权聆 《星星落进河里》
Quan Ling
« Pluie d’étoiles tombant dans la rivière »
Traduction Brigitte Duzan et
Zhang Xiaoqiu, 28 juin 2010
Présentation
Ce texte
apparaît, à première lecture, comme un exercice de
style, une recherche qui s’apparente à la mise en valeur
des richesses de la langue parlée dont on voit diverses
tentatives fleurir ça et là, en liaison également avec
l’utilisation
éventuelle de tournures dialectales. On assiste ainsi à
un éclatement de l’homogénéité de la langue écrite sous
l’influence de la langue orale.
Ici, cependant,
la recherche stylistique est couplée avec le sujet du
récit qui lui fournit une sorte de mise en abyme. Il
s’agit d’une
histoire de brigands, d’enlèvement de femmes,
d’une intrigue
sordide sur fond d’escroquerie et de règlement de
comptes. Très astucieusement, l’auteur n’a pas daté son
récit, mais quelques détails – ainsi que certains termes
comme le petit maître
少爷,
l’école privée traditionnelle
私塾,
etc.. - le situent pendant la période délétère à la fin
de la dynastie des Qing. |
|
« Au bord de l’eau »
(《水浒传》) |
Cependant, l’histoire
elle-même semble un pastiche des grands romans classiques de
l’époque Ming ; le repaire de brigands n’est pas sans rappeler
le mont Liang du roman « Au bord de l’eau » (《水浒传》)
« Jinpingmei » (《金瓶梅词话》) |
|
tandis que l’intrigue autour des femmes suggère
l’atmosphère de débauche généralisée du « Jinpingmei »
(《金瓶梅词话》),
qui est d’ailleurs lui-même développé à partir d’un
épisode qui faisait initialement partie du roman
précédent.
Ce
qui est intéressant, c’est que ces œuvres, qui
proviennent de la tradition orale, représentent
l’émergence d’une littérature populaire, et pour des
raisons qui ne sont pas sans rappeler la situation
socio-économique actuelle : pour répondre à la demande
d’une couche sociale « moyenne » en pleine croissance,
en raison du développement économique, de
l’enrichissement national et d’une urbanisation
accélérée, surtout pendant la période 1520-1620. C’est
alors que se développèrent les romans en langue
vernaculaire, issus de la grande tradition des conteurs,
dont ceux cités ci-dessus sont deux des quatre plus
importants. |
Il s’agissait d’une
rupture dans le fond mais surtout dans la forme avec la
littérature en langue classique qui était totalement inadaptée
au nouveau public et à ses préoccupations. Beaucoup de lettrés
décrièrent un genre considéré comme vulgaire, mais d’autres s’y
rallièrent et le développèrent.
On peut considérer que
la période actuelle est très semblable. La nouvelle de Quan Ling
s’insère donc avec intelligence dans ce contexte, en reprenant
une histoire qui rappelle les débuts du roman en langue
vernaculaire, mais en la transcrivant avec brio dans la langue
parlée d’aujourd’hui. Cela donne un hybride amusant, un pastiche
brillamment mené.
De même que l’on
commence à parler de ‘septième génération’ au cinéma, dont elle
fait d’ailleurs virtuellement partie (1), de même semble
s’amorcer un tournant en littérature dont on voit ici un
prélude. On reparlera certainement de Quan Ling.
(1) Voir
actualités.
《星星落进河里》
Pluie d’étoiles tombant dans la rivière
一
他们将两个女人塞进麻布口袋就扛走了1。羊肠道凹凸不平2。骡车载着两个女人,起伏颠簸3。其中一个女人奋力挣扎。随行的秃头拍拍她的屁股,女人不甘心,还要动几下,动作幅度明显收敛许多4。另外三个人哈哈大笑,一人拍一下那女人的屁股。麻布口袋再也没动弹过。我数了数,算上车把势,总共有五个人。
天凉了,夜来得快,才吃过晚饭,麻雀刚飞回窝,满天都黑了。徐老大借着酒劲5,说走就走,不消一个时辰的光景6,掳了7两个女人上山。弟兄们都说他能。
第二天,徐老大把头上不多的几根毛精心梳理8,还上了头油,穿一身紫衣来敲我的门。我回到屋子不久,衣杉上露水未干,立马9钻进被窝里。徐老大跨进门,黑里发红的脸膛洋溢着喜气10。
“秀才11,快些起床为你哥哥我写个对子12。”
“为个什么由头?”
“你没听见外面的动静?兄弟们把响器12找出来,试试声响,好贺喜你哥哥的喜事13呢。咦,你咋14还赖在床上?你平素15不是起得早吗?”
“不瞒哥哥16,我昨晚到山下喝了一宿花酒,晕得很咧17。”
徐老大猛一跳,跳到案几上坐下来,指着我坏笑,说:“你小子。我说过的,没有不沾腥的猫18。上山半年了,没见你碰过女人,敢情别有19所好哪。闲话少说,我跟你讲,我昨天请了两个女人上山。其中一个娘子瓷器一样白。你快些给我爬起来,写个对子,好好替我把这天仙妹妹赞美一番。你小子可别说对子是你写的啊。只管说出自我的大笔。”
“这我明白。另一个呢?”
“另一个,另一个就稍微差点。妈的,性子也烈,就让她做烧火丫头罢了20。”徐老大下意识摸了摸裤裆21。“姥姥的22,差点被她灭了。”
徐老大许是惦记着23天仙妹妹,正色24给我交代了几句,推门一走了之。今晚上,少不得烟花爆竹25,戏班响器助兴了26。我皱着眉头,反手枕着后脑勺27,苦想心事。
01
扛
káng
porter sur l’épaule
02
羊肠道
yángchángdào
chemin sinueux
凹凸不平āotūbùpíng
plein de
creux et de bosses, irrégulier
03起伏颠簸
qǐfú diānbǒ
avancer en cahotant
04
动作幅度
dòngzuò fúdù
amplitude de
mouvement
收敛shōuliǎn
restreindre
05
徐老大
Xú
Lǎodà (nom d’un des voyageurs)
酒劲jiǔjìn
état d’ébriété
06
不消
bùxiāo
incapable de / inutile de
光景guāngjǐng
environ
时辰
shíchen
unité de deux heures (manière traditionnelle de compter les
heures de la journée)
07
掳
lǔ
enlever
08
精心
jīngxīn
méticuleux
梳理shūlǐ
se peigner
09
立马
lìmǎ
rapidement,
immédiatement
10
脸膛
liǎntáng
visage
洋溢yángyì
déborder de
11秀才
xiùcai
lettré
Note : terme qui
désignait autrefois celui qui avait réussi les examens impériaux
au niveau du district
12
对子
duìzi
une paire
de sentences parallèles 响器xiǎngqì
instruments
à percussion
13
贺喜
hèxǐ
féliciter
喜事xǐshì
heureux événement = mariage
14
咋
zǎ
相当于"怎么"
forme orale de怎么
15
平素
píngsù
d’habitude
16
瞒
mán
cacher la vérité
17
花酒
huājiǔ
dîner
bien arrosé
一宿yìxiǔ
toute la
nuit
晕得咧yūndeliē
être
ivre mort
18
沾腥
zhānxīng
mauvaise odeur de chat
ou chien mouillé
19
敢情
gǎnqíng
pour exprimer une évidence : donc, vraiment
别有biéyǒu
rare, exceptionnel
20
烧火
shāohuǒ allumer
le feu (pour faire la cuisine)
罢了bàle
c’est tout
21
下意识
xiàyìshí
inconscient
裤裆kùdāng
entrejambe
22
姥姥的
juron (litt. grand’mère), variation de他妈的ou
妈的comme
précédemment
23
惦记
diànjì
penser à, se
remémorer
24
正色
zhèngsè
sérieusement
25
少不得
shǎobudé
être indispensable
烟花爆竹
yānhuā
bàozhú feux
d’artifice et pétards
26
助兴
zhùxìng
animer, mettre de l’ambiance
27
后脑勺
hòunǎosháo
l’arrière du crâne (en
forme de cuillère
勺子)
枕zhěn
reposer la
tête sur
Traduction 1
Ils fourrèrent les deux
femmes dans le sac de chanvre et partirent, le sac sur le dos.
La route sinueuse était pleine de trous. Tirée par la mule, la
charrette cahotante brinquebalait les deux femmes qu’elle
emportait. L’une d’elles se débattait de toutes ses forces. Le
chauve qui accompagnait le convoi lui tapota le derrière, ce qui
ne lui plut pas, et elle continua à se démener, mais avec une
amplitude de mouvement évidemment restreinte. Les trois hommes
se mirent à rire, et l’un d’eux lui tapota à nouveau le
derrière. Le sac ne s’agita plus. Si je compte bien, il y avait
en tout cinq personnes sur cette charrette.
L’air s’était rafraîchi
et la nuit était vite tombée ; à peine le dîner terminé, et les
moineaux tout juste rentrés dans leur nid, que, déjà, il faisait
nuit noire. Xu Laoda, complètement ivre, avait donné le signal
du départ, il fallait moins de deux heures pour emmener deux
femmes là-haut, dans la montagne.
Le lendemain, après
s’être méticuleusement peigné les quelques poils qu’il avait sur
la tête, puis se les être enduits de brillantine, vêtu de
pourpre, Xu Laoda vint frapper à ma porte. J’étais rentré depuis
peu, et, sans laisser le temps de sécher à mes vêtements
mouillés par la rosée, je m’étais immédiatement fourré dans ma
couette. Xu Laoda franchit le seuil, son visage rubicond, dans
le noir, débordant de bonheur.
« Eh
diplômé, sors rapido de ton lit pour m’écrire un couplet. »
« En
l’honneur de quoi ? »
« Tu n’as
pas entendu le bruit dehors ? Les frères ont sorti les gongs et
les essaient, c’est pour me féliciter pour mon mariage. Hé,
comment ça se fait que tu sois encore à traîner au lit ?
D’habitude, tu te lèves tôt, non ? »
« Pour ne
rien te cacher, frère, hier soir, je suis descendu en bas, et
j’ai bu toute la nuit, je ne tenais plus debout. »
Xu Laoda bondit jusqu’à
mon bureau, s’y assit, et, me montrant du doigt en ricanant, me
dit : « Les hommes sont tous pareils. Depuis six mois que tu es
ici, dans la montagne, je ne t’ai encore jamais vu avec une
femme, vraiment je ne vois pas ce que cela a de bon. Mais
parlons peu parlons bien, il faut que je te dise, hier soir,
j’ai ramené deux femmes ici, dont une blanche comme de la
porcelaine. Alors dépêche-toi de te lever pour m’écrire un
couplet louant la beauté de cette jeune immortelle. Et surtout
ne vas pas te vanter de l’avoir écrit, fais bien attention à
dire qu’il est de moi.
« J’ai bien compris. Et l’autre ? »
« L’autre,
elle n’est pas géniale. Comme, en plus, elle a un fichu
caractère, elle est juste bonne à
s’occuper
du feu, dans la cuisine. » Xu Laoda, inconsciemment, se frotta
l’entrejambe. « Putain, un peu plus et elle avait ma peau. »
Il devait
se remémorer sa jeune immortelle. Retrouvant son sérieux, il me
donna encore quelques instructions, puis sortit. Ce soir-là, il
était inévitable qu’il y eût feux d’artifice et pétards, gongs
et troupes de théâtre pour mettre de l’ambiance. Quant à moi,
les sourcils froncés et la tête posée sur la paume de ma main,
je m’abîmai dans des pensées douloureuses.
二
想我世家穷儒1,干活没力气,经商没本钱,偏偏又不甘心做土匪2。每次经过县城张贴的告示3,我心里都犯嘀咕4。告示说得仔细,但凡举报者,赏大洋千元5,所范过失,既往不咎6。我何不领了赏钱7,远走他乡,索性学东家少爷8飘洋过海,去红毛子的地皮9做点事。我记得东家少爷说过,红毛子修铁路,需要工人。东家少爷当时干咳两声10,示意我下去。我端着水烟筒子11,慢吞吞地退出来。东家少爷跟他的朋友密谈半日。后来,认识我的人纷纷找到我,请我替他们美言,要东家少爷送他们上船,去海外挣大钱。他们争先恐后地12上了船,我有好几年没见过这些人,兴许是发财了,不想回来了。我也揣着官府的赏银去吧13。话说回来14,官府的赏银也不是好挣的,凡事讲证据15。我得弄一个本本,记录徐老大的言行。
响器的闹声乱作一团。都是干土匪的料,哪有人懂得音律。成天和他们在一起,我越发觉得乏味。要不是东家的马嫌贫爱富16,把我撂在地上16,被人取笑,害我赌光了积蓄17,我也不会跟那畜生斗气18,使劲踢它,要不是我踢伤东家的马,被赶出东家大宅,我也不会上山投奔19徐老大。我听说,徐老大好风雅,见了读书人,都要哈腰20请个好。他听说家父办过私塾21,认定我旧学渊博22,力邀我做他的师爷,哪里想到,我不过是依样画葫芦23,背了几句哀哉24。家父去世后,我在少爷书房侯差,大小世面25算是见过。听这帮地道土匪胡乱吹弹一气,我不由思念起在少爷书房听留声机的日子26。
横竖27睡不着,我换好衣服,去瞅瞅徐老大的天仙妹妹。
经过柴房28,听见嘤嘤的哭声29。我凑到门缝里瞧,老妈子30在训一个丫头。十六七岁的光景,穿着月牙白学生裙。相貌寻常,可以说有些丑,塌鼻梁,鼻翼上长着雀斑31,泪痕挂在脸上,雀斑更红了。不看她的脸,单论身段是不错的,虽然单薄32,但毕竟是个处女的身子,姣弱有弹性33。女学生的打扮34让人觉得还是有几分动心的。老妈子插着腰说,“干嘛不走大道?一个姑娘家。”
“我一下火车就迷路了。越往里走,路越窄。我就跟旁边的人打听,人家说,这儿闭塞35,没几家旅社35。让我问那个穿得鲜艳的女人36。我正跟她问路,冷不丁37眼前一黑,就被带到这儿来了。那个秃老头还试图非礼我38。”女学生哽咽着说39,“婆婆,您放我回家吧。”
“我屁法子都莫得。一个姑娘家好好在家呆着,东跑西跑的做什么。学文明戏40里的女疯子么?这世道男人都应付不过来41。甭说你了42。哎呀,认命吧。该你爹娘枉费心血了43。”
“婆婆,放我回家吧。放我回家吧。我知道错了。我再不跟爹娘赌气了44。”
“赶紧拿着火钳45,往灶里添柴火才是真。你怎么还哭呢?我帮不了你。土匪杀人不眨眼的46,你晓得不47?我还没活够。”老妈子见我在听她说话,连忙住了口,忙着做饭,烧菜。我走到女学生跟前。女学生从下往上打量我。说实话,她真象棵豆芽48,小脸蛋满是稚气49。我猜想徐老大对她兴趣不大,压根50没放在眼里,早晚会放她走。我背着手,对她说:“老老实实呆着,别干傻事。吓唬你两天,很快就放你回家。”
“真的吗?”女学生破涕而笑。她用衣角擦干眼泪,乐乐呵呵地帮老妈子做饭去了。
我看着这小丫头,心里直为徐老大脸红。喝酒喝得不分东西南北,连个小姑娘都给抢来了。跟土匪是没理可讲的。这也可在言行录上重点写写。
01
世家
shìjiā
famille connue, réputée
穷儒
qióngrú
pauvres lettrés
02
土匪
tǔfěi
bandit (alternative
historique à la pauvreté)
03
张贴
zhāngtiē
coller
告示gàoshi
avis, annonce
04
犯嘀咕
fàndígu
hésiter
05
赏大洋千元
shǎng dàyáng qiānyuán
récompense de mille dollars d’argent
06过失
guòshī
erreurs
既往不咎jìwǎngbújiù
oublier, pardonner (erreurs)
07
领赏
lǐng shǎng
toucher une récompense (une rançon)
08
索性
suǒxìng
autant (+ infinitif )
东家少爷
dōngjia shàoye
autrefois le
« jeune maître » d’une riche famille (东家dōngjia
le maître)
09
红毛子的地皮
hóngmáozide
dìpí
(痞)
bandits au poil roux
10
干咳
gānké
avoir une toux sèche
11
水烟筒
shuǐyāntǒng
pipe à eau
12
争先恐后
zhēngxiānkǒnghòu
lutter pour être en tête et craindre de rester en arrière = lutter à qui
mieux mieux
13
揣
chuāi
porter (de l’argent)
sur soi, dans ses poches
官府guānfǔ
autorités
locales (autrefois)
14话说回来
huàshuōhuílái
néanmoins, de toute façon, après tout…
15
凡事
fánshì
tout, toutes
choses
证据
zhèngjù
témoignage
16
嫌贫爱富
xiánpín àifù
qui déteste les pauvres et aime les riches
撂liào
faire tomber, envoyer à terre
17
赌光
dǔguāng
perdre tout ce qu’on a au jeu
积蓄jīxù
économies
18
畜生
chùsheng bête
斗气dòuqì
avoir du
ressentiment contre, en vouloir à
19
投奔
tóubèn
chercher refuge auprès de
20
哈腰
hāyāo
se baisser, s’incliner (pour ramasser quelque chose ou saluer)
21
私塾
sīshú
école
privée, autrefois
22
渊博
yuānbó
(connaissances)
étendues et profondes
23
依样画葫芦yīyànghuà
húlu
copier servilement
24 背哀哉
bèi
āizāi
débiter des
litanies
25大小世面
dàxiǎo
shìmiàn toutes les facettes de l’existence, grandes et petites
地道dìdào
pur
26
不由思念
bùyóu
sīniàn ne
pouvoir s’empêcher de songer à
留声机
liúshēngjī
phonographe
27
横竖
héngshù
de toute façon
28 柴房
cháifáng
remise où est entreposé le bois (de chauffage)
29 嘤嘤哭声
yīngyīng kūshēng
un bruit
de sanglots
30
老妈子
lǎomāzi
(ancien) servante
31
雀斑
quèbān
tache de rousseur
32
单薄
dānbó
frêle
33
姣弱
jiāoruò
beau /
faible – d’une faiblesse attractive
有弹性yǒutánxìng
élastique
34
学生打扮
xuéshēng
dǎban
être habillé comme un étudiant, porter une tenue d’étudiant
35
闭塞
bìsè être inaccessible
旅社lǚshè
hôtel
36
鲜艳
xiānyàn
coloré, voyant
37
冷不丁
lěngbudīng brusquement
38
非礼
fēilǐ
être impoli / agresser sexuellement
39
哽咽
gěngyè
étouffer des sanglots
40
文明戏
wénmíngxì
première forme de théâtre parlé
(话剧) en Chine, au
début du vingtième siècle
41
世道
shìdào
attitudes
应付过来
yìngfù guòlái
parer à/ ‘faire avec’
42
甭说了
béngshuōle
inutile d’en dire plus, n’en parlons plus
43
枉费心血
wǎngfèi xīnxuè
dépenser inutilement, gaspiller ses efforts, son énergie
44
赌气
dǔqì
faire la tête, se buter
45
赶紧
gǎnjǐn
très
vite
火钳huǒqián
sortes de pinces/ciseaux pour attraper le charbon
46
眨眼
zhǎyǎn
cligner de l’œil (不眨眼
sans cligner
de l’œil, sans hésiter)
47
晓得不
xiǎodebù
tu ne le sais pas ?
(=
晓得不晓得)
48
象棵豆芽
xiàng kēdòuyá
ressembler à une pousse de germe de soja (version personnalisée de
l’image classique pour désigner quelqu’un de grand et
mince, genre échalas :
像个豆芽菜/儿)
49
稚气
zhìqì
enfantin
50
压根
yàgēn
pas du tout |
|
火钳huǒqián
sortes
de pinces/ciseaux pour attraper le charbon
|
Traduction 2 :
Je pensai à
ma famille, réputée mais pauvre, inapte à travailler, sans
capital pour faire du commerce, et se refusant sans faillir à
rejoindre les rangs des bandits. Chaque fois que j’allais au
chef-lieu du district, et que je regardais les annonces
placardées, j’hésitais en mon for intérieur. Elles étaient
précises ;
d’ordinaire, c’était pour susciter des dénonciations, en offrant
des récompenses de 1000 dollars d’argent,
et le pardon des erreurs. Et pourquoi ne pas toucher une
récompense, prendre modèle sur le jeune maître, partir loin,
sous d’autres cieux, faire des affaires avec les diables roux.
Je me souviens avoir entendu le jeune maître dire que les
rouquins construisaient des voies ferrées, et qu’ils avaient
besoin de main d’œuvre. Entre deux quintes de sa petite toux
sèche, il avait alors suggéré que j’y aille. Emportant sa pipe à
eau, j’étais sorti en reculant lentement. Le jeune maître était
resté longtemps à discuter en secret avec ses amis. Ensuite, une
foule de gens qui me connaissaient étaient venus me demander de
les recommander au jeune maître pour qu’il leur paie le voyage
en bateau et qu’ils puissent partir à l’étranger gagner un
pécule. Ils embarquèrent en conquérants, sabre au clair ; cela
fait des années que je n’ai plus revu tous ces gens, peut-être
se sont-ils enrichis, et ne veulent-ils plus rentrer. Moi je
partirais bien aussi, si je touchais une récompense des
autorités locales. Ces récompenses, il est vrai, ne sont pas de
l’argent honnêtement gagné, il s’agit en somme de délation. Je
devrais rédiger une déposition en notant les faits et dires de
Xu Laoda.
Les gongs
étaient frappés n’importe comment. C’était vraiment un truc de
bandits, ce n’est pas chez eux qu’on aurait trouvé des gens qui
s’y connaissent en musique. Etre toute la journée avec eux était
quelque chose qui me pesait de plus en plus. Si, avec son amour
des riches et son mépris pour les pauvres, le cheval du maître
ne m’avait jeté à terre et tourné en ridicule, et si je n’avais
perdu au jeu toutes mes économies, je ne me serais pas retourné
rageusement contre cette bête à coups de pieds, et je ne
l’aurais pas blessée, et si, du coup, je n’avais pas été chassé
de la demeure du maître, je
n’aurais
pas eu à venir me réfugier dans le repaire de Xu Laoda. J’avais
entendu dire que c’était
quelqu’un
de raffiné, qui n’hésitait pas à inviter auprès de lui les gens
cultivés qu’il rencontrait. On lui avait dit que mon père avait
dirigé une école privée à l’ancienne, et m’avait inculqué des
connaissances profondes de l’enseignement d’autrefois, ce qui
l’avait incité à me prendre pour maître ; comment aurais-je pu
penser que je ne serais devenu qu’une marionnette servile, bonne
à débiter des litanies. Après la mort de mon père, attendant les
ordres dans le bureau du jeune maître, je pensais tout connaître
de
l’existence. Et maintenant, en entendant cette bande de brigands
purs et durs jouer leur musique de sauvages,
je ne pouvais m’empêcher de songer au phonographe entendu
autrefois dans ce bureau.
Comme je
n’arrivais décidément pas à dormir, je me rhabillai pour aller
voir à quoi ressemblait cette jeune immortelle de Xu Laoda.
En passant
devant la remise où l’on rangeait le bois, j’entendis quelqu’un
sangloter. Je m’approchai pour jeter un coup d’œil par la fente
de la porte : une servante était en train de tancer une fille
qui devait avoir dans les seize ou dix-sept ans, et portait une
jupe d’étudiante blanc crème. Elle avait l’air assez ordinaire,
disons même assez laide, le nez écrasé et des taches de rousseur
tout autour, avec des traces de larmes sur le visage qui
faisaient ressortir encore plus ses taches de rousseur. Si l’on
ne regardait pas son visage, son corps n’était pas trop mal,
bien que très frêle, c’était de toute évidence un corps de
vierge, d’une élasticité et d’une fragilité qui avaient leur
charme. Sa tenue d’étudiante avait en outre quelque chose de
touchant. Se glissant devant elle, la vieille dit : « Et
pourquoi diable n’as-tu pas pris la grand route ? »
« En
descendant du train, j’ai perdu mon chemin. Plus j’avançais,
plus le chemin devenait étroit. J’ai donc interrogé des gens sur
le bord de la route, ils m’ont dit qu’on ne pouvait pas passer,
que cet endroit, ici, était inaccessible, qu’il n’y avait pas
même pas d’auberge. Ils m’ont dit de m’adresser à cette femme
aux vêtements très voyants ; quand je lui ai demandé mon chemin,
comme la nuit était brusquement tombée, elle m’a emmenée
jusqu’ici. Le type chauve a encore essayé d’abuser de moi. »
Etouffant ses sanglots, elle ajouta : « Sois gentille, aide-moi
à rentrer chez moi. »
« Comme si
je pouvais. Une fille bien reste chez elle, à quoi bon aller
courir à droite et à gauche ? Une fille qui étudie le théâtre,
faut-il pas qu’elle soit folle ? [...] Il faut se résigner à son
sort. C’est malheureux de penser au mal que tes parents se sont
donné pour toi, en pure perte. »
« Sois
gentille, dis, aide-moi à rentrer chez moi. Aide-moi à rentrer
chez moi. Je sais que j’ai eu tort. Je ne partirai plus sur un
coup de tête. »
« Dépêche-toi de m’attraper ces pinces à charbon, et d’aller à
la cuisine t’occuper du feu, c’est la seule chose à faire. Et
arrête de pleurer, je ne peux pas t’aider. Tu ne sais pas que
les bandits te tuent sans
l’ombre
d’une hésitation ? Moi je tiens encore à la vie. » Voyant que je
l’écoutais, la vieille se tut, et se hâta d’aller faire la
cuisine. Je m’approchai de l’étudiante qui me toisa des pieds à
la tête. A vrai dire, avec son visage enfantin, elle ressemblait
à une pousse de germe de soja. Elle ne devait pas intéresser
beaucoup Xu Laoda qui la laisserait partir tôt ou tard. Les
mains derrière le dos, je lui dis : « Tu es vraiment stupide, ne
fais pas l’idiote. Après avoir été terrorisée pendant deux
jours, tu vas très vite pouvoir rentrer chez toi. »
« C’est
vrai ? » dit elle en arrêtant de pleurer, soudain rassérénée.
Elle s’essuya les yeux avec un coin de sa blouse, et alla
joyeusement aider l’autre à faire la cuisine.
En voyant cette gamine, je fus pris de colère contre Xu
Laoda. Quand il avait bu, il perdait tout discernement, et
allait jusqu’à enlever même une toute jeune fille. Ce n’est pas
la peine d’essayer de raisonner avec un bandit. Mais ce qui est
possible, en revanche, c’est de noter ses faits et dires pour le
dénoncer.
三
等我踏进饭厅,见兄弟们闹成一团,嚷着要看新来的押寨夫人1。昨夜随行的四个人更是嚷得脸红脖子粗。他们说:“老大手一挥,我们就扑上去,罩上麻布口袋,哪知道美丑?老大不让我们看看新娘子的模样,我们可不依。”
徐老大摆着手说:“晚上不就看到庐山真面目了吗2?我新郎倌不急,你们倒猴急3,这算是唱的哪出戏啊。”
“烧火丫头我们见了,没什么看头,小屁孩一个,另一个准是美人。”
“急着封她做押寨夫人,不就是往铁板上钉钉子4,怕我们跟你抢豆腐吃么。老大可别让我们寒了心5嘞。”
“我徐老大有什么好的不跟兄弟们分享6?兄弟们念我半把岁数了,也该成全我7,让我早日养个儿子才是啊。”
眼见着场面闹僵了,我上前打圆场8,说:“兄弟们有所不知,老大早先跟我提起,这两天要找个夫人养儿子。断然9不是昨夜临时起的意。”众人的声量有所下降。我转身对徐老大说:“老大,兄弟们也不是没见过世面的人,老大把嫂夫人10请出来大家见过,误会自然消了。”
徐老大令手下去后院请押寨夫人。
不一会儿,帘子揭开11,好一个天仙妹妹出场了。且不说她顾盼秋波12,风情万种的俏丽模样,单看她莲步轻移13的身姿就让人忘乎所以14。她一亮相11,就震住了大家。大家说不出话来,牢骚吞进肚子里15。等回过神来,起哄似的要徐老大赶紧摆喜宴16,早早闹洞房17。这些人荒唐得很18,看其中个别人,尤其昨夜陪徐老大下山的四个人,眼睛红通通的,恨不得宰了徐老大。好事让半白老头捞走了,心里恼,又说不出来,憋屈着呢19。我瞧着这女人也好,可我心里有数20,女人太美了,反倒是祸害21。
这女人的眼睛藏着钩子,钩人魂儿得很。她一个一个地从兄弟们脸上扫过,异常镇定22。她显然看出来,我对她并不那么感兴趣,她颇有深意地和我对视了一小会儿。她不象一般女子,钩人魂儿归钩人魂儿,眼睛里绝没有别的低贱意味23。她晓得自己美,晓得用眼睛统治人家24。我不得不怀疑天仙妹妹的来路25。和她比起来,我等土匪不过是粗人,身份明摆在那里,干过的无非是偷鸡摸狗26,杀人越货的勾当27,还能有比这更阴暗的秘密吗?坏事做尽,反觉得好人神秘了。在这个女人面前,我觉得在座的男人都愚蠢无能。大家只晓得她美,但她的神秘无人理会。
01
押寨
yāzhài
押yā
conduire
sous escorte /寨zhài
village (de
montagne)
02
庐山真面目lúshānzhēnmiànmù
la vraie
nature de qch (庐山Lúshān
montagne du Jiangxi)
03
猴急
hóují
anxieux, inquiet (comme un singe se grattant la tête)
Note :
“新郎官”现泛指新婚的男子,与“新娘”相对称.
04
往铁板上钉钉子wǎng
tiěbǎnshàng dīng dīngzi
enfoncer des clous dans
une planche de fer = dépenser son énergie pour rien.
05
寒心
hánxīn
être terriblement désappointé
06
分享
fēnxiǎng
partager (joies, profits…)
07
成全
chéngquán
aider quelqu’un à obtenir ce qu’il veut
08
打圆场
dǎyuánchǎng
se faire le médiateur dans une dispute, ‘arrondir les angles’
09
断然
duànrán
catégorique, absolu
10
嫂夫人
sǎofūren
manière respectueuse de désigner l’épouse d’un interlocuteur =
votre épouse
11帘子揭开
liánzi jiēkāi
le rideau s’ouvrit
pour dévoiler…
Note : image
théâtrale – soulignée plus bas :
亮相liàngxiàng
entrer en
scène)
12
顾盼
gùpàn
regarder autour de soi
秋波qiūbō
vagues
d’automne = regards aguicheurs
13
莲步轻移
liánbù qīngyí
avancer d’un pas
léger et affecté, en minaudant
14
忘乎所以
wànghūsuǒyǐ
être transporté, en extase
15
牢骚
láosāo
mécontentement, griefs
吞进肚子里tūnjìn
dùzi lǐ
avaler
16
喜宴
xǐyàn
festin de noce
17
闹洞房
nàodòngfáng
(coutume) aller
chahuter et plaisanter dans la chambre nuptiale
18
荒唐
huāngtang
absurde, insensé / dissolu, dépravé, débauché
19
憋屈
biēqu être
plein de rancœur (en raison d’une injustice)
20
有数
yǒushù
tout savoir de qch,
savoir parfaitement
21
祸害
huòhài
désastre, calamité
22
镇定
zhèndìng
calme
23
低贱
dījiàn
humble, bas
24
统治
tǒngzhì
dominer, régner sur
25
来路
láilù
origines, provenance
26偷鸡摸狗
tōujīmōgǒu
petits
voleurs/coureurs de jupons
无非wúfēi
rien d’autre que
27
杀人越货
shārényuèhuò tuer
et piller
勾当gòudàng
menées,
agissements (criminels…)
Traduction 3
A mon
arrivée dans la salle à manger, les frères étaient en train
faire un chahut monstre, hurlant qu’ils voulaient voir les
nouvelles arrivées qu’ils avaient amenées la veille. Les quatre
hommes qui les avaient accompagnés hurlaient encore plus fort,
disant : « Il suffit que Laoda nous fasse un signe, on se
précipite, mais une fois couvertes d’un sac, comment savoir si
elles sont belles ou pas ? Ce serait normal que Laoda nous
montre à quoi ressemble sa promise. »
Xu Laoda
dit en agitant la main : « Qui vous a empêchés, hier soir, de la
regarder ? Moi je suis très calme, mais vous, vous êtes hyper
nerveux, c’est quoi le problème ? »
« On a vu
la fille qui est chargée du feu, c’est un laideron, et dans
l’enfance encore, c’est l’autre qui doit être une beauté. »
« Tu étais
pressé d’enlever cette femme, c’était peut-être pas une bonne
idée, maintenant tu as peur qu’on t’enlève le tofu de la bouche.
Laoda, tu ne peux pas nous laisser le bec dans l’eau comme çà. »
« Dites-moi, frères, est-ce qu’il y a quelque bonne affaire que
moi, Xu Laoda, je n’aie pas partagée avec vous ? Maintenant,
vous devez penser que j’arrive à la moitié de mon existence, il
faut m’aider à réaliser ce que je veux dorénavant : avoir un
enfant dès que possible, c’est tout.
Voyant que
le chahut continuait, je m’avançai pour tenter d’arrondir les
angles : « Frères, dis-je, c’est une chose que nous ignorez,
Laoda a évoqué déjà il y a un certain temps avec moi qu’il
voulait passer ces deux jours à chercher une femme pour avoir un
enfant. Ce n’est pas du tout une idée qui lui est venue
brusquement, du jour au lendemain.
Le vacarme
se calma un peu. Me tournant vers Xu Laoda, je lui dis :
« Laoda, les frères en ont vu
d’autres,
fais venir ta future épouse, que tout le monde la voie, et
l’affaire sera réglée. »
Xu Laoda
envoya quelqu’un dans la cour du fond chercher la femme qu’ils
avaient ramenée la nuit
d’avant.
Un instant
plus tard, le rideau s’ouvrit, laissant apparaître une véritable
immortelle. Sans prononcer un mot, elle jeta à la ronde des
regards aguicheurs, elle avait une allure si superbe, légèrement
minaudante, qu’à sa seule vue les hommes étaient en extase. Il
lui suffit d’entrer pour figer l’assistance dans un grand
silence, tous griefs oubliés. Lorsqu’ils recouvrèrent leurs
esprits, ce fut pour réclamer à grands cris à Xu Laoda de les
convier au plus vite à un festin de noce, et à la visite
rituelle de la chambre nuptiale. Tous ces gens étaient de
fieffés débauchés, et tous, jaloux comme un seul homme, surtout
ceux qui avaient participé la veille à l’expédition nocturne, ne
pouvaient s’empêcher d’envier Xu Laoda. … Moi aussi je trouvais
cette femme très bien, mais, en mon fort intérieur, je savais
qu’elle était trop belle, en fait c’était une calamité.
Les yeux de
cette femme cachaient des harpons qui vous accrochaient l’âme.
Elle parcourut du regard
l’ensemble
des frères, l’un après l’autre, avec un calme étonnant. Elle vit
bien, que je ne semblais pas lui porter grand intérêt, alors
elle resta un bref moment à me dévisager avec une certaine
insistance. Elle ne me faisait pas l’effet d’une femme
ordinaire, … il n’y avait pas dans ses yeux la moindre nuance
d’humilité.
Elle était consciente de sa beauté, consciente du pouvoir
dominateur de son regard. Je ne pus m’empêcher de me demander
d’où elle pouvait bien venir. Comparés à elle, les bandits et
moi-même n’étions
que des ruffians mal dégrossis, notre condition sociale était
claire, nous n’étions guère plus que des chiens voleurs de
poules, des criminels seulement capables de tuer et de piller,
alors qu’elle avait comme un sombre secret. Le mal est quelque
chose de total, en revanche je pense que le bien recèle un côté
mystérieux. Face à cette femme, je pensais que les hommes assis
là étaient réduits à une impotence frisant l’idiotie. Tout le
monde était sous le coup de sa beauté, mais personne ne pouvait
sonder son mystère.
四
我提前离开饭厅。那女人给我的疑团在心里缠绕纠结1。我摸到河边散步。清风拂面,脚踏在落叶上刷刷响着2。天微寒,草开始枯了。汩汩的流水清澈见底3,鱼虾游得也不那么欢实了4。我找了一处干净的地方坐下来。我抱着膝盖,什么也不想,望着河流出神。落叶在旋涡里打转5。徐老大的人白天做坏事,夜里赌牌,睡大觉。夜里出户活动的,大概只有我。我睡不着觉的时候,就跑到这里来游泳。星星象是落进河里,密密麻麻的缀满6深蓝色的水面,随着水波荡漾起伏7,怎么赶也赶不走。我浮于河中心,一动不动,吓得过路人失魂落魄地尖叫8。看他们落荒而逃8,我心里很得意。
“什么事这么好笑?”
我一走神9,竟没瞧见天仙妹妹坐在对岸。她指着远处两个人说,“想出来走走,人家说河边风景不错。老头让他们陪我。”她伸出手拨了拨水。“一来就看见你一个人发笑。”
“我在想可笑的事,自然就笑了。”面对这新来的嫂夫人,我得谨慎些10。
“你是不是觉得我嫁给老头很可笑啊?”
“怎么会呢?老夫少妻才是绝配11。”
“你可真会说话。老头说,土匪配妓女才是绝配。你看你,脸都红了。那小姑娘跟我问路,我哪知道庵呀庙的12,做我们这行的,菩萨才不吝惜呢13。我的盘缠丢了14,我惦记着我的盘缠。老头带着几个人一古脑15把我和那小姑娘抢跑了。你猜我在麻布口袋里想什么?我想,天无绝人之路16。我没了盘缠,也无亲可投,生也好,死也罢,总算老天爷肯容纳我17,好歹随它吧18。”
“你跟我讲这些做什么?”远处两个人探头探脑地往这边瞧,我站起身准备离开。
天仙妹妹笑着说:“我想找人谈心。老头说找你最合适不过了。你念的书多。”
我重新坐下来。“你不怕么?这河里女鬼不少呢。”我也没细说,土匪撕票19,把人绑起来,拉到河里沉潭20。看样子,这女人识见颇多21,无须我浓墨重彩22。
“怕?我有什么没经历过?有什么可害怕的?就是你们把我分着吃了,我也不怕。我跟老头结婚,答应给他生儿子,余生无所谓做男做女,象个人一样踏踏实实过日子就够了。”
我觉得眼前的天仙妹妹不是女人,只是个人。她对人生有念想,不搀杂23人间的俗,象个神。是那七仙女24,也要到人间来觅情的呀25。
出于趋利避害的本能26,我聊了几句话即宣告辞。徐老大拍着我肩膀说,“来得好,正找你。”
01
疑团
yítuán
doutes, soupçons
缠绕纠结chánrǎo
jiūjié harceler, tourmenter
02
刷刷
shuāshuā bruissement des feuilles sous les
pieds
03
汩汩
gǔgǔ
bruit de l’eau
清澈见底qīngchè
jiàndǐ si
claire qu’on peut voir le fond
04
欢实
huānshi
gai, plein de vie
05
旋涡
xuánwō
tourbillon
旋转xuánzhuǎn
tourbillonner
06
密密麻麻
mìmimámá
très dense
缀满zhuìmǎn
être
constellé de
06
荡漾起伏
dàngyàng qǐfú
s’élever et
redescendre en ondulant
07
吓得失魂落魄
xiàde
shīhúnluòpò
être affolé,
paniqué
08
落荒而逃
luòhuāng értáo
s’enfuir à toutes
jambes
09
走神
zǒushén
perdre sa
concentration
10
谨慎
jǐnshèn
prudent, circonspect
11
绝配
juépèi
parfaitement assorti, couple parfait
12
庵庙
ān/miào
monastère de nonnes/ temple
13
不吝惜
búlìnxī
ne pas ménager ses efforts
14
盘缠
pánchan
argent pour payer les frais de voyage
15
一古脑(儿)
yīgǔnǎo
也形容不顾一切地做某件事 :
faire quelque chose
sans se soucier des autres ou des conséquences, agir de manière
inconsidérée
16天无绝人之路
tiān
wújuérén zhīlù
le ciel offre
toujours une voie de salut = il n’y a jamais de situation
désespérée.
17
肯容纳
kěn
róngnà a bien voulu me prendre en charge (容纳róngnà
contenir)
18 好歹
hǎodǎi
bien et mal / quoi qu’il en soit, de toutes façons
19
撕票
sīpiào
tuer un otage
20
沉潭
chéntán
l’endroit le plus profond de la rivière
21
识见颇多
shíjiàn pōduō
savoir pas mal de
choses
22
无须
wúxū
inutile de
浓墨重彩
nóngmòzhòngcǎi
décrire avec
force détails, d’une plume alerte
23
搀杂
chānzá
mélanger
24
七仙女
Qī
Xiānnǚ (la 7ème immortelle): la fille adorée de la
Reine Mère de l’Ouest.
25
觅情
mìqíng
chercher l’amour
26
趋利避害
qūlìbìhài
chercher les avantages en évitant les problèmes, les ennuis
本能běnnéng
instinct
Traduction 4
Je proposai
de quitter la salle à manger. Mes réserves concernant cette
femme ne me laissant pas
l’esprit en
paix, je me dirigeai en flânant vers le bord de la rivière. Une
brise légère me caressait le visage, et les feuilles mortes
bruissaient sous mes pas. Il faisait légèrement froid, et
l’herbe commençait à sécher L’eau était d’une telle limpidité
qu’on en voyait le fond, mais poissons et crevettes avaient
perdu de leur vigueur. Je cherchai un endroit propre pour
m’asseoir. Les bras autour des genoux, je ne pensais à rien,
regardant l’eau d’un air absent. Les feuilles mortes
tournoyaient dans les remous. Les acolytes de Xu Laoda passaient
leurs journées à leurs larcins, le soir ils jouaient aux cartes
puis dormaient profondément. Il n’y avait probablement que moi
pour sortir la nuit faire quelque chose. Quand je n’arrivais pas
à dormir, je courais nager ici. Il me semblait voir une dense
pluie d’étoiles tomber dans la rivière, constellant la surface
bleu sombre de l’eau où elle créait des vagues oscillant à un
rythme tranquille. Je me laissais flotter au milieu de la
rivière, sans bouger, effrayant les passants qui
s’enfuyaient terrorisés en hurlant, ce qui me procurait, en
moi-même, une grande satisfaction.
« Qu’est-ce
qui te fait autant rire ? »
Perdu dans
mes pensées, je n’avais pas vu la jeune immortelle s’asseoir en
face de moi, sur la rive opposée. Montrant deux hommes situés à
quelque distance, elle me dit : « J’avais envie de sortir me
promener un peu, on m’a dit que le paysage de la rivière n’est
pas mal, alors le patron leur a dit de
m’accompagner. » Elle tendit les mains pour prendre de l’eau :
« En arrivant, je t’ai vu en train de rire tout seul. »
« Je
pensais à quelque chose de très drôle, alors évidemment ça me
faisait rire. » Face à cette nouvelle venue fraîchement
débarquée, il fallait que je sois prudent.
« Tu étais
sans doute en train de penser que c’était trop drôle que je me
marie avec le patron, non ? »
« Comment
cela pourrait-il me faire rire ? Il n’y a que les toutes jeunes
épouses et les plus âgées qui donnent des épouses bien
assorties. »
« C’est
bien vrai, ce que tu dis. Quant au patron, il a dit que c’est
lorsqu’un bandit épouse une prostituée que cela fait le couple
le mieux assorti. Regarde-toi, rouge comme une pivoine. Cette
toute jeune fille qui m’a demandé son chemin, elle venait de je
ne sais quel temple ou de quel monastère avant de nous
rejoindre, demander la miséricorde du bouddha. J’avais perdu mon
argent, et pensais à ce que j’allais
faire lorsque le patron est arrivé avec quelques hommes et nous
ont enlevées, cette fille et moi, sans demander l’avis de
personne. Et tu sais ce que je pensais pendant que j’étais dans
le sac ? Je pensais qu’il ne faut jamais désespérer, le ciel
nous offre toujours une échappatoire. Je n’avais plus d’argent,
pas de famille vers qui me tourner, j’aurais pu vivre, ou
mourir, c’était pareil, de toute façon c’est le
ciel qui décide, autant s’en remettre à lui.
« Pourquoi est-ce que tu me racontes tout ça ? » Voyant les deux
hommes lorgner de notre côté d’un air inquisiteur, je me levai
pour partir.
L’immortelle dit en riant : « Je voulais trouver quelqu’un pour
dire ce que j’ai sur le cœur. Le patron m’a dit que tu étais la
personne qu’il me fallait, que tu as beaucoup étudié. »
Je me
rassis. « Tu n’as pas peur ? Il y a pas mal de fantômes de
femmes qui hantent cette rivière. » Je n’ai pas ajouté de
précisions, expliqué que, lorsque les bandits liquidaient un
otage, ils le ligotaient et le jetaient dans la partie la plus
profonde de la rivière. De toute évidence, cette femme en savait
déjà beaucoup, ce n’était pas la peine de lui donner plus de
détails.
« Moi avoir
peur ? J’en ai déjà vu des vertes et des pas mûres, même si vous
vouliez me découper en morceaux pour me dévorer, même ça, ça ne
me ferait pas peur. Je vais me marier avec le patron, il est
entendu que je dois lui donner un enfant, fille ou garçon, peu
importe, s’il est bien vivant, cela suffit. »
Je n’avais
pas le sentiment d’avoir une femme devant moi, plutôt un être
singulier. Elle avait vis-à-vis de l’existence des idées qui
n’étaient pas ordinaires, elle me faisait l’effet de quelque
divinité. Elle était comme la septième immortelle (1), qui avait
voulu venir dans le monde des hommes pour connaître
l’amour.
Tentant
instinctivement d’éviter les ennuis, je fis encore un brin de
conversation puis pris congé. Xu Laoda, en me voyant, me tapa
sur l’épaule en me disant : « Tu arrives à point, justement je
te cherchais. »
(1) Voir
vocabulaire n. 24
五
徐老大和县城放高利贷1的冯白驹合伙做生意。冯白驹出全资,徐老大出人力,算干股2,说好二人对半分利。徐老大以利润微薄为由3,迟迟不与冯白驹分红4。冯白驹现在提出撤资5,要求徐老大将拖欠红利一并奉还6。冯白驹本人是个罗锅7,面黄肌瘦的,不了解底细的人满以为他好欺负8。实际上,他依仗的后台靠山大有来头9——县警察局的副局长。冯白驹这痨病鬼和副局长是连襟10。徐老大身为一方土霸王,多少顾忌11个中关系,但吞进肚里的钱财又不情愿吐出来。冯白驹此时在上房12侯着,徐老大一时想不出好计谋。他问我主意。我说:“冯白驹人是得罪不起的13,先别说牵扯14黑白道,再一说,他那母老虎爱钱爱得紧。”徐老大听我说完,沉吟良久15,吩咐16我请冯白驹到山下怡红阁小坐一叙。我照着徐老大的话,去上房请冯白驹。冯白驹一开始不愿挪动。我指着外面的精壮挑夫17,劝道:“轿子备好了18。冯先生。您听见外面的唢呐声了么19?您大概也听说了,老徐今天好日子。等他拜完天地20,一准儿到山下跟您了结账款21。您瞧瞧,生意都做到外省了,现钱方面还能有差池22?再一说,良辰吉日也不是随意拈来的23。”我挤眉弄眼地暗示冯白驹:“这里人多眼杂,多有不便。怡红阁里风景独好,冯先生不妨……”我话没说完,冯白驹倒是心领神会24,插话说:“不消细说25。既是好日子,先成人之美,我跟你去那怡红阁便是。”我暗自好笑,分明是要行龌龊的勾当26,场面上却都人五人六的27。
我一去怡红阁,就安排厨子备好精美菜品,把埋在花园里的酒刨出来28。厨子手重,打翻了一坛29。酒香四处钻。我拍着他的脑袋骂:“把你一家人变成猪卖了也赔不起这坛酒。”我端着酒盅29和下酒菜,小心恭顺地放到桌面上。冯白驹笑得皮包骨头30直发颤。照徐老大的交代,我的任务是陪冯白驹喝酒,把冯白驹灌醉31。行酒令的时候31,我仗着酒意开冯白驹的玩笑。冯白驹起先还比较拘束32,后来放开喉咙喝,胆儿也大了,问我新娘子的情况。我摆手说,人家的娘子,我咋清楚底细。冯白驹不甘心,死乞百咧地打听33。看他模样,非但是酒鬼,还是个色狼34。我喝得满肚子翻江倒海,也没把冯白驹放倒。这狗东西,道行深哪。我记得我跟徐老大问过,要不要叫几个姑娘作陪。徐老大讳莫如深地35眯着小眼睛说,“用不着。”我看冯白驹明明好色,徐老大咋不投其所好呢?咋让我一个人和冯白驹喝素酒呢?我搞不清楚徐老大的算盘。徐老大交给我的任务,我没有打过折。我往死里喝,为了麻痹姓冯的36,我还使出浑身解数,翻出我晓得的所有黄段子给他听。他瘫倒在桌子下面的时候,我也不省人事了37。
01
放高利贷
fànggāolìdài
prêter de l’argent
à des taux usuraires
冯白驹
Féng Báijū
nom de l’usurier
02
干股
gāngǔ
action gratuite donnée à un fondateur ou un membre privilégié d’une
société, qui rapporte des dividendes mais sans apport de
capital.
03
利润
lìrùn
profit
微薄wēibó
marginal
04
迟迟
(不)
chíchí(bù)
mettre longtemps à
分红fēnhóng
toucher un dividende
05
撤资
chèzī
se retirer du capital, reprendre sa part
06
拖欠
红利
tuōqiàn hónglì
différer le paiement des dividendes
奉还fènghuán
rendre en
remerciant
07
罗锅
luóguō
voûté
08
底细
dǐxì
origines, raisons (d’une situation)
欺负
qīfu
malmener, maltraiter
09
依仗
yīzhàng
s’appuyer sur
后台靠山hòutái
kàoshān
appui, protecteur derrière les coulisses
10
痨病
láobìng
tuberculeux
连襟liánjīn
maris de deux sœurs
11
顾忌
gùjì
faire attention à, soigner
12
上房
shàngfáng
pièce principale d’une cour d’habitation, celle faisant face au sud.
13
得罪不起
dézuì bùqǐ
qu’il ne faut pas
offenser
14
牵扯
qiānchě
impliquer
15沉吟良久
chényín liángjiǔ
murmurer
dans sa barbe pendant un bon moment
16
吩咐
fēnfù
donner des
instructions 怡红阁
yíhónggé
maison de plaisir = maison close
Note :
référence au ‘Rêve dans le pavillon rouge’ (《红楼梦》) : ‘快绿怡红’是贾宝玉给大观园里的一个房子提的名
- dans le livre,
快绿怡红
est le nom donné par
Jia Baoyu à l’une des pièces dans le jardin Daguanyuan. C’est en
quelque sorte ‘vert pour la joie et rouge pour le plaisir’.
17
精壮挑夫
jīngzhuàng tiāofū
un porteur
robuste
18
轿子
jiàozi
palanquin
19
唢呐
suǒnà instrument
de musique semblable au hautbois
20
好日子
hǎorìzi
journée faste / jour de mariage
拜天地
bàitiāndì
rendre grâce au ciel et à la terre (lors d’une cérémonie de mariage,
par extension, se marier)
21
了结账款
liǎojié zhàngkuǎn
clôturer un
compte, acquitter une dette
22
差池
chāchí erreur
23
良辰吉日
liángchén
jírì jour auspicieux
拈niān
saisir
entre le pouce et l’index (et parfois le majeur)
24
心领神会
xīnlǐngshénhuì comprendre
une allusion
25不消细说
bùxiāo xìshuō
inutile de rentrer
dans les détails
成人之美
chéngrénzhīměi
aider les
autres/quelqu’un d’autre à atteindre ses objectifs
26
龌龊
的勾当
wòchuòde gòudàng
actes sordides, malpropres
27
人五人六
rénwǔrénliù
prendre un air affecté, des poses
28
刨出来
páochūlái
déterrer
29
坛(子)
tán(zi)
jarre
酒盅jiǔzhōng
petite coupe
de vin sans anses
30
皮包骨头
píbāogǔtou
qui n’a que la peau sur les os, squelettique
31
灌醉
guànzuì
enivrer
行酒令
xíngjiǔlìng
jouer à boire
32
拘束
jūshù
être réservé
33
死乞百咧
sǐqǐ bǎiliě
ne pas cesser
d’importuner
34
色狼
sèláng
pervers
35
讳莫如深
huìmòrúshēn
garder un
secret, ne rien dire
36
麻痹
mábì
paralyser / désarçonner (un adversaire)
37
使出浑身解数
shǐchū
húnshēnxièshù
déployer tous ses
efforts pour résoudre un problème
37
不省人事
bùxǐngrénshì
perdre conscience
Traduction 5
Xu Laoda
s’était associé avec Feng Baiju, l’usurier du chef-lieu du
district, pour monter des affaires. Le second apportait les
capitaux tandis que le premier fournissait la main-d’œuvre, mais
les profits étaient répartis moitié moitié. Cependant,
prétextant des marges trop faibles, Xu Laoda avait repoussé ad
vitam aeternam le paiement de la part due à Feng Baiju, si bien
que celui-ci voulait maintenant récupérer ses fonds, et
réclamait en plus le paiement des arriérés.
Feng Baiju
avait le dos voûté, le teint jaune, la peau sur les os et était
atteint de tuberculose. Sans connaître les dessous de l’affaire,
on aurait pu croire que c’était lui qui avait estampé l’autre.
Il avait en fait un puissant protecteur occulte, le
sous-directeur du département de la police du district : tous
deux avaient épousé deux sœurs. En tant que tyranneau local, Xu
Laoda soignait énormément ce genre de relations, mais il n’était
pas disposé à recracher l’argent qu’il avait empoché. Feng Baiju
attendait dans la pièce principale, et Xu Laoda n’arrivait pas à
imaginer un bon plan pour se débarrasser de lui, c’est pourquoi
il me demanda mon avis. Je lui dis : « Feng Baiju est quelqu’un
à ménager, il faut surtout éviter d’aborder
de front le sujet, rappelez-vous que c’est une hyène qui a un
amour inconsidéré de l’argent. » Sur ce, après avoir marmonné un
bon moment, Xu Laoda m’ordonna d’inviter Feng Baiju à la maison
close, en bas, pour une discussion en tête à tête. Conformément
à ces instructions, je me rendis auprès de Feng Baiju, dans la
pièce principale, pour lui transmettre l’invitation, mais il
refusa d’abord de bouger. Lui montrant alors les solides
porteurs qui attendaient dehors, je tentai de le raisonner :
« Le palanquin est prêt. Monsieur Feng, vous entendez les suona,
dehors ? Vous l’avez probablement entendu dire, le vieux Xu se
marie aujourd’hui. Dès que la cérémonie sera terminée, il
descendra aussitôt apurer ses comptes avec vous. Il a étendu ses
affaires à d’autres provinces, ce n’est pas l’argent qui manque,
mais une cérémonie de mariage n’est pas quelque chose à traiter
à la légère. » J’ajoutai avec un clin d’œil plein de
sous-entendus : « Ici on est très surveillé, ce n’est pas
pratique. On serait bien mieux à la maison close, en bas,
monsieur Feng, vous ne seriez pas gêné… » Il comprit l’allusion
avant même que j’aie
terminé et me coupa : « Restons-en là. Puisque mariage il y a,
on ne va pas mettre des bâtons dans les roues. Je vais avec vous
jusqu’à cette maison close. » Je souris intérieurement, quelque
chose de sordide était de toute évidence en train de se
manigancer, mais les apparences n’en laissaient rien prévoir.
Dès mon
arrivée à la maison close, je m’en fus demander au cuisinier de
préparer quelques plats raffinés pour accompagner le vin, et
d’aller dans le jardin déterrer quelques jarres. … Je pris
ensuite les coupes et les plats et les plaçai cérémonieusement
sur la table. Feng Baiju partit d’un rire qui fit trembler le
peu de peau qu’il avait sur les os. La mission que m’avait
confiée Xu Laoda consistait à le faire boire, jusqu’à ce qu’il
soit ivre mort. Je m’ingéniai alors, tout en le faisant boire, à
le dérider, car il était au départ assez réservé. Mais, après
quelques verres, s’enhardissant, il se mit à m’interroger sur la
nouvelle mariée. Je lui répondis en agitant les mains que ce
n’était pas mes affaires, et que je ne savais pas grand-chose,
mais l’autre n’en resta pas là et me harcela de questions. De
toute évidence, c’était non seulement un ivrogne, mais en plus
un dépravé. Le vin me montait peu à peu à la tête, mais Feng
Baiju, lui, résistait bien. Ce chien, savoir combien il était
capable de boire avant de sombrer. Je me souvenais avoir demandé
à Xu Laoda s’il ne voulait pas que je fasse aussi venir quelques
filles pour lui tenir compagnie, mais il m’avait répondu avec
juste un clin d’œil, sans divulguer le fond de sa pensée : « Pas
la peine. » En voyant Feng Baiju aussi ouvertement libidineux,
je me demandais pourquoi Xu Laoda n’avait pas
voulu en profiter, pourquoi il m’avait envoyé tout seul, pour
uniquement le faire boire. Je n’arrivais
pas à comprendre ce qu’il avait derrière la tête. Quand il
m’avait donné ses ordres, je n’avais pas posé de questions.
Maintenant je buvais à m’en rendre ivre mort, faisant de mon
mieux pour venir à bout de ce foutu Feng, allant jusqu’à lui
raconter tout ce que je connaissais comme blagues cochonnes.
Quand, enfin, il roula ivre mort sous la table, j’avais moi
aussi perdu connaissance.
六
我这人有个毛病,不管醉成什么样,憋不住尿1。为了稳住冯白驹,我一趟厕所也没去。到半夜,那憋屈劲可想而知2。我睁大朦胧的眼睛,我在地上,冯白驹不在地上。我踉跄着3推开门,凉风吹得我禁不住打寒战,不由醒了三分。
我一边朝茅厕踅摸去4,一边象个蚊子似的叫:“冯先生!冯先生!老冯!老冯!冯罗锅!冯孙子!”黑漆漆的夜,只见明月,树影。怡红阁的池子经年死水,散发出腐臭的气味。那冯白驹若是失足落进池子,徐老大还不拍手叫好?我从茅厕出来,惬意地5伸着懒腰,心里想,管他姓冯的作甚6,暂且7睡一阵儿,再去找他不迟。我抬眼看山上的动静。迎新人8的爆竹和响器早闹过了,袅绕的雾气9说不清是喜事留下来的烟雾,还是草木散发出来的地气。徐老大抱着新娘子流口水,把我和冯白驹晾在边上10。我担心,明天一早,姓冯的醒了,找我讨下文11可麻烦了。下文,徐老大没细表,我作不了主12。
我走到拱桥上面13,被一个黑影撞得差点掉进水池。不等我大发雷霆14,嘴巴被按住了。两个面熟的兄弟抬着人从我身边一路小跑跑进西院。捂我嘴的人也很快跟上前去。我恍然大悟15,他们是给西院的人送姑娘去了。姓冯的,必是在西院。想来,徐老大忙着结婚,疏忽了冯白驹的禀性16,怕他翌日责怪17,趁他昏睡中,赶紧补过,送个姑娘放他床上糊弄他18。醉鬼哪清楚醉中的情形。
我不愿意想太多,随便找了个屋子躺下来睡了。
说到这里,且容我长叹一声。
我后悔没留心观察那天夜里的情形。我不得不佩服徐老大够聪明够狠。要是有一天,你发现人家跟你说话只说一半,你就要警惕背后的名堂19。我作为愣头青20,历年来21,被徐老大在内的人骗还少了吗?我被人骗,被人支使22,被钱牵着鼻子23,我是个可怜虫24。
论及可怜,当数她了。
我看见她姣弱的身体,和冯白驹并排躺在一张床上。她的胸口插着匕首25。冯白驹赤裸着26瘦骨,在打呼噜27。公鸡的打鸣声从村落里传来。我站在徐老大身边,腿略微有点打颤。徐老大精神矍铄28,一脸威严。在他旁边的案几上放着笔墨砚台,信笺两页29。一页写着,从此两清,互不拖欠30。另一页写着,冯太太亲详。
我确信,我在拱桥上见到的被高高抬着的姑娘,身体已僵硬,是一棵夭折的豆芽31。
你猜我看见冯白驹光着屁股在从此两清的信笺上签字以后,为什么急着上山找言行录32?我要拿着它报官吗?
我一把火把它烧了。
柴房的门,我再不敢跨进去。那丫头逮着我33,又得问东问西了。
01
憋不住(尿)
biēbúzhù (niào)
ne pas pouvoir se
retenir (d’uriner)
憋屈biēqu
être déprimé
02
可想而知
kěxiǎng'érzhī
qu’il est
facile d’imaginer
03
踉跄
liàngqiàng
tituber
04
茅厕
máocè
latrines (dehors)
踅摸xuémō
partir
chercher en marchant en zigzags, en tâtonnant
05
惬意
qièyì
content, sa tisfait
06作甚
zuòshèn
finir un travail, le faire comme il faut (甚shèn
très)
07
暂且
zànqiě
pour le moment
08
迎新
yíngxīn
fêter (‘accueillir’) le Nouvel An / accueillir de nouveaux arrivants
09
袅绕
niǎorào
s’enrouler en volutes
喜事xǐshì
heureux événement, mariage
10
晾在边上
liàng zài biānshàng
laisser
tomber (晾liàng
mettre (du
linge) à sécher)
11
下文
xiàwén
les
suites d’une affaire / issue, conséquence…
12
作不了主
zuòbùliǎozhǔ
cela ne dépend pas de
(moi)
(作主zuòzhǔ
être maître
de décider)
13
拱桥
gǒngqiáo
pont en arc
14
大发雷霆
dàfāléitíng
avoir un
accès
de colère,
exploser
15
恍然大悟
huǎngrándàwù
réaliser brusquement
16
疏忽
shūhu
négliger, ne pas être attentif à
禀性bǐngxìng
nature
(disposition innée)
17
翌日责怪
yìrì zéguài
accuser le
lendemain
18
糊弄
hùnong
duper, rouler
19
警惕
jǐngtì
être sur ses gardes, veiller à
名堂míngtang
ici :
raison (cachée)
20
愣头青
lèngtóuqīng
écervelé / casse-cou (愣lèng
éberlué,
ahuri/ téméraire, irréfléchi)
21
历年
lìnián
pendant
des années, d’année en année
22
支使
zhīshi
commander, donner des
ordres /envoyer faire des courses…
23
牵鼻子
qiānbízi
mener par
le bout du nez
24
可怜虫
kěliánchóng
pitoyable créature, pauvre diable
论及lùnjí
en
parlant de, à propos de
25
匕首
bǐshǒu
poignard
26
赤裸
chìluǒ
nu
27
呼噜
hūlū
ronfler
28
精神矍铄
jīngshen
juéshuò
plein
d’énergie, vigoureux
29
笔墨砚台
bǐmò yàntái plume, encre et pierre à
encre
信笺两页xìnjiān
liǎngyè
deux feuilles de papier
Note : pastiche
des « quatre trésors du lettré » (文房四宝) :
笔墨纸砚bǐmòzhǐyàn
30两清
liǎng qīng
annuler une dette, égaliser les comptes互不拖欠hùbùtuōqiàn
être quittes
31
夭折
yāozhé
mourir/prendre fin prématurément
32
言行录
yánxínglù
rapport sur les faits et gestes de quelqu’un
33
逮
dǎi/dài
attraper / arrêter |
|
« quatre trésors du
lettré »
(文房四宝) :
笔墨纸砚bǐmòzhǐyàn |
Traduction 6
Personnellement, j’ai un problème : quel que soit mon degré
d’ébriété, boire me donne envie d’uriner. Or, pour ne pas
laisser Feng Baiju seul, je n’avais pas pu aller aux toilettes
une seule fois. Vous pouvez imaginer mon supplice une bonne
moitié de la nuit. Lorsque je rouvris des yeux embrumés, j’étais
sous la table, mais Feng Baiju n’y était plus. J’allai en
titubant ouvrir la porte, un vent froid impromptu me fit
frissonner, et je me retrouvai du coup dégrisé à trente pour
cent.
Me
dirigeant d’un pas incertain vers les latrines, je lançai en
même temps des appels qui résonnèrent comme le bruit lancinant
d’un moustique : « Feng Baiju ! Feng Baiju ! Vieux Feng ! Vieux
Feng ! Vieux bossu ! … » La nuit était d’un noir d’encre, on ne
voyait que des ombres d’arbres, dans la lueur de la lune. L’eau
du bassin de la maison close, qui ne s’écoulait plus depuis des
lustres, dégageait une odeur nauséabonde. Si Feng Baiju y était
tombé par inadvertance, Xu Laoda, ravi, n’applaudirait-il pas ?
En sortant des latrines, je m’étirai tout content, en pensant
que, dans cette affaire, j’avais fait ce que je devais faire, et
que je pouvais aller dormir un peu, il serait toujours temps de
recommencer ensuite à le chercher. Levant la tête pour observer
ce qui se passait dans la montagne au dessus, je vis que, si les
feux d’artifice et les gongs avaient cessé depuis longtemps, il
restait une brume dont les volutes
s’effilochaient, et dont on n’aurait pu dire si c’étaient les
restes des fumées de la fête, ou si c’était de la vapeur générée
par l’humidité de la végétation. Tout à la perspective de la
nuit avec sa jeune mariée, Xu Laoda nous avait totalement
laissés en plan, Feng Baiju et moi, mais je craignais le
lendemain de fête, et les suites de l’affaire une fois le
dénommé Feng dégrisé. Xu Laoda ne m’avait donné aucune précision
sur le cours ultérieur des événements, et cela ne dépendait pas
de moi.
Alors que
j’étais arrivé sur le pont en dos d’âne, je fus bousculé par une
ombre noire et faillis tomber à
l’eau. Pour
prévenir tout débordement de colère, une main me ferma la
bouche. Je reconnus le visage familier des deux frères qui,
portant quelqu’un, passèrent en petites foulées près de moi et
entrèrent dans la cour de l’ouest. Celui qui m’avait fermé la
bouche s’y engouffra à leur suite. Je réalisai subitement qu’ils
portaient une jeune femme. Le dénommé Feng devait être dans
cette cour. En effet, en y réfléchissant, tout occupé à son
mariage, Xu Laoda avait négligé les penchants naturels de Feng
Baiju, et maintenant, craignant le retour de bâton, il se hâtait
de réparer sa négligence tant que l’autre était encore en pleine
léthargie, sous le coup de l’ivresse, et lui avait envoyé une
femme qu’il avait mise dans son lit pour le rouler.
Je n’avais
pas envie de trop penser à tout cela, je voulais avant tout
trouver une chambre pour
m’étendre
et dormir.
Arrivé à ce
point de mes réflexions, je soupirai profondément.
Je
regrettais de ne pas avoir fait plus attention aux événements de
la nuit. Je ne pouvais m’empêcher
d’admirer
et l’intelligence de Xu Laoda, et son caractère impitoyable. Si
un jour vous voyez que
quelqu’un
ne vous dit que la moitié des choses, vous aurez intérêt à vous
demander ce qu’il vous cache. Tout au long de ces années, je me
suis conduit en écervelé, on m’a trompé, manipulé, mené par le
bout du nez avec de l’argent, je suis un pauvre diable. Mais
elle aussi, on peut la compter parmi les pauvres diables.
J’avais
sous les yeux son corps frêle et délicat, allongé sur le lit à
côté de Feng Baiju, un poignard enfoncé dans la poitrine. Sa
carcasse squelettique nue comme un ver, Feng Baiju ronflait. Du
village parvenait le chant des coqs. Debout aux côtés de Xu
Laoda, je me sentis trembler de tous mes membres. Lui avait
l’air résolu, le visage sévère. Sur la table, à côté, étaient
posés des pinceaux et de
l’encre,
avec deux feuilles de papier. Sur l’une était consignée
l’annulation des arriérés, pour solde de tout compte ; et
l’autre était une note à l’intention de madame Feng.
Je suis
intimement convaincu que le corps de la jeune femme que j’avais
vu, porté sur le pont, était déjà raide ; c’était une pousse de
germe de soja prématurément sacrifiée. Vous devez vous demander
pourquoi, après avoir vu Feng Baiju, le derrière à l’air,
apposer sa signature au bas du papier annulant sa créance, je
n’avais pas couru là haut récupérer ma déposition ? Mais pour
quoi faire, la porter aux autorités ?
Je vais
brûler ce papier.
Mais
maintenant, je n’ose plus franchir le seuil de la remise à bois.
La fille va me harceler de questions…
2006年9月
Septembre 2006
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