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史铁生《第一人称》
Shi Tiesheng « La première
personne »
par Brigitte Duzan, 3 mars 2010
Présentation
Cette nouvelle commence de manière très factuelle, en posant le
cadre du récit : un personnage dont on ne saura pas grand-chose,
simplement qu’il est un peu cardiaque et qu’on vient de lui
attribuer un appartement neuf loin en banlieue, sur quoi il
prend un après-midi de congé pour aller le visiter.
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Dès le deuxième paragraphe, cependant, on est plongé dans un
monde légèrement onirique : la ville n’est plus qu’un souvenir
lointain, l’immeuble est isolé, encore vide, au milieu d’un
bois, et la seule personne vivante est une jeune fille étrange,
en méditation sous un immense platane…
Dans ce décor liminal, chaque élément du paysage est le point de
départ d’une rêverie du personnage. Or, comme l’appartement est
au vingtième étage, et qu’il doit s’arrêter régulièrement pour
reprendre son souffle, le paysage qu’il aperçoit aux divers
niveaux de son ascension est chaque fois légèrement différent,
c’est chaque fois un nouveau détail qui apparaît, réduisant à
néant ses divagations précédentes et donnant lieu à une nouvelle
envolée de son imagination, jusqu’à ce que, une fois redescendu
et revenu « sur terre », il se rende compte que la réalité est
tout autre, mais tout aussi élusive.
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Le
procédé rappelle le film de Hitchcock « Fenêtre
sur cour », où un photographe clouée dans un fauteuil roulant
par une jambe dans le plâtre observe ce qui se passe dans
l’appartement d’en face, et finit par soupçonner le voisin
d’avoir fait disparaître sa femme. Ici, la nouvelle est beaucoup
plus subtile, car le fait de monter d’étage en étage modifie la
perception des choses, rend la réalité totalement illusoire,
objet de manipulation des sens et de l’imagination. Il y a
évidemment une connotation bouddhique, mais c’est à peine
suggéré.
Le
récit baigne dans une atmosphère qui rappelle Marguerite Duras,
comme dans cette nouvelle (« L’été 80 ») où la narratrice
observe d’une chambre d’hôtel des enfants jouer sur la plage,
s’attarde sur un enfant en marge, et imagine ce que peut être
son histoire. D’ailleurs on pourrait le traduire au
conditionnel, en reprenant un des traits d’écriture chers à la
romancière française : elle aurait dit….
Car tout est conditionnel ici, rien n’est sûr ni définitif,
illustrant magistralement les dérives de la subjectivité, ce que
suggère le titre, que l’on doit entendre comme : écrit, mais
aussi vu, lu, et imaginé, « à la première personne ».
Shi Tiesheng史铁生
《第一人称》
« La première
personne »
一
那年秋天我分到了一套房子1,房子不坏,就是太高了,在二十一层,而且远离市区。我请了半天假去看那房子,坐了将近两个钟头汽车,下车时已是下午四点多钟。我一眼就看见了那座楼,正如人家告诉我的那样2,方圆几里地内只有那一座楼。楼是白的,有青砖3的院墙围住。环境也好,三面都是树林,南边有一条河。河从西流向东,正如人家告诉我的那样,青砖的院墙齐岸而立4,一座小桥直入院门。
尽管如此,当我走进院门时我还是想确定一下5我是否找对了地方。挨近西院墙有棵巨大的梧桐树6,一个姑娘背靠树干坐在安静的浓荫里7。我走过去向她打听这是不是我要找的那座楼,我觉得我的声音并不是很低。她抬起头,像是看了我一眼,然后就又恢复到8原来的姿势,垂目望着树荫中秋阳洒落的变幻不定的光点9,那光景仿佛我已经不存在了。我站在那儿稍稍等了一会儿,听见她喃喃地说10:“顺其自然。11”声音虽轻,但一字一顿很清晰。我点点头,确信我已经不存在了;她的思绪仍在一个美妙的世界里,刚才不过是被一声凡俗的响动骚扰了一下12罢了。我有些抱歉13,有些自惭形秽14,便倒退着转身,径直15朝楼门走去。我想这座楼不会不是那座楼。
楼几乎是空的,还没有住户搬来。电梯没人开,都锁着。我的心脏多少有点毛病,但既然来了总不该看一眼楼梯就这么回去,只要不要求速度我想我爬到二十一层不会出什么问题。“顺其自然”,那姑娘是这么说的,看来这是一个恰当的衷告16,于是我沉了沉气,开始爬。爬到三楼,喘口气,我从窗口探出头去又看那姑娘,她依然坐在那儿,头微垂,两手随意地搭在膝盖上17,出神入定18,树影和太阳的光点在她素雅的19长裙上离合聚散20,无声无息。“顺其自然”,她是这样说的,她这样说的时候,其实并没看见我,甚至根本就没听见那一声凡俗的响动,无视无闻,她正神思悠游21不在物界。我看不见她的脸但我感觉到了她神容的宁和与陶醉22。看不见的秋风掠过23那棵巨大的梧桐树,发出柔软凝重的响声24。在秋天,在太阳快要沉落的时刻,独自离开家,把渐渐涌起的黄昏关在屋子里,沿着野外的小路任意地25走一走,寻着草木和泥土的气息任意地走一走,这是
谁?走到一个僻静的所在26,面对一座尚无人住的高楼,坐下,依靠着一棵百年大树,坐在它飘摇 |
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的27浓荫里坐在它低吟28般的声响里,使那儿成为自己的地方,她是谁?想一想很近的和很远了的事情,想一想很真切的和很缥缈的事情29,身心沉入到自然的神秘中去
…
这样的人是谁?一个可羡慕的女人29。
而我还是得继续爬我的楼。[…]
四层、五层,我又得歇一下了30。说老实话,歇一下是次要的31,我一边爬一边片刻不忘那姑娘。我绝无歹意32,我只想再看她一眼,我担心她已经离开了。我只是想再看看她,再看看她独自在那棵大树下沉思默坐的恬淡与悠然33。我朝下望,她没走,她还是独自坐在那儿,还是那个姿势……可是,这时候我看到了另外一个人。
01
分到一套房子 fēndào yītào fángzi
attribuer
un appartement (distribué par l’Etat)
(le reste du paragraphe suggère que c’est un appartement
attribué dans un quartier excentré, dans un de ces nouveaux
immeubles construits en périphérie urbaine pour reloger les
habitants expulsés de chez eux dans le cadre d’un programme de
rénovation urbaine)
02正如人家告诉我的那样
zhèngrú
rénjiā gàosu wǒde nàyàng
comme on me l’avait dit
03
青砖
qīnɡzhuān
briques
gris-vert (matériau courant pour les murs d’enceinte des
immeubles)
04
齐岸而立
qíànérlì s’élever au bord d’un ruisseau
05
确定
quèdìng
déterminer avec
certitude, s’assurer de
06
梧桐(树)
wútóng(shù)
sorte de platane (firmiana simplex ou parasol chinois) :
http://www.phoer.net/photo/chengdu/2001/011016016.jpg
07
浓荫
nóngyīn
ombre (faite par des
feuillages)
08
恢复到
huīfùdào
reprendre (une pose, une attitude :
姿势zīshì)
09
洒落
sǎluò
répandre,
déverser
变幻biànhuàn
fluctuer
光点guāngdiǎn
point
lumineux
(image d’une peinture impressionniste – idée reprise dans la
phrase suivante par
光景guāngjǐng
scène, tableau, qui suggère la luminosité)
10
喃喃地说
nánnánde shuō
murmurer, dire à
voix basse (comme pour soi-même)
11顺其自然
shùnqízìrán
laisser les choses suivre leur cours naturel – expression de fatalisme
résigné qui prend dans le contexte un caractère énigmatique que
le personnage cherche dès lors à élucider et devient ainsi le
leitmotiv de la nouvelle.
12
凡俗
fánsú
ordinaire, commun
骚扰sǎorǎo
déranger
13
抱歉
bàoqiàn
être désolé
14
自惭形秽
zìcánxínɡhuì
ressentir de la honte en se sentant inférieur, déplacé.
15
径直
jìngzhí
directement
16
恰当
qiàdàng
approprié
衷告zhōnggào
paroles qui viennent du fond du cœur
17
膝盖
xīgài
genou
搭dā
mettre sur /joindre
18出神入定
chūshénrùdìng
être perdu
dans ses pensées, dans ses méditations
(入定rùdìng :
terme bouddhique, être assis en méditation)
19
素雅
sùyǎ
élégant
20
离合/聚散
líhé/jùsàn
se séparer
et se réunir /se rassembler et se disperser
21
神思悠游
shénsī
yōuyóu
l’esprit calme (hors des soucis du monde)
22
陶醉
táozuì
être ivre de, grisé
par…
23
掠
lüè
piller, mettre à sac,
d’où : passer très vite
24
凝重
níngzhòng
puissant, imposant
25
野外
yěwài
en pleine
campagne
任意rènyì
à son gré,
à sa guise
26
僻静的所在
pìjìngde
suǒzài
endroit
isolé, perdu (secret)
27
飘摇
piāoyáo
être secoué par (le
vent…)
28
低吟
dīyín
murmure (du vent, après une tempête)
29
羡慕
xiànmù
envier
30
歇一下
xiēyíxià
s’arrêter un peu, faire
une halte
31
次要
cìyào
secondaire,
d’importance mineure
32歹意
dǎiyì
mauvaise intention
33
恬淡
tiándàn
paisible, indifférent
aux gains matériels
悠然yōurán
libre, sans
soucis
二
一个男人,在西院墙的外面,顺着院墙来来回回地走。刚才我没发现他,刚才有院墙挡着我不可能看到他,院墙挺高,这会儿我是在五层楼上,即便这样我也只能看到他的头和肩。他像是困在笼子里那样走来走去,走一阵就停下来,望着远处一口接一口地吸烟,然后再来来回回地走,然后再停下来使劲1抽烟,望着远处的树林。我甚至听得见他的脚步声:烦乱2,不安。我甚至听见了他划火柴的3声音:划断一根又一根。他停下来的地方也是在那棵梧桐树的树荫中,只与那姑娘一墙之隔。这个男人的出现使我注意到,在离他们不远的地方,在院墙的西北角上有一扇小门。不用说,那扇小门一直就有,只是刚才被忽略了3,现在它格外显眼4。他是谁?他是她的什么人?一个在门里,一个在门外,四周没有别人,附近再没有别的人,怎么回事?男的心烦意乱焦躁不安5,女的默然无语心神恍惚6,出了什么事?他们之间发生了什么?一道斜阳从小门中间的缝隙7穿过来,躺在墙根下潮湿8的阴影里,又鲜明又凄艳9。“顺其自然”,姑娘是这样说的,她指什么?“顺其自然”是指什么?她只好离开他吗?不得不离开他?是呀是呀,不得不这样的话也就只有顺其自然。不得不,就是说,她依然爱着他,可她又无能为力10。“顺其自然”,可不是11吗?她这样说的时候语调空空洞洞12,眼中全是迷茫13。她根本就没看见我,她当然不可能听出我问的是什么。她满腹愁肠14,眼前只有往日的欢乐与辛酸15,却终于没有了路。墙外的那一个呢?他发疯般地爱着她,想使她幸福,多么希望她会因为他而更加幸福,却没想到竟使她陷入了如此痛苦的境地16。他没想到会是这样,他原以为他爱她同时她也爱他这就够了,他没想到世界是这样大,生活是这样千联万系。
“只要你觉得幸福就好。”他最后可能是这样说。
女人垂目坐在树下,男人在她身旁,在她周围,在她眼前,不安静地走。
“只要你觉得幸福,我怎么都可以。”他对她说。
…
“你说话呀?这么久了,你得给我一个肯定的回答。”
女人说不出话来。肯定和否定,不是这么简单的逻辑17。
男人说:“我就等你一句话了,行,或者不行。”
男人说:“关键是你怎么想,关键是你自己觉得怎样才幸福。”
…
女人什么话也说不出来。[……]
“你倒是说话呀?”男人说,“我不知道你什么话都不说是什么意思。”
“我不懂我的问题有什么难回答。”
“我不知道我还能怎么说,我还能怎么做。”
“好吧好吧,也许我不该再这么缠你18,也许我应该知趣地19走开。”
“好,我走。我没想到我会让你这么为难。我只再说一句:只要你能幸福,我怎么都行。”
他说完类似这样一些话转身走出那扇小门。她没有拦他,她实在没力气去拦他了。她听见他走出小门去,她绝望地听着那离去的脚步声,屏住呼吸20听着,听着:那熟悉的声音并没有走远。她松了一口气;或者是相反21,绝望得更加深重。她听见他一直都在墙外徘徊22,听见他在吸烟,听见他在叹息,听见他的心在抽泣23。她完全能想象出他的痛苦,但她完全不知道该怎么办,她所能得到的答案只剩了“顺其自然”。风在梧桐树浓密的阔叶间24穿过,在远远近近的树林间穿过,响得像水声,像桨声25,像不知所在的遥远的波流。为什么呢?父母反对?还会因为什么呢?哦,我还是爬我的楼去吧,我是来看我的房子的,我能做的是把自己送到二十一层上去。
不过,也许是她并不爱他?或者是她曾经爱他,现在已经不爱了?“可到底为什么?”那男人说,“我不想勉强你26,可我得知道这究竟27是为什么。”她不是不想告诉他,她真是不知道怎么说。好像有很多原因,但要说时却是都说不清,确实有很多原因,但要说时好像又找不到了。“顺其自然”,她是这样说的,她一直都是这样对他说的,现在她在心里还是这样对他说,也是对自己说。爱与不爱是无法求证的28,只能顺其自然。男人便跑到墙外去。或者是悲伤,或者是愤怒,男人转身穿过那扇小门走到墙外去。或者是爱,或者又是恨,男人什么也不想再说就走出那扇小门去。但他毕竟27离不开她,毕竟不想离开,神焦气躁05一筹莫展29,站在那里空茫四顾30。太阳正接近着那片树林,灰喜鹊31的叫声此起彼落。女人在墙这边担心地听着他的动静32,她也不能离开,她怕他也许什么事都做得出来。可到底怎么办呢?毫无办法,只有顺其自然,只有默默地祈祷33,只有这样是明智的34,是正当的。
01
使劲
shǐjìn
de toutes
ses forces, vigoureusement
02
划火柴
huá
huǒchái
gratter une allumette
03
忽略
hūlüè
négliger, passer sur
(un détail)
04
格外显眼
géwài xiányǎn
particulièrement évident, qui saute aux yeux
05
心烦意乱
xīnfányìluàn
agité, troublé, anxieux
焦躁不安jiāozàobùān
agité,
fébrile
06
默然无语
mòrán wúyǔ
silencieux
心神恍惚xīnshén
huǎnghū
l’air absent
07
缝隙
fèngxì
fissure, interstice
08
潮湿
cháoshī
humide
09凄艳
qīyàn
d’une triste splendeur.
10
无能为力
wúnéngwéilì
impuissant
11
可不是
kěbushì
exactement
12
语调
yǔdiào
ton
空洞kōngdòng
vide, creux
(sans expression)
13
迷茫
mímáng
flou, vague, l’air
perdu
14
满腹愁肠
mǎnfù
chóucháng
plein d’inquiétude
15
辛酸
xīnsuān
amer(tume)
16
陷入
xiànrù
tomber, se retrouver
dans (un état, une situation :
境地jìngdì…)
17
逻辑
luójí
logique
18
缠
chán
harceler, embêter
19
知趣
zhīqù
agir avec tact
20屏住呼吸
bǐngzhù hūxī
reprendre son souffle
21
相反
xiāngfǎn
contraire / au
contraire
22
徘徊
páihuái
aller et venir, faire
les cent pas
23
抽泣
chōuqì
sangloter
24
浓密
nóngmì
épais
阔kuò
large
25
桨
jiǎng
rame, aviron
26
勉强
miǎnqiǎng
forcer, contraindre
27
究竟
jiūjìng
au juste, en
fin de compte
毕竟
bìjìng
en réalité
28
求证
qiúzhèng
prouver, démontrer
29一筹莫展
yìchóumòzhǎn
être désemparé, ne plus savoir que faire
30
空茫
kōngmáng
le regard vide, l’air perdu
四顾sìgù
regarder de
tous côtés
31
灰喜鹊
huīxǐquè
pie bleue
32
动静
dòngjìng
bruit, signe de vie / mouvement
33
祈祷
qídǎo
prier
34
明智
míngzhì
raisonnable, sage
三
我爬到了七层。从七层望下去,视线越过近处的茂密的树梢1,我看见那片树林里有一座墓碑2,先是看见一座,然后是两座、三座,细看时,星罗棋布散立着很多3,我才知道那儿是一片墓地。原来是这样,那男人一直是在望着那片墓地。哦,原来是这样,所以那女人是一身素净的装束4。今天可能是死者的祭日5,他们俩一起来这儿看看。死,一向6是件最为神秘的事。一个活生生的人没有了,一个活生生的灵魂,可以想可以说可以笑可以爱……却忽然没有了,曾经是那么亲近,你想什么时候见到他就见到他,有什么话你想跟他说你就可以跟他说,然而他死了,你永远看不见他了,假如你有句话忘记告诉他了你就永远不能告诉他了。直到很久以后,直到很多年以后,这个女人来到死者的墓地仍然不能接受这一事实。在坟前2培一把土7,在坟前洒一杯酒,安放一束野花,但是人呢?死了,没了,找不到了,哪儿也找不到了永远也找不到了。女人坐在那坟旁,身上,还有心里,一阵阵觉得冷。
男人劝她:“这是自然规律,你应该懂得这是必然的归宿8。”
她看着那座确凿无疑9的坟墓,依然不相信死竟是这样残酷10。
“你别这样,好吗?别这样。”男人劝她的语气又温柔又谦卑11,仿佛那是他的一个错误。
“活着,得学会忘记。”男人说。
女人看着那座坟墓,并且总在看见一个人活生生的音容笑貌,仍然想象不出死到底是怎么回事。
男人说:“你得想,他去了,他已经解脱了12。你得想我们还活着。”
“我和你,”男人说,“我们在一起,我和你在一起。”
很久,女人离开那坟墓,在树林里盲目地走,长裙飘动得像是一缕游魂13。她走出树林,这儿有一座白色的楼房,围着长长的青砖的院墙。她走进那扇小门,这儿好,这样一棵孤独的大树使人能够镇静些14,仿佛有所依靠。“你让我一个人呆一会儿,让我一个人呆一会儿好吗?”她说。她并没有回头,她知道男人一直跟随在她身后。男人听话地走开,走出那扇小门。她靠着大树坐下,这儿好一些,一座空楼还没有人住呢。陌生的地方利于忘掉往事,轻轻滑动的树荫和悄然15飘落的叶子正是悲伤的心的位置。顺其自然,顺其自然吧,她想,真的他说对了死并不一定那么可怕。“顺其自然”,她轻声说,也许是以为男人进来了,也许是在对冥冥之中16的死者说,她根本没看清我是谁,根本没明白我在问什么。男人守候17在小门外,女人这个永久的伤心常常搞得他狼狈不堪18。他不知道自己对那个死去的人是尊敬还是嫉妒19,或者竟是有点儿恨,往往这时他甚至不知道自己是个善良的人还是个心胸狭窄的20恶人。他陪她来了,他答应年年都会陪她来的,他知道自己说的话都会兑现21,但他也知道而且只有他自己知道,他多么希望她把那个人忘掉,永远忘掉。他望着树林和树林中的那座坟墓,在祈求上苍22给他保佑或者宽恕23:就让那个人真正死去吧,他和她再也不到这儿来,再也别到这个地方来吧。
01
茂密
màomì
dense,
épais
树梢
shùshāo
cime des arbres
02
墓碑
mùbēi
stèle
funéraire, tombe =
坟墓
fénmù
03
星罗棋布(散立着)
xīngluóqíbù(sǎnlìzhe)
être éparpillé,
dispersé, comme les étoiles dans le ciel et les pions sur un
échiquier
04
素净
sùjìng
simple,
sobre
装束zhuāngshù
habillement,
tenue
05
祭
jì
faire un
sacrifice / venir se recueillir sur une tombe (en apportant des
offrandes)
06一向
yíxiàng
(depuis) toujours
07
培土
péitǔ
butter
08
归宿
guīsù
la dernière
résidence vers laquelle on revient, d’où : fin, aboutissement
09
确凿(无疑)
quèzáo(wúyí)
irréfutable, incontestable
10
残酷
cánkù
brutal,
cruel
11
谦卑
qiānbēi
humble, modeste
12
解脱
jiětuō
se dégager,
se libérer
13游魂
yóuhún
esprit errant
缕lǚ
classificateur : pour quelque chose de ténu, d’immatériel.
14
镇静
zhènjìng
calme, en
paix
15
悄然
qiǎorán
calmement, sans se faire remarquer
16
冥冥之中
míngmíngzhīzhōng
dans les ténèbres, le
monde souterrain (冥míng
obscur/ténèbres)
17
守候
shǒuhòu
atttendre
18
狼狈不堪
lángbèibùkān
(être,
mettre) dans une situation difficile, inextricable
19
嫉妒
jídù
envier
20
心胸狭窄
xīnxiōng xiázhǎi
avoir l’esprit étroit, intolérant
21
兑现
duìxiàn
tenir parole, remplir une promesse
22
祈求
qíqiú
prier,
implorer
上苍shàngcāng
le ciel
23
保佑
bǎoyòu
bénir
宽恕kuānshù
pardonner
四
第九层了,傍晚的秋风有些紧了,要是今天夜里一场大风,明天树叶就会掉落大半。这时落日的光芒几乎是平射过来1,我看见墙外那男人一只手遮在眉额上2专注地朝树林里张望,还是他刚才所希望的那个方向,就是日落的方向。在那个方向,我看见树林里露出两条交叉的路3,在有阳光的地方灰白的路面有些耀眼4,一条东西走向,一条南北走向。我看见东西走向的那条路的远端(即西端)有一个市郊班车的站牌5。我看见这时正有一趟班车开到,一些人从车上下来。墙外的男人正是朝那儿望着,一动不动地望着那些人。看样子他像是在等候什么人。然后车开走了,那些人散开各奔东西6。大概都是来上坟的人,有的手里拿着鲜花。他的手慢慢放下来,摸出一支烟叼在嘴上7,一边点烟一边开始来回走动,但这时他好像又发现了什么,抬起手搭在眉额上再朝那边望:有一个女人向这边走来。大概那女人刚才走差了路,现在返身朝这边来。雪白的风衣分外醒目8,在树林中时隐时现。男人的头缓缓转动9,视线一直追随着那个女人。可是那女人又停住了脚步,东张西望一阵折身向北去了,白色的风衣隐没10在北面的树林里。男人这才开始抽烟。没问题,他肯定是在等什么人。在等谁呢?在等一个女人?喔嗬11原来是这样,他在等另一个女人,他们约好了在树林东边的这座空楼下见面。“那楼是白色的,有一道青砖围墙。下了车往东,穿过一片树林穿过一片墓地。”
“一片坟地?”
“对,我在那儿等你。”
可能是在一条小街的街口;可能是在他们都忙着要去上班的时候;可能马路上已是车流人潮一片欢腾12;也可能街上的行人寥寥可数13,城市还在淡淡的蓝色之中。
“你说什么,旁边是一片坟地?”
“没事没事,一点都不可怕。”
可能是在星期六或星期日的晚上,在她的宿舍14附近的车站上,在他们上次分手的时候。天空很暗,将要下雨,风一阵阵地迅猛15,潮气在黑夜中漫延16。也许是在雨后,阒无行人17,湿漉漉的街道灯光辉映18,像一条庆典之后依然盛装的河流19。
“真的,不可怕。一片优美的墓地。”
“往东?远吗?”
“不,不远,你一下车就会看见它,那楼很高。”
也许是已近午夜,在一家夜餐店幽暗20的角落里,街上偶尔有夜行者孤独的口哨声21,小店就要打烊22……
“那楼有二十一层,白色的。”
“青砖的院墙?”
“对,我在那儿等你。”
但是,墙里面这个女人呢?她是谁?她来干什么?也许她和墙外那个男人毫无关系?真的毫无关系吗?她坐在大树下一声不响,她坐在大树的后面,仔细注意会看出:她、那棵大树、和那扇小门恰呈一条直线23,从那扇小门的缝隙间正好不能看到她。为什么要这样?男人看不到她,可她却能够听见墙外的一切动静。再说,男人为什么不到车站去等他的朋友?为什么一定要躲在这儿费劲地24张望?“顺其自然”,女人是这样说的。要是她的丈夫爱上了另一个女人,要是她发现了这件事,她能怎样呢?痛苦,是的,她会痛苦,她会哭,会吵,会闹,但终于又能怎样呢?“没有的事25,没有,”男人说,“根本就没有那回事。”可他这样说了之后,她知道他仍在与那个女人约会,又怎么办?“不!不!”她还会哭还会喊,“不,这不行!不行……”“你怎么这么庸俗26?”男人说,“你怎么这么狭隘27?”男人说,“我没想到你会是这样,她不过是一个朋友,一个很普通的朋友。”可是,他与这个普通的朋友在一起的时间越来越比跟她在一起的时间多,他与这个普通的朋友在一起的时候有说有笑无比兴奋,而跟她在一起却是活越来越少,越来越沉闷28,她能怎么办呢?“为了孩子。”她对他说。她不想再吵,也没力气再哭,她说:“你不想我,可你得想想我们的孩子。”“好吧好吧,”男人说,“你既然一定要这样想,我可以不再与她来往。”可他这样说过之后却背着她继续与那个女人来往,要是这样,她还有什么办法呢?她可以去告他,她还可以闹得四邻皆知满城风雨29,她可以走可以离开他,但是她爱他,爱是和死一样说不清楚的事,她不愿损害他30,也不愿离开他,怎么办?这个痴迷的女人31,她跟踪着他来了,她看见他在墙外走来走去焦急地等候着他那个普通的朋友。她悄悄绕到32这座空楼的另一面,走过小桥走进大门,走到这棵大梧桐树下,听了一会儿,听见男人还在墙外,她不想让他发现,便躲在梧桐树粗大的树身后面。她在想自己到底想来干什么?也许向那个女人表明她的存在?也许当面跟那个女人谈谈?也许当场揭穿男人的谎言33?但这又都有什么用呢?这又有什么意思呢?如果他已经不再爱你,如果他是如此渴盼着34另一个女人,你对他还能有什么指望呢35?只好顺其自然,随他去吧,只有随他去了。“顺其自然”,她这样说的时候心中真像是一片墓地,她根本没注意到有人走来,根本不记得有人向她问过什么。太阳完全落到树林后面去了,晚风一阵阵地沉重,巨大的梧桐树下变得昏暗寂寥36,那些飘摇跳动37过的树影和光点就像是以往,就像是昨天,不知不觉中悄然而逝38;当然明天它们还会在此处重演。走吧,去哪儿?回家去吧,家是什么?就这么呆着?呆到什么时候?无所谓?随便?也好也好,顺其自然。我可是得走了,我还有十几层楼要爬。
01光芒
guāngmáng
rayons lumineux, clarté
平射
píngshè arriver à
l’horizontale
02
遮
zhē
cacher, couvrir
眉额
méi/é
sourcils / front
03
交叉
jiāochā
se croiser
04
耀眼
yàoyǎn
éblouir, aveugler
05
市郊班车
shìjiāo bānchē
ligne de bus de banlieue
站牌zhànpái
arrêt de bus
06
散开各奔东西sànkāi
gèbèndōngxī
se disperser dans toutes les directions
07
叼(在嘴上)
diāo
tenir à la bouche,
entre les lèvres
08醒目
xǐngmù
attirer le regard, se faire remarquer
分外fènwài
particulièrement
09
缓缓转动
huǎnhuǎn
zhuàndong
tourner, pivoter lentement
10
隐没
yǐnmò
disparaître
(à la vue)
11
喔嗬
ōhē
ah.. oh..
12
欢腾
huānténg
se réjouir
(一片欢腾
yípiàn
huānténg une
scène de réjouissances)
13
寥寥可数
liáoliáokěshǔ très peu nombreux
14
宿舍
sùshè
dortoir/
lieu d’habitation
15
迅猛
xùnměng
rapide et violent (一阵阵地迅猛yízhènzhènde
xùnměng
en violentes rafales)
16
潮气
cháoqì
humidité
漫延
mànyán
s’étendre, se propager
17阒无行人
qùwúxíngrén
calme et sans âme qui vive
18
湿漉漉
shīlùlù
mouillé,
détrempé
辉映huīyìng
se réfléchir
19
庆典
qìngdiǎn
célébration
依然盛装
yīrán
shèngzhuāng
encore richement décoré
20
夜餐店
yècāndiàn
restaurant ouvert la nuit
幽暗yōu'àn
sombre
21
口哨
kǒushào siffler
22
打烊
dǎyàng
fermer (boutique, pour la nuit)
23呈一条直线
chéng yìtiáozhíxiàn
former
une ligne droite, être sur la même ligne
恰
qià
exactement
24
费劲
地
fèijìnde
en
concentrant tous ses efforts sur
25没有的事
méiyǒudeshì
(il n’y
a) rien de tel
26
庸俗
yōngsú
vulgaire
27
狭隘
xiá'ài
étroit
d’esprit
28
沉闷
chénmèn
déprimé, sans entrain
29
四邻皆知
sìlín jiēzhī
connu de
tout le voisinage (闹得)
满城风雨mǎnchéngfēngyǔ
causer un
scandale
30
损害
sǔnhài
faire du tort, léser
31
痴迷
chīmí
être passionné, fou de
32
绕到
ràodào
faire un détour jusqu’à
33
揭穿
jiēchuān
exposer,
révéler
谎言huǎngyán
mensonge,
tromperie
34
渴盼
kěpàn
espérer anxieusement, attendre fiévreusement
35
指望
zhǐwàng
compter sur, placer tous ses espoirs en
36
昏暗寂寥
hūn'àn
jìliáo
sombre et silencieux
37
飘摇
piāoyáo
osciller,
trembloter
跳动tiàodòng
sauter
38
悄然而逝
qiāoránérshì
mourir,
trépasser tranquillement
五
我的房子果然不坏,两室一厅,大的一间将近十六平米,长五米,宽三米一七,小的一间长五米,宽二米四,整十二平米。像我这样一个单身汉有这样一套住房,是个奇迹1。厅七平米,厨房差不多五平米,总归2我一个人做饭一个人吃,很够了。厕所居然是和洗漱间3分开的,这出乎我的意料4。阳台呢?一米二乘二米一,是多少?从阳台上可以俯瞰5那片树林。高深莫测的6秋空下,树林正是五彩斑斓7,枫叶8已经红了,银杏9全部金黄,松柏树10绿得发黑,一座座白色的墓碑点缀其间11。我想,将来我要不要一块墓碑呢?如果要立在哪儿?上面要不要刻些字?刻什么字?在很长的一段年月里,我的坟前会时常有一些人走来,[…]
他们走过我的坟前,念一遍碑上的字然后又走开,他们都是些什么人?他们会不会想一想坟中埋的是什么人,这个人都有过怎样的经历?他们会不会想到,坟中的这个人也曾经设想过12他们的到来?可能有几个注定13要从我的坟前走过的人现在已经出生了他们正在朝我的墓碑走来,当然在这之前他们还有很多路要走,还有很多事要依次14发生,无法预测他们会经由哪条路走来15,因为我现在还没死,一切时间地点都还无法确定,但这样的事必定要发生,一个必定要走过我的坟前的人已经启程了16,他这会儿可能在非洲,也可能就在我视野所及的地方17。我这样想着,忽然看见树林里有一个孩子。
那是一个婴儿,只有在二十一层上才可以看到他。他躺在一座墓碑的后面,躺在淡淡的夕阳的红光中,在他的身旁有一辆婴儿车,车里有一些五彩缤纷18的玩具,他裹在粉红色的毛毯里19只露出一张小脸。他睡得很熟很安静,看样子没有什么能打扰他。他是谁?是谁家的孩子?他的父母到哪儿去了?怎么这么久还不回来?周围没有人,我站在二十一层上看得很清楚,远远近近没有一个人。孩子为什么不睡在车里,为什么睡在草地上?天哪!我懂了:弃婴20!我一下子明白是怎么回事了:墙外的那个男人!和墙里的那个女人!那男人原来一直是望着他的孩子,他在墙外走来走去远远地望着他的孩子,也望着那个车站,看看有谁来把他的孩子抱走。他不得不丢弃20他的孩子,但他不放心,他要亲眼看看把孩子抱走的人是什么人。这是为什么,年轻的父亲?还有墙里的母亲,为什么要这样?母亲不忍心21看这一幕,她躲开了,她走进那扇小门,连站的力气也没有了,坐在大树下如同坐在一个恶梦中,她在听孩子哭没哭,她在想给孩子带的玩具够不够,她在听着远处树林里的动静,她在想这孩子注定的命运是什么。是呀,她刚才看我时的目光多么惊惶22,她没料到23会有人从南面的大门走来。“顺其自然”,她说这话的语气多么绝望。也许我这人看起来还像善良,但我并没有向那扇小门去,她又不能告诉我“到树林里去,谢谢你了,替我们养大那个孩子”,她无可奈何地想:顺其自然,顺其自然吧。天色越来越暗了,那个孩子还在做着香甜的梦24。他会做梦了吗?他能梦见什么?不不!不能这样!我想,无论发生了什么事也不应这样。我下楼。我的心脏多少有点毛病,但下楼无论如何比上楼要好对付一些25。十四层歇一歇,七层再歇一歇,到了楼下我觉得心脏除了跳得更活泼一点之外26没有别的变化。
女人还在那里,两手放在膝盖上掌心朝天27,闭目坐在大梧桐树下,一动不动。我在她身边站了一会儿,她似毫无觉察28。我想男人还是去找男人谈谈吧。我走到那扇小门前,推了一下没推开,再拉一下,也没拉开,原来这门是锁着的从外面上了一把大锁。奇怪,那么这女人是怎么进来的呢?我的大脑和我的心脏一样,都不算很好,想了一会儿我才想起自己是怎么进来的。我跑向南面的大门我想绕到楼的西面去,最好先到树林里看看那个孩子,天晚了又凉了,孩子别病了,然后我要去与年轻的父亲先谈一谈,要是可能再与孩子的母亲也谈谈。“你们这是干什么,干什么嘛!”“有什么大不了的事29?没结过婚?没结过就赶快去结,来得及30。”“千万不要这样,你们俩当初的胆子不算小,现在怕什么?”“什么也甭怕31,让别人说去,‘走自己的路让别人说去32’,这是一个大人物说的不会错。”“你们看看,这孩子有多好,有多么乖33,私生子34都聪明将来也做得大人物,大人物是不应该扔在坟地里的。”但是,但是!南面的大门前是一条河,我几乎把它忘记了。这河是紧贴着35青砖的院墙流的,在院墙与河之间没有距离36,通过小桥只能走到南岸根本无法绕到院墙西面去。我过了小桥,往西走了很久,没找到能过河的地方。我又顺着河岸往东走,走了很久,仍然没有能过河的地方。这又是怎么回事?那院墙挺高,别说是女人,就是那男人也很难跳过去。我继续往前走,我想总得有能过河的地方。又走了很久,暮色已经浓重37,仍不见有能过河的地方。我想,能过河的地方大概还是在西边,就再往回走。走了一会儿我碰见了一个女人,我说:“请问,哪儿可以过河?”“过河?”她东西张望了一下。这时我看出她就是刚才坐在大梧桐树下的女人。
“往西,约五百米左右有座大桥。”她说。
我说:“你到哪儿去?”
她满腹狐疑地38看我好一会儿,“回家呀!”
“那,他呢?”
“谁?”
“墙外的那个男人是谁?”
“男人?废话39!你要干什么?”
“好吧不提这个。”我说,“那么孩子呢?”
“孩子?什么孩子?”
“在西边的树林里的那个孩子!”
她笑了,“你没病吧?”说罢转身要走。
“那儿有一个被丢弃的孩子!听我说,不管怎样天这么晚了我们得先去把孩子抱回家!你再说一遍,桥在哪儿?”
事实证明我的心脏还不错,我一路小跑到了那片树林里,心脏还在正常地工作着。我找到了那块墓碑,我敢保证40就是那块,我发誓41我没看错我不会认错。但墓碑前什么也没有,没有孩子,也没有婴儿车。我赶紧去看那个男人,他还在西墙外,他正在整理一堆画具42,画笔呀,画箱呀,颜料呀,瓶瓶罐罐43一大堆摊开在墙根下;一幅题为“林间墓地”的画作已经完成,立在一旁。我走近问他:“你没看见树林里有个孩子吗?”“孩子?什么样?有多大?”“很小,也就是一两个月吧。”“好家伙43你可真行,这么小的孩子你怎么把他弄丢呢,他自己又不会跑?”我们俩一齐朝树林里望。我顺着青砖的围墙从南到北从北到南来来回回走了几趟,看不见,从这儿完全看不见那块墓碑。这时候那个女人也来了,我对他们描述了一下我刚才看到的情景,我对他们说:“请你们相信,我身上最好用的器官就是眼睛了。”我对他们说:“真的,你们别这样盯着我看好像我有什么不正常似的。”[…]
我说:“你们愿意跟我一块再到那儿去看看吗?”
男人说:“我不怀疑您的诚实,但是…
对不起,我得回家了。”
女人说:“好吧我陪您去看一下。”我看出她只是对我的情况不大放心。
我们走进树林,走到那块墓碑前。是的,没有,什么也没有。我在墓碑旁坐下,我说:“您回家吧,您不是要回家吗?回去吧。”她在我身旁坐下。我说:“没关系,您不用担心我。我有点儿累了,想在这儿歇一会儿。”她伸手摸了摸我的脉搏45。
我说:“也许画家说对了,可能孩子的父母就在近旁。”
她说:“但也许我们并没错,在我们去找那座桥的时候,孩子被人抱走了。”
我说:“要不46,咱们再到附近看看?”
我们俩一块走遍了整个树林,走到天完全黑透了。
我说:“您想他会被什么人抱走呢?”
她说:“我想是个好人抱走了,您说呢?”
我说:“依您看那孩子命运怎样?”
她说:“顺其自然。”
这样我们认识了。谁料到呢?两年后她成了我的妻子,三年后她成了我儿子的母亲。
01
奇迹
qíjì
miracle
02
总归
zǒngguī
après tout
03
洗漱
xǐshù
faire sa toilette
04
出乎意料
chūhūyìliào
dépasser les attentes
05
俯瞰
fǔkàn
regarder de
haut
06
高深莫测
gāoshēnmòcè
insondable
07
五彩斑斓
wǔcǎibānlán
une profusion de couleurs
08
枫叶
fēngyè
feuilles
d’érable
09银杏
yínxìng
ginkgo
10
松柏
sōnɡbǎi
pins et cyprès
11
点缀
diǎnzhuì
parsemer
d’objets de décoration (fleurs, etc)
12
设想
shèxiǎng
imaginer
13
注定
zhùdìng
être destiné à
14
依次
yīcì
successivement, tour à tour
15
预测
yùcè
prédire
经由jīngyóu
passer par,
emprunter (一条路une
route)
16
启程
qǐchéng
se mettre
en route
17
视野
所及
shìyě suǒjí
dans le
champ de vision
18
五彩缤纷
wǔcǎibīnfēn
très
coloré, de couleurs vives
19
裹
guǒ
envelopper
毛毯máotǎn
couverture en laine
20弃婴
qìyīng
abandonner un enfant
丢弃diūqì
abandonner
21
不忍心
bùrěnxīn
ne pas avoir le cœur à, le courage de
22
目光
mùguāng
regard
惊惶jīnghuáng
effrayé,
terrorisé
23
料到
liàodào
anticiper, prévoir
24
香甜
xiāngtián
doux et parfumé
25
对付
duìfù
venir à bout de, se tirer de
26
活泼
huópō
vif, alerte
27
掌心
zhǎngxīn
paume de la main
28
觉察
juéchá
percevoir, détecter, prendre conscience de
29
大不了
dàbuliǎo
au pire / grave, sérieux
30来得及
láidejí
il est (encore) temps
31
甭
béng
(=
不用)
pas la peine de,
inutile de – ou =
别 :
négation de
l’infinitif
32
‘走自己的路,
让别人说去’
aller son chemin
sans se préoccuper de l’opinion des autres : expression
courante qui proviendrait d’un vers de la Divine Comédie de
Dante.
33
乖
guāi
sage (enfant)
34
私生子
sīshēngzǐ
enfant
illégitime, né hors mariage
35
紧贴
jǐntiē
être collé à, tout près de
36
距离
jùlí
distance, espace (entre deux choses)
37
暮
mù
crépuscule
浓重nóngzhòng
épais
38
满腹狐疑
mǎnfù húyí
avoir l’air
suspicieux, plein de défiance
39废话
fèihuà
bêtises, sornettes
40
保证
bǎozhèng
assurer, garantir
41
发誓
fāshì
jurer
42
画具
huàjù matériel
de peinture
43
颜料
yánliào
couleurs, pigments
瓶/罐
píng/guàn
bouteilles/ pots
44
好家伙
hǎojiāhuo
mon dieu, dieu du ciel !
45
脉搏
màibó
pouls
46要不
yàobù
autrement / dans le cas contraire (ici : si ce n’était pas le cas)
一九九0年
1990
Shi Tiesheng
史铁生
《第一人称》
« La première
personne »
Traduction
I
Cet automne-là, on m’a attribué un appartement, pas mal du tout,
mais à un vingtième étage, trop haut pour moi, et, en outre,
loin en banlieue. J’ai demandé une demi-journée de congé pour
aller le voir ; j’ai mis près de deux heures pour y aller et,
quand je suis descendu du bus, il était déjà plus de quatre
heures de l’après-midi. J’ai tout de suite aperçu l’immeuble, il
était bien comme on me l’avait décrit, blanc, entouré d’un mur
d’enceinte de briques grises, c’était le seul à des lieues à la
ronde. Il était dans un site superbe, entouré d’un petit bois
sur trois côtés, et, côté sud, au bord d’une rivière, exactement
comme on me l’avait dit ; l’enceinte de briques grises longeait
le cours d’eau, et un petit pont menait tout droit à l’entrée du
parc de la résidence.
Malgré tout, après avoir passé la porte de l’enceinte, je voulus
m’assurer que c’était bien l’endroit que je cherchais. Tout près
du mur, côté ouest, il y avait un immense platane, à l’ombre
duquel était assise une jeune fille, tranquillement adossée
contre le tronc. Je me dirigeai vers elle pour demander si
c’était bien l’immeuble que j’étais venu voir, et j’eus
l’impression que j’avais posé ma question de manière audible.
Mais elle leva la tête, sembla me jeter un regard, et reprit
aussitôt sa pose initiale, le regard baissé vers les taches
lumineuses et changeantes disséminées par le soleil d’automne
dans l’ombre
de l’arbre, comme si c’était une scène dont j’étais
exclu. Après être resté là un instant, à attendre,
je l’entendis
murmurer tout bas : « Il faut s’en remettre au sort ». Elle
avait dit cela très bas, mais en articulant clairement chaque
syllabe. Je hochai la tête, voyant que, pour elle, de tout
évidence,
je n’existais déjà plus ; le cours de ses pensées
n’avait pas quitté un monde merveilleux dont elle avait juste
été momentanément dérangée par un son d’une vulgarité
intempestive. J’en fus quelque peu désolé, et en ressentis une
certaine gêne, alors je lui tournai le dos et me dirigeai droit
vers l’immeuble, pensant que c’était forcément le bon.
Il
était pratiquement vide, personne n’avait encore emménagé.
L’ascenseur n’avait pas été mis en service, il était fermé.
J’avais un léger problème cardiaque, mais, après être venu
jusque là, je ne pouvais pas repartir en ayant juste jeté un
coup d’œil à la cage d’escalier ; en y mettant le temps, cela ne
serait sans doute pas un problème de monter jusqu’au vingtième
étage. « Il faut s’en remettre au sort », avait dit la jeune
fille ; elle semblait avoir dit cela du fond du cœur, et c’était
tout à fait approprié. Alors j’ai pris mon souffle, et j’ai
commencé à monter. Au deuxième étage, j’ai soufflé un peu ;
passant la tête par la fenêtre, je vis la jeune fille, toujours
assise au même endroit, la tête légèrement penchée, les deux
mains nonchalamment posées sur les genoux, plongée dans ses
méditations ; l’ombre de l’arbre et les points lumineux mouvants
qu’y dessinaient les rayons du soleil jouaient sur sa longue
jupe, d’une sobre élégance, se joignant un instant pour se
disperser aussitôt, dans le plus profond silence. « Il faut s’en
remettre au sort », avait-elle dit ; en fait, elle l’avait dit
sans me regarder, elle n’avait même pas perçu ce bruit vulgaire,
n’avait rien vu ni entendu, l’esprit absent, hors des soucis de
ce monde. Je ne pouvais pas voir son visage, mais je la sentais
d’une sérénité frôlant l’extase. Le vent d’automne courait,
invisible, dans le feuillage de l’immense platane, avec un bruit
à la fois doux et puissant. Cette jeune fille qui était sortie
seule de chez elle, ce jour d’automne, peu avant le coucher du
soleil, laissant l’obscurité du soir gagner peu à peu sa
chambre, et qui était partie marcher, sans idée précise, le long
de la petite route longeant la campagne sauvage, marchant sans
but précis, en recherchant l’odeur de l’herbe et de la terre,
cette jeune fille, qui était elle ? Arrivée à cet endroit isolé,
face à cet immeuble encore inhabité, elle s’était assise en
s’adossant à cet arbre centenaire, et était restée là, assise
dans son ombre mouvante, bercée par le bruit du vent qui
semblait un murmure, s’appropriant cet endroit, qui était elle ?
[…] Quelqu’un que l’on pouvait envier.
Mais moi, je devais continuer à monter. […] Troisième étage,
quatrième étage, j’ai dû à nouveau
m’arrêter un peu. Pour être
honnête, cette halte n’était pas absolument nécessaire, mais,
pendant que je montais, je ne cessais de penser à la jeune
fille. Cela ne partait pas d’un mauvais sentiment, je voulais
juste la regarder encore une fois, craignant qu’elle fût déjà
partie. Je voulais juste l’observer encore un peu, assise seule
au pied de ce grand arbre, plongée en silence dans ses
pensées, sereine et comme indifférente au monde alentour. En
regardant en bas, je vis qu’elle n’était pas partie, elle était
toujours assise là, toute seule, dans la même posture…..
Cependant, à ce moment-là, j’aperçus une autre personne.
II
C’était un homme ; il se trouvait, côté ouest, à l’extérieur du
mur d’enceinte le long duquel il allait et venait. Je ne l’avais
pas encore remarqué car le mur me l’avait caché ; il était si
haut, ce mur, que, même du quatrième étage, je pouvais seulement
voir sa tête et ses épaules. Il allait et venait comme s’il
était en cage ; il marchait un moment puis s’arrêtait, tirant
bouffée après bouffée de sa cigarette en regardant au loin, puis
il recommençait à marcher dans un sens puis dans l’autre, avant
de s’arrêter à nouveau pour fumer compulsivement, en regardant
le bois au loin. J’entendais même le bruit de ses pas : agités,
tendus. J’entendais jusqu’au bruit qu’il faisait en grattant les
allumettes : il les cassait l’une après l’autre. L’endroit où il
s’arrêtait était aussi à l’ombre du platane, mais il était
séparé de la jeune fille par le mur. L’apparition de cet homme
me fit remarquer autre chose : non loin d’eux, dans le coin
nord-ouest du mur, il y avait une petite porte. Je n’y avais pas
fait attention jusque là, ce n’est que maintenant
qu’elle
m’avait tout particulièrement sauté aux yeux. Qui était cet
homme ? Qui était-il pour la jeune fille ? L’une était à
l’intérieur de l’enceinte, l’autre à l’extérieur, il n’y avait
personne d’autre alentour, ni dans les environs proches.
Qu’est-ce que cela signifiait ? L’homme était agité, inquiet, la
femme silencieuse, l’air absent, qu’était-il arrivé ? Que
s’était-il passé entre eux ? Un rayon de soleil oblique passa
par une fente de la petite porte, et alla éclairer l’ombre
humide au pied du mur, la faisant resplendir d’une splendeur
teintée de tristesse. « Il faut s’en remettre au sort », avait
dit la jeune fille, que voulait-elle dire par là ? A quoi
faisait-elle allusion ? Qu’elle ferait mieux de le quitter ?
Qu’elle ne pouvait que le quitter ? C’est cela, elle ne pouvait
faire autrement, alors autant s’en remettre à son sort. Elle ne
pouvait que… c’est-à-dire qu’elle l’aimait encore, mais elle n’y
pouvait rien. « Il faut s’en remettre au sort », tout
simplement ? Le ton de sa voix, quand elle avait dit cela, était
sans expression, et elle avait l’air perdu. Elle ne m’avait pas
vu, en fait, alors, bien sûr, elle n’avait pu entendre ce que je
lui demandais. Elle était pleine d’inquiétude, elle n’avait
devant les yeux que les joies et les peines des jours enfuis,
mais, en fin de compte, il n’y avait plus d’issue. Et lui, de
l’autre côté du mur ? Il l’aimait à la folie et voulait la
rendre heureuse, c’était son souhait le plus cher, mais il
n’avait pas pensé qu’en fait, en agissant ainsi, il la ferait
souffrir. Il avait pensé, au départ, que, s’il l’aimait et
qu’elle l’aimait en même temps, cela suffirait ; il n’avait pas
pensé que le monde est si grand, que la vie est faite de mille
rencontres.
« Je veux simplement que tu te sentes heureuse. » lui avait-il
peut-être dit, finalement.
La
femme était assise sous l’arbre, les yeux baissés ; l’homme, à
côté d’elle, autour d’elle, devant elle, marchait d’un pas
nerveux.
« Je veux simplement que tu te sentes heureuse, je suis prêt à
tout pour cela. » lui avait-il dit. …
« Tu me dis quelque chose ? Cela fait si longtemps que cela
dure, il faut que tu me donnes une réponse claire. »
La
femme restait sans rien dire. Accepter, refuser, ce n’était pas
d’une logique si simple.
L’homme avait dit : « J’attends simplement que tu me dises
d’accord, ou pas d’accord. »
L’homme avait dit : « Le point essentiel, c’est ce que tu
penses, c’est de savoir comment tu penses pouvoir être
heureuse. » […]
Comme la femme ne disait toujours rien, l’homme avait dit : « Tu
ne dis rien ? Je ne sais pas ce que signifie ton silence. »
« Je ne comprends pas ce qu’il y a de si difficile à répondre à
ma question. »
« Je ne sais plus quoi dire, je ne sais plus quoi faire non
plus. »
« Bon, c’est bon, peut-être vaut-il mieux que je ne te harcèle
plus, et que je m’éloigne avec tact. »
« Bon, je m’en vais. Je n’aurais jamais pensé te mettre dans une
situation aussi pénible. Je ne peux que te dire encore une
chose : je voudrais juste te rendre heureuse, peu importe
comment. »
Après avoir tenu ce genre de discours, il était sorti par la
petite porte. Elle ne l’en avait pas empêché, elle n’en avait
pas eu la force, en fait. Elle l’avait entendu franchir la
petite porte, avait entendu avec désespoir le bruit de ses pas
qui s’éloignaient, avait écouté en retenant son souffle,
écouté : le bruit familier ne s’était pas éloigné beaucoup. Elle
avait poussé un soupir de soulagement ; ou bien, au contraire,
son désespoir n’avait fait que croître. Maintenant, elle
l’entendait qui continuait à faire les cent pas de l’autre côté
du mur, l’entendait fumer, soupirer, entendait les sanglots
qu’il avait sur le cœur. Elle pouvait parfaitement s’imaginer sa
tristesse, mais elle ne savait pas du tout que faire, des
réponses qu’elle avait trouvées, il ne lui restait que
celle-ci : « Il faut s’en remettre au sort ». Le vent, en
passant dans l’épais feuillage du platane, et dans le bois, à
quelque distance, faisait un bruit qui ressemblait à celui de
l’eau, à celui d’avirons frappant l’eau, à celui d’une vague
dans le lointain, on ne savait trop où exactement. Et pourquoi
tout cela ? A cause de l’opposition de ses parents ? Ou pour une
autre raison ? Ah, il faut quand même que je monte cet escalier,
je suis venu voir mon appartement, il faut bien que j’arrive à
monter jusqu’au vingtième étage.
Mais peut-être ne l’aime-t-elle pas du tout ? Ou bien peut-être
l’a-t-elle aimé, et peut-être, maintenant, ne l’aime-t-elle
plus ? « Mais, pourquoi donc, en fin de compte ? » avait dit
l’homme, « je ne veux pas te forcer, je veux seulement savoir,
au juste, quelle est la raison. » Elle n’avait aucune intention
de le lui expliquer, elle ne savait vraiment pas comment le lui
dire. Il y avait beaucoup de raisons, apparemment, mais, sur le
point de les dire, ce n’était pas si clair ; au moment de les
énoncer, elle avait l’impression de ne plus en trouver. « Il
faut s’en remettre au sort », avait-elle dit, tout simplement ;
maintenant, elle le répétait intérieurement, se le disait aussi
à elle-même. Aimer, ne pas aimer, c’est impossible à démontrer,
on ne peut que s’en remettre au sort. L’homme, donc, s’était
précipité de l’autre côté du mur, à l’extérieur. Blessé, ou
fâché. Tournant les talons, il avait passé la petite porte pour
sortir à l’extérieur du mur d’enceinte. Peut-être ressentait-il
de l’amour, peut-être de la haine, de toute façon, il ne voulait
plus rien dire, alors il était sorti par cette petite porte.
Mais, en réalité, il ne s’était pas éloigné, en fait, il n’en
avait pas l’intention ; fébrile et désemparé, il était là,
debout, le regard vide et perdu, à scruter autour de lui. Le
soleil venait juste d’approcher du bois, on entendait par
intermittences le chant d’une pie bleue. La femme, de ce côté-ci
du mur, suivait avec préoccupation les mouvements de l’homme,
elle non plus ne pouvait pas partir, elle craignait la réaction
qu’il pourrait avoir. Mais au fond, que faire ? Il n’y avait
rien à faire, elle ne pouvait que prier en silence, c’était le
plus raisonnable, le plus approprié.
III
Je
réussis à monter jusqu’au sixième étage. De là, en regardant en
bas, le regard perçait les cimes épaisses des arbres proches ;
alors, au milieu du bois, je vis une tombe ; au début j’en ai vu
une, puis deux, puis trois, et, en regardant mieux, j’en ai vu
une myriade, éparpillées au milieu des arbres ; je réalisai
alors qu’il s’agissait d’un cimetière. Ce que l’homme regardait
donc fixement, au loin, c’était ce cimetière. Ah, c’était donc
cela, c’était pour cela que la femme avait cette tenue si sobre.
Aujourd’hui était peut-être le jour où elle venait se recueillir
sur la tombe d’un mort, ils étaient venus ensemble. La mort est
une chose des plus mystérieuses. Un vivant, soudain, n’est plus,
un être vivant, qui pouvait penser, rire, parler, aimer… voilà
que brusquement il n’est plus, il avait toujours été tellement
proche, quand tu voulais le voir, tu pouvais le voir, si tu
avais quelque chose à lui dire, tu pouvais le lui dire ;
maintenant qu’il est mort, tu ne pourras plus le voir, c’en est
fini à jamais, et si tu as oublié de lui dire quelque chose, tu
ne pourras plus jamais le lui dire. Pendant très longtemps, par
la suite, de nombreuses années après, cette femme, en arrivant
sur la tombe du mort, n’avait toujours pas réussi à réaliser ce
fait. Elle buttait la terre devant la tombe, répandait du vin, y
posait un bouquet de fleurs sauvages, mais la personne, elle ?
Elle était morte, disparue, introuvable, à jamais introuvable.
Assise près de la tombe, la femme sentait le froid la gagner peu
à peu, lui glacer le corps mais aussi le cœur.
L’homme avait tenté de la raisonner : « C’est une loi naturelle,
tu dois comprendre que c’est une fin inéluctable. »
Elle regardait cette tombe irréfutable, sans encore arriver à
croire que la mort était vraiment quelque chose d’aussi brutal.
« Il ne faut pas agir ainsi, tu comprends ? » lui avait
conseillé l’homme, d’un ton à la fois doux et humble, comme si
tout cela était sa faute.
« Pour vivre, il faut apprendre à oublier » avait dit l’homme.
La
femme, en regardant la tombe, continuait à voir le visage
souriant, aux traits familiers, du vivant, sans arriver à
imaginer ce qu’était la mort, au juste.
L’homme avait dit : « Il faut que tu penses qu’il est parti,
qu’il s’est libéré. Il faut que tu penses que nous, nous sommes
encore vivants. »
« Toi et moi, » avait encore dit l’homme « nous sommes ensemble,
ensemble tous les deux. »
Pendant longtemps après avoir quitté la tombe, la femme avait
erré comme une âme en peine dans le bois, sa robe longue
flottant au gré de sa marche, comme un esprit errant. A l’orée
du bois, il y avait un immeuble blanc, entouré du long mur
d’enceinte de briques grises. Elle était entrée par la petite
porte, cet arbre solitaire, là, donnait une telle impression de
calme, c’était comme s’il lui offrait un appui. « Laisse-moi un
instant seule ici, tu veux bien ? » avait-elle dit. Elle n’avait
même pas tourné la tête, sachant que l’homme était juste
derrière elle. Alors, celui-ci l’avait laissée, était sorti par
la petite porte. Adossée au grand arbre, elle se sentait bien,
devant cet immeuble encore inhabité. Un endroit inconnu aide à
oublier le passé ; l’ombre furtive de l’arbre, dont les feuilles
tombaient doucement en tourbillonnant, était l’endroit idéal
pour son cœur brisé. Il faut s’en remettre au sort,
pensa-t-elle, vraiment, faire face à la mort n’est pas quelque
chose de si effrayant. « Il faut s’en remettre au sort »
avait-elle dit doucement, peut-être avait-elle pensé que c’était
l’homme qui était revenu, ou peut-être s’était-elle adressée au
mort dans l’au-delà ; en fait, elle n’avait pas réalisé
clairement qui je pouvais bien être, n’avait pas compris ce que
je lui demandais. L’homme attendait de l’autre côté de la petite
porte, désemparé face à l’immense peine de la femme, cette peine
qui n’en finissait pas. Il se demandait s’il devait le respecter
ou l’envier, ce disparu, peut-être qu’il le détestait un peu, en
réalité ; dans ces moments-là, il ne savait même plus s’il était
quelqu’un de bon, ou s’il avait le cœur sec et l’esprit étroit.
Il l’accompagnait, il lui avait promis de l’accompagner tous les
ans et il remplissait sa promesse, mais il savait, et elle le
savait aussi, qu’il ne souhaitait qu’une chose, qu’elle oubliât
le disparu, à jamais. Regardant au loin le bois, et la tombe au
milieu, il priait le ciel de le bénir ou de lui pardonner :
c’est-à-dire faire que le mort s’en soit vraiment allé, qu’elle
et lui n’aient plus à revenir là, dans cet endroit.
IV
Lorsque je parvins au sixième étage, le vent d’automne, à
l’approche du soir, avait forci ; s’il y avait une tempête dans
la nuit, demain l’arbre aurait perdu une bonne partie de ses
feuilles. A ce moment-là, les rayons du soleil couchant
arrivaient pratiquement à l’horizontale, je vis que l’homme, une
main sur le front au niveau des sourcils, avait le regard fixé
vers le bois, en direction du soleil couchant, auquel il
semblait adresser sa prière. En regardant dans cette direction,
je vis alors qu’il y avait dans le bois deux chemins qui se
croisaient, leur couleur blanchâtre brillamment illuminée par
endroits par la lumière du soleil ; l’un d’eux allait d’est en
l’ouest, l’autre dans une direction nord-sud. En suivant des
yeux le chemin est-ouest jusqu’à son point le plus lointain, en
direction de l’ouest, je remarquai un arrêt de bus, d’une ligne
de banlieue. Juste à ce moment-là, un bus venait d’arriver,
quelques personnes en descendirent. L’homme de l’autre côté du
mur regardait justement dans cette direction, observant ces gens
sans bouger. A l’évidence, il attendait quelqu’un. Le bus
reparti, les gens se dispersèrent dans toutes les directions.
C’étaient sans doute des gens qui venaient sur les tombes,
certains tenaient à la main des bouquets de fleurs. L’homme
baissa lentement la main, sortit une cigarette qu’il se mit à la
bouche et, tout en l’allumant, se remit à marcher, mais, cette
fois, il semblait avoir aperçu quelque chose ; relevant la main
pour la poser à nouveau au-dessus de ses sourcils, il se remit à
scruter le même endroit : celui vers lequel se dirigeait
maintenant une femme qui venait de revenir sur ses pas, sans
doute s’était-elle trompée de chemin. Son blouson d’un blanc
immaculé, qui apparaissait par intervalles au milieu des arbres,
était particulièrement visible. L’homme tourna lentement la
tête, pour suivre la femme des yeux. Après s’être arrêtée,
cependant, et avoir regardé de tous côtés, elle repartit vers le
nord, son blouson blanc disparaissant dans le bois, côté nord.
L’homme se mit alors seulement à fumer sa cigarette. Il ne
faisait aucun doute qu’il attendait quelqu’un. Mais qui ? Une
femme ? Ah, c’était donc cela, il attendait une autre femme, et
ils avaient rendez-vous en bas de l’immeuble désert, du côté est
du bois. « C’est un immeuble blanc, entouré d’un mur de briques
grises. En descendant du bus, tu prends vers l’est, tu vas
traverser un bois, et là tu vas passer par un cimetière. »
« Un cimetière ? »
« Oui, je t’attendrai là. »
Peut-être était-ce à un croisement ; peut-être était-ce en
allant travailler ; peut-être était-ce au milieu d’une foule
joyeuse, dans le bus ; ou peut-être y avait-il très peu de monde
sur la route, la ville se perdant dans un lointain bleuté.
« Qu’est-ce que tu dis ? Il y a un cimetière sur le chemin ? »
« Ne t’en fais pas, il n’y a pas de quoi avoir peur. »
C’était peut-être le samedi ou le dimanche soir, à l’arrêt de
bus tout près de chez elle, la dernière fois qu’ils s’étaient
vus, au moment de se séparer. Il faisait très sombre et il
allait pleuvoir ; le vent, soufflant en violentes rafales,
diffusait l’humidité dans la nuit noire. Peut-être était-ce
après la pluie,
il n’y avait pas ombre qui vive ; la lumière des
réverbères se reflétait sur la chaussée détrempée, qui
ressemblait à un fleuve encore richement décoré après une
célébration.
« Vraiment,
il n’y a pas de
quoi avoir peur. C’est un très joli petit cimetière. »
« A l’est ? Et c’est loin ? »
« Non, ce n’est pas
loin, tu verras
l’immeuble dès que tu descendras du bus, il est très grand. »
C’était peut-être juste avant minuit, dans un coin sombre d’un
snack ; on entendait au loin des passants solitaires siffler
dans la nuit, la petite boutique allait fermer….
« C’est un immeuble de vingt étages, blanc. »
« Avec un mur d’enceinte de briques grises ? »
« Oui, je t’attendrai là. »
Mais alors, et cette femme de ce côté-ci du mur ? Qui
était-elle ? Que faisait-elle là ? Peut-être n’avait-elle aucun
lien avec l’homme de l’autre côté du mur ? Aucun lien,
vraiment ? Elle était assise sans bouger au pied de l’arbre
immense, mais derrière lui, et, si l’on regardait attentivement,
on pouvait remarquer ceci : elle, l’arbre et la petite porte
formaient une ligne droite, et l’on ne pouvait pas l’apercevoir
en regardant par une fente de la petite porte. Pourquoi donc ?
L’homme ne pouvait pas la voir, mais elle, en revanche, pouvait
parfaitement entendre le moindre mouvement de l’autre côté du
mur. Alors, pourquoi
l’homme n’était-il pas allé attendre son
amie à l’arrêt du bus ? Pourquoi vouloir absolument rester
dissimulé là, à scruter fixement le lointain ? « Il faut s’en
remettre au sort », avait dit la femme. Si son époux était tombé
amoureux d’une autre femme, si elle l’avait découvert,
pouvait-il en être autrement ? C’était douloureux, certainement,
elle avait dû souffrir, pleurer, gémir, hurler, mais finalement
que pouvait-elle faire ? « Il n’y a rien entre nous, rien du
tout, » avait dit l’homme, « rien de ce que tu penses. » Mais
après cela, elle savait qu’il avait continué à rencontrer cette
femme, alors, que faire ? Elle pouvait encore pleurer, encore
crier : « Non, non, ça ne va pas ! Tu ne peux pas… » - « Comment
peux-tu avoir une attitude aussi banale ? » avait dit
l’homme, « comment peux-tu avoir l’esprit aussi étroit ? Je
n’aurais jamais pensé que tu réagisses ainsi, ce n’est qu’une
amie, une amie tout ce qu’il y a de plus ordinaire. » Mais il
passait de plus en plus de temps avec cette amie ordinaire, bien
plus qu’avec elle ; et, quand il était avec cette amie, il était
de plus en plus disert, de plus en plus gai, incomparablement
plus enthousiaste qu’avec elle, envers qui, en revanche, il
était de plus en plus sombre. Qu’y pouvait-elle ? « Pense à
notre enfant » lui avait-elle dit. Elle ne voulait plus crier,
et
n’avait plus la force de pleurer, alors elle lui avait dit :
« Si tu ne penses pas à moi, tu devrais au moins penser un peu à
notre enfant. » - « D’accord, d’accord » avait dit
l’homme, « puisque tu ne changes
d’avis, il va peut-être falloir
que j’arrête de la voir. » Pourtant, après avoir dit cela, il
avait continué à la voir dans son dos, dans ces conditions, que
pouvait-elle faire ? Elle aurait pu l’accuser, aller crier son
histoire sur les toits, ameuter la ville entière, elle aurait pu
partir, le quitter ; mais elle l’aimait, et l’amour est une
chose aussi incompréhensible que la mort, elle ne voulait pas
lui nuire, ni le quitter, alors que faire ? Poussée par un amour
fou, elle l’avait suivi, l’avait vu attendre fébrilement cette
amie ordinaire, en faisant les cent pas de l’autre côté du mur.
Elle était arrivée sans se faire remarquer de l’autre côté de
l’immeuble désert, était entrée par la porte principale de
l’enceinte après avoir franchi le petit pont ; parvenue au pied
du grand platane, elle avait tendu l’oreille un instant, et
avait entendu l’homme de
l’autre côté du mur : alors, pour
rester inaperçue, elle s’était cachée derrière le tronc épais de
l’arbre. Que pensait-elle être venue faire au juste ? Peut-être
révéler son existence à cette femme ? Peut-être discuter avec
elle, face à face ? Peut-être dénoncer sur place les mensonges
de l’homme ? Mais à quoi tout cela servirait-il ? Et cela
aurait-il un sens ? S’il ne t’aime plus, s’il attend ainsi
fiévreusement une autre femme, qu’est-ce que tu peux encore
attendre de lui ? Autant se soumettre à ton sort, et le suivre,
c’est tout ce que tu peux faire. Quand elle avait dit : « Il
faut s’en remettre au sort », elle l’avait dit d’un air funèbre,
sans se rendre compte que quelqu’un était là, et lui avait posé
une question.
Le
soleil avait totalement disparu derrière les arbres, le vent du
soir soufflait en fortes bourrasques, le pied de l’immense
platane était maintenant plongé dans l’obscurité et le silence,
les ombres et les points lumineux qui s’y agitaient en un
mouvement tremblotant étaient relégués dans le domaine du passé,
disparus sans qu’on y eût pris garde, comme si c’était déjà hier
; mais, bien sûr, ils reprendraient leurs jeux demain. Tu
devrais y aller, aller où ? Rentrer chez toi, où cela ? Alors,
tu veux rester ici, à attendre ? A attendre jusqu’à quand ? Sans
but ? Comme ça ? Pourquoi pas, puisqu’il faut s’en remettre à
son sort. Mais moi, il faut que j’y aille, j’ai encore plus de
dix étages à monter.
V
Mon appartement n’était vraiment pas mal, deux chambres et une
salle de séjour ; la plus grande des deux chambres faisait près
de seize mètres carrés, cinq mètres de long sur trois mètres dix
sept de large, et la plus petite mesurait cinq mètres de long
sur deux mètre quarante de large, soit douze mètre carrés au
total. Pour un célibataire comme moi, cela semblait miraculeux.
La salle de séjour faisait sept mètre carrés, avec une cuisine
d’environ cinq mètres carrés, pour quelqu’un qui cuisinait seul
et prenait ses repas seul, c’était largement suffisant. Les
toilettes étaient même séparées de la salle de bain,
c’était
plus que je n’espérais. Et le balcon ? Un mètre vingt sur deux
mètres dix, cela fait combien ? De là, on avait une vue
plongeante sur le bois. Sous le ciel insondable d’automne,
celui-ci arborait une profusion de couleurs flamboyantes, les
feuilles d’érable avaient déjà viré au rouge, les ginkgos
étaient entièrement dorés, le vert des pins et des cyprès tirait
sur le noir, et au milieu apparaissaient de ci de là les taches
blanches des tombes. Je me demandai si je ne voudrais pas un
jour reposer dans une tombe, là ? Et dans ce cas, si je ferais
graver quelques mots dessus ? Qu’est-ce que je pourrais faire
graver ? Au cours des années, ma tombe verrait passer des gens,
[…] ils passeraient devant, liraient l’inscription et
continueraient, quelle sorte de gens cela pourrait-il bien
être ? Est-ce qu’ils se demanderaient qui était enterré là,
quelle existence il avait vécue ? Est-ce qu’ils penseraient que
l’homme enterré là n’avait pas imaginé leur venue ? Peut-être
que certaines des personnes prédestinées à passer devant ma
tombe étaient déjà nées, peut-être qu’elles se dirigeaient déjà
vers ma tombe, mais il leur restait bien sûr encore beaucoup de
chemin à faire, il se passerait encore bien des choses, il était
impossible de prédire qu’ils allaient prendre ce chemin pour
venir, je n’étais pas encore mort, il était impossible de
déterminer précisément les circonstances à venir, mais ce genre
de chose allait inévitablement advenir, quelqu’un qui passerait
un jour devant ma tombe était déjà en marche, il était peut-être
en Afrique, mais il était peut-être aussi dans mon champ de
vision. J’étais plongé dans ces pensées, lorsque je
m’aperçus
soudain que, dans le bois, il y avait un enfant.
C’était un bébé, et il n’était visible que du vingtième étage.
Il était couché derrière une tombe, éclairé par les feux rouge
pâle du soleil couchant, et il y avait près de lui un landau,
dans lequel on avait mis des jouets de toutes les couleurs ; il
était enveloppé dans une couverture en laine rose qui laissait
juste apparaître son petit visage. Il dormait paisiblement, à
poings fermés, on avait l’impression que rien ne pourrait le
déranger. Qui était-ce ? Qui étaient ses parents ? Où
étaient-ils allés ? Pourquoi étaient-ils partis si longtemps ?
Il n’y avait personne alentour, du vingtième étage, c’était très
clair, il n’y avait personne ni près ni loin. Et pourquoi
l’enfant ne dormait-il pas dans le landau ? Pourquoi l’avait-on
mis par terre ? Dieu du ciel ! J’eus une illumination : mais
c’était un enfant qu’on avait abandonné ! D’un coup je compris
toute l’histoire : c’était l’homme de l’autre côté du mur ! et
cette femme de ce côté-ci ! Ainsi, ce que l’homme ne cessait
d’observer au loin, en faisant les cent pas de l’autre côté du
mur,
c’était son enfant, mais il observait aussi l’arrêt du bus,
pour voir s’il n’y aurait pas quelqu’un qui recueillerait
l’enfant. Il ne pouvait faire autrement, il était forcé
d’abandonner son enfant, mais il n’était pas tranquille, il
voulait voir, de ses yeux voir, quelle sorte de personne allait
l’emmener. Mais pourquoi abandonner l’enfant, parce qu’il était
trop jeune ? Et il y avait aussi la mère, de ce côté-ci du mur,
pourquoi voulait-elle faire cela ? Elle n’avait pas le courage
de regarder, elle avait préféré aller se cacher ; elle était
entrée par la petite porte, et, n’ayant même plus la force de
rester debout, s’était assise au pied du grand arbre, comme si
c’était un mauvais rêve, écoutant si l’enfant ne pleurait pas et
pensant qu’elle ne lui avait peut-être pas laissé assez de
jouets ; elle était à l’affût des sons qui provenaient du bois,
au loin, et se demandait ce que le sort réservait à cet enfant.
C’était donc cela, lorsqu’elle m’avait regardé, il y a peu, son
regard avait exprimé tellement de panique, elle n’avait pas
prévu que quelqu’un entrerait par la porte principale, au sud.
Quand elle avait dit : « Il faut s’en remettre au sort »,
c’était d’un ton combien désespéré. Je donne peut-être
l’impression de quelqu’un de bon, mais je ne m’étais pas dirigé
vers la petite porte, elle ne pouvait pas non plus me dire :
« Allez dans le bois, merci de vous occuper de cet enfant pour
nous. » Elle n’avait d’autre issue que de penser qu’il faut s’en
remettre au sort, tout simplement. Le ciel s’assombrissait peu à
peu, l’enfant là-bas faisait toujours de doux rêves. Etait-il
vraiment en train de rêver ? Et que pouvait-il voir en rêve ?
Non ! Il ne pouvait en être ainsi. Quoi qu’il en soit,
pensai-je, il ne doit pas en être ainsi. Je redescendis de
l’immeuble. Mon cœur avait beau être malade, descendre était
plus facile que monter, je pouvais m’en tirer. Je m’arrêtai un
peu au treizième étage, puis à nouveau au sixième ; arrivé en
bas, je sentis que mon coeur battait bien un peu plus fort, mais
c’était tout.
La
femme était encore là, les deux mains posées sur les genoux, les
paumes vers le ciel, assise sous
l’arbre, les yeux fermés,
parfaitement immobile. Je restai debout à côté d’elle un moment,
sans qu’elle le remarquât le moins du monde. Je pensai alors
qu’il valait mieux que j’aille trouver l’homme pour parler avec
lui. Je me dirigeai vers la petite porte, la poussai, la tirai,
mais sans pouvoir l’ouvrir : elle était fermée de l’extérieur,
par un gros cadenas. Etrange ! Comment, alors, la femme
était-elle entrée ? Mon cerveau était comme mon cœur, les deux
étaient en aussi mauvais état ; au bout d’un moment, je me
rappelai quand même par où j’étais entré. Je courus vers la
porte principale, au sud, pensant pouvoir contourner le bâtiment
vers l’ouest, le mieux étant d’abord d’aller voir l’enfant dans
le bois : le soir tombait, il commençait à faire froid, il ne
fallait pas que l’enfant attrapât du mal, j’irais seulement
ensuite discuter avec le jeune père, et si possible aussi avec
la mère. « Qu’est-ce que vous faites, hein ? » - « Il y a
quelque chose de grave ? Vous n’êtes pas mariés ? Si c’est le
cas, courez vite le faire, il n’est pas trop tard. » - « Que se
passe-t-il, dès le début vous avez été terriblement anxieux,
tous les deux, de quoi avez-vous peur ? » - « Ce n’est pas la
peine, laissez les gens parler, ‘poursuivez votre chemin et
laissez les gens dire’, c’est un grand homme qui a dit cela,
cela ne peut être faux. » - « Regardez comme il est mignon,
votre enfant, comme il est sage, un bâtard a son intelligence
qui, avec le temps, en fera un grand homme, il ne faut pas
l’abandonner au bord d’une tombe. »
Mais, mais ! Devant la porte principale, au sud, il y a une
rivière, je l’avais presque oublié. Elle coulait tout contre le
mur d’enceinte de briques grises, il n’y avait aucun espace
entre la rivière et le mur, ce
n’est qu’en franchissant le pont
que l’on pouvait passer au sud, et il était impossible, en fait,
de longer le mur vers l’ouest. Je passai le pont et continuai
assez longtemps vers l’ouest, mais sans trouver
d’endroit où
pouvoir traverser la rivière. En continuant à suivre le bord de
la rivière, j’obliquai vers l’est, et, au bout d’un long moment,
je n’avais toujours pas trouvé où pouvoir traverser. Comment
cela
se pouvait-il ? Le mur était très haut, sans même parler de
la femme, même l’homme aurait eu du mal à passer par-dessus. Je
continuai donc à avancer, toujours à la recherche de l’endroit
où traverser, car
je pensais qu’il devait y en avoir un. J’ai
marché longtemps, les couleurs du crépuscule s’étaient
assombries, je ne voyais toujours rien se profiler devant moi.
Je me dis que l’endroit où traverser était plutôt à l’ouest,
alors je suis revenu en arrière. Au bout d’un moment, j’ai
rencontré une femme et lui ai demandé : « Dites-moi, où peut-on
traverser cette rivière ? » - « Traverser ? » dit-elle en
regardant à droite et à gauche. Je reconnus alors la femme qui
était assise un instant plus tôt au pied du grand platane.
« Vers l’ouest, à environ cinq cents mètres, il y a un pont »
dit-elle.
Je
luis dis : « Où allez-vous ? »
Elle me regarda un bon moment d’un air plein de défiance et dit
: « Je rentre chez moi. »
« Alors, et lui ? »
« Qui ? »
« Cet homme, de l’autre côté du mur, qui est-ce ? »
« Un homme ? C’est du délire ! Qu’est-ce que vous cherchez ? »
« D’accord, laissons tomber cela. » dis-je, « mais l’enfant,
alors ? »
« L’enfant ? Quel enfant ?
« L’enfant qui est dans le bois, du côté ouest ? »
Elle se mit à
rire : « Vous n’êtes pas malade, non ? » dit-elle, puis,
tournant les talons, voulut s’en aller.
« Là-bas, il y a
un enfant abandonné ! Ecoutez-moi, même s’il commence à faire
nuit, il faut aller chercher cet enfant et le ramener chez lui !
Redites-moi, où est ce pont ? »
Les faits montrèrent que mon cœur n’allait pas si mal, malgré la
course dans le bois, il battait comme à
l’ordinaire. Je
retrouvai la tombe, j’étais sûr que c’était la bonne, je jurai
que j’avais bien vu, que je ne pouvais pas me tromper. Mais il
n’y avait absolument rien devant, pas d’enfant, ni de landau. Je
me précipitai pour trouver l’homme ; il était toujours à
l’extérieur du mur, côté ouest, et était en train de ranger tout
un matériel de peinture, pinceaux, mallette, pigments, flacons
et pots, le tout étalé par terre au pied du mur ; il venait de
terminer de peindre une inscription qui disait : « cimetière du
bois », et il était à côté. Je m’approchai et lui demandai :
« Vous n’avez pas vu un enfant dans le bois ? » - « Un enfant ?
Un enfant comment ? De quel âge ? » - « Tout petit, un ou deux
mois. » - « Ah, mais rassurez-vous, un enfant de cet âge, vous
ne pouvez pas le perdre, il ne risque pas s’enfuir en courant. »
[…] A ce moment-là, la femme aussi est arrivée, je leur ai
expliqué ce que je venais de voir, en leur disant : « Je puis
vous assurer que, s’il y a un organe chez moi qui fonctionne
bien, c’est ma vue. Vraiment, vous ne devriez pas me regarder
comme si j’étais anormal. » […]
Je
leur demandai : « Vous ne voulez pas m’accompagner encore une
fois jusque là-bas, pour voir ? »
L’homme dit : « Je ne doute pas de votre sincérité, mais … je
suis désolé, il faut que je rentre. »
La femme dit :
« D’accord, je vous accompagne un peu. » Je pouvais voir qu’elle
n’était pas totalement rassurée sur mon état mental.
Nous sommes entrés dans le bois, et sommes allés jusqu’à la
tombe. Il n’y avait vraiment rien, rien du tout. Je m’assis sur
le côté, et lui dis : « Rentrez chez vous, vous ne vouliez pas
rentrer chez vous ? Rentrez donc. »
Elle s’assit à côté de moi. Alors je lui dis : « Ce n’est pas
grave, ne vous inquiétez pas pour moi. Je suis un peu fatigué,
je vais m’arrêter un peu ici. » Elle tendit la main et me prit
le pouls.
Je
dis : « Peut-être le peintre avait-il raison, peut-être les
parents de l’enfant étaient-ils tout près. »
Elle dit : « Mais peut-être que c’est nous qui avons raison, et
que, quand nous somme allés à la recherche du pont, quelqu’un a
trouvé l’enfant et l’a emmené avec lui. »
Je
dis : « Mais, au cas où ce ne serait pas le cas, ne
pourrions-nous pas regarder encore autour d’ici ? »
Nous avons à nouveau parcouru tout le bois, jusqu’à ce qu’il
fasse totalement nuit.
Je
dis : « Vous pensez qu’il a pu être recueilli par quelqu’un ? »
Elle dit : « Oui, je pense que quelque bonne âme l’a emmené,
vous ne pensez pas ? »
Je
luis dis : « Il faut s’en remettre au sort ».
C’est ainsi que nous nous sommes connus. Qui aurait pu le
prévoir ? Deux ans plus tard, elle est devenue mon épouse, et
trois plus tard, la mère de mon fils.
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