attirer la clientèle ; si quelqu’un
accepte de faire de la prison à la place de l’un d’entre eux qui
a causé un accident mortel parce qu’il était ivre au volant,
c’est en escomptant des avantages futurs en retour, et, dans ce
cas, la concurrence est dure.
Même les femmes
envisagent les mariages sous le même angle de la recherche
d’autorité salvatrice ou bénéfique : les avantages se pèsent en
termes de retombées matérielles. Finalement, la richesse est peu
de choses comparée à l’autorité, car la première dépend in fine
de la seconde.
Yan Lianke prend donc
ici le contre-pied de tous ceux qui répètent à longueur de pages
que les méfaits de la recherche du profit seraient le pire
écueil de la société chinoise actuelle, avec la corruption.
Aucun de ces clichés ici. Yan Lianke nous dit que c’est bien
plutôt la soumission au pouvoir, pour tout ce qu’il peut
apporter d’avantages matériels, qui est la principale cause de
l’anomie de la société chinoise d’aujourd’hui, comme de
toujours.
Le propos, ironique,
est soutenu par un style très original, qui mêle les expressions
dialectales et les métaphores paysannes à de brèves envolées
poétiques qui ne dépassent cependant jamais le contexte local ;
on a l’impression d’avoir les pieds dans la glaise, et
d’entendre le bourdonnement des mouches dans la maison du
boucher.
C’est un texte
astucieusement construit autour de la figure centrale de ce
boucher dont l’activité est évidemment une métaphore en soi, les
autres personnages étant comme des marionnettes dont il tire les
fils à loisir ; mais son autorité est limitée au village, étant
sous la tutelle du chef du bourg qui fait figure, à ce niveau,
d’autorité suprême, voire occulte. L’empereur est loin, ce qui
importe, c’est le petit chef local qui pourra vous gratifier
d’une once de son autorité, vous aidant ainsi à trouver une
femme, à faire revenir celle qui est partie, ou à caser votre
petit frère. Mais est-ce tellement différent chez nous ?
阎连科《黑猪毛白猪毛》
Yan Lianke « Poil de
cochon blanc, poil de cochon noir »
(1)
春天本该1是春天的味道,如花的草的,蓝蓝浅浅的,悠忽地2飘散。或者,绿绿的,浓浓的,郁香儿扑鼻3,似着深巷里的酒呢。可是,落日时分,吴家坡人4却闻到一股血味,红红淋淋,腥浓着5,从梁道上6飘散下来,紫褐色7,一团一团,像一片春日绿林里夹裹8着几颗秋季的柿树哩9。谁说,你们闻,啥味儿?把夜饭端到村口饭场吃着的人们,便都在半空凝住手中的饭碗,抬起头,吸着鼻子,也就一股脑儿,闻到了那股血味。
——李屠户11家里又杀猪了。
静一阵,有人这样说了一句,人们就又开始吃着喝着。谁都知道,明儿是三月底,本月的最后一个集日,屠户家里当然是要杀猪赶集呢。不过,往常的集日,李屠户都是起早宰杀10,日出上路,当天到镇上卖售新鲜。为啥今儿要在黄昏宰杀?为啥今儿的血味要比往日刺鼻?村人们都没有去过多思想。仲春到了11,小麦从冬眠中睡醒过来,哗哗啦啦12长着,草呢,也相跟着疯生疯长。要锄地,要施肥13,田头有水的还要灌浇14,各家都忙得如蚂蚁搬家,谁能过多地顾上谁哩。
饭场是在村头15。李屠户家住在梁上,住在梁上大道的旁边,旁边是一个丁字路口16。既然已经弃田从商17,终归与梁道靠近好些;虽然是屠宰生意,也要图求一个运输便利18。图求邻村有了红白喜事19,寻上门来让替宰一头一条,也都有着许多便利。为着便利,为着兴隆20,李屠户也就从村落搬到梁上去了。盖了两层瓦楼,围了一所砖院,楼下屠宰,兼卖一些杂货、吃食、炒菜21;楼上住人,又辟出22两间做了客房。路过的行人,腿脚累了,不想走了,便坐在楼下吃些杂碎23下酒,喝得摇摇摆摆上楼。来天日出,酒醒了,乏困去了24,付了店钱、饭钱上路。
别看那两间客房简陋25,一张床,一张桌子,一个十五瓦的灯泡,停电了是半根蜡烛,可县委书记还在那房里睡过一夜。有人说,是车抛锚了26,书记不得不在那儿屈宿一觉27。可李屠户说,说那话的人是在放屁28,也不想想,司机敢让书记的车抛锚吗?说县委赵书记之所以要在他那儿屈尊一夜27,就是为了到百姓家里问问致富景况29,和他李屠户扯拉扯拉30。无论如何,县委赵书记是在那儿睡了一夜。这一睡,李家的生意竞相跟着旺盛起来31。两间客房的东屋,桌、床、被褥、脸盆、拖鞋32,都是赵书记用过的纪念物,妥善擦洗保存33,又仍给客人用着,于是,那间客房从每夜十元的价费涨到了十五元。行人也都长有凡贱之心34,价格涨了,因为县委书记住过,也都偏要到那屋里去睡。有跑长途运输的司机,竟连三赶四,踩着油门不松35,也就是为了去那东屋睡上一觉。当然,李屠户家里的杂碎肉香,杜康酒里又不兑水36,也是吴家坡人有目共睹的实情37。现今,李屠户家生发出啥儿惊天的事情,村人们也都不会惊乍38,连县委书记都果真在那儿睡过,哪还会有啥儿事情在那梁道边上不会发生哩。集日到了,把本该下夜更时39屠宰的猪挪移到40头天黄昏起刀,让春日夕阳里有一股血腥味儿,这又算啥稀罕事儿呢41?杀了,宰了,把两扇猪肉展在屠案上,淋上清水,用塑料薄膜盖上42,来日去卖又有谁能看出它不是新鲜的猪肉呢?
人们依然在饭场上吃饭,依然扯西拉东30。有人饭碗空了,起身回去盛着;有人不想回去,就差儿娃43回去一趟。儿娃哩,又刚刚端着饭碗从家里出来,便对父母哼哼哈哈44,他们便一脸挂了不悦45,骂着儿娃的不孝,说养你长大,连让回家盛碗汤饭你都懒得起动,早知这样,倒不如不生你还好。做儿娃的觉得委屈,因为并没说不去,只是因了犹豫,父母就当众破口骂了46,于是便顶撞起来47,说谁让你生我了?谁让你生我了?父亲或母亲被问得哑言,就从坐着的屁股下面抽出鞋来,一下掷了过去48,弄得饭场上飘满鞋灰,许多人赶快把饭碗护在胸下。就在这饭场上闹得尘土飞扬的时候,饭场外有了一声断喝49,叫着说吵啥哩?有啥好吵哩?父母让你们儿娃回家盛一碗汤饭错了吗?
饭场上哐的一下安静了。做儿娃的感着理屈50,不再说啥了。
村人们目沿着断喝,都朝村口通往梁道的方向51望过去,原来是屠户李星52从梁上回村了。
刘根宝53从饭场上回到家里,就像从宽展自由的田野进了考场,怯怯的54,有些不安。爹已经吃过饭了,正在院里抽烟,明明灭灭,在暮黑中闪烁着光色55。娘正在灶房洗整,锅碗相撞的声音淹在洗涮56的水里,听起来清脆潮润57。根宝一脚踏进灶房,把还有半碗饭的瓷碗推在灶台角上,想说啥儿,却只是望了望娘,便又勾着头58从灶房走了出来。
他蹲在了爹的面前。
爹说,有事?
他说,没啥事。
爹说,有事你就说吧。
他说,爹,我想去蹲监59。
做爹的愣了一下。从猛一吸亮的烟光中,能看见老人的脸上有些僵硬60,表情哩,像一块原本柔和的杂色面,忽然变成了生硬61的石头面。他把烟袋从嘴里拔下,盯着儿子,像盯着素昧平生61来问路的陌生人一样。
爹说,根宝,你说啥儿?
儿子根宝就又瞅了一眼父亲62。因着夜色,看不清父亲这时脸上的惊异有多厚多重,多少斤两,只是看见有一团漆黑63,像树桩样竖在那儿64,僵在那儿。因为看不清楚,他也就索性65不再看了,脱掉一只鞋子,坐在父亲面前,两只胳膊架在膝上,双手相互抠着,像剥着啥豆子66,没有立马回答爹的问话。
爹又问,你刚才说啥呀?根宝。
根宝说,爹,我想和你打个商量,如果你和娘同意,我想替人去住几天监狱。
爹吼着说,妈的,疯了?
根宝把头勾得更为低些,说,爹,我这不是和你商量嘛?
爹顿一会儿,又问,替谁?
根宝说,替镇长。
爹抬起了头,替谁呀?
根宝说,替镇长。
爹笑了,冷讥地道,镇长用你去替?
根宝说,刚刚在饭场,李屠户说了,说今儿落日时候,镇长开着小车从梁上走过,撞死了一个年轻人哩,张寨村的,二十余岁。说镇长撞死了人镇长应该负责呢;可镇长是镇长,谁能让镇长负责哦,于是哟,就得有人去县交通队替着镇长认个错,说人是我撞的,是我在李屠户家酒喝多了,开着拖拉机出门撞上的。后边的事,就啥儿甭管了67,镇长都有安排哩。说事情的尾末已经搞清68,就是赔张寨的死人家里一些钱。钱当然是由镇长支出的。然后,然后哩,就是谁说是谁撞死了人,谁就到公安局的班房里69宿上十天半个月。
月亮已经升了上来。吴家坡在月光中静得如没有村落一样,能清晰地听见村街上走动的脚步声,踢里踢踏,由西往东,渐次地70远了。消失着到了李屠户家那儿了。娘好像把根宝说的缘缘由由71全都听得十分明了了,她没有立马接话儿,不知从哪儿端出一小筐儿72花生,端过一张凳子,把凳子放在男人和儿娃中间,把那一筐儿花生放在凳子上边。而后她就随地坐在花生筐前,望望儿娃,又瞅瞅男人,长长地叹了口气,走进了他们父子深深的沉默内。
Vocabulaire et
traduction
Le texte comporte
certaines formes dialectales, en particulier
咋zǎ pour 怎么,
啥(儿)
shá(‘r) pour什么,
昨儿
pour 昨天,
今儿pour
今天,etc…
ainsi que des termes régionaux, comme
灶房
zàofáng pour
la cuisine (l’endroit où est le foyer, le fourneau),
孩娃háiwá les
enfants, …
01
本该
běngāi devoir au conditionnel, être supposé…
02
悠忽
yōuhū
flâner
nonchalamment
03郁香扑鼻
yùxiāng
pūbí
des senteurs fortes assaillent les narines
04
吴家坡
Wújiāpō = le
nom du village (坡pō
pente, versant)
05 (血)腥
(xuè)xīng
qui empeste le sang
06
梁道
liángdào
ligne de crête
07
紫褐
zǐhè
pourpre
08
夹裹
jiāguǒ
insérer (en enveloppant) dans
09
柿树
shìshù
plaqueminier (dont le fruit est le kaki :
柿shì)
10
屠户
túhù
boucher
屠tú
massacrer, abattre =
宰杀zǎishā
11
仲春
zhòngchūn
le milieu du printemps (仲zhòng
est le deuxième mois d’une saison)
12
哗啦
huālā
grand bruit, fracas
(pluie qui tombe à verse, par ex.)
13
锄地
chúdì
biner, sarcler
施肥shīféi
mettre de
l’engrais, fertiliser
14
灌浇
guànliāo
irriguer
15
饭场
fànchǎng emplacement usuel, dans un village, où les gens
se rassemblent pour manger, souvent à l’ombre d’un arbre l’été,
et à l’abri des vents froids l’hiver (指农村中人们聚集在一起吃饭的场地)
16
丁字路口
dīngzìlùkǒu
croisement, intersection en T
17
弃田从商
qìtián
cóngshāng
litt. : abandonner les champs pour se lancer dans le commerce
18
运输
yùnshū
transport,
便利biànlì
pratique,
commode
19
红白喜事
hóngbáixǐshì
mariages et enterrements (rouge et blanc : couleurs du mariage et du
deuil)
20
兴隆
xīnglóng
prospère, florissant (affaires)
21炒菜
chǎocài
plats cuisinés pour accompagner le riz, à base de légumes
sautés, mais pas seulement
22
辟(出)
bì(chū)
réserver, mettre de côté
23
杂碎
zásui
tripes
24乏困去了
fákùn
qùle la
fatigue une fois dissipée (乏fá
ici = fatigué)
25
别看
biékàn
bien que
简陋jiǎnlòu
très simple,
rudimentaire
26
抛锚
pāomáo
tomber en panne (expression imagée : c’est littéralement ‘jeter
l’ancre’)
27
屈宿一觉
qūsù
yíjiào
accepter de passer la nuit
屈尊一夜qūzūn
yíyè daigner rester une nuit
28
放屁
fàngpì
dire n’importe quoi, des conneries
29
致富景况
zhìfù
jǐngkuàng
les circonstances dans lesquelles, la manière dont ils se sont
enrichis
30
扯拉扯拉
chělā
chělā discuter un peu
扯西拉东chěxī
lādòng
bavarder de choses et d’autres
31
旺盛
wàngshèng
florissant, exubérant
32被褥
bèirù
literie
拖鞋tuōxié
pantoufles
33
妥善擦洗
tuǒshàn cāxǐ
frotter, récurer de
manière appropriée
34凡贱
fánjiàn
= 平凡卑贱píngfán
bēijiàn
ordinaire et simple, humble,bas
35
踩油门
cǎi
yóumén
appuyer sur l’accélérateur
36
杜康酒
dùkāngjiǔ
vin prestigieux de la marque Du Kang : le nom vient d’un
personnage légendaire qui, à l’époque de la dynastie des Zhou de
l’Est, il y a plus de 2 700 ans, aurait inventé le vin en Chine,
dans la vallée du même nom, près de Luoyang (Henan), en
utilisant l’eau de la source locale.
兑水
duìshuǐ
ajouter de l’eau, couper (du vin)
37
有目共睹
yǒumùgòngdǔ
évident, qui se remarque, saute aux yeux
38
惊乍
jīngzhà
prendre par surprise, alarmer (乍zhà
soudain)
39
下夜更时
xiàyè
gēngshí
pendant la nuit (更gēng
ici : une
veille, l’une des cinq périodes de deux heures en lesquelles
était divisée la nuit dans la Chine ancienne, et qui étaient
sonnées)
40
挪移
nuóyí
transférer, reporter (到
à)
41
稀罕
xīhǎn
rare,
exceptionnel / qui attire l’attention à cause de son caractère
exceptionnel
42
塑料薄膜
sùliàobómó
feuille plastique
43
差儿娃
chāi
érwá envoyer un enfant (faire une course…)
44
哼哼哈哈
hēnghēng hāhā
= hum hum …
hésiter, ne pas montrer un grand enthousiasme
45
挂脸不悦
guàliǎn búyuè
faire la gueule, montrer son mécontentement
46
当众
dāngzhòng
en public, devant tout le monde
破口(大)骂pòkǒu(dà)mà
lancer un
flot d’injures
47
顶撞
dǐngzhuàng
contredire
48
掷
zhì
jeter, lancer
49 (一声)断喝
(yìshēng)
duànhè crier soudainement
50
理屈(词穷)
lǐqū (cíqióng)
ne pas savoir que
répondre, être à court d’argument
51
通往…方向tōnɡwǎnɡ
.. fāngxiàng
dans la direction de…
52
李星
Lǐ
Xīng : le
nom du boucher
53刘根宝
Liú
Gēnbǎo le nom d’un jeune villageois
54
怯怯
qièqiè
timide /
nerveux
55
暮黑
mùhēi
l’obscurité
du crépuscule
闪烁shǎnshuò
scintiller 光色guāngsè
éclat
changeant
56
洗涮
xǐshuàn
rincer
57
清脆/潮润
qīngcuì
/cháorùn
clair et mélodieux / humide
58
勾头
gōutóu courber la tête (勾gōu
ici : =像钩子一样弯曲的)
59
蹲监(狱)
dūnjiān(yù)
faire de la prison (蹲dūn
être accroupi / rester quelque part)
60
僵硬
jiāngyìng
raide, rigide
生硬shēngyìng
rigide / pas
naturel
61
素昧平生
sùmèipíngshēng
totalement inconnu, qu’on n’a jamais vu/rencontré auparavant
62
瞅一眼
chǒu
yìyǎn
jeter
un coup d’œil à
63
斤两
jīnliǎng
poids
一团漆黑yìtuánqīhēi totalement obscur = insondable, dont on ne sait rien
64
树桩
shùzhuāng
souche 竖shù
vertical,
droit
65
索性
suǒxìng faire aussi bien de..
66
抠
kōu
creuser, gratter
剥bāo
peler, décortiquer
67
甭管了
bèngguǎnle
pas la peine de vous/s’ inquiéter
68
尾末
wěimò
fin, conclusion
搞清gǎoqīng
tracer
clairement, nettement
69
班房
bānfáng
prison
70渐次
jiàncì petit à petit
71
缘由
yuányóu
raison, motif
72
筐
kuāng
panier
Au printemps,
normalement, on devrait sentir des effluves printanières, des
senteurs légères et bleutées d’herbes et de fleurs flottant
nonchalamment de ci de là. Ou encore, des odeurs capiteuses,
tirant sur le vert, qui vous assaillent les narines comme des
émanations d’alcools au fin fond d’une ruelle. Ce jour-là, à la
tombée de la nuit, cependant, c’étaient des odeurs de sang épais
qui empestaient le village de Wujiapo, des vagues pourpres qui
déferlaient une à une de la ligne de crête, comme un
plaqueminier ayant pris au printemps les couleurs de l’automne
se détachant sur le vert d’une forêt. Quelqu’un dit : vous
sentez, c’est quoi, cette odeur ? Les gens qui avaient apporté
leur bol pour prendre leur dîner avec les autres, à l’entrée du
village, en restaient cois, le bol en l’air, la tête levée, à
renifler et tenter de comprendre ce que voulait dire cette odeur
de sang.
——Le
boucher Li est encore en train de tuer un cochon, dit
quelqu’un.
La phrase résonna dans
le silence, et tout le monde se remit à boire et à manger. Ils
savaient bien que le lendemain était le dernier jour de marché
de cette fin de mars, il était évident que le boucher tuait un
cochon pour aller le vendre. Seulement, d’habitude, il se levait
tôt, le matin même, pour le faire, et se mettait en route au
lever du soleil ; ainsi, quand il arrivait au bourg pour la
vendre, la viande était encore fraîche. Pourquoi, cette fois-ci,
tuait-il la veille, à la tombée de la nuit ? Et pourquoi cela
empestait-il autant le sang aujourd’hui ? Les gens du village ne
réfléchirent cependant pas plus que cela à la question. Avec le
printemps, le millet sortait de sa léthargie hivernale et se
mettait à pousser à une allure démentielle, tout comme l’herbe.
Il fallait sarcler, mettre de l’engrais, irriguer les champs qui
pouvaient l’être, tout le village était aussi affairé qu’une
bande de fourmis en train de changer de fourmilière, personne
n’avait le temps de s’occuper des affaires des autres.
L’endroit où les gens
se rassemblaient pour manger était à l’entrée du village. La
maison du boucher, elle, était au bord de la route qui longeait
la ligne de crête, près d’un croisement. Comme il avait
abandonne l’agriculture pour se lancer dans le commerce, il
avait trouvé qu’il avait intérêt à s’installer là-haut ; il est
vrai que son affaire, c’était surtout l’abattage des cochons,
mais il lui fallait aussi un endroit facile d’accès. S’il y
avait un mariage ou un enterrement dans un village voisin, les
gens pouvaient venir faire abattre une bête, c’était très
commode. C’était pour ce côte pratique, pour optimiser ses
revenus, que le boucher Li avait quitte le bas du village pour
faire construire sur la crête, une maison au toit de tuiles,
entourée d’une cour murée, sur deux niveaux : au
rez-de-chaussée, il abattait les porcs et vendait un peu
d’épicerie, des produits alimentaires et quelques plats de
légumes ; à l’étage étaient les pièces d’habitation, et il en
avait même réservé deux comme chambres d’hôtes. Les voyageurs de
passage qui se sentaient fatigués et n’avaient pas envie de
continuer leur route pouvaient trouver en bas des abats et de
l’alcool, et, une fois qu’ils avaient bien bu, monter,
titubants, à l’étage. Le lendemain matin au réveil, dégrisés et
reposés, ils repartaient après avoir payé la chambre et le
couvert.
Ces deux chambres
étaient d’un confort des plus rudimentaires : un lit, une table,
une ampoule de quinze watts, et une moitie de bougie en cas de
coupure de courant ; pourtant, le secrétaire du comité de
district avait passé une nuit dans l’une d’elles. Selon
certains, sa voiture étant tombée en panne, il avait bien été
obligé de dormir là. Mais le boucher Li disait que c’était une
idiotie, que ceux qui racontaient cela n’avaient pas beaucoup de
jugeote, comment le chauffeur aurait-il osé laisser la voiture
du secrétaire tomber en panne ? Si le secrétaire Zhao du comite
de district lui avait fait l’honneur de descendre chez lui,
c’est parce qu’il voulait discuter avec lui, le boucher Li, pour
voir comment on s’enrichissait dans le peuple. Quoi qu’il en
soit, le secrétaire Zhao avait effectivement passé la nuit chez
lui, et, depuis lors, ses affaires n’avaient jamais aussi bien
marché. Dans la chambre de l’est où il avait couché, tout ce
qu’il avait utilisé, la table, le lit, la couette, la cuvette,
les pantoufles, tout était passé au rang de reliques, dûment
préservées, lavées et récurées, pour être utilisées par les
hôtes suivants, le prix de la chambre étant ainsi passé de dix à
quinze yuans. Du seul fait que le secrétaire du comité de
district avait couché là, et malgré la hausse du prix en
conséquence, tous les voyageurs, d’un même esprit simpliste,
n’avaient qu’une envie : y dormir aussi. Même les chauffeurs
routiers qui venaient de loin se dépêchaient d’arriver,
accélérant au maximum pour pouvoir coucher dans la fameuse
chambre de l’est. Bien sûr, chez le boucher Li, il y avait aussi
de la bonne viande et des abats délicieux, et le vin Dukang
n’était pas coupé ; c’était une chose bien connue à Wujiapo.
Alors, le boucher Li
pouvait bien faire ce qu’il voulait, personne ne s’en étonnait :
si le secrétaire du comité de district lui-même était venu y
coucher, tout pouvait arriver, là-haut, au bord de la route de
crête. Que l’abattage du cochon ait été avancé à la veille au
soir du jour du marché, au lieu du jour même au petit matin, et
que, à cause de cela, au coucher du soleil, en ce jour de
printemps, le village empestât le sang de porc, il n’y avait
donc personne pour trouver cela étrange. Une fois tué, il allait
ouvrir le porc, suspendre la carcasse pour la laver à grande
eau, puis l’envelopper dans une feuille de plastique ; au
marché, ensuite, qui remarquerait que ce n’était pas du porc
tout frais ?
Les gens continuèrent
à manger comme si de rien n’était, en discutant de choses et
d’autres comme à leur habitude. Certains, ayant fini leur bol,
se levaient pour aller le remplir à nouveau ; d’autres, qui
n’avaient pas envie d’y retourner, envoyaient leurs enfants à
leur place. L’un d’eux, qui venait juste de remplir le sien, ne
montra pas un grand empressement, alors ses parents se mirent à
le traiter de tous les noms : espèce d’ingrat, on se demande
pourquoi on t’a élevé, tu n’es même pas capable d’aller chercher
un bol de bouillon, si on avait su, on aurait aussi bien fait
de ne pas te mettre au monde. Le gamin trouva que ce n’était pas
juste : il n’avait pas dit qu’il ne voulait pas y aller, il
avait juste hésité un peu, et les parents lui étaient tombés
dessus, devant tout le monde, alors il s’était rebiffé : et qui
vous a forcés à me mettre au monde ? qui vous a forcés, hein ?
Le père et la mère, en guise de réponse, prirent les chaussures
sur lesquelles ils étaient assis et les jetèrent en essayant de
l’atteindre ; cela envoya voler de la terre partout autour, et
nombre de gens se dépêchèrent de serrer leur bol contre eux pour
les en protéger, ce fut une pagaille noire dans un nuage de
poussière. On entendit alors soudain quelqu’un s’écrier de
loin : c’est quoi ce vacarme ? y a une raison, pour crier comme
ça ? eh, les gamins, si les parents vous demandent d’aller leur
chercher du bouillon, c’est pas la mer à boire, non ?
Tout le monde se
calma. Les marmots, ne trouvant rien à répondre, ne dirent plus
rien.
Les gens tournèrent
les yeux vers l’entrée du village, dans la direction du chemin
de crête, là d’où était soudain venue la voix : c’était le
boucher Li Xing qui descendait au village.
Liu Genbao prit son
bol et rentra chez lui ; il semblait vaguement inquiet, nerveux
comme quelqu’un quittant une libre errance dans une vaste
étendue sauvage pour se retrouver dans une salle d’examen. Son
père avait fini de manger, et fumait une pipe dans la cour
devant la maison ; le tabac rougeoyait puis s’éteignait à
nouveau, illuminant l’obscurité par intermittence. Sa mère
faisait la vaisselle dans la cuisine, dans un bruit clair et
frais de vaisselle entrechoquée dans l’eau. Genbao entra et posa
son bol de faïence encore à moitié plein sur le bord de
l’évier ; il voulut dire quelque chose, mais se contenta de
regarder longuement sa mère puis, baissant la tête, ressortit de
la cuisine.
Il s’accroupit devant
son père.
Le père dit : t’as un
problème ?
Il dit : non, ça va.
Le père dit : si t’as
un problème, faut me le dire.
Il dit : papa, je
pense aller en prison.
Le père en fut
estomaqué. Il tira violemment sur sa pipe, dont l’éclat soudain
illumina le visage du vieil homme qui parut se durcir ; son
expression d’ordinaire douce et expressive fit brusquement place
à un masque de pierre aux traits figés. Il s’ôta la pipe des
lèvres pour fixer son fils, comme s’il avait affaire à un
parfait inconnu lui demandant son chemin.
Il dit : Genbao,
qu’est-ce que tu as dit ?
Genbao jeta un coup
d’œil à son père. A cause de l’obscurité, il ne pouvait pas bien
discerner, cette fois, le degré de surprise, la profondeur de la
stupéfaction qu’exprimait le visage de son père, il n’avait
devant lui qu’une masse noire insondable, aussi raide que la
souche d’un arbre. Comme il n’y voyait pas très bien, il se dit
que c’était aussi bien de ne plus le regarder ; il enleva alors
une chaussure et s’assit en face de son père, les bras appuyés
sur les genoux, une main grattant l’autre comme s’il pelait des
haricots, sans répondre tout de suite à la question de son père.
Celui-ci redemanda :
qu’est-ce que tu viens de dire, Genbao ?
Genbao lui dit : papa,
j’ai besoin de discuter un peu avec toi ; si maman et toi, vous
êtes d’accord, j’ai l’intention d’aller faire quelques jours de
prison à la place de quelqu’un.
Son père éclata :
merde alors, tu es devenu fou ?
Genbao baissa encore
plus la tête et dit : papa, on ne pourrait pas en discuter,
non ?
Son père, au bout d’un
moment, demanda encore : ce serait pour remplacer qui ?
Genbao dit : le chef
du bourg.
Le père leva la tête :
remplacer qui ?
Genbao dit : le chef
du bourg.
Le père se mit à rire,
et dit d’un air railleur : le chef du bourg a besoin de toi pour
le remplacer ?
Genbao dit, c’est ce
que le boucher Li vient juste de nous expliquer, alors qu’on
était en train de manger à l’entrée du village : il a dit que,
aujourd’hui, au coucher du soleil, comme le chef du bourg
revenait de chez lui en voiture, il a écrasé un type du village
de Zhang Zhai, un type tout jeune, d’une vingtaine d’années. Il
a dit que, comme le chef de bourg l’a écrasé, il est
responsable ; mais le chef de bourg est le chef de bourg, qui va
aller lui demander de se porter responsable ? Alors, il faut que
quelqu’un aille à sa place se dénoncer à la gendarmerie du
district, en disant : c’est moi qui ai eu l’accrochage, j’avais
trop bu chez le boucher Li, alors en sortant, j’ai pris le
volant du tracteur et j’ai accroché quelqu’un. Pour la suite,
c’est pas la peine de vous en faire, le chef du bourg a tout
arrangé. Il paraît que la conclusion de l’affaire est déjà en
bonne voie : la famille du type qui est mort, à Zhang Zhai, va
être indemnisée, et cet argent, c’est bien sûr le chef du bourg
qui va le verser. Ensuite, eh bien ensuite, celui qui a dit que
c’était lui qui avait écrasé le type, il va falloir qu’il aille
faire dix jours à quinze jours de prison au commissariat.
A la clarté de la lune,
déjà haut dans le ciel, le village était tellement calme, on
aurait pu douter de son existence, mais l’on pouvait entendre
nettement des bruits de pas dans la rue, tili tita, s’éloignant
peu à peu vers l’est. Ils cessèrent une fois arrivés à la maison
du boucher. Sa mère avait parfaitement compris les tenants et
les aboutissants de ce que venait de dire Genbao, mais elle ne
répondit pas tout de suite ; elle sortit d’on ne sait où une
petite panière de cacahuètes et l’apporta avec un tabouret
qu’elle posa entre son mari et son fils pour y mettre les
cacahuètes. Puis elle s’assit devant, à même le sol ; ayant
observé son fils, et jeté un coup d’œil à son mari, elle poussa
un long soupir, et s’abîma dans le même profond silence que les
deux autres.
(2)
说起来,根宝已经二十九岁,二十九岁还没有找到媳妇成家,这在吴家坡也仅是刘家一户。缘由呢?不光是因为家穷,现如今不是哩,是在极早的年月里,各家都已盖起了瓦屋,只他们刘家还住着草房院落;再者,还因为根宝的怯弱老实1,连自家田里的庄稼被牲畜啃了2,举起了铁锨3,联想到牲畜也有着主人,竟就不敢落将下去,只能将铁锨缓慢地收回。这样的人,窝囊哩4,谁肯嫁哟。照说,早先时候,有过几门亲事,女方都是到家里看看,二话不说,也就一一荒芜掉了5,无花无果。待转眼到了今日的年龄,没想到竟连二婚的女人6也难碰到。半年前,有亲戚7介绍了一个寡妇6过来婚面,先不说对方长得丑俊8,也才二十六岁,竟带着两个孩娃。根宝原是不同意这门婚配,可亲戚却说,同不同意,见面了再说。于是也就见了,想不到她一见面劈头9便问,你就弟兄一个?
他说,我是独子。
她说,同姓家族村里多吗?
他说,村里就我们一家刘姓。
她说,有没有亲戚是村里乡里干部?
他摇了一下头儿。
她便生着风声,一下从凳子站了起来,愤愤地说,那你让我跑十几里路来和你见面干啥?媒人10没和你说我原来的男人是因为和人争水浇地11,争人家不过,被人打了一顿,回家上吊死了?没说我不图钱不图财,就图嫁个有势力的男人12,不说欺负别人13,至少也不受人欺负。女人这样说着,就转身从根宝家里出来,走出屋门,到院落里左右看看,又猛地回身盯着根宝,说今天正好是集日,我跑十二三里路来。和你谋婚,来让你看我,耽误14我整整一天工夫。这一天工夫,我到镇上卖菜卖瓜,卖啥都能挣上七八十块钱。可是今儿,是你把我误了14。我不要你赔我七八十块钱,可你总得赔我五十块钱吧?
根宝怔着问15,你说啥儿?
女人说,你误我一天工夫,该赔我五十块钱哩。
根宝低声咬牙16,说,你咋能这样不要脸哩17?
女人说,我是不要脸,要么你打我一顿我走,要么你赔我五十块钱我走;你要不打我赔我,我就在这院里叫唤,说你一见我就摸我拉我。
没有奈何,根宝只好返身回屋取了一张五十元的钞票,塞到她的手里说,走吧你,以后你再也别从我们吴家坡的村头走过。
女人接过了那钱,看看说,你要敢动手打我一个耳光,我就嫁给你。
根宝说,走呀,钱给你了,你走呀。
女人说,你要敢对我又踢又打,我把我的两个娃儿送给别人嫁给你。
根宝说,你有病哩,你神经有病了,去县医院看看病嘛。
女人把那五十块钱朝根宝面前一扔,就走了。走了几步又回头说,没有腰骨的男人18,谁嫁给你,谁一辈子保准受人欺负不尽呢。
实在说,没人欺负根宝一家人,可就是因为他家单门独院,没有家族,没有亲戚,竟就让根宝娶不上一门媳妇来。二十九岁了,一转眼就是三十岁,就是人的一半生命了。将近三十岁还没有成家立业19,这不光让根宝在村里做人抬不起头20,也让父母深怀着一层内疚哩,永远觉得对不住了儿娃呢21。
根宝爹又吸了一袋烟,再装上,没有点,放在脚边,不知为啥就抓了一把花生剥起来。他剥着花生,却不吃,借着月色,看看面前勾头坐在鞋上的儿娃,像一团包袱软软地22浮在地上;看看那说要翻盖却总也缺钱翻盖的草屋,矮矮的,塌塌的,房坡上还有两个欲塌欲陷的深草坑23,在月色里像被人打开的墓穴24。还有那没有门窗的灶房,灶房门口破了的水缸,这些都被月光照得亮白清楚。身边的那个猪圈,泥墙,框门,石槽25,倒是结实完整,可不知因了啥呢,总不能养成猪。喂猪猪死,养羊羊灭,后来把它做了鸡圈,鸡们倒都生长得壮实,可是,可是呢,母鸡们都是三天、五天才生一个鸡蛋,哪怕是夏天的生蛋旺季26,也没有一只鸡两天生上一蛋的,更不消说27如别户人家一样,一天一蛋,甚或一只鸡一天生两蛋或两天生三蛋。这就是刘家的日子。根宝爹像看透了28这样的日子一样,把目光从月光中了回来,吃了手里的花生,说跑油了,不香。老伴说吃吧,这也是宝他舅29今儿路过梁上捎来的。根宝爹就又抓了一把花生,在手里剥得哗哩哗啦,说都吃呀,根宝。
根宝说,我不吃。
爹说,你咋知道替镇长顶罪30至多是到监狱住上十天半个月?
根宝说,李屠户说的。
爹问,李屠户听谁说的?
根宝说,他啥儿不知道?镇长就是在他门前撞死了人,县委书记都在他家睡过哩。
娘问,替人家住监,住完了咋办?
爹说,歇歇嘴吧31,女人家哩。住完了咋办?你想咋办就咋办。谁让他是镇长,谁让他让我们孩娃去顶监。
然后,爹就回过头来,望着儿娃说,根宝,你真的想去就去吧,去跟李屠户说一声,说你愿意替镇长去蹲监。说记住,李屠户叫李星,你就叫他李星叔32,千万别当面33还屠户、屠户地叫。
这时候,月亮升到当头了,院落里愈发明亮着,连地上爬着的蛐蛐欢叫时张扬的翅膀34都闪着银白白的光。根宝从地上站起出门时,娘从后边抓了一把花生追上他,说你吃着去吧,没跑油,还香哩。根宝把娘的手推到一边,说我不吃,也就出门去了,和出行上路一样,没有回头。可没有回头,他听见身后剥花生的声音,在月色里像谁在水里淘洗啥儿般,淋淋哗哗,脆亮亮的,还是有几分让人留恋35的亲切呢。
李屠户家里忙哟。院落里扯加了两个二百瓦的灯泡,把清明清明的月亮挤逼得没了踪迹36。不知远处的一家矿上要贺庆啥儿37,冷不丁38,来人让他连夜38赶杀几头肥猪,加之明儿正集日,又不能怠慢了39在集市上总去他的挂架上割肉的老主顾39,于是,李屠户除了原来的屠案40,又摘下门板41,新架了一副屠板。自己宰,还又从外村找了两个小伙子帮衬着42。每帮他宰一头猪,他给人家十块工时费。
院落里满是集合着的人,有矿上的工人,有村里看热闹的孩娃,还有连夜把生猪拉到李屠户家等着他过秤买猪的邻村庄户。根宝从村里出来,一听到屠案上红血淋淋的尖叫,身上抖了一下,像冷一样,可他很快就把自己控制住了,不再抖了。说到底,是杀猪,又不是杀人。踏进李屠户家那两扇能开进汽车的院落大门时,已经有两扇猪肉挂在了棚架下44,赤背的李屠户正舀着45清水往扇肉上浇洗,一瓢一瓢45,泼上去,淋下来,红艳艳46的血水流过一片水泥地,从一条水沟流到李家房后了。
Vocabulaire et
traduction :
01
怯弱
qièruò
timide et faible,
craintif et velléitaire
02
庄稼
zhuāngjia
cultures, récoltes 牲畜shēngchù
bétail
啃kěn
grignoter / brouter
03
铁锨
tiěxiān
pelle / bêche
04
窝囊
wōnáng
bon à rien,
incapable (囊
náng
poche, donc
désigne par extension des objets creux)
05
荒芜
huāngwú
laisser en friche, à l’abandon (terre)
06
二婚
èrhūn
se marier en secondes
noces (autrefois, et surtout à la campagne, le terme désignait
les veuves (寡妇guǎfu) ;
c’était mal considéré, elles avaient du mal à trouver un second
mari, d’où le
竟连jìnglián et même, étonnamment…)
07
亲戚
qīnqī
parent, membre de la
famille
08
丑俊
chǒu/jùn
laid/beau – soit l’aspect physique
09
劈头
pītóu
en pleine figure
(coup…), d’où : directement, de prime abord
10
媒人
méirén
intermédiaire pour un mariage
11
水浇地
shuǐjiāodì
terrain irrigué
12
势力
shìlì
pouvoir,
influence
13
欺负
qīfu
brutaliser,
brimer
14耽误
dānwù
perdre, gaspiller (du temps)
误wù
erreur/ manquer, rater/ nuire, porter tort à
15
怔
zhèng
avoir l’air abasourdi,
interloqué
16
咬牙
yǎoyá
grincer des dents, serrer les dents
17
要脸
yàoliǎn
se soucier de ne pas perdre la face
不要脸búyàoliǎn
avoir du culot, être effronté…
18
腰骨
yāogǔ
os
pelvien
没有腰骨的人 :
un homme qui n’a pas « de tripes », une lavette
19
成家立业
chénɡjiālìyè
fonder une
famille et avoir un métier, être indépendant
20
抬(起)头
tái(qǐ)tóu
lever la tête
21
内疚
nèijiù
sentiment de
culpabilité, remords
对不住duìbúzhù
ne pas en avoir assez fait pour
22
一团包袱
yìtuánbāofu
balluchon, paquet (sens dérivé : charge, fardeau)
软ruǎn
mou
23
欲塌欲陷
yùtā
yùxiàn
sur le
point de s’effondrer, de céder
坑kēng
trou, creux
24
墓穴
mùxué
tombe, fosse, caveau
25门框
ménkuàng
chambranle d’une porte
石槽shícáo
auge,
mangeoire de pierre
26
旺季
wàngjì
la meilleure saison, période de pointe
27
不消说
bùxiāoshuō
il va sans dire, inutile de dire
28
看透
kàntòu
percer les secrets de, comprendre parfaitement
29
舅
jiù
oncle (frère
de la mère)
30
替..顶罪
tì…dǐngzuì
se
dénoncer, s’accuser d’une faute, d’un crime à la place de
quelqu’un
31
歇歇嘴
xiēxiēzuǐ
ferme-la un peu (歇xiē
se reposer/cesser
de..)
32
李星叔
Lǐ
Xīng shū
oncle Li Xing (appellation usuelle)
33
当面
dāngmiàn en
face de quelqu’un, en sa présence
34
蛐蛐
qūqu
grillon
张扬的翅膀zhāngyángde
chìbǎng
ailes étendues, déployées
35
留恋
liúliàn
partir, se séparer de
quelque chose/quelqu’un à regret
36
挤逼
jǐbī
presser, pousser de
côté, écarter de force
踪迹zōngjì
trace
37
贺庆
hèqìng
célébrer,
fêter
38冷不丁
lěngbudīng
soudain
连夜
liányè
dans la nuit, la nuit
même
39
怠慢
dàimàn
négliger, traiter sans égards
老主顾lǎozhǔgù vieux client
40
屠案
tú’àn
billot de boucher
41
摘下门板
zhāixia ménbǎn
démonter un battant de porte
42帮衬
bāngchèn
(fam.) aider, donner un coup de main
43
过秤
guòchèng peser
44
棚架
péngjià
treille, treillis
45
舀
yǎo
verser à la cuillère, à la louche
瓢
piáo
louche faite d’une demi
calebasse
46
红艳艳
hóngyànyàn
rouge écarlate
Il faut dire que
Genbao avait déjà vingt neuf ans ; à cet âge-là, il n’avait
toujours pas trouvé à se marier et, à Wujiapo, ses parents et
lui étaient les seuls Liu. Pourquoi cela ? D’abord, ils étaient
pauvres ; ils ne le sont plus maintenant, mais c’était le cas à
ce moment-là : alors que toutes les maisons avaient déjà des
toits de tuiles, la leur était la seule à être encore couverte
de chaume. Mais ce n’est pas la seule raison, c’est aussi que
Genbao avait un caractère faible et timoré ; même un jour qu’un
animal était venu brouter dans le champ familial, il l’avait
menacé de sa bêche, mais, à la pensée que la bête était à
quelqu’un, il n’avait pas osé la frapper et avait lentement
reposé l’outil par terre. Un tel bon à rien, il n’y a pas grand
monde qui l’aurait voulu pour mari. On dit qu’il avait pourtant
fait quelques tentatives, la femme était venue voir, mais était
repartie sans broncher, laissant l’affaire inaboutie, sans
résultat. Il avait atteint sans s’en apercevoir un âge auquel il
était difficile de trouver même une veuve pour se marier. Six
mois auparavant, une parente lui en avait présenté une qui, sans
même parler de son physique, n’avait que vingt six ans, mais
deux enfants. Au début, Genbao n’était pas enthousiaste, mais la
parente lui avait dit, même si tu n’es pas très chaud,
rencontre-la d’abord, après on verra. Alors il l’avait
rencontrée ; elle n’était pas plus tôt arrivée qu’elle lui avait
demandé tout de go : tu as des frères ?
Genbao dit : je suis
fils unique.
Elle demanda : tu as
de la famille dans le village ?
Il dit : non, ici, il
n’y a pas d’autres Liu que nous.
Elle demanda : mais
vous avez des parents qui sont cadres au village ou au canton ?
Il fit non de la tête.
Se levant d’un coup de
son tabouret, elle piqua alors une colère, disant qu’il lui
avait fait faire plus de cinq kilomètres pour venir le voir, et
pourquoi ? L’entremetteuse ne lui avait donc pas dit comment
était mort son premier mari ? Il s’était disputé pour un
problème d’irrigation, l’autre l’avait tabassé et il était mort
en arrivant chez lui. On ne lui avait pas dit qu’elle ne se
souciait ni de biens ni d’argent, que ce qu’elle voulait,
c’était un homme qui ait de l’autorité, non pas quelqu’un qui
fasse régner la terreur autour de lui, mais quelqu’un qui, au
moins, ne se laisse pas monter sur les pieds ? Sur ces paroles,
elle tourna les talons et sortit ; dehors, elle jeta un regard
autour d’elle, puis, se retournant vers Genbao, lui lança que
c’était jour de marché et qu’elle avait fait six ou sept
kilomètres pour venir discuter de mariage avec lui ; au total,
il lui avait fait perdre toute une journée de travail. Pendant
ce temps-là, elle aurait pu aller au bourg vendre ses légumes et
ses melons, elle aurait pu se faire soixante dix ou quatre vingt
yuans. Seulement voilà, il l’avait trompée. Elle n’avait pas
l’intention de lui demander de la dédommager de la totalité des
soixante dix ou quatre vingt yuans, mais il pourrait lui en
verser cinquante en réparation, non ?
Interloqué, Genbao lui
demanda : qu’est-ce que tu dis ?
La femme répondit : tu
m’as fait perdre une journée de travail, il faut que tu me
verses cinquante yuans de dédommagement.
Genbao lui répliqua en
marmonnant entre ses dents : tu n’as pas peur de ce qu’on va
dire de toi ?
La femme répondit : je
m’en fiche royalement ; si tu me veux que je m’en aille, tu me
flanques une raclée ou tu me donnes cinquante yuans, autrement
je me mets à hurler que tu as essayé de profiter de moi.
Genbao n’eut d’autre
alternative que de rentrer chercher un billet de cinquante
yuans ; il le lui fourra dans la main en lui disant : file, et
qu’on ne te revoie plus ici, à Wujiapo.
La femme regarda
l’argent qu’il lui avait donné et dit : si tu m’envoies une
bonne gifle, je t’épouse.
Genbao dit : va-t-en,
je t’ai donné l’argent, dégage.
La femme dit encore :
si tu me battais une bonne fois, je me débarrasserais de mes
deux gamins et je t’épouserais.
Genbao dit : tu es
malade, ça ne va vraiment pas, il faut que tu ailles à l’hôpital
du district te faire soigner.
La femme jeta le
billet de cinquante yuans à la tête de Genbao et partit. Elle
n’avait pas fait trois pas qu’elle se retourna pour lui lancer :
les poules mouillées de ton genre, si on les épouse, il faut
s’attendre à subir des brimades constantes toute son existence.
En fait, personne ne
cherchait d’ennuis à Genbao ou à sa famille, mais c’était
simplement parce qu’ils vivaient seuls, à l’écart, et c’était
aussi parce qu’ils n’avaient pas d’autres parents ou proches que
Genbao n’arrivait pas à trouver d’épouse. Il avait vingt neuf
ans, sous peu il en aurait trente, c’est-à-dire qu’il aurait
fait la moitié de sa vie. Le fait qu’il n’ait pas de foyer,
qu’il ne soit pas financièrement indépendant à près de trente
ans, cela en faisait une entité négligeable dans le village,
mais c’était aussi la cause d’un profond sentiment de
culpabilité chez ses parents qui n’arrêtaient pas de penser
qu’ils n’en avaient pas fait assez pour leur fils.
Après avoir terminé sa
pipe et l’avoir bourrée à nouveau, le père de Genbao ne l’alluma
pas, mais la posa à ses pieds pour prendre machinalement une
poignée de cacahuètes qu’il se mit à décortiquer, mais sans les
manger : il regardait son fils éclairé par la lune, assis à ses
pieds sur une chaussure, tête baissée, tel un baluchon informe
affalé par terre ; il regardait la maison basse et délabrée, au
toit de chaume qu’il disait régulièrement qu’il fallait refaire
mais qu’il n’avait jamais assez d’argent pour réparer, et dont
le chaume, des deux côtés, s’affaissait et menaçait de
s’effondrer en deux endroits, donnant l’impression, à la lueur
de la lune, d’une tombe que quelqu’un aurait ouverte. Il y avait
aussi, nettement soulignées par l’éclat blafard de la lune, la
cuisine, sans porte ni fenêtre, avec, à l’entrée, la jarre d’eau
ébréchée. A côté, l’enclos des cochons, lui, avec son mur de
terre, son portail et son auge de pierre, semblait solide et
bien construit, et pourtant, allez savoir pourquoi, il était
impossible d’y élever des porcs. Ceux qu’on y engraissait
mouraient, les moutons aussi, alors on en avait fait un
poulailler ; les poules, elles, se portaient bien, mais, il y
avait un mais, elles ne pondaient guère plus d’un œuf tous les
trois à cinq jours, et même en été, quand c’est la pleine saison
de la ponte, il n’y avait pas une poule pour pondre plus d’un
œuf tous les deux jours, alors qu’au même moment, inutile de le
dire, les poules des autres pondaient un œuf par jour, parfois
deux, certaines donnant même jusqu’à trois œufs tous les deux
jours. La vie de la famille Liu était ainsi.
Comme s’il en avait
percé les secrets, le père de Genbao cessa de contempler ce
qu’éclairait la lune, et mangea les cacahuètes qu’il avait dans
la main, mais il s’écria qu’elles étaient sèches et n’avaient
pas de goût. Mange-les donc, dit sa femme, c’est l’oncle de
Genbao qui les a apportées aujourd’hui quand il est passé. Le
père de Genbao en prit donc une autre poignée, les décortiqua en
les faisant craquer, et les fit passer à Genbao en lui disant :
tiens, mange.
Genbao dit : non,
j’en ai pas envie.
Son père lui demanda :
qui t’a dit que, si tu t’accuses à la place du chef du bourg, tu
n’auras à faire que dix ou quinze jours de prison ?
Genbao répondit :
c’est le boucher Li qui l’a dit.
Son père demanda : et
le boucher Li, comment il le sait ?
Genbao répondit : il
sait tout, le boucher Li, c’est devant chez lui que le chef du
bourg a eu l’accident, c’est chez lui qu’a couché le secrétaire
du comité de district.
Sa mère demanda : et
quand on va en prison à la place de quelqu’un, qu’est-ce qui se
passe quand on sort ?
Le père dit : ah,
femme, ferme-là. Qu’est-ce qui se passe quand on sort ? Il se
passe ce qui se passe. Celui qu’il va remplacer, c’est le chef
de bourg, c’est à la place du chef de bourg que notre fils va
faire de la prison.
Sur quoi il se tourna
vers son fils et lui dit en le regardant dans les yeux : Genbao,
si tu veux vraiment y aller, tu n’as qu’à y aller, tu n’as qu’à
aller voir le boucher Li et lui dire que tu es d’accord pour
aller en prison à la place du chef du bourg. Mais quand tu lui
parles, n’oublie pas que le boucher Li s’appelle Li Xing,
dis-lui bien "oncle Li Xing", ne dis jamais "boucher" quand tu
es en face de lui.
A ce moment-là, la
lune avait atteint son zénith, il faisait de plus en plus clair,
dans la cour, et même les grillons, qui, par terre, déployaient
leurs ailes en criant gaiement, étaient baignés d’un
scintillement argenté. Lorsque Genbao se leva pour sortir, sa
mère, derrière lui, prit une poignée de cacahuètes et le
poursuivit en lui disant : prends-en pour en manger en chemin,
elles ne sont pas sèches du tout, elles sont encore très bonnes.
Genbao repoussa la main de sa mère en lui disant qu’il n’en
voulait pas, puis il sortit, sans même se retourner, comme
quelqu’un qui part en voyage. Mais, même sans se retourner, il
entendit derrière lui le bruit des cacahuètes que l’on
décortiquait ; à la lueur de la lune, on aurait dit que l’on
tamisait quelque chose sous l’eau, c’était le même son, clair et
sec, le genre de petit bruit familier qui rend infiniment
nostalgique au moment du départ.
Chez le boucher Li,
tout le monde était très occupé. Deux ampoules supplémentaires
de deux cents watts avaient été branchées dans la cour, et leur
vive lumière éclipsait complètement la lueur de la lune. Une
famille de mineurs, venue on ne sait d’où, qui avait un
événement à célébrer avait débarqué impromptu en demandant qu’on
lui tue, cette nuit même, quelques cochons gras ; mais, comme le
lendemain, en plus, était jour de marché et qu’il ne pouvait pas
négliger les vieux clients qui venaient toujours lui acheter la
viande exposée sur son étal, le boucher Li avait décroché un
battant de porte pour en faire un billot supplémentaire, en plus
de son billot habituel. Lui-même procédait à l’abattage, et il
avait en outre engagé deux jeunes d’un autre village pour
l’aider. Il payait chacun dix yuans pour chaque porc abattu.
La cour était pleine
de monde, il y avait des gens de la mine, des gamins du village
venus voir ce qui se passait, mais aussi des paysans d’un
village voisin qui avaient amené des porcs vivants pour les
vendre au boucher et qui attendaient qu’il les pèse avant de les
acheter. Dès que Genbao fut sorti du village, il entendit un cri
aigu, noyé dans le sang rouge dégoulinant du billot, et il se
mit à trembler de tout son corps, comme s’il avait pris froid,
mais il se contrôla très vite, et cessa de trembler. Il se dit
qu’après tout, ce n’était un porc qu’on tuait, pas un homme.
Lorsqu’il pénétra dans la cour du boucher Li en franchissant la
porte à doubles battants, assez grande pour laisser passer une
voiture, il y avait déjà deux carcasses accrochées à la grille ;
le boucher, torse nu, les lavait à grande eau, en versant dessus
de grandes calebasses d’eau fraîche qui dégoulinait ensuite par
terre, teintée d’un rouge écarlate, et se répandait sur le sol
de ciment, jusqu’à une rigole par laquelle elle s’écoulait vers
l’arrière de la maison.
(3)
一世界都是生血的腥鲜味。帮衬的那两个小伙子,一个在院落角上正烧着一口大锅的开水烫1猪毛,一个正在一个屠架上用一个铁片剐着2剩猪毛。猪毛味有些腥臭3,像火烤了兽皮一样怪诞4难闻。李屠户家一年四季都有这样的味。根宝不知道为啥在这样的气味里,县委书记会在这儿住一夜。可县委书记是真的住了一夜哩。迎面5楼上二楼靠南的两间客房,东屋门口清清白白6挂了一个招牌,上写着:县委赵书记曾在此住宿。借着灯光,根宝看那招牌时,他看见西客房的门口也新挂了一个招牌,上写着:县里马县长曾在此住宿。根宝有些糊涂,他不知道县长何时也在此住过,可他想那是一定住过的,没住过李屠户不会挂那么一个招牌儿。
看看招牌,根宝从人缝7挤到了李屠户的身后,他等李屠户把一扇猪肉淋净了,轻声叫了一声李叔。
李屠户没有回头,他用手抹掉肩上的血水珠,用胳膊擦掉额门上的汗,到另一扇红血猪肉下边,又一瓢瓢舀水浇起来。虽然没有回头,他却听到了有人叫他。他舀着清水说,是根宝吧?
根宝说,哎,是我,李叔。
李屠户把一瓢水泼到那扇猪肚里面——
是想替一下镇长顶罪吧?多好的机会,别人烧香8都求不到。
血水溅到了9根宝脸上,他朝后退了一步——
跟我爹商量过了,我愿意。
李屠户又舀一瓢清水浇上去——
不是你愿意就能去了的。先到屋里等着吧。
到了李屠户家平常客人吃饭的那一间餐厅里,根宝才看见那儿已经坐了三个村人了。一个是村西的吴柱子10,四十来岁,媳妇领着孩娃和人私奔了11,就在邻村一个村干部的弟弟家窝藏着,死活不回来,他就只好独自过着日子了;另一个是村南的赵瘸子10,日子原本鼓鼓胀胀12不错哩,可烧的砖窑13塌了,人便瘸了,日子也就塌陷了13,眼下14还欠着信用社15一大笔贷款的债16。还有一个,是村里的李庆10,在镇上有生意,家里还买有一辆嘎斯汽车17跑运输。根宝知道柱子、瘸子是想和自己一样,图求去替镇长住几天监,一个想请镇长帮着把自家媳妇要回来;另一个,寄望帮了镇长,也许信用社的贷款便不消再还了18。他不知道李庆谋图三二四五啥儿哩,竟也端端地和瘸子、柱子围在那一张饭桌前。于是,待根宝走进来,他们都望着根宝时,根宝把目光落在了小他一岁的李庆身上。
李庆像抢了别人的东西一样,不好意思地把头勾下去,说我弟今年就师范毕业了,想请镇长安排他回到镇上教书哩。
柱子冷了一眼李庆说,你好了还想好。
李庆把头勾得更低了,脸红得如门外地上的血。
这当儿,瘸子也乜着19李庆的脸,说,你走吧,让我们和根宝争这机会还差不多。
李庆没有走,又抬起头讪讪地笑了笑20。
根宝坐在了那张空凳上。这是一张四方桌,先前都叫八仙桌21,现在学着城里人的腔调22就都叫它餐桌了。屋子也叫餐厅了。餐厅也就十几平方米大,摆了粮、面、油和七七八八的一些杂货物,在外面空着的地方摆了这张餐桌。因为不是掏钱23吃餐饭,桌上有个铝茶壶24,但没有人会来给他们倒上水。桌子的上方是灯泡,苍蝇和小蛾25在灯泡周围舞蹈着,舞累了,蛾子竟敢落在灯泡上歇脚儿,而苍蝇就只敢落在他们身上和那油腻的桌面上喘着粗气儿26。
屋外又有了一阵猪叫声,粗粝而骇人27,像山外火车道上的汽笛叫,只是比那汽笛短促28些,也比那汽笛混杂些。夹杂29有猪的喘息和人的乱哄哄的声音30。这样过了一阵,便突然安静了。不消说是利刃从猪的脖下捅进脏腑了31。剩下的就是李屠户指挥着32说把这头抬去煺毛33、把那头挂起来开膛33的指令声,还有人们这条肥、那头瘦的议论声。屋子里有些热。忙着挣钱的李屠户,顾不上进来指着哪个人说令一句,喂,你去替镇长顶个罪,再指着剩下的,说你们三个就算了那样的话34。也许,李屠户并不知该把这样一件好事留给谁,所以他才只顾杀猪,不管屋里的根宝、柱子、瘸子和李庆。屠户的媳妇和孩娃们都在楼上看电视,从电视机中传来的武打声像从房顶落下的砖头和瓦片。根宝抬头朝天花板上35看了看,其余三个人也都跟着抬头看了看。
李庆说,半夜了。
柱子说,着急了你先走。
李庆说,我不急,等到天亮我也等。
瘸子看看李庆,又扭头盯着根宝,说,兄弟,其实你犯不上和我们一样儿,没成家,又有文化,真替镇长蹲了监,名声坏了,以后还咋儿成家哩?
根宝想说啥,可一时又找不到合适的话,正急时,李庆倒替他回答了。李庆说,真替上镇长了,也就成家了。根宝有些感激地望了望李庆,李庆又朝他点了一下头。因为李庆和屠户是本家,他在李屠户家里便显得自由些,这里转转,那里看看,还到楼上看了一会儿电视,回来时还顺脚36到李屠户那儿催了一下他李叔,说让李叔赶快定一下由谁明儿去顶替镇长的罪。可等他兜了一大圈儿37回来时,他却进门说,李叔忙,他让我们四个自个儿选定一个去替镇长的人。自个儿选?选谁呢?当然无法选,谁也不会同意谁。于是哩,四个人就又相互望一望,看谁脸上都没有退让的意思儿,就各自把头扭到一边去了。
时间如牛蹄一样一踢一踏走过去38。夜已经深得如一眼干枯无底的井。他们就这么干干坐熬着39,直到楼上的电视不响了,李屠户一连杀了五头猪,柱子和瘸子们都趴在桌子沿边睡一觉儿,根宝以为李屠户压根儿40把他们几个忘记了,他想去问李屠户一声到底让不让他去顶镇长的罪,叫了他就去,不叫了他也死心回家睡觉时,忽然有人砰砰砰地41敲响了餐厅的门。
他们都惊醒过来把目光旋到门口上。
叫醒他们的不是李屠户,而是帮李屠户杀猪的一个小伙子。他是用杀猪的刀把敲的门,刀刃上31的鲜猪血被震得如软豆腐一样掉在门口脚地上。看几个人都醒了,他把手里备好的四个纸团扔到了桌子上,说下夜一时了,李叔说让你们别等了,这是四个阄儿42,其中有一个阄儿里包了一根黑猪毛,另外三个都是白猪毛,你们谁抓了黑猪毛谁就去做镇长的恩人,谁抓住了白猪毛你们谁就没有当镇长恩人的命。然后,说完了,他就站在灯光下,看着那四个阄儿,也看着那四个人。
忽然间这四个人都没有瞌睡了43。原来谁去替镇长顶罪做恩人那么大的一件事情都包在那四个阄儿里。阄儿纸是一个一分为四的烟盒纸44,红红花花的,有些喜庆吉祥色45,可毕竟四个里边有三个包的都是白猪毛。把目光收回来盯在桌面的四个阄儿上,他们各自把眼睁得又亮又大,可就是没人先自起手去抓一个阄儿。
小伙子说,抓吧,抓完就睡了。你们还有抓阄儿的命,我和李叔商量了一夜想去蹲蹲监,李叔说我不是吴家坡的人,不光不让去,还连阄儿都不让我抓哩。
Vocabulaire et
traduction :
01
烫
tàng ébouillanter
02
剐
guǎ
couper
03
腥臭
xīngchòu
puanteur, odeur fétide (腥xīng
viande ou
poisson cru)
04
怪诞
guàidàn
étrange, singulier
05
迎面
yíngmiàn de
front, en face
06
清清白白
qīngqīngbáibái
bien clair, bien en évidence
07缝
fèng
couture / fissure, fente
08
烧香
shāoxiāng
brûler de l’encens
09
溅(到)
jiàn(dào)
éclabousser, gicler sur
10
吴柱子Wú
Zhùzi
赵瘸子 Zhào
Quézi (le boîteux, l’estropié) 李庆
Lǐ Qìng :
noms de villageois
11
和人私奔
hérén
sībēn
s’enfuir avec un homme, fuguer
12
鼓胀
gǔzhàng
enfler / ici : prospère
13
砖窑
zhuānyáo
four à briques
塌陷tāxiàn
s’effondrer (à la fois le four et sa vie)
14眼下
yǎnxià dans
l’immédiat
15
信用社
xìnyònɡshè
(abréviation de信用合作社) :
organisme de crédit coopératif
16
贷款
dàikuǎn
prêt, crédit
债
zhài dette
17
嘎斯汽车
Gāsī
qìchē une
voiture GAZ (sigle de
Горьковский
автомобильный завод :
usines
automobiles de Gorki) : anciennes usines soviétiques de la ville
de Gorki, aujourd’hui redevenue Nijni-Novgorod - encore deuxième
constructeur russe de voitures, et premier constructeur national
de camions.
18
不消再还了
bùxiāo zàihuánle
pas
nécessaire de rembourser
19
乜(斜)
miē
(xie) regarder du coin de l’œil, lorgner
20
讪笑
shànxiào railler, tourner en ridicule, en dérision
21
八仙桌
bāxiānzhuō table aux huit immortels (les tables carrées, selon leur
taille et le nombre de personnes qui peuvent y prendre place,
sont dites de huit, six ou quatre immortels)
22
腔调
qiāngdiào
accent/ ton, intonation
23
掏钱
tāoqián payer de sa poche
24
一铝茶壶
yí lǚcháhú une théière en alu (donc bon
marché) (铝lǚ
aluminium)
25
苍蝇
cāngying
mouche (苍cāng
vert foncé ou bleu
azur – il s’agit ici de mouches bleu/vert dites justement
mouches à viande)
蛾
é
papillon de nuit
26
喘粗气(儿)
chuǎn cūqì(r)
haleter,
reprendre son souffle
27
粗粝
cūlì
grossier, rude, sans raffinement (à l’origine pour la
nourriture, comme l’indique la clé)
骇人
hàirén
qui coupe
le souffle, atterrant
28
汽笛
qìdí
sirène / sifflement (d’un train)
短促duǎncù
très
bref
29混杂
hùnzá
mélangé
(pas pur)
夹杂jiāzá
être mélangé avec, mêlé à
30
乱哄哄
luànhōnghōng
bruyant, assourdissant, cacophonique
31
利刃
lìrèn
lame
acérée 刀刃
dāorèn lame
de couteau
脏腑zànɡfǔ
viscères
Note :
脏腑zànɡfǔ
est un
terme de médecine traditionnelle chinoise désignant les
‘organes internes’, ou plutôt des fonctions : six organes zànɡ et
six organes
fǔ,
couplés entre eux,
chaque couple correspondant à l’un des cinq éléments. Ce sont en
fait les fonctions vitales de l’organisme.
32
指挥
zhǐhuī
commander, donner des ordres
33
煺毛
tuìmáo
ébouillanter pour enlever les poils
开膛kāitáng
ouvrir la poitrine
34
算话
suànhuà
décision finale, verdict final (说话算话)
35
天花板
tiānhuābǎn
plafond
36
顺脚
shùnjiǎo au
passage
37
兜一圈(儿)
dōu yìquān(r)
faire un tour
38
牛蹄
niútí
sabots de buffle : ils rythment le temps qui passe, avec un bruit de
pendule :
踢踏tītà
(tic tac)
39
干干坐
gāngānzuò
être assis sans rien faire, en pure perte 熬着áozhe
en
supportant patiemment
Note :
干干gāngān
renvoie à l’image précédente de la nuit comme un puits sec (et
sans fond)
干枯(无底)的井gānkū
wúdǐde jǐng.
40
压根儿
yàgēnr pas du tout (avec négation) / totalement, complètement
41
砰砰
pēng
pēng bang
bang
42
阄(儿)
jiū(r)
sort (抓阄儿zhuā
jiūr tirer
au sort)
43
瞌睡
kēshuì
être somnolent, à moitié endormi
44
烟盒
yānhé
paquet de
cigarettes
纸zhǐ
ici : carton
45
喜庆吉祥
xǐqìng
jíxiáng
joyeux, festif / propice, de bon augure
46
睁眼
zhēngyǎn
écarquiller les yeux
L’odeur de sang frais
était omniprésente. Des deux jeunes aides, l’un, dans un coin de
la cour, était en train de faire chauffer une grande marmite
d’eau pour ébouillanter la couenne des porcs, l’autre était en
train de racler avec un grattoir en fer les poils qui restaient
sur l’un des quartiers de viande suspendus. Les poils
dégageaient une odeur fétide, qui rappelait celle d’une peau de
bête roussie, étrange et difficilement supportable. Il y avait
cette même odeur tout au long de l’année, chez le boucher Li.
Genbao se demandait comment le secrétaire du comité de district
avait pu passer une nuit dans une telle puanteur. Et pourtant il
y avait bien passé une nuit. Dans le bâtiment d’en face, il y
avait au premier étage deux chambres donnant sur le sud ; à
l’entrée de celle de l’est, bien en évidence, était accrochée
une pancarte sur laquelle était inscrit : ici est descendu le
secrétaire Zhao du comité de district. La pancarte se voyait
très bien à la lumière des lampes, mais Genbao vit alors qu’il y
en avait une nouvelle à la porte de la chambre de l’ouest, qui
portait, elle, l’inscription suivante : ici est descendu le chef
de district Ma. Genbao en fut éberlué, il ignorait quand le chef
de district avait bien pu coucher là, mais il se dit que c’était
forcément vrai, autrement le boucher Li n’aurait pas mis un
panneau comme ça.
Après avoir lu la
pancarte, Genbao se faufila au milieu des gens jusqu’au boucher
Li, et il attendit derrière lui qu’il ait terminé de laver un
quartier de viande pour l’appeler doucement : oncle Li.
Celui-ci ne tourna pas
la tête ; frottant des deux mains les taches de sang qu’il avait
sur les épaules, tout en s’essuyant avec les bras la sueur qui
lui coulait sur le front, il se dirigea vers une autre carcasse
pleine de sang pour à nouveau la laver à grande eau, calebasse
par calebasse. Bien qu’il n’ait pas tourné la tête, il avait
pourtant entendu que quelqu’un l’avait appelé. Tout en
remplissant sa calebasse, il dit : c’est toi, Genbao ?
Genbao dit, oui, c’est
moi, oncle Li.
Le boucher Li aspergea
d’eau les entrailles de ce quartier de porc
——
tu as l’intention
d’aller te dénoncer à la place du chef de bourg ? Des occasions
de ce genre, même en brûlant des cierges on ne peut pas en
trouver.
Du sang gicla au visage
de Genbao qui fit un pas en arrière
—— j’en ai
discuté avec mon père, je veux bien le faire.
Le boucher Li remplit
à nouveau sa calebasse
—— ce n’est pas
parce que tu veux bien le faire que tu vas pouvoir. Va d’abord
attendre à la maison.
Ce n’est que lorsqu’il
arriva dans la pièce qui servait normalement de salle de
restaurant que Genbao se rendit compte qu’il y avait déjà trois
autres personnes qui attendaient. L’une d’elles était Wu Zhuzi
qui habitait à l’ouest du village ; il avait une quarantaine
d’années, sa femme était partie avec quelqu’un
d’autre en emmenant
leurs enfants, s’était cachée chez le frère d’un cadre du
village voisin, et n’avait aucune intention de revenir, alors il
était resté seul dans l’existence. La deuxième personne était
Zhao Quezi, qui habitait au sud, lui ; il gagnait pas mal sa
vie, mais le four à briques où il travaillait s’était effondré
et l’avait laissé estropié, alors sa vie aussi s’en était
trouvée bouleversée, car il devait une grosse somme d’argent à
une société de crédit coopératif. Quant à la dernière personne,
c’était Li Qing ; il avait un commerce au bourg, et s’était
acheté une voiture russe de marque Gas avec laquelle il faisait
du transport. Genbao savait que Zhuzi et Quezi avaient la même
idée que lui en cherchant à effectuer sa peine de prison à la
place du chef du bourg : l’un espérait que celui-ci l’aiderait à
faire revenir sa femme, l’autre se disait que, en échange de son
aide, il obtiendrait peut-être une annulation de sa dette auprès
de la société de crédit. En revanche, il ne savait pas ce que Li
Qing pouvait bien avoir derrière la tête pour venir s’asseoir
autour de cette table avec les deux autres. Alors, lorsqu’il
entra et que tous les regards se fixèrent sur lui, Genbao porta
le sien sur Li Qing, son cadet d’un an.
Baissant la tête d’un
air embarrassé, comme s’il avait volé quelque chose aux autres,
il expliqua que son petit frère allait sortir de l’Ecole normale
cette année, alors il avait pensé demander au chef de bourg de
lui obtenir un poste d’instituteur au village.
Zhuzi lui lança un
regard glacial et lui dit : tu as déjà tout ce que tu veux, et
tu en veux encore plus.
Li Qing baissa encore
plus la tête, et rougit, du même rouge que le sang par terre à
l’extérieur.
A ce moment-là, le
lorgnant à son tour, Quezi lui dit : tu devrais t’en aller,
comme ça on serait, avec Genbao, à peu près à égalité pour
tenter notre chance.
Li Qing, cependant, ne
partit pas ; relevant la tête, il eut un sourire railleur.
Genbao s’assit sur le
tabouret resté vide. La table était une de ces tables carrées
que l’on appelait autrefois ‘table des huit immortels’, et que
l’on appelle maintenant ‘table de restaurant’ en singeant
l’accent des gens de la ville qui ont fait des études. La pièce
elle-même, on l’appelait ‘la salle de restaurant’. Elle devait
faire une dizaine de mètres carrés et on y entreposait du grain,
de la farine, de l’huile et toutes sortes de produits pour
l’épicerie ; c’est contre le mur extérieur, à l’endroit resté
libre, qu’était placée ladite ‘table de restaurant’. Comme ils
n’étaient pas là pour dîner, et payer de leur poche, il y avait
bien sur la table une théière en alu, mais personne n’était venu
la leur remplir. Au-dessus de la table était suspendue une
ampoule autour de laquelle dansaient des mouches à viande et des
petits papillons de nuit ; quand ils se fatiguaient, les
papillons se hasardaient à se poser sur l’ampoule pour se
reposer, mais les mouches, elles, leur tombaient dessus ou
atterrissaient sur la surface graisseuse de la table le temps de
reprendre leur souffle.
Dehors, il y eut encore
un cri de cochon, un cri bestial, sidérant, un peu comme le
sifflement du train quand il passait derrière la montagne, mais
plus court, et moins pur. Il était en effet mêlé au souffle
coupé de l’animal et au tumulte tout autour. Le bruit continua
encore un moment, puis le silence se fit soudain. La lame
affilée, à l’évidence, après avoir transpercé le cou du porc,
s’était enfoncée dans les entrailles. On n’entendait plus que la
voix du boucher Li qui ordonnait d’ébouillanter les poils de
telle bête, et de suspendre telle autre pour ouvrir la
carcasse ; il y avait aussi des gens qui y allaient de leurs
commentaires, celle-ci est bien grasse, celle-là bien maigre.
Il faisait chaud, à
l’intérieur. Trop occupé à remplir son tiroir caisse, le boucher
Li n’avait pas le temps d’aller désigner le vainqueur d’une
phrase péremptoire : hé, c’est toi qui vas aller te dénoncer à
la place du chef du bourg, puis de se retourner vers les autres
en leur disant : vous trois, c’est fini. Peut-être ne savait-il
pas qui faire bénéficier de cette aubaine, alors il se
contentait de tuer les cochons, sans s’occuper des quatre
compères qui attendaient dans le restaurant. Sa femme et ses
enfants, à l’étage au-dessus, regardaient la télévision ; il en
parvenait des bruits de combat tels qu’on aurait dit que le toit
était en train de s’écrouler dans un fracas de tuiles et de
briques. Genbao leva les yeux vers le plafond, et les trois
autres en firent autant.
Li Qing dit, il est
minuit passé.
Zhuzi répliqua : si tu
es pressé, tu peux partir.
Li Qing dit : je ne
suis pas pressé, je peux même attendre jusqu’au lever du jour.
Quezi regarda Li Qing,
puis, tournant la tête pour fixer Genbao, il lui dit : frère, tu
n’es pas dans la même situation que nous, tu n’es pas marié, et
tu as de l’éducation, tu vas ruiner ta réputation si tu fais de
la prison pour le chef du bourg, après cela, comment vas-tu
pouvoir te marier ?
Genbao aurait voulu
répondre, mais, sur le moment, il ne trouva pas les mots qu’il
fallait ; pour dissiper son malaise, Li Qing répondit pour lui :
c’est remplacer le chef de bourg, justement, qui va l’aider à le
faire. Genbao lui lança un regard plein de gratitude, et Li Qing
lui fit un signe de tête. Comme il était de la même famille que
le boucher Li, il avait l’air à l’aise, dans la maison ; il
allait de côté et d’autre, fourrant son nez partout, il monta
même à l’étage au-dessus regarder un moment la télévision, puis,
en redescendant, il alla au passage voir le boucher Li pour le
presser un peu, lui disant, oncle Li, faudrait te dépêcher à
décider qui va aller demain se dénoncer à la place du chef du
bourg. Mais quand il revint dans la pièce, après avoir fait un
grand tour, il dit que l’oncle Li était occupé, qu’il demandait
aux quatre de se mettre d’accord pour choisir la personne qui
irait prendre la place du chef du bourg. Se mettre d’accord sur
le choix ? mais qui choisir ? C’était évidemment impossible, il
n’y avait aucune chance qu’ils puissent arriver à un accord.
Alors, les quatre compères s’observèrent, pour voir s’il n’y en
aurait pas un qui ferait mine d’abandonner, puis chacun détourna
les yeux pour regarder ailleurs.
Le temps s’écoulait au
rythme lent des sabots d’un buffle arpentant le sol, tic d’un
côté, tac de l’autre. La nuit était déjà bien avancée, profonde
comme un puits sec insondable à l’œil nu. Ils restèrent là,
assis sans rien faire, à prendre leur mal en patience, jusqu’à
ce que la télévision eût fait silence, à l’étage au-dessus, et
que le boucher Li eût abattu cinq porcs ; Zhuzi et Quezi,
affalés sur le bord de la table, s’étaient endormis, et Genbao,
pensant que le boucher Li les avait totalement oubliés, était
sur le point d’aller lui demander si oui ou non il allait le
désigner pour remplacer le chef du bourg en prison, si c’était
oui, il pourrait rentrer, si c’était non, il irait se coucher,
le cœur en berne ; c’est alors que, soudain, quelqu’un vint
frapper de grands coups à la porte de la salle de restaurant,
pang pang pang !
Immédiatement en éveil,
ils se tournèrent vers l’entrée.
Ce n’était pas le
boucher Li qui avait frappé ainsi, mais l’un des jeunes garçons
qui l’aidait à l’abattage. C’est avec le couteau qui servait à
égorger les porcs qu’il avait frappé à la porte ; la lame était
couverte d’une couche de sang frais qui tremblait comme une
tranche de tofu tout mou, et gouttait par terre, devant la
porte. Voyant que tout le monde était bien réveillé, il jeta sur
la table quatre bouts de papier pliés qu’il avait préparés, en
déclarant que, vu l’heure avancée, l’oncle Li avait dit qu’il ne
voulait pas les faire attendre plus longtemps, que ces papiers
étaient pour tirer au sort, l’un d’eux contenait un poil de porc
noir, dans les trois autres il y avait un poil blanc : celui qui
tirerait le poil noir aurait la chance de devenir le bienfaiteur
du chef de bourg, ceux qui tireraient le poil blanc n’auraient
pas cette veine. Sur quoi il resta planté sous la lampe à
regarder les quatre papiers, puis les quatre hommes.
Il n’était soudain plus
question de somnoler. La question si importante de savoir qui
allait pouvoir se dénoncer pour le chef de bourg et devenir
ainsi son bienfaiteur allait être résolue par ces quatre papiers
tirés au sort. Ils avaient été fabriqués avec l’enveloppe d’un
paquet de cigarettes coupée en quatre, et ils étaient d’un
superbe rouge, pour porter bonheur ; pourtant, trois d’entre eux
contenaient un poil blanc. Le regard fixé sur les quatre papiers
fatidiques posés sur la table, les quatre hommes avaient les
yeux écarquillés et brillants, mais aucun n’osait tirer un
papier le premier.
Le jeune aide dit :
tirez-en un, qu’on en finisse et qu’on aille se coucher. Vous
avez de la chance de pouvoir participer au tirage au sort, j’ai
discuté toute la nuit avec l’oncle Li parce que je voulais aussi
aller en prison, mais il a dit que je ne suis pas de Wujiapo,
alors non seulement il ne m’a pas laissé y aller, mais il n’a
même pas voulu que je prenne part au tirage au sort.
(4)
李庆望着小伙子说,你这不是讥弄1我们几个吧?
小伙子说,有半点讥弄,我就是你们四个的孙娃儿2。说我想去镇政府那儿租几间房子做门市,可死活轮不到咱乡下人的手,你说我要能替镇长去住半月监,我在镇上还有啥儿生意做不成?我还用见了收税的3像孙子一样四处乱跑吗?说你们快抓呀,你们一抓完我就去杀猪了。
李庆无言了,便首先从桌上捏了一个纸阄儿。
于是都捏了。
根宝把桌上最后剩的一个捏到了手。他准备打开时,因为手有些抖,出了一手汗,也就打开得慢了些,所以还未及4他把阄儿全打开,便听到柱子扑哧一声笑了笑5,说我这儿是根黑猪毛,合该6我媳妇、孩娃还回到我家里。说完他就把阄儿纸摆到桌子的正中间,大家一看,也果真是根黑猪毛,一寸长,发着光7、麦芒一样尖尖刺刺地8躺在阄儿纸里,而且还从那黑猪毛上发出一丝腥臭淡淡的膻味儿9。
小伙子立在门口说,好事有主了,你去当镇长的恩人,大家都回家睡去吧。
瘸子看看手里的一根白猪毛,说他妈的,还不如早点回家睡觉哩。就把阄儿和猪毛扔掉了。
李庆看了一眼桌上的黑猪毛,没说话就先自离开走掉了,出门时他朝门框上狠狠地踢了一脚。
于是都走了。根宝从李屠户家走出来,又回身望了一眼写着县长、书记在此宿过的招牌,想去和李屠户打声招呼,可看他正忙着在取一头猪的五花内脏,且又是背对着院门这边儿,便不言声儿从李屠户家大门出来了。
外边梁道上有凉爽爽的风。远处田里麦苗的青气一下迎面飘过来,他长长地吸了一口气,身上连一点瞌睡也没了。
回到家里时,爹娘居然都不在。根宝一进院子里,可又闻到了一院油馍味10。再一看屋里正间的一张凳子上,放着一个蓝包袱。他先到屋里把那包袱打开来,果然竟和他心里猜想的一模一样,是娘为他明儿出门去做镇长的恩人准备的衣物、行李啥儿的,裤子、衬衣、鞋袜11,怕他半月回不来,连夏天的汗衫和短裤都替他准备到包裹12里边了。而且,包裹里还有一双千层底儿布鞋13和三双新从哪儿买的解放鞋14。他不知道娘为啥要给他准备那么多的鞋,不要说他已经不能去替镇长顶罪了,就是命中有喜真去了,十天、二十天也就回来了,哪能用上那么多的鞋子哩。
夜已深得没有底了,除了从梁上李屠户家间或15传来的猪叫声,村子里连月光游移16的声响都没了。包裹里新鞋老衣那半腐的肥皂香味和鞋底上的粮面糨糊的甘气17,在屋子里散散淡淡地飘。根宝在那包裹前站了一会儿,又从屋里出来,到灶房的案前立着不动了。娘已经把他出门前的干粮18全都备好了。油烙馍10,葱花和香油19的味道像流水一样,从案桌上哗哗淌到地上20。每个油镆都烙得和鏊子21一样大,然后十字儿切开,一圆变四块,统共十二块油烙馍叠在案面桌的正中央。
望着油烙馍,根宝竟哭了。
从灶房出来,他又立在院落里,朝柱子家住的村西那儿久远地望着,便看见睡了的吴家坡村,一片新房瓦屋,在月光中一律都是蓝莹莹的光22,只有他家这方院落,沉湮23在高大的瓦屋下,像一大片旺草地上的一簇干死的草24。根宝的心里有些哀,他把目光收回来,刚好看见东邻的嫂子25半夜三更中26,竟风风火火地卷进了大门里,说根宝兄弟呀,我在那边听到你这边的响动了。说急死人了呢,你爹你娘都在我家里。说合着你命好,我表妹27离婚了,今儿来看我,一听说你要去替镇长蹲监狱,再一说你还没结婚,她就同意了。说我俩在你家等你到半夜,你没回来,我们走了你就回来了。说你爹、你娘把她送回到我家和我表妹有说不完的话。说你赶快到我家和我表妹见见吧,人长得那个水嫩和没结过婚的闺女一模一样28。说走呀根宝,还不赶快去?你愣着干啥哩?
东邻的嫂子是四十里外的镇上人,细苗灵巧29,人儿好看,因为看上她男人会做生意就屈驾30从镇上嫁到了吴家坡。她读过书,会说话,能把不好看的衣裳穿出样子来。她知道她有吴家坡人没有的好资质31,所以对谁说话都没有商量的味32,都像小学的老师教着学生孩娃的啥儿样。月亮已经走移到了山梁那边,朦胧像灰布一样罩在院落里33。根宝看不清邻居嫂子的脸,只看见她一连声地34说着时,舞动的双手像风中摇摆着的杨柳枝。这时候,这个深夜的当儿里,她说完了就拉着他的手要往她的家里去,他便感到她手上的细软温热像棉花一样裹着他的手指头。他闻到了她头发上的女人味,像在酷冷的冬天忽然飘来了一股夏天的麦香味,身上燥热的激动一下35都马队般奔到了他头上。他听到他满头满脑都是嗡啦嗡啦响,努力朝后挣脱着嫂子的手,想对她说我不能去替镇长蹲狱了,那个阄儿让柱子抓到了,可说出口的话却是,嫂子,你别拉我哩。
嫂子说,咋儿了?你不愿意娶我表妹?
他说,我是去蹲监,又不是啥好事。
嫂子说,你是去替镇长蹲监哩。
他说,这一蹲可不一定真的是十天、二十天,人都轧死了36,说不定要蹲半年、一年哩。
嫂子立在朦胧的夜里就笑了,说你看见包袱里那三双解放鞋了吧?那是我表妹连夜37到邻村供销点里38给你买的哩,她说蹲监狱的人都得去烧砖,说到机砖厂劳改39特别费鞋子,说一去劳改最少是一年。
他说,那要劳改二三年哩?
嫂子说,我表妹是个重情的人40,因为她男人进城里总是找小姐,是因为男人对她不忠她才离的婚。说我表妹不怕男人蹲监狱,就怕男人们有钱进城住宾馆,洗澡堂41。
他说,嫂子,既然是这样,你就对我说,我到你家见了人家先说啥?
嫂子说,你把你娘烙的葱花油馍拿几块,说半夜了,你是过去给她送点儿夜饭。
然后,嫂子就走了。走得轻快,像草地里跳着的羊。根宝在院里看着东邻的嫂子走出大门,又回头吩咐42他说,你快些,再磨蹭一会儿43天便亮了呢,随后,她就融进夜色里了44。
根宝没有照嫂子说的那样回身进灶房去拿油烙馍。他在原地站一会儿,想一阵,便跟着嫂子的脚步出门了。他没有去东邻嫂子家,而是往右一转朝村西走去了。他去了住在村西的柱子家。柱子家也是一个瓦房院,连门楼儿45都是砖瓦结构的,高高大大,一看便知是一户殷实46人家哩。虽然是殷实人家,可媳妇还是跟着外人私奔了。那男人不光是木匠,还是一个村支书47的亲弟哩。根宝到柱子家门前时,惊起了好几响胡同里的狗吠声48,待他把脚步止在瓦房的门楼下,狗吠也便无声无息了。隔着门缝,他看见柱子家正房还有电灯光。自然哩,他还没有睡。明儿吃过早饭就要跟着李屠户到镇上面见镇长了。见了镇长就该乘车去县里面见公安了。然后,就会被拘留起来49住进监狱等着审判了50,就要很多日子不能回家了。柱子不消说得连夜把他蹲监的行李准备准备哩。
根宝轻轻地敲了几下柱子家的门。
Vocabulaire et
traduction :
01
讥弄
jīnòng se moquer de, tourner en ridicule
02
孙娃儿
sūnwár
=
孙子sūnzi
(ici insulte) fils de p… , salopard
03
收税
shōushuì
collecter les impôts
04
未及
wèijí
ne pas avoir encore eu le temps de …
05
扑哧一笑
pūchī yíxiào
pouffer de rire
06
合该
hégāi
il est écrit que (assurance d’un événement futur)
07发光
fāguāng
briller, luire
08
麦芒
màimáng
barbe d’un épi de blé
尖刺 jiāncì
pointu et piquant, comme une épine
09
膻味
shānwèi
odeur/saveur rance 腥膻xīngshān odeur
de mouton ou poisson (voir par. 3 n. 3)
10
油馍
yóumó
galette/pain grillé(e) = 油烙馍yóulàomó
11衬衣
chènyī
linge de corps 鞋袜
xiéwà
chaussettes
汗衫hànshān
maillot de corps, tee-shirt |
|

油馍
yóumó
galette/pain grillé(e) = 油烙馍yóulàomó |
12
包裹
bāoguǒ rouler, envelopper / paquet, ballot
13
千层底
qiāncéngdǐ
semelles faites de diverses couches de tissu cousues ensemble

解放鞋
jiěfàngxié
chaussures de l’armée |
|
14
解放鞋
jiěfàngxié
chaussures de l’armée, sorte de tennis de toile verte,
à semelles de caoutchouc
15
间或
jiànhuò
de manière
épisodique, occasionnellement
16
游移
yóuyí
vaciller,
hésiter
17
香味
xiānɡwèi
parfum, senteur /
甘气gānqì
odeur douce,
agréable
粮面糨糊
liángmiàn jiànghú
colle à base
d’amidon de riz (ou de blé)
18
干粮
gānliáng
provisions
de route, de voyage
19
葱花
cōnghuā
pousses d’oignon/de ciboule hâchées
香油xiāngyóu
huile de sésame |
20
哗哗淌
huāhuātàng
couler, ruisseler en murmurant
21
鏊子
àozi
plaque
circulaire sur laquelle on fait cuire les galettes
22
一律
yílǜ
uniforme /
tout sans exception
蓝莹莹lányíngyíng
d’un bleu brillant, translucide
23
沉湮
chényān
être profondément enfoncé au point de disparaître, de passer
inaperçu
24
旺草
wàngcào
grandes herbes, herbes folles
一簇
yícù
un bouquet, une gerbe…
25
嫂子
sǎozi
belle-sœur
26半夜三更
bànyèsāngēng
(voir par. 1 n. 39) = au beau milieu de la nuit
27
表妹
biǎomèi jeune cousine (du côté de la mère) / chap. suivant :
表姐biǎojiě
cousine plus âgée
28
嫩
nèn
tendre,
délicat
闺女guīnü
jeune fille
(pas encore mariée)
29细苗灵巧
xìmiáo
língqiǎo
agile, leste comme une fine pousse/un jeune plant
30
屈驾
qūjià
accepter de
(avoir la bonté de) venir, se rendre à…
31
资质
zīzhì
capacités,
intelligence
32
没商量
méishāngliáng
qui ne (se) discute
pas, (ton) intransigeant
33
朦胧
ménglóng
obscur, indistinct
罩 zhào
couvrir
34
连声
liánshēng
dire et répéter, pérorer
35
燥热
zàorè
chaud et sec
激动jīdòng
exciter
36
轧死
yàsǐ
(accident)
écraser quelqu’un
37
连夜
liányè dans
la nuit, la/cette nuit même
38
供销点
gōngxiāodiǎn
magasin d’une
coopérative (供销gōngxiāo
approvisionnement et vente)
39
劳改
láogǎi
réforme, ou rééducation par le travail (abréviation de
劳动改造
láodòng gǎizào)
40
重情
zhòngqíng
qui attache beaucoup d’importance aux sentiments (重视情感)
41洗澡堂
xǐzǎotáng
établissement de bains
42
吩咐
fēnfù
enjoindre,
recommander
43
磨蹭
móceng
traîner,
lambiner
44
融进
róngjìn
se
fondre dans
45
门楼(儿)
ménlóu(r)
arche d’entrée (portails traditionnels de diverses sortes, dont
certains, comme ici, à l’entrée d’une cour, d’un jardin,
ou d’une rue, peuvent être surmontés d’un toit de
tuiles, parfois sur plusieurs niveaux, ce qu’on appelle
en anglais « storied gateways »)
Différentes
sortes :
http://soso.nipic.com/show/60/eb/58/674
9d74565c16a238adebdc5da_0______3.html
46
殷实
yīnshí
aisé,
prospère
47支书
zhīshū
secrétaire
de cellule du Parti (abréviation de
支部书记zhībù
shūjì)
48
吠
fèi
aboyer
49
拘留
起来
jūliúqǐlái
mettre en détention
50审判
shěnpàn
juger
(passer en jugement) |
|

门楼(儿)
ménlóu(r)
arche d’entrée
|
Li Qing se tourna vers
le jeune garçon et lui dit : tu te fiches de nous ou quoi ?
Il répondit : pas du
tout, je serais un moins que rien. Ce que je voudrais, c’est que
la municipalité du bourg me loue un local pour faire du
commerce, mais je n’ai aucune chance d’obtenir ça, ce n’est pas
pour les paysans comme moi qui viennent des fins fonds de leur
campagne, alors si je pouvais aller une quinzaine de jours en
prison pour le chef du bourg, vous ne croyez pas qu’il
m’aiderait à monter un commerce au bourg ? Je n’aurais plus
besoin de détaler à toutes jambes comme un malpropre à la vue
des collecteurs d’impôts. Allez, prenez vite un papier, qu’on en
finisse, il faut que je revienne au boulot.
Li Qing, sans dire un
mot, fut le premier à saisir un papier sur la table.
Les autres, alors, en
firent autant.
Genbao eut le dernier
qui restait sur la table. Au moment de l’ouvrir, ses mains se
mirent tellement à trembler, à transpirer, qu’il eut toutes les
peines du monde à le faire, si bien qu’il n’avait pas eu le
temps de terminer lorsqu’il entendit Zhuzi pouffer de rire et
s’exclamer : c’est moi qui ai le poil noir, ma femme et les
enfants vont revenir à la maison, c’est sûr. Il posa alors son
papier au beau milieu de la table, et tout le monde vit qu’il
était effectivement tombé sur le poil noir, un poil d’environ
trois centimètres de long, brillant et pointu comme la barbe
d’un épi de blé, qui, bien en évidence sur le papier déplié,
dégageait une légère odeur de rance.
Debout à la porte, le
jeune assistant du boucher dit, c’est une bonne chose de faite,
c’est donc toi qui vas être le bienfaiteur du chef de bourg,
vous pouvez tous rentrer vous coucher.
Fixant le poil blanc
qu’il avait dans la main, Quezi se mit à jurer : merde alors,
j’aurais mieux fait de rentrer dormir plus tôt. Et il jeta le
papier et le poil.
Ce fut Li Qing qui,
après avoir aperçu le poil noir sur la table, fut le premier à
quitter les lieux, sans prononcer un mot, mais en envoyant un
coup de pied rageur dans l’encadrement de la porte au moment d’y
passer.
Alors tout le monde
s’en alla. En sortant de chez le boucher Li, Genbao jeta un
dernier coup d’œil aux pancartes rappelant que le chef et le
secrétaire du district avaient couché là ; il avait pensé aller
saluer le boucher Li avant de partir, mais, voyant que celui-ci
était occupé à vider un porc, et, qui plus est, lui tournait le
dos, il sortit sans un mot par la grande porte de la cour.
Au dehors, sur la
route de crête, lui souffla en plein visage, venue des champs,
au loin, une brise fraîche où flottait l’arôme des toutes jeunes
pousses de blé. Il poussa un très long soupir ; il n’avait plus
du tout sommeil.
Quand il arriva chez
lui, étonnamment, ni son père ni sa mère n’étaient là. Dès qu’il
eut pénétré dans la cour, il constata qu’y régnait une odeur de
galettes grillées. Il vit que, à l’intérieur de la maison, un
tabouret était au milieu de la pièce, avec, posé dessus, un
baluchon bleu. Il alla d’abord l’ouvrir : c’était exactement ce
qu’il avait pensé, sa mère lui avait préparé des affaires en
prévision de son voyage du lendemain, pour aller servir de
bienfaiteur envers le chef de bourg ; il y avait pantalons,
chemises, chaussettes, et, comme elle avait certainement peur
qu’il ne rentre pas au bout de quinze jours, elle avait aussi
prévu des affaires d’été, tee-shirts et shorts, le tout bien
roulé dans le sac. Il y avait aussi une paire de chaussures de
toile à semelles de tissu et trois paires de tennis de l’armée,
tout neufs, achetés savoir où. Il se demandait bien pourquoi sa
mère avait prévu autant de chaussures ; bien sûr, maintenant, il
n’était plus question qu’il aille purger la peine du chef du
bourg, mais, même si la chance lui avait souri, il serait revenu
au bout de dix ou vingt jours, comment aurait-il pu user autant
de chaussures ?
La nuit était d’un
noir sans fond ; hormis les cris des porcs qui venaient de chez
le boucher Li, là haut sur la crête, le village, sous la lumière
vacillante de la lune, était devenu totalement silencieux. Il
planait dans la maison une odeur douceâtre de colle d’amidon qui
imprégnait la semelle des chaussures, et une senteur de savon
aux relents de moisi qui émanait des chaussures neuves et du
linge usagé. Genbao resta un instant debout devant le baluchon,
puis il ressortit, pour aller dans la cuisine où il resta planté
devant la table sans bouger. Avant de sortir, sa mère avait
préparé ses provisions de route. Il y avait dans l’air une odeur
fluide de galettes grillées, de pousses de ciboule hachées et
d’huile de sésame qui semblait ruisseler goutte à goutte de la
table jusqu’au sol en un léger murmure. Chaque galette grillée
était de la taille de la plaque de cuisson, puis coupée en croix
pour en faire quatre parts, il y avait ainsi au total douze
portions posée l’une sur l’autre au centre de la table.
En regardant les
galettes, Genbao se mit à pleurer.
Il sortit de la
cuisine et resta à nouveau debout dans la cour, le regard perdu
dans le lointain, vers l’ouest du village, là où habitait Zhuzi,
observant Wujiapo endormi, avec ses maisons aux toits de tuiles
flambant neufs, resplendissant tous d’un reflet bleuté sous la
lumière de la lune ; la cour de sa maison, quant à elle,
disparaissait au milieu des hautes maisons couvertes de tuiles,
semblable à une étendue sauvage couverte d’herbes sèches. Genbao
se sentit infiniment triste ; il détourna les yeux du village
et, juste alors, aperçut la voisine de la maison de l’est qui,
bien que ce fût le milieu de la nuit, arrivait en toute hâte par
la grande porte, en lui criant, Genbao, vieux frère, de chez
moi, là-bas, j’ai entendu que tu étais ici. Tout le monde est
mort d’inquiétude à ton sujet, mais ton père et ta mère sont
chez moi. Tu as de la chance, j’ai une jeune cousine qui est
divorcée, aujourd’hui elle est venue me voir, dès qu’elle a
entendu dire que tu allais faire de la prison à la place du chef
de bourg, et que tu n’étais pas encore marié, cela l’a
intéressée. On t’a attendu chez toi jusqu’à minuit, et comme tu
ne revenais pas, on est parties, juste au moment où tu es
revenu. Ton père et ta mère nous ont raccompagnées chez moi pour
finir de discuter avec ma cousine. Tu devrais vite venir chez
moi voir ma cousine, elle est fraîche et aussi délicate qu’une
jeune fille qui n’a encore jamais été mariée. Dépêche-toi,
Genbao, qu’est-ce que tu as à traîner comme ça ?
La voisine en question
était originaire du bourg, à une vingtaine de kilomètres de là,
elle était vive et leste comme une jeune pousse, et assez
jolie ; quand elle avait vu que son futur mari avait un
commerce, elle avait accepté de l’épouser et de venir vivre à
Wujiapo. Elle avait fait des études, savait s’exprimer, et avait
de l’allure même mal habillée. Elle se savait des capacités
supérieures à celles de la moyenne des gens de Wujiapo, aussi
elle leur parlait d’un ton péremptoire, comme un maître d’école
s’adressant à une classe d’enfants. La lune avait déjà franchi
le haut de la montagne, et l’obscurité avait recouvert la cour
comme d’un voile gris. Genbao ne distinguait pas très bien le
visage de la voisine, mais, quand elle pérorait, il voyait ses
deux mains qui dansaient comme des branches de saule agitées par
le vent. Après avoir fini de parler, en dépit de l’heure
tardive, elle voulut le tirer par la main pour l’entraîner chez
elle, il sentit alors ses doigts fins et chauds comme du coton
se refermer sur sa main. Il sentit l’odeur féminine de ses
cheveux, comme si, en plein milieu d’un hiver rigoureux, s’était
soudain répandue une odeur parfumée de blé ; il se sentit envahi
d’une excitation fébrile qui lui monta à la tête au pas de
charge. Ne percevant plus qu’un bourdonnement confus de paroles
indistinctes, il fit un effort pour repousser la main de la
voisine ; il voulait lui dire qu’il ne pourrait pas aller en
prison pour le chef du bourg, que c’était Zhuzi qui avait tiré
le bon papier, mais il réussit seulement à articuler : lâche-moi
s’il te plaît.
La voisine lui dit :
qu’est-ce que tu as ? tu ne veux pas de ma cousine ?
Il dit : je vais aller
en prison, c’est quand même pas la gloire.
La voisine dit : mais
c’est pour le chef du bourg que tu vas faire de la prison.
Il dit : oui, mais ce
ne sera pas forcément pour dix ou vingt jours, un type a été
écrasé, alors peut-être j’aurai six mois ou un an à tirer.
Il entendit la voisine
rire dans l’obscurité de la nuit ; elle lui dit, tu as vu les
trois paires de tennis de l’armée ? c’est ma cousine qui est
allée ce soir même te les acheter à la coopérative du village à
côté, elle dit que les prisonniers envoyés en camp de travail
sont employés à la briqueterie, et que ce boulot use
terriblement les chaussures ; il paraît, en plus, que, si tu es
envoyé là, c’est au moins pour un an.
Il dit : et si j’y
suis envoyé pour deux ou trois ans ?
La voisine dit : ma
cousine est quelqu’un de sérieux, son mari, quand il allait en
ville, en profitait pour aller voir des filles, c’est parce
qu’il ne lui était pas fidèle qu’elle a divorcé. Alors elle n’a
pas peur que son mari aille en prison, ce qui lui fait peur, ce
sont les hommes qui vont dépenser leur argent dans les hôtels et
les salons de massage.
Il dit : écoute, dans
ces conditions, si je vais la voir chez toi, qu’est-ce que je
pourrai bien lui dire ?
La voisine dit : tu
n’as qu’à lui apporter quelques parts des galettes grillées que
ta mère a fait cuire, tu lui diras qu’il est plus de minuit,
alors que tu es passé lui apporter un petit en-cas pour la nuit.
Sur quoi la belle-sœur
du voisin s’en alla, d’un pas léger et rapide, telle un agneau
gambadant dans un pré. Genbao la vit, au moment de franchir le
portail de la cour, se retourner pour l’inciter encore à se
presser : dépêche-toi un peu, c’est plus le moment de traîner,
il va bientôt faire jour. Et elle se fondit dans la nuit.
Genbao n’alla pas à la
cuisine chercher des galettes comme le lui avait conseillé la
voisine. Il resta un moment immobile au même endroit en
réfléchissant, puis, emboîtant le pas à la voisine, sortit lui
aussi. Il ne se dirigea pas vers la maison voisine à l’est, mais
tourna à droite pour aller vers l’ouest du village. C’était la
direction de la maison de Zhuzi. C’était aussi une maison au
toit de tuiles ; le portail de l’entrée lui-même était surmonté
d’une grande arche de briques couverte de tuiles qui, à elle
seule, dénotait une certaine aisance. Malgré cela, pourtant, sa
femme était partie ; l’homme avec lequel elle s’était enfuie
était menuisier, et frère d’un secrétaire de la cellule du Parti
d’un village. Lorsque Genbao arriva devant la porte de la maison
de Zhuzi, il alerta les chiens du voisinage qui se mirent à
aboyer ; ce n’est que lorsqu’il s’arrêta au pied de l’arche
couverte de tuiles qu’ils se calmèrent. En regardant par la
fente de la porte, il vit qu’il y avait encore de la lumière
dans la maison. Il était bien évident que Zhuzi ne dormait pas
encore. Au matin, après avoir pris son petit déjeuner, il
partirait au bourg avec le boucher Li voir le chef du bourg,
après quoi il irait en voiture au commissariat du district.
Ensuite, il serait arrêté et emprisonné en attendant le
jugement, il ne pourrait sans doute pas rentrer chez lui avant
longtemps. Il lui fallait donc préparer cette nuit même les
affaires dont il aurait besoin en prison.
Genbao frappa
doucement à la porte.
(5)
[
门是榆木板,碰上去的指关节就如敲在了石面上。在月落以后的黑色里,那干硬硬的响声如小石子一样飞在村街的房檐下。声音响进去,没有从柱子家响出回应来,只有狗吠在村里回荡着。
根宝又用力敲了几下门。
柱子回应了——谁?
根宝说,是我,柱子哥。
柱子问,根宝呀,有啥事?
根宝说,你开一下门,我有话跟你说。
柱子从屋里出来开门了。他到大门前先拉亮了门楼下的灯,然后哗的一下把双扇大门打开了。
门一开,根宝就扑通一下跪在柱子面前。
柱子忙朝后退一步,说,根宝,你要干啥儿?你这是干啥儿?
根宝说,柱子哥,你让我去替镇长蹲监吧,你好歹成过一次家,知道做男人是啥儿滋味哩,可我根宝立马就是三十岁,还不知道当男人到底啥味儿。你让我去替镇长蹲监狱,镇长肯定得问我家里有啥困难事,我对他说的第一件事,就是让他把你媳妇和孩娃送回家里来好不好?
柱子盯着灯光下的根宝不说话。
根宝便朝柱子磕了一个头,说,柱子哥,算我求你了好不好?
柱子说,我让你去了,你会替我在镇长面前说话吗?
根宝说,我要不先把你的难处说出来,不让镇长把你媳妇和孩娃讨回来,我根宝就是你柱子哥的重孙子。
柱子说,那你起来吧。
根宝便又向柱子连磕了三个响头才起来了。
匆匆忙忙一夜过去了。]
来日早升的日头在仲春里光辉得四野流金1,山脉间的田地、岭梁2、树木和村落都在日光中透发着亮色。吴家坡在这个春日早晨醒来时,谁都知道根宝家里有了喜事了。根宝要去替镇长住狱了。包裹已经捆起来,被褥3也都叠好用绳子系了哩,白面油烙的葱花饼也装进了干粮袋子里。
根宝要做镇长的恩人了。
他喝了一碗蜀黍片儿汤4,吃了咸菜5和油馍,提着行李出门上路时,看见大门外有许多的村人们。李庆、瘸子、柱子、东邻的哥嫂,还有嫂的表妹。昨儿他们连夜订了婚配6,她说你去十天半月肯定回不来,说你就是去住一年、两年我都会等你。然后,她就又一早跟在表姐7身后来送他。村人们大都还不知道她是他的媳妇了,只把她当作是跟着表姐来看热闹的人。爹在他身后提着铺和盖8,像儿娃出门做大事儿一样,满脸的喜庆和自豪9。他把烟袋丢到家里了,特意吸了带着过滤嘴儿10的纸香烟,可又不是真的吸,仅就是燃了让一丝青烟在他嘴前袅袅地11升起来。娘手里提的是根宝的干粮袋,一出门看见东邻嫂的表妹子,她便一脸灿然地朝人家走过去。根宝没有听见娘和人家说了啥,只看见两个人说了两句话,嫂的表妹竟从娘的手里要过干粮袋儿提在手里边,又如过桥时搀扶12老人一样扶住了娘。在这送行的人群里,她就像一朵盛开在夏时草坡上的花,因为也是镇上的人,家里和镇政府仅隔着一堵墙13,儿娃时端着饭碗还常跑到镇政府的院落里,加之她和她表姐的见识14是一般的多,穿戴、言说、行止15,和吴家坡人有着无数的差别与异样,所以她搀扶着娘的胳膊时,看见的人便心中清明了,眼里更加有了一种惊羡的光16。门前的人群原本也就十几个,可待根宝一家走出来,站在那儿和人们说了几句话,转眼间人群就是一片了。有的人正要下地去17,听说根宝要去做镇长恩人了,也就慌忙过来道着喜18,送送行。说根宝兄弟,奔着前程了,千万别忘了你哥啊。根宝就把目光从自己那香熟发光的对象身上收回来,笑着说奔啥儿前程哩,是去替人家蹲监呢。那人就又说,替谁呀?是替镇长哩,你是镇长的救命恩人呢,还以为你哥我不知道你有多大前程嘛。
根宝就只笑不说了。
根宝就这么在送行的人群中慢慢行走着。前面是人,后边也是人,说笑和脚步的声音如秋风落叶般响。爹在他的身后,有人去他手里要那行李提,他说不用不用却又松了手。而后从裤口袋里摸出一包烟,拆开来,一根接一根地朝着人们递。人家不接了他便朝人家的嘴里塞。根宝很想朝柱子走近些,柱子和李庆、瘸子他们好像没昨夜命运相争的事儿一样,一团和气地19挤在路边上,可人群围得紧,又都要争着和他说话儿,他就只能隔着人群和柱子他们招着手,点着头,表白着自己的歉意20和感激。村里是许多年月都没有这样送行的喜庆繁闹了,就是偶尔哪年谁家的孩娃参军入伍也没有这么张扬过,排场过21,可今儿的根宝竟获着了这份排场和张扬。他心满意足地朝村口走动着,到饭场那儿立下来,扬着手,连声说着都回吧,回去吧,我是去蹲监,又不是去当兵。然而无论他如何地解释着说,人们还是不肯立住去送他的脚。
人们都簇拥着他往梁上李屠户家门前走去。
李屠户已经在梁上的日光里朝着这边人群招了手。招了手,根宝脚下的步子就快了。可根宝的脚步越快,李屠户却越发地招着手,似乎还把双手喇叭在嘴上,大声地唤了啥,因为远,没能听清楚,人们就猜他是让根宝快一些。
根宝便提着行李小步跑起来,他不想让李屠户在梁上等的时候太久。然而在他丢开人群朝着梁上跑去时,李屠户身边那个昨夜儿帮他屠宰的小伙子却从梁上跑下来。两个人相向地跑,近了时,小伙子就立在路边的一块石头上,可着嗓子22叫唤着,说刘根宝,李叔不让你再来了,说镇长一早从镇上捎来了话,说不用人去替他顶罪了。
根宝淡了脚步站下了,像电线杆一样栽在路中央,望着那个小伙子,唤着,问道,你说啥?天呀你说啥?
小伙子大声说,不用你去了,说镇长轧死人的那家父母通情达理呢23,压根儿没有怪24镇长,也不去告镇长,人家还不要镇长赔啥儿钱,说只要镇长答应把死人的弟弟认做镇长的干儿就完啦——
这一回,小伙子说的根宝全都听清了。他立在那儿脚跟有些软,努力把一身的力气全都用到脚脖上25,使自己不至于突然瘫下去26。然后把目光投到山梁上,他看见李屠户在梁道边上正指派着几个人往一辆车上装着鲜猪肉,背对着他,舞之又蹈之,肩膀和门板一样宽,有力得没法说。
紧随着他,村里送行的人们也都说说笑笑跟近了,像一个人拉着一辆大车爬到了半坡上。根宝很想让李屠户或者跑来唤话的小伙把说过的话,朝着村人们再清清白白地述说一遍儿,他就又慢慢朝着梁道走了过去。
日头又升高了些,艳红艳红哩。
Vocabulaire et
traduction :
01
仲春
zhòngchūn
le milieu du printemps
光辉guānghuī
rayonnant, splendide
四野sìyě
de tous
côtés
02
山脉
shānmài
chaîne de montagne
岭梁lǐngliáng
ligne de crête
03 voir par. 1 n. 32
04蜀黍
shǔshǔ
sorgho
片儿汤
piànrtāng
soupe qui
contient de minces tranches de pâte
05咸菜
xiáncài
légumes salés
06
订婚配
dìnghūnpèi
décider de se marier
07 voir chap. 4 n. 27
08
铺盖
pūgai
couvertures, couchage
09
喜庆
xǐqìng
joyeux
自豪zìháo
très fier
10
过滤嘴(儿)
guòlǜzuǐ(r)
à bout filtre
11
袅袅
地
niǎoniǎode
(s’élever) en volutes, en spirales
12
搀扶
chānfú soutenir (en tenant par le bras)
13
和...
隔着一堵墙
hé… gézhe
yídǔqiáng un mur sépare de … (堵dǔ
boucher, obstruer +
classificateur)
14
见识
jiànshi
connaissances, expérience
15行止
xíngzhǐ
attitude, comportement
16
惊羡
jīngxiàn
être béat d’admiration, avec une nuance d’envie
17
下地去
xiàdìqù
aller aux champs
18
道喜
dàoxǐ
féliciter
19
一团和气
yìtuánhéqì
être en bons termes
20
表白
biǎobái
exprimer, indiquer
歉意qiànyì
excuses,
regrets
21
排场
páichǎng
pompe, faste
22
可着
kězhe
chercher à
atteindre la distance la plus grande possible
嗓子sǎngzi
gosier / voix
23
通情达理
tōngqíngdálǐ
se montrer
raisonnable, compréhensif
24
压根儿没..
yàgēnr
méi… jamais
auparavant / pas du tout
怪guài
blâmer
25
脚脖
jiǎobó
cheville
26
不至于
búzhìyú ne pas aller jusqu’à
瘫tān
être
paralysé
[Genbao persuade Zhuzi
de le laisser aller en prison, en lui promettant en échange de
se faire son avocat auprès du chef du bourg pour lui ramener sa
femme et ses enfants]
En cette matinée de
printemps, la campagne étincelait des feux dorés du soleil
levant ; les champs, les crêtes, les bois et les villages, dans
la chaîne de montagne, tout baignait dans son éclat lumineux.
Alors que Wujiapo se réveillait aux premières lueurs de ce
soleil printanier, tout le monde dans le village savait que la
journée commençait sous d’heureux augures pour la famille de
Genbao, puisqu’il allait faire de la prison pour le chef du
bourg. Son baluchon était déjà fermé, son matelas et ses
couvertures étaient pliés et ficelés, il avait même un sac de
provisions plein de galettes grillées à la farine de froment et
aux pousses de ciboule hachées.
Genbao allait devenir
le bienfaiteur du chef du bourg.
Après avoir avalé un
bol de soupe au sorgho, et quelques légumes salés avec des
galettes grillées, il prit ses baluchons et sortit dans la rue
où il se trouva devant une foule de villageois assemblés devant
la porte. Il y avait là Li Qing, Quezi, Zhuzi, les voisins de
l’est, et même la cousine. Le mariage avait été décidé dans la
nuit. Elle lui avait dit : tu ne vas certainement pas revenir au
bout de dix ou quinze jours, mais tu peux y rester un an, deux
ans, je t’attendrai. Alors, au matin, elle était venue lui dire
au revoir avec sa cousine. Personne dans le village ne savait
encore qu’elle allait l’épouser, on pensait qu’elle était
simplement venue assister au départ avec sa cousine. Le père,
derrière son fils, portait les couvertures, l’air réjoui et fier
d’un gamin partant faire quelque exploit. Il avait laissé sa
pipe chez lui, et fumait ostensiblement une cigarette à bout
filtre, mais sans la fumer vraiment, il la laissait juste se
consumer en dégageant devant sa bouche un mince filet de fumée
qui s’élevait en volutes bleutés. La mère, quant à elle, portait
le sac à provisions ; dès qu’elle était sortie, elle avait
aperçu la cousine de la voisine de l’est, et s’était dirigée
vers elle, le visage radieux. Genbao ne pouvait pas entendre ce
qu’elles se disaient, il avait juste vu les deux femmes échanger
deux ou trois mots, puis la cousine de la voisine se charger du
sac de provisions, et prendre le bras de sa mère pour la
soutenir comme on prend le bras d’un vieillard pour l’aider à
traverser un pont.
Dans la foule des gens
venus pour accompagner Genbao à son départ, on aurait dit une
fleur d’alpage épanouie en plein été. Elle était originaire du
bourg, et seul un mur séparait la maison familiale de la mairie
; enfant, elle courait souvent, son bol à la main, manger dans
la cour de la mairie ; qui plus est, elle et sa cousine avaient
un niveau d’éducation supérieur à la moyenne, et sa manière de
s’habiller et de parler, son allure en général n’avaient rien à
voir avec celles des gens de Wujiapo ; par conséquent, quand les
gens lui virent prendre le bras de la mère de Genbao, ils
comprirent tout de suite, et leurs regards eurent une expression
encore plus marquée de respect vaguement envieux. Il y avait au
début tout au plus une dizaine de personnes à la porte, mais, en
attendant Genbao et ses parents, elles échangèrent quelques mots
avec d’autres, et, en un clin d’oeil, il y eut une foule. En
entendant dire que Genbao allait devenir le bienfaiteur du chef
du bourg, certains, qui partaient aux champs, se précipitèrent
pour le féliciter et l’accompagner. Quelqu’un cria : Genbao,
vieux frère, quand tu auras réussi, faudra pas nous oublier.
Alors, détournant les yeux de la femme resplendissante à ses
côtés qui lui était promise, Genbao lança en riant, comment ça
réussir, je vais en prison pour quelqu’un d’autre. L’homme
répondit : oui, mais c’est qui, ce quelqu’un ? c’est le chef du
bourg, tu vas le sauver, devenir son bienfaiteur, alors si tu
crois que je ne sais pas que tu as un bel avenir devant toi.
Genbao se contenta de
rire sans plus rien répondre.
Genbao avançait
lentement au milieu de la foule des gens venus lui dire adieu.
Il y avait des gens devant lui, des gens derrière, le bruit des
pas et des rires faisait un bruit de feuilles mortes qui tombent
emportées par le vent d’automne. Des gens s’avancèrent pour
débarrasser son père, qui marchait derrière lui, des paquets
qu’il portait, il leur dit, pas la peine, pas la peine, mais,
finalement, il les laissa les prendre. Après cela, il sortit son
paquet de cigarettes d’une poche de son pantalon, l’ouvrit et se
mit à en offrir autour de lui. A ceux qui en refusaient une, il
la leur fourrait dans la bouche. Genbao aurait voulu se
rapprocher de Zhuzi qui marchait sur le bord du chemin avec Li
Qing et Quezi, en parfaite entente, comme s’ils n’avaient jamais
rivalisé la veille au soir pour emporter la décision ; mais la
foule qui l’entourait était trop compacte, il ne put se frayer
un chemin pour aller lui parler, il dut se contenter de lui
faire de loin un signe de la main et de la tête pour lui
signifier ses excuses et ses remerciements. Dans le village,
cela faisait des années que l’on n’avait pas vu une procession
aussi joyeuse et animée pour prendre congé de quelqu’un ; il
était bien arrivé qu’un jeune partît rejoindre son régiment
après s’être engagé, mais cela n’avait jamais occasionné
pareille publicité, pareille pompe. C’est le cœur joyeux que
Genbao se dirigea vers l’entrée du village ; arrivé à l’endroit
où les gens se rassemblaient pour manger, il s’arrêta et,
agitant la main, il s’adressa à la foule : rentrez chez vous,
rentrez, je vais en prison, je ne pars pas à l’armée. Mais il
eut beau faire, les gens ne s’arrêtèrent pas pour autant de le
suivre.
Ils étaient massés
autour de lui lorsqu’il gravit la côte, vers la maison du
boucher Li.
Sur la crête, dans la
lumière du soleil levant, celui-ci avançait vers la foule en
faisant des grands signes de la main. Genbao, du coup, pressa le
pas. Mais plus il pressait le pas, plus l’autre faisait de
signes, il avait l’air de leur crier quelque chose, les mains en
porte voix devant la bouche, mais, comme il était loin, on
n’entendait pas très bien ce qu’il disait, alors les gens
pensèrent qu’il pressait Genbao d’avancer plus vite.
Avec son sac, Genbao
se mit à courir en petites foulées, il ne voulait pas faire
attendre le boucher Li trop longtemps, là haut, sur la crête.
Cependant, alors qu’il s’était détaché de la foule et montait
vers le haut de la côte en courant, ce même jeune garçon qui
avait aidé le boucher Li à abattre les porcs, la veille au soir,
en descendit, en courant lui aussi. Lorsqu’il fut suffisamment
près, il grimpa sur un rocher au bord de la route et hurla de
toutes ses forces : Liu Genbao, oncle Li te fait dire que ce
n’est plus la peine que tu viennes, que le chef du bourg a fait
passer un message tout à l’heure, disant qu’il n’a plus besoin
que quelqu’un aille se dénoncer à sa place.
Genbao ralentit
l’allure et s’arrêta au beau milieu de la route, planté là comme
un poteau électrique, à regarder le jeune garçon ; il lui cria :
qu’est-ce que tu dis ? bon dieu, mais qu’est-ce que tu dis ?
Le garçon répliqua,
toujours en criant, ce n’est pas la peine que tu y ailles, il
paraît que les parents du type qui a été écrasé se sont entendus
avec le chef du bourg, ils n’ont plus rien contre lui et ne vont
pas le dénoncer, ils ne lui demandent même pas d’argent en
dédommagement, ils veulent juste que le chef du bourg s’engage à
adopter le petit frère du mort, c’est tout.
Cette fois-ci, Genbao
avait parfaitement entendu ce qu’avait dit l’autre. Il sentit
ses jambes faiblir, et s’efforça d’utiliser toutes les forces de
son corps jusque dans les chevilles pour ne pas se retrouver
soudain totalement paralysé. Il leva alors les yeux vers la
crête et aperçut le boucher Li, au bord de la route, là-haut,
qui était en train de faire charger de la viande de porc fraîche
dans une voiture ; il gesticulait en lui tournant le dos, les
épaules aussi larges que des battants de portes, dégageant une
indicible impression de puissance.
La foule des gens qui
suivaient de près approchait au milieu des rires et des
bavardages, on aurait dit quelqu’un tirant une immense charrette
arrivé à mi-pente. Genbao eut envie de se tourner vers les
villageois pour leur rapporter clairement ce que venait de lui
dire le boucher Li, ou plutôt ce que son jeune assistant avait
couru lui crier, mais il reprit lentement son ascension vers le
chemin de crête.
Le soleil aussi
continuait sa progression, dans des teintes d’un rouge éclatant,
écarlate.
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