Nouvelles de a à z

 

« Il ne faut jamais manquer de répéter à tout le monde les belles choses qu’on a lues »

Sei Shōnagon (Notes de chevet)

 
 
 
     

 

 

茹志鹃  Ru Zhijuan 

《百合花》« Les lis » 

par Brigitte Duzan, 15 septembre 2010

 

Il s’agit d’un court récit, le plus célèbre de Ru Zhijuan ; inspiré de la période de la guerre, il s’intéresse surtout aux sentiments inavoués des personnages, et c’est là toute son originalité. L’histoire se passe à l’automne 1946, au moment de l’offensive communiste contre les Nationalistes. Elle est contée par une narratrice, membre d’une troupe de théâtre, envoyée sur le front comme aide aux urgences. Pour la guider jusqu’au poste médical où elle a été affectée, elle est accompagnée par un tout jeune soldat de l’Armée de Libération qui, vu son jeune âge, fait office

d’estafette.

 

Le récit débute par la description du chemin qu’il font tous les deux, au milieu des champs, dans un paysage paisible, seulement troublé par le bruit des tirs sporadiques de

l’ennemi, au loin ; c’est surtout le prétexte à une description

 

Les lis

tendrement ironique du jeune garçon, ingénu maladivement timide qui finit par inspirer à la narratrice une affection involontaire.

 

Le poste médical est logé dans une petite école et manque de tout, et en particulier de couvertures.

C’est donc la première mission de la narratrice : s’en faire prêter par les gens du village. Partie avec son jeune guide, elle revient les mains pleines mais lui n’a rien obtenu. Pensant qu’il s’est exprimé maladroitement, elle se fait conduire à la maison qu’il a visitée et comprend alors : d’une part, il s’agit

d’une toute jeune femme, très belle, devant laquelle le jeune soldat se sent paralysé, et d’autre part la couverture est la seule qu’elle possède, son trousseau de jeune mariée : en satin, ornée de lis blancs sur fond rouge sombre. Ils repartent cependant avec, non sans que le jeune soldat se soit, en franchissant la porte, déchiré maladroitement la manche de son uniforme…

 

Le décor est planté pour la tragédie qui va suivre. La jeune femme fait partie des femmes mobilisée pour servir de renfort au poste médical, la narratrice impliquant qu’elle est venue pour tenter de revoir

l’estafette qui est, lui, déjà parti au front. Finalement, il est ramené sur un brancard, mourant, ayant sauté sur une grenade pour sauver ses camarades. La dernière scène montre la jeune femme recousant sa manche avec application, puis l’enroulant dans sa couverture avant qu’il soit mis dans son cercueil.

 

C’est une nouvelle toute en douceur et en sentiments contenus, en désirs suggérés, où la tendresse et la poésie affleurent à chaque instant : il suffit de chrysanthèmes sauvages dans le canon d’un fusil, de deux petits pains tout secs retrouvés dans le fonds d’une poche… Les commentateurs soulignent généralement l’incongruité du texte dans le contexte des années 50 ; c’est surtout la dernière scène qui fut en son temps l’objet des critiques les plus vives : d’une part, l’acte d’héroïsme n’est pas présenté comme un sacrifice glorieux à la nation, mais dans la logique d’un personnage ingénu, de manière ambiguë ; il n’attire pas l’admiration, mais la tendresse ; surtout, la couverture est le trésor de la jeune épouse, le symbole de son union avec un soldat qui est au front ; le fait d’en envelopper le jeune mort établit par là même une union implicite avec lui, en en faisant le symbole d’un amour très pur.

 

La nouvelle est écrite à la première personne, comme si elle était autobiographique, ce qui lui donne un impact direct. Ru Zhijuan a déclaré que son jeune soldat est inspiré de deux soldats qu’elle a connus pendant la guerre, mais son texte est magistralement conçu et développé. Elle joue à la fois des images propres à la tradition classique et à la nouvelle mythologie héroïque socialiste. Cependant, l’accent est mis sur l’évocation poétique du refoulement des sentiments et Ru Zhijuan déroge pour ce faire à l’une des règles d’or de la littérature prônée par Mao : elle adopte le style ‘gracieux et réservé’ (婉约wǎnyuē) des œuvres classiques dédiées à la peinture de sentiments délicats, et non le style ‘fougueux et libre’ (豪放háofàng) voulu par l’époque. Il y a une parfaite unité de fond et de forme.

 


 

Texte et vocabulaire :

 

一九四六年的中秋。
  这天打海岸的部队决定晚上总攻1。我们文工团创作室的几个同志,就由主攻团1的团长分派到各个战斗连去帮助工作。
  大概因为我是个女同志吧!团长对我抓了半天后脑勺2,最后才叫一个通讯员送我到前沿包扎所去3
  包扎所就包扎所吧!反正不叫我进保险箱4就行。我背上背包,跟通讯员走了。
  早上下过一阵小雨,现在虽放了晴5,路上还是滑得很,两边地里的秋庄稼,却给雨水冲洗得青翠水绿,珠烁晶莹6。空气里也带有一股清鲜湿润的香味。要不是敌人的冷炮7,在间歇地7盲目地轰响着,我真以为我们是去赶集的呢8

  通讯员撒开大步,一直走在我前面。一开始他就把我撩下几丈远。我的脚烂了,路又滑,怎么努力也赶不上他。我想喊他等等我,却又怕他笑我胆小害怕;不叫他,我又真怕一个人摸不到那个包扎所。我开始对这个通讯员生起气来。

  嗳!说也怪,他背后好像长了眼睛似的,倒自动在路边站下了。但脸还是朝着前面。没看我一眼。等我紧走慢赶地快要走近他时,他又蹬蹬蹬地9自个向前走了,一下又把我摔下几丈远。我实在没力气赶了,索性10一个人在后面慢慢晃。不过这一次还好,他没让我撩得太远,但也不让我走近,总和我保持着丈把远的距离。我走快,他在前面大踏步向前11;我走慢,他在前面就摇摇摆摆12。奇怪的是,我从没见他回头看我一次,我不禁对这通讯员发生了兴趣。
  刚才在团部我没注意看他,现在从背后看去,只看到他是高挑挑的个子,块头不大13,但从他那副厚实实14的肩膀看来,是个挺棒的小伙14,他穿了一身洗淡了的黄军装,绑腿15直打到膝盖上。肩上的步枪筒里,稀疏地16插了几根树枝,这要说是伪装17,倒不如算作装饰点缀18
  没有赶上他,但双脚胀痛得像火烧似的。我向他提出了休息一会后,自己便在做田界的石头上坐了下来。他也在远远的一块石头上坐下,把枪横搁19在腿上,背向着我,好像没我这个人似的。凭经验20,我晓得20这一定又因为我是个女同志的缘故。女同志下连队21,就有这些困难。我着恼的带着一种反抗情绪走过去,面对着他坐下来。这时,我看见他那张十分年轻稚气22的圆脸,顶多有十八岁。他见我挨他坐下,立即张惶起来23,好像他身边埋下了一颗定时炸弹24,局促不安25,掉过脸去不好,不掉过去又不行,想站起来又不好意思。我拚命忍住笑26,随便地问他是哪里人。他没回答,脸涨得像个关公27,讷讷半晌28,才说清自己是天目山人29。原来他还是我的同乡呢!
  “在家时你干什么?”
  “帮人拖毛竹30。”
  我朝他宽宽的两肩望了一下,立即在我眼前出现了一片绿雾似的竹海中间,一条窄窄的石级山道,盘旋而上31。一个肩膀宽宽的小伙,肩上垫了32一块老蓝布,扛了几枝青竹,竹梢33长长的拖在他后面,刮打得石级哗哗作响。……这是我多么熟悉的故乡生活啊!我立刻对这位同乡,越加亲热起来。
  我又问:“你多大了?”
  “十九。”
  “参加革命几年了?”
  “一年。”
  “你怎么参加革命的?”我问到这里自己觉得这不像是谈话,倒有些像审讯34。不过我还是禁不住地要问。
  “大军北撤时35我自己跟来的。”
  “家里还有什么人呢?”
  “娘,爹,弟弟妹妹,还有一个姑姑36也住在我家里。”
  “你还没娶媳妇吧37?”
  “……”他飞红了脸,更加忸怩起来38,两只手不停地数摸着腰皮带上的扣眼。半晌他才低下了头,憨憨地笑了一下,摇了摇头。我还想问他有没有对象,但看到他这样子,只得把嘴里的话,又咽了下去。
  两人闷坐了一会,他开始抬头看看天,又掉过来扫了我一眼,意思是在催我动身。
  当我站起来要走的时候,我看见他摘了帽子,偷偷地在用毛巾拭汗。这是我的不是,人家走路都没出一滴汗,为了我跟他说话,却害他出了这一头大汗,这都怪我了。

 

01 总攻  zǒnggōng   offensive générale      主攻  zhǔgōng  attaque, offensive principale

02  后脑勺  hòunǎosháo   l’arrière du crâne  (qui ressemble à une cuillère, d’où le nom)

03  前沿qiányán  le front   包扎所  bāozāsuǒ  dispensaire, poste sanitaire    (包扎  bāozā panser)

04 保险箱  bǎoxiǎnxiāng  coffre fort/ endroit sûr

05 放晴  fàngqíng  faire jour

06 青翠水绿  qīngcuì shuǐlǜ  (bleu-) vert clair   珠烁晶莹   zhūshuò jīngyíng  étincelant (comme du cristal)

07 冷炮  lěngpào  tirs sporadiques               间歇地  jiànxiēde  par interalles

08 赶集  gǎnjí  aller au marché

09 蹬蹬蹬  dēngdēngdēng  (expression imagée)     dēng  poser les pieds en appuyant très fort / pédaler

10 索性  suǒxìng  autant +infinitif, mieux vaut/vaudrait

 

uniformes militaires jaunes

11 大踏步 dàtàbù  à grand pas

12 摇摆  yáobǎi  se balancer, se dandiner

13 高挑挑  gāotiǎotiǎo  grand et plutôt mince   大块头  dàkuàitóu  (fam.)  gros

14 厚实  hòushí  épais, solide     挺棒小伙  tǐngbàng  xiǎohuǒ  un jeune garçon très beau, bien fait

15 绑腿  bǎngtuǐ  bande molletière

Note : les « uniformes militaires jaunes » (黄军装) étaient plutôt beige, couleur fibres naturelles

16 稀疏  xīshū  éparpiller, parsemer

17 伪装  wěizhuāng  camouflage

18 装饰  zhuāngshì  décorer =  点缀  diǎnzhuì

19 横搁  hénggē  poser en travers

20凭经验  píngjīngyàn  d’après l’expérience    晓得  xiǎode  savoir

21 连队  liánduì  compagnie

22 稚气    zhìqì  enfantin        

 

Masque de Guan Yu

23 张惶  zhānghuáng  慌张huāngzhāng  nerveux  

24 定时炸弹  dìngshízhàdàn   bombe à retardement

25 局促    júcù  à l’étroit, d’où : gêné

26 拚命忍住笑  pīnmìng rěnzhù xiào  s’efforcer (désespérément) de ne pas rire   (忍住rěnzhù  réprimer)

27 关公  Guāngōng ou Guāndì  le seigneur Guan

Note : il s’agit de Guan Yu (关羽), célèbre général des Trois Royaumes, canonisé comme symbole de droiture et de loyauté, et vénéré aujourd’hui autant par les bouddhistes que par les taoïstes. Il est  représenté traditionnellement sous les traits d’un géant au visage rouge, couleur qui symbolise justement droiture et loyauté.

28讷讷半晌  nènèbànshǎng  hésiter / rester muet un long moment

29 天目山人  Tiānmùshānrén  originaire de Tianmushan 

Note : le mont Tianmu (l’œil, ou les yeux du ciel), au nord-ouest du Zhejiang : célèbre pour ses arbres géants et rares, devenu en partie une réserve naturelle.

 

Statue de Guan Yu

30 毛竹  máozhú   bambou géant  (qui pousse justement sur le mont Tianmu)

31 盘旋  pánxuán  serpenter

32      diàn  placer sous 

33      shāo  sommet d’un arbre

34 审讯  shěnxùn  soumettre à un interrogatoire

35 北撤  běichè  se retirer, se replier vers le Nord

36 姑姑  gūgu  tante (sœur du père)

37 娶媳妇  qǔxífù  se marier, prendre femme

38 忸怩  niǔní  embarrassé

39 憨憨  hānhān  sot, ingénu

 

 

bambou géant

 

  


  我们到包扎所,已是下午两点钟了。这里离前沿有三里路,包扎所设在一个小学里,大小六个房子组成品字形1,中间一块空地长了许多野草,显然,小学已有多时不开课了。我们到时屋里已有几个卫生员在弄着纱布棉花2,满地上都是用砖头垫起来的门板,算作病床。
  我们刚到不久,来了一个乡干部,他眼睛熬得通红3,用一片硬拍纸插在额前的破毡帽
下,低低地遮在眼睛前面挡光4
  他一肩背枪,一肩挂了一杆秤5;左手挎了5一篮鸡蛋,右手提了一口大锅,呼哧呼哧的6走来。他一边放东西,一边对我们又抱歉又诉苦7,一边还喘息地6喝着水,同时还从怀里掏出一包饭团8来嚼着。我只见他迅速地做着这一切。他说的什么我就没大听清。好像是说什么被子的事,要我们自己去借。我问清了卫生员,原来因为部队上的被子还没发下来,但伤员流了血,非常怕冷,所以就得向老百姓去借。哪怕有一二十条棉絮9也好。我这时正愁工作插不上手,便自告奋勇讨了这件差事10,怕来不及11就顺便也请了我那位同乡,请他帮我动员12几家再走。他踌躇了一下13,便和我一起去了。
  我们先到附近一个村子,进村后他向东,我往西,分头去动员。不一会,我已写了三张借条出去,借到两条棉絮,一条被子,手里抱得满满的,心里十分高兴,正准备送回去再来借时,看见通讯员从对面走来,两手还是空空的。
  “怎么,没借到?”我觉得这里老百姓觉悟高,又很开通,怎么会没有借到呢?我有点惊奇地问。
  “女同志,你去借吧!……老百姓死封建14。……”
  “哪一家?你带我去。”我估计一定是他说话不对,说崩了。借不到被子事小,得罪了15老百姓影响可不好。我叫他带我去看看。但他执拗地16低着头,像钉在地上似的,不肯挪步16,我走近他,低声地把群众影响的话对他说了。他听了,果然就松松爽爽地带我走了。
  我们走进老乡的院子里,只见堂屋里17静静的,里面一间房门上,垂着一块蓝布红额的门帘,门框两边还贴着鲜红的对联。我们只得站在外面向里“大姐、大嫂”的喊,喊了几声,不见有人应,但响动是有了。一会,门帘一挑,露出一个年轻媳妇来。这媳妇长得很好看,高高的鼻梁,弯弯的眉,额前一溜蓬松松的留海18。穿的虽是粗布,倒都是新的。我看她头上已硬挠挠的挽了髻19,便大嫂长大嫂短的向她道歉,说刚才这个同志来,说话不好别见怪20等等。她听着,脸扭向里面,尽咬着嘴唇笑。我说完了,她也不作声,还是低头咬着嘴唇,好像忍了一肚子的笑料21没笑完。这一来,我倒有些尴尬了,下面的话怎么说呢!我看通讯员站在一边,眼睛一眨不眨22的看着我,好像在看连长做示范动作似的23。我只好硬了头皮,讪讪24的向她开口借被子了,接着还对她说了一遍共产党的部队,打仗是为了老百姓的道理。这一次,她不笑了,一边听着,一边不断向房里瞅着25。我说完了,她看看我,看看通讯员,好像在掂量我刚才那些话的斤两26。半晌,她转身进去抱被子了。
  通讯员乘这机会,颇不服气地27对我说道:“我刚才也是说的这几句话,她就是不借,你看怪吧!……”
  我赶忙白了他一眼,不叫他再说。可是来不及了,那个媳妇抱了被子,已经在房门口
了。被子一拿出来,我方才明白她刚才为什么不肯借的道理了。这原来是一条里外全新的新花被子,被面是假洋缎的,枣红底28,上面撒满白色百合花。
  她好像是在故意气通讯员,把被子朝我面前一送,说:“抱去吧。”
  我手里已捧满了29被子,就一努嘴30,叫通讯员来拿。没想到他竟扬起脸,装作没看见。我只好开口叫他,他这才绷了脸31,垂着眼皮,上去接过被子,慌慌张张地转身就走。不想他一步还没有走出去,就听见“嘶”的一声32,衣服挂住了门钩,在肩膀处,挂下一片布来,口子撕得不小32。那媳妇一面笑着,一面赶忙找针拿线,要给他缝上。通讯员却高低不肯,挟了33被子就走。
  刚走出门不远,就有人告诉我们,刚才那位年轻媳妇,是刚过门三天的新娘子,这条被子就是她唯一的嫁妆34。我听了,心里便有些过意不去35,通讯员也皱起了眉,默默地看着手里的被子。我想他听了这样的话一定会有同感吧!果然,他一边走,一边跟我嘟哝起来了36
  “我们不了解情况,把人家结婚被子也借来了,多不合适呀!……”我忍不住想给他开个玩笑,便故作严肃地说:“是呀!也许她为了这条被子,在做姑娘时,不知起早熬夜37,多干了多少零活38,才积起了做被子的钱,或许她曾为了这条花被,睡不着觉呢。可是还有人骂她死封建。……”
  他听到这里,突然站住脚,呆了一会,说:“那!……那我们送回去吧!”
  “已经借来了,再送回去,倒叫她多心。”我看他那副认真、为难的样子,又好笑,又觉得可爱。不知怎么的,我已从心底爱上了这个傻呼呼的小同乡。
  他听我这么说,也似乎有理,考虑了一下,便下了决心似的说:“好,算了。用了给她好好洗洗。”他决定以后,就把我抱着的被子,统统抓过去,左一条、右一条的披挂在自己肩上,大踏步地走了。
  回到包扎所以后,我就让他回团部去。他精神顿时活泼起来了,向我敬了礼就跑了。走不几步,他又想起了什么,在自己挂包里掏了一阵,摸出两个馒头,朝我扬了扬,顺手放在路边石头上,说:“给你开饭啦!”说完就脚不点地的走了。我走过去拿起那两个干硬的馒头,看见他背的枪筒里不知在什么时候又多了一枝野菊花39,跟那些树枝一起,在他耳边抖抖地颤动着。
  他已走远了,但还见他肩上撕挂下来的布片,在风里一飘一飘。我真后悔没给他缝上再走。现在,至少他要裸露40一晚上的肩膀了。

 

01 品字形  pǐnzìxíng  en forme de caractère ‘pǐn’ (ou encore 三叠字: bâtiments disposés en rectangle sur trois côtés autour d’une cour centrale.

02 纱布棉花  shābù miánhua de la gaze (des pansements) et du coton

03 熬得通红  áode tōnghóng  (yeux) rougis par le manque de sommeil, le travail…

04 .. 挡光   zhē.. dǎngguāng  cacher, offusquer  (la lumière)

05 一杆秤      yí  gǎnchèng  une balance romaine  kuà  porter (un panier) au bras

06 呼哧   hūchī  haleter   =  喘息chuǎnxī

07 诉苦   sùkǔ  se plaindre 

08 一包饭团  yìbāo fàntuán  une boulette de riz

09 棉絮  miánxù  fibre de coton, rembourrage de couette

10 自告奋勇  zìgào fènyǒng  être volontaire pour    

差事 chàishì  mission

11 来不及  láibùjí  ne pas avoir le temps

12 动员   dòngyuán  mobiliser

13 踌躇   chóuchú  hésiter

 

 

fibre de coton

14 死封建  sǐ fēngjiàn  avoir une mentalité terriblement féodale (retardataire)

Note : théoriquement, 封建  fēngjiàn  désigne le système féodal de la dynastie des Zhou, mais le terme a un sens plus étendu qui désigne la mentalité rétrograde qui régnait généralement dans l’empire, comparée à celle de la Chine nouvelle.

15 得罪  dézuì  blesser, froisser

16 执拗  zhíniù  obstiné, entêté   挪步 nuóbù  bouger, faire un pas

17 堂屋  tángwū  pièce(s) principale(s)

18 蓬松松  péngsōngsōng  ébouriffé, bouffant        

留海  liúhǎi  frange  

19 硬挠挠  yìngnáonáo  flexible, souple          

挽髻wǎnjì  rouler (les cheveux) en un chignon

20 见怪  jiànguài s’offenser

21 笑料  xiàoliào  risée, sujet de plaisanterie

22 眨眼  zhǎyǎn   cligner de l’œil, battre des paupières

23 连长  liánzhǎng  commandant de compagnie      示范 shìfàn démontrer

24 讪讪  shànshàn  embarrassé, honteux

25      chǒu  regarder

26 掂量  diānliáng  peser, soupeser   斤两jīnliǎng  poids

27 不服气  bùfúqì  pas convaincu    pō  plutôt

28 假洋缎  jiǎyáng duàn  satin d’imitation étrangère   

枣红底zǎohóng dǐ  fond rouge foncé (zǎo jujube)

 

une tenture de tissu bleu

surmontée d’un panneau rouge

29 捧满  pěngmǎn  avoir les mains pleines

30 努嘴  nǔzuǐ  faire la moue / faire un signe des lèvres  (faire saillir)

31 绷脸  běngliǎn  faire la tête, se renfrogner

32 /   sī   onomatopée (ici le bruit du tissu qui se déchire) / (se) déchirer

33       xié  prendre sous le bras

34 嫁妆  jiàzhuɑng  dot, trousseau

35 过意不去  guòyìbúqù  être désolé, confus

36 嘟哝  dūnong  murmurer, marmonner

37 起早熬夜  qǐzǎo áoyè  se lever aux aurores et se coucher très tard

38 零活  línghuó  menus travaux

39 野菊花  yějúhuā  fleur de chrysanthème sauvage 

40 裸露  luǒlù  être nu, exposé au regard

 


  包扎所的工作人员很少。乡干部动员了几个妇女,帮我们打水,烧锅,作些零碎活。那位新媳妇也来了,她还是那样,笑眯眯的抿着嘴1,偶然从眼角上看我一眼,但她时不时的东张西望,好像在找什么。后来她到底问我说:“那位同志弟到哪里去了?”我告诉她同志弟不是这里的,他现在到前沿去了。她不好意思地笑了一下说:“刚才借被子,他可受我的气了!”说完又抿了嘴笑着,动手把借来的几十条被子、棉絮,整整齐齐的分铺在门板上、桌子上(两张课桌拼起来,就是一张床)。我看见她把自己那条白百合花的新被,铺在外面屋檐下的2一块门板上。
  天黑了,天边涌起3一轮满月。我们的总攻还没发起。敌人照例4是忌怕夜晚的,在地上烧起一堆堆的野火,又盲目地轰炸,照明弹5也一个接一个地升起,好像在月亮下面点了无数盏的汽油灯6,把地面的一切都赤裸裸地7暴露出来了。在这样一个“白夜”里来攻击,有多困难,要付出多大的代价啊!
  我连那一轮皎洁的月亮8,也憎恶起来了。
  乡干部又来了,慰劳了9我们几个家做的干菜月饼10。原来今天是中秋节了。
  啊,中秋节,在我的故乡,现在一定又是家家门前放一张竹茶几,上面供一副香烛11,几碟11瓜果月饼。孩子们急切地盼12那炷香11快些焚尽12,好早些分摊给月亮娘娘13享用过的东西,他们在茶几旁边跳着唱着:“月亮堂堂,敲锣买糖,……14”或是唱着:“月亮嬷嬷,照你照我,……15”我想到这里,又想起我那个小同乡,那个拖毛竹的小伙,也许,几年以前,他还唱过这些歌吧!
  ……我咬了一口美味的家做月饼,想起那个小同乡大概现在正趴在工事里16,也许在团指挥所17,或者是在那些弯弯曲曲的交通沟里17走着哩!……


  一会儿,我们的炮响了,天空划过几颗红色的信号弹18,攻击开始了。不久,断断续续地有几个伤员下来,包扎所的空气立即紧张起来。
  我拿着小本子,去登记他们的姓名、单位,轻伤的问问,重伤的就得拉开他们的符号,或是翻看他们的衣襟19。我拉开一个重彩号19的符号时,“通讯员”三个字使我突然打了个寒战20,心跳起来。我定了下神21才看到符号上写着×营的字样22。啊!不是,我的同乡他是团部的通讯员。但我又莫名其妙地想问问谁,战地上会不会漏掉伤员23。通讯员在战斗时,除了送信,还干什么,——我不知道自己为什么要问这些没意思的问题。
  战斗开始后的几十分钟里,一切顺利,伤员一次次带下来的消息,都是我们突破第一道鹿砦24,第二道铁丝网,占领25敌人前沿工事打进街了。但到这里,消息忽然停顿了,下来的伤员,只是简单地回答说:“在打。”或是“在街上巷战26。”
  但从他们满身泥泞27,极度疲乏的神色上28,甚至从那些似乎刚从泥里掘出来的担架上,大家明白,前面在进行着一场什么样的战斗。
  包扎所的担架不够了,好几个重彩号不能及时送后方医院,耽搁下来29
  我不能解除他们任何痛苦,只得带着那些妇女,给他们拭脸洗手,能吃得的喂30他们吃一点,带着背包的,就给他们换一件干净衣裳,有些还得解开他们的衣服,给他们拭洗身上的污泥血迹。
  做这种工作,我当然没什么,可那些妇女又羞又怕,就是放不开手来,大家都要抢着去烧锅,特别是那新媳妇。我跟她说了半天,她才红了脸,同意了。不过只答应做我的下手。
  前面的枪声,已响得稀落了31。感觉上似乎天快亮了,其实还只是半夜。
  外边月亮很明,也比平日悬得高。前面又下来一个重伤员。屋里铺位都满了,我就把这位重伤员安排在屋檐下的那块门板上。担架员把伤员抬上门板,但还围在床边不肯走。一个上了年纪的担架员,大概把我当做医生了,一把抓住我的膀子说:“大夫,你可无论如何要想办法治好这位同志呀!你治好他,我……我们全体担架队员给你挂匾32……”他说话的时候,我发现其他的几个担架员也都睁大了眼盯着我,似乎我点一点头,这伤员就立即会好了似的。我心想给他们解释一下,只见新媳妇端着水站在床前,短促地33“啊”了一声。我急拨开34他们上前一看,我看见了一张十分年轻稚气35的圆脸,原来棕红的脸色35,现已变得灰黄。他安详地合着眼36,军装的肩头上,露着那个大洞,一片布还挂在那里。
  “这都是为了我们,……”那个担架员负罪地37说道,“我们十多副担架挤在一个小巷子里,准备往前运动,这位同志走在我们后面,可谁知道狗日的反动派不知从哪个屋顶上撂下颗手榴弹来38,手榴弹就在我们人缝里冒着烟38乱转,这时这位同志叫我们快趴下,他自己就一下扑在那个东西上了。
  ……”
  新媳妇又短促地“啊”了一声。我强忍着眼泪,给那些担架员说了些话,打发他们走
了。我回转身看见新媳妇已轻轻移过一盏油灯,解开他的衣服,她刚才那种忸怩羞涩39已经完全消失,只是庄严而虔诚地40给他拭着身子,这位高大而又年轻的小通讯员无声地躺在那
里。……我猛然醒悟地41跳起身,磕磕绊绊地42跑去找医生,等我和医生拿了针药赶来,新媳妇正侧着身子坐在他旁边。
  她低着头,正一针一针地在缝他衣肩上那个破洞。医生听了听通讯员的心脏,默默地站起身说:“不用打针了。”我过去一摸,果然手都冰冷了。
  新媳妇却像什么也没看见,什么也没听到,依然拿着针,细细地、密密地缝着那个破
洞。我实在看不下去了,低声地说:“不要缝了。”她却对我异样地瞟了一眼43,低下头,还是一针一针地缝。我想拉开她,我想推开这沉重的氛围44,我想看见他坐起来,看见他羞涩的笑。但我无意中碰到了身边一个什么东西,伸手一摸,是他给我开的饭,两个干硬的馒头。……
  卫生员让人抬了一口棺材来45,动手揭掉他身上的被子,要把他放进棺材去。新媳妇这时脸发白,劈手夺过46被子,狠狠地瞪了他们一眼。自己动手把半条被子平展展地铺在棺材底,半条盖在他身上。卫生员为难地说:“被子……是借老百姓的。”
  “是我的——”她气汹汹地嚷了半句47,就扭过脸去。在月光下,我看见她眼里晶莹发
亮,我也看见那条枣红底色上洒满白色百合花的被子,这象征纯洁与感情的花,盖上了这位平常的、拖毛竹的青年人的脸。

 

01 笑眯眯  xiàomīmī  souriant    抿嘴  mǐnzuǐ  serrer les lèvres

02 屋檐  wūyán   avant-toit

03 涌起  yǒngqǐ  émerger, apparaître

04 照例  zhàolì   en règle générale

05 照明弹  zhàomíngdàn  bombe éclairante

06      zhǎn  soucoupe, coupelle – classificateur de 汽油灯qìyóudēng  lampe à huile, à pétrole

07 赤裸裸chìluǒluǒ  totalement nu, donc sans fard, sans voile

08 皎洁  jiǎojié  brillant, lumineux

09 慰劳  wèiláo  récompenser quelqu’un de ses services ou le réconforter par des présents

10 月饼  yuèbing  gâteaux de lune, gâteaux spéciaux préparés pour la fête de la mi-automne (中秋节), farcis ici de légumes secs (干菜).

Note : La fête de la mi-automne se fête le 15ème jour du huitième mois lunaire, vers la mi-septembre. Elle est placée, justement, sous le signe de la pleine lune, qui symbolise l’union, union familiale et, partant, nationale. Dans cette nouvelle, c’est évidemment emblématique à plus d’un titre.

11 一副香烛  yífù xiāngzhú  un lot de bâtons d’encens  一炷香yí zhù xiāng  un bâton d’encens (qui brûle)

     dié  petite assiette, petit plat

12 急切地盼  jíqiède pàn  attendre avidement, convoiter  焚尽 fénjìn  fini de brûler, consumé   

13 分摊  fēntān  partager  月亮娘娘yuèliang niángniáng  la déesse de la lune ou Chang’e (嫦娥)

14 月亮堂堂,敲锣买糖yuèliàng tángtáng, qiāoluó mǎitáng :

       亮堂堂  liàngtángtáng  vaste et brillant  敲锣 qiāoluó battre du tambour

15月亮嬷嬷,照你照我…  yuèliàng mómo,  zhào nǐ zhào wǒ..

     嬷嬷 autre forme de 妈妈 āā  mais prononcé ici mómo pour rimer avec

16 工事  gōngshì  fortifications, ouvrages de défense, tranchées  se coucher à plat ventre, se pencher

17 指挥所  zhǐhuīsuǒ  poste de commandement  交通沟jiāotōnggōu  tranchée de communication

18 信号弹  xìnhàodàn  bombe de signalisation

19 衣襟    yījīn  pans antérieurs d’un vêtement 重彩号  zhòngcǎihào = 受重伤的士兵 blessé grave

20 寒战  hànzhàn  trembler, frissonner de peur ou de froid

21 定下神  dìngxiàshén  se remettre, retrouver ses esprits

22        yíng  camp /bataillon

23 漏掉  lòudiào  omettre

24 鹿砦  lùzhài  abattis (entassement d’arbres abattus et de branchages qui font obstacle à l’ennemi)

25 占领  zhànlǐng  s’emparer de, occuper

26 巷战  xiàngzhàn  combat de rue

27 满身泥泞  mǎnshēn nínìng  couvert de boue

28 极度疲乏  jídù pífá  dans un état d’épuisement extrême  神色 shénsè air, apparence 

29 耽搁  dānge  rester, s’arrêter quelque part / être négligé

30      wèi  donner à manger, nourrir

31 稀落 xīluò  devenir plus rare, s’espacer

32 挂匾 guàbiǎn  ‘suspendre une bannière’, cad une bannière où sont inscrites des paroles de louange, de commémoration, etc..

33 短促  duǎncù  bref

34 拨开  bōkai  repousser sur le côté

35 稚气  zhìqì  d’enfant               棕红色  zōnghóng sè   couleur brun rouge

35 安详  ānxiáng  paisible, serein   合眼héyǎn  fermer les yeux / mourir

36 负罪  fùzuì   porter la responsabilité, s’accuser de

37 手榴弹  shǒuliúdàn  grenade       撂下  liàoxià  jeter à terre

38 冒烟   màoyān  fumer

39 忸怩羞涩  niǔní  xiūsè  timide et rougissant, affecté

40 庄严/虔诚   zhuāngyán / qiánchéng  solennnel /pieux, dévot

41 猛然    měngrán  soudain     醒悟xǐngwù réaliser, prendre conscience

42 磕磕绊绊地  kēkēbànbànde  en titubant, en trébuchant  

43 异样yìyàng  inhabituel, étrange   瞟一眼  piào yìyǎn  jeter un coup d’œil

44 沉重的氛围  chénzhòngde fēnwéi  atmosphère lourde

45 棺材  guāncɑi  cercueil 

46 劈手夺过  pīshǒu duóguò  arracher quelque chose des mains de quelqu’un

47 气汹汹  qìxiōngxiōng  furieux, bouillant de colère   rǎng  hurler

48 晶莹发亮  jīngyíng fāliàng  étinceler

 

1958年3月 

 Mars 1958

 


 

Traduction :

 

I

 

C’était en 1946, à la mi automne.

 

Ce jour-là, l’armée étant arrivée sur la côte, il fut décidé de lancer l’offensive générale le soir même. Nous, les membres du studio de création de l’équipe culturelle, le commandant  des forces d’attaque principale nous assigna diverses missions de soutien aux opérations.

 

Sans doute parce que j’étais une femme, il passa un long moment à se gratter la tête avant, finalement, de m’envoyer au poste sanitaire du front, escortée par un agent de liaison.

 

Le poste sanitaire, pourquoi pas ? De toute façon, on n’allait pas m’envoyer en sinécure. Je pris donc mon sac à dos et suivit l’estafette.

 

Il avait plu, ce matin-là, et bien que le temps se fût éclairci, le route était encore très glissante ; elle était bordée des deux côtés de champs prêts à être moissonnés qui, délavés par les trombes d’eau, avaient pris une couleur d’un bleu vert pâle, étincelant. L’air avait une fraîche senteur d’humidité.

N’eussent été les tirs sporadiques de l’ennemi, j’aurais vraiment pu croire que nous allions au marché.

L’estafette me précédait en marchant à grands pas, à quelques mètres de distance dès le début. J’avais les pieds trempés, et, comme la route glissait, malgré tous mes efforts, je n’arrivais pas à le rattraper. Je pensai lui crier de m’attendre un peu, mais j’eus peur de le voir se moquer de moi en pensant que j’étais lâche et effrayée ; je ne dis donc rien, car j’avais peur, en fait, de ne pas arriver à trouver le poste sanitaire sans lui. Je sentais la colère monter en moi.

 

Ah ! C’étais vraiment étrange. Comme s’il avait des yeux derrière la tête, il s’arrêta comme un automate au bord de la route. Mais toujours sans tourner la tête vers moi. Sans me jeter le moindre regard. Et au moment où, m’étant hâtée de mon mieux, j’allais arriver près de lui, il se remit en marche, dang dang dang, pour reprendre ses quelques mètres de distance. Je n’avais vraiment pas la force de le rattraper, autant rester derrière à avancer péniblement. Cette fois-ci, cependant, il ne me laissa pas trop loin en arrière, sans toutefois me permettre de m’approcher trop de lui, gardant toujours une certaine distance. Si je marchais plus vite, je le voyais devant moi allonger le pas, si je ralentissais, il traînait les pieds. Le plus étrange, c’est qu’il ne tournait jamais la tête pour me regarder ; je ne pus m’empêcher d’être intriguée par son attitude.

 

A l’armée, je ne l’avais pas remarqué, et maintenant, vu de dos, il me parut grand et plutôt mince, mais ses épaules solides dénotaient un jeune garçon bien bâti ; il portait un uniforme beige délavé, et des bandes molletières jusqu’aux genoux.  Il avait en bandoulière un fusil dans le canon duquel il avait fourré quelques branches, en guise de camouflage, et non point par souci décoratif.

 

Sans même parvenir à le rattraper, j’avais les pieds enflés qui me brûlaient. Je lui demandai de faire halte un moment, et m’assis sur une pierre qui marquait la limite d’un champ. Il fit de même, mais très loin de moi, et posa son fusil en travers sur ses jambes, en me tournant le dos comme si je n’existais pas. Je savais pertinemment, pour en avoir déjà fait l’expérience, qu’il agissait ainsi parce que j’étais une collègue femme. Quand une femme arrivait dans un régiment, elle avait toujours ce genre de problème. Poussée par la colère et l’envie de ne pas me laisser faire, je m’approchai et allai m’asseoir en face de lui. Je vis alors qu’il avait le visage poupin d’un enfant, il devait avoir dix-huit ans, pas plus. En me voyant m’asseoir tout près de lui, il devint aussitôt très nerveux, on aurait dit qu’il y avait une bombe à retardement enterrée à ses pieds ; dans sa gêne, il ne savait pas s’il devait baisser la tête ou la lever, et il n’osait pas non plus se remettre debout. Je fis de mon mieux pour ne pas rire, et lui demandai tranquillement d’où il était. Rougissant jusqu’aux oreilles, il ne me répondit pas, et ce n’est qu’au bout d’un moment qu’il me dit qu’il était du mont Tianmu (voc. 29). On était donc du même coin !

« Qu’est-ce que tu faisais, là-bas ? »

 

« J’aidais à transporter les coupes de bambou géant. »

J’observai ses larges épaules, et j’eus soudain la vision d’une mer de bambous, comme une étendue de brouillard vert, au milieu de laquelle montaient en serpentant les marches de pierre d’un étroit sentier. Un jeune garçon aux larges épaules revêtues d’un vieux morceau de tissu bleu avançait en tirant derrière lui des branches de bambou géant dont le bout traînait par terre et bruissait en frottant sur les marches de pierre. …… Je connaissais bien cela, c’était la vie de chez moi ! Je ressentis aussitôt un sentiment d’autant plus affectueux envers ce jeune pays.

 

Je lui demandai encore : « Quel âge as-tu ? »

« Dix-neuf ans. »

« Quand es-tu devenu révolutionnaire ? »

« Il y a un an. »

« Et comment cela ? »  J’avais l’impression non pas de bavarder avec lui, mais de lui faire subir un interrogatoire. C’était pourtant plus fort que moi.

« Quand l’armée s’est repliée vers le nord, j’ai suivi. »

« Et chez toi, vous êtes combien ? »

« A la maison, il y a ma mère, mon père, mon petit frère et ma petite sœur, et aussi une sœur de mon père. »

« Et toi, tu n’es pas encore marié ? »

 

« …… » Il devint écarlate, encore plus embarrassé, triturant sans cesse des deux mains la boucle de son ceinturon de cuir. Il baissa simplement la tête au bout d’un moment, eut un rire niais et secoua la tête. J’avais encore envie de lui demander s’il n’avait pas une petite amie, mais, en voyant sa tête, je ravalai ma question.

 

Nous restâmes ainsi, tous les deux, assis en silence un moment, puis il leva les yeux au ciel et me jeta un coup d’œil, je compris qu’il voulait qu’on y aille.

Lorsque je me levai pour me remettre en route, je remarquai qu’il enlevait sa casquette pour s’éponger furtivement avec un mouchoir. Ce n’est pas en marchant qu’il avait transpiré, moi je n’avais pas une goutte de sueur ; c’est d’avoir à parler avec moi qui l’avait fait transpirer de la sorte.


II

 

Lorsque nous sommes arrivés au poste sanitaire, il était déjà deux heures de l’après-midi. De là au front, il y avait environ un kilomètre et demi ; le poste occupait une petite école, constituée de six salles de tailles différentes disposées en rectangle sur trois côtés autour d’une cour, laquelle était envahie d’herbes folles car l’école était fermée depuis longtemps. A notre arrivée, il y avait déjà quelques infirmiers qui rangeaient de la gaze et du coton, et par terre, un peu partout, en guise de lits pour les blessés, étaient installés des battants de porte posés sur des tas de briques.

 

Peu de temps après arriva un cadre du canton, les yeux rouges, enflammés, qu’il cherchait à protéger de la lumière avec un morceau de carton placé très bas devant le front, coincé sous le rebord abîmé de son chapeau de feutre. Il arrivait en pantelant, un fusil en bandoulière sur une épaule, un fléau de balance romaine accroché à l’autre, tenant au bras gauche un panier d’œufs et de la main droite une grande poêle. Toujours haletant, il posa toutes ses affaires en s’excusant et grommelant, buvant un peu d’eau et, en même temps, sortant de sa poche une boulette de riz qu’il se mit à mastiquer. Comme je le regardais faire tout cela à toute vitesse, il dit quelque chose que je ne compris pas très bien. Il était question de couvertures, il voulait, semble-t-il, qu’on aille en emprunter. Je demandai des précisions à un infirmier qui m’expliqua que l’armée n’avait pas encore envoyé de couvertures, mais que, comme les blessés perdaient du sang, ils craignaient beaucoup le froid, et il fallait donc aller demander aux villageois de prêter des couvertures, ou au moins du rembourrage de couette. Craignant surtout de ne rien avoir à faire, je me portai volontaire pour cette mission, et, comme je craignais de mettre trop longtemps toute seule, je demandai à mon jeune pays de m’accompagner pour m’aider à mobiliser quelques familles. Après avoir un peu hésité, il vint avec moi.

 

Nous allâmes d’abord au village le plus proche ; arrivés là, il partit d’un côté et moi de l’autre, pour agir séparément. En peu de temps, j’avais déjà rempli trois reçus, deux pour de la bourre de couette, un pour une couverture, j’avais les mains pleines, et j’étais extrêmement contente ; je m’apprêtais à rapporter au poste ce qu’on m’avait prêté lorsque je vis mon estafette qui venait à mon encontre les mains vides. 
« Et alors, on ne t’a rien prêté ? » lui demandai-je étonnée, car je pensais que les gens locaux avaient une haute conscience révolutionnaire et qu’ils étaient très ouverts, comment se pouvait-il que personne ne lui ait rien prêté ?


« Camarade, va donc leur demander ! … Ces gens ont une mentalité féodale…… »
« Où est-ce ? Emmène-moi. » J’étais convaincue qu’il n’avait pas dit ce qu’il fallait, et que son échec venait de là. Ne pas réussir à se faire prêter des couvertures, ce n’était pas très grave, en revanche froisser les gens pouvait se révéler désastreux. Mais, quand je lui demandai de m’emmener voir la famille, il baissa la tête d’un air entêté, comme cloué sur place, sans vouloir bouger ; m’approchant, je lui tins à voix basse le genre de discours qui a de l’effet auprès des masses, et, effectivement, il se détendit et m’emmena.

 

En entrant dans la cour de la maison, je constatai que tout était calme dans les pièces principales ; à la porte de l’une d’elles était suspendue une tenture de tissu bleu surmontée d’un panneau rouge, et des deux côtés étaient collées des sentences parallèles rouge vif.

 

La seule possibilité était d’appeler de l’extérieur « holà, quelqu’un ! » ; au bout de quelques cris, personne n’avait répondu, mais j’entendis du bruit. Au bout d’un moment, le rideau se souleva, et apparut une jeune femme. Elle était belle, l’arête du nez très haute, les sourcils bien arqués, une frange bouffante sur le front et les cheveux roulés en un chignon souple. Quant aux vêtements qu’elle portait, ils étaient, il est vrai, d’un tissu grossier, mais neufs. Je me lançai dans de longues excuses, disant que le jeune camarade qu’elle venait de voir avait peut-être été maladroit, qu’elle ne devait pas s’en offenser, etc, etc… Elle m’écoutait la tête tournée vers l’intérieur, un sourire figé sur les lèvres. Lorsque j’eus terminé, elle ne dit rien, la tête baissée et les lèvres serrées, comme si elle avait une envie irrépressible de rire dont elle n’arrivait pas à se libérer. J’étais terriblement embarrassée, je ne savais pas comment lui dire la suite ! L’estafette se tenait sur le côté, me regardant sans ciller, comme s’il regardait le commandant de la compagnie faire une démonstration. Je n’avais pas le choix, je pris mon courage à deux mains et, d’un air piteux, lui demandai la couverture, en ajoutant que c’était pour l’armée du Parti qui se battait pour défendre la cause du peuple. Cette fois, elle cessa de sourire, mais continua de lorgner vers l’intérieur de la pièce tout en m’écoutant. Quand j’eus fini de parler, elle me regarda, regarda l’estafette, comme pesant le poids de mes paroles. Puis elle tourna les talons et s’en fut chercher la couverture.

 

L’estafette en profita pour me lancer d’un air toujours aussi peu convaincu : « Je viens de lui dire exactement la même chose, mais elle ne m’a pas prêté la couverture pour autant, vous allez voir ! ……. »

 

Je lui lançai un regard noir pour l’empêcher de continuer car, juste à ce moment-là, la jeune femme ressortit, avec la couverture. Dès que je la vis, je compris pourquoi elle n’avait pas consenti à la prêter. C’était une couverture flambant neuve,  en satin d’imitation étrangère, décorée de motifs de lis blancs sur un fond rouge sombre.


Ce n’était pas sans raison qu’elle s’était opposée à l’estafette, mais elle me dit en me remettant la couverture : « Emportez-là. »


J’avais déjà les mains pleines, je fis donc un signe à l’estafette pour qu’il la prenne. Mais il ne semblait pas vouloir lever la tête et me regarder. J’allais l’appeler lorsqu’il s’avança l’air renfrogné, les yeux baissés, saisit la couverture, tourna nerveusement les talons et s’en fut. Mais il n’était pas encore sorti de la cour que l’on entendit un bruit sec, il s’était pris le haut de la manche dans le crochet de la porte, et un bon bout de tissu pendait à l’endroit déchiré. Tout en riant, la jeune femme courut chercher du fil et une aiguille pour lui recoudre l’accroc. Mais l’estafette refusa avec hauteur et partit, la couverture sous le bras.

 

A quelques pas de là, nous apprîmes que la jeune femme venait juste de se marier, trois jours auparavant, et la couverture était son seul trousseau. En entendant cela, je fus désolée ; l’estafette, quant à lui, fronça les sourcils, regardant en silence la couverture qu’il avait dans les bras. J’étais sûre que cela allait susciter chez lui un sentiment de compassion. Effectivement, tout en marchant, il marmonna :

« Nous ne connaissions pas la situation, mais emprunter la couverture de jeunes mariés, ce n’est pas convenable !....... » Je fus sur le point de répondre par une plaisanterie, mais je pris à dessein un air sévère : « Tout à fait ! Peut-être que, avant de se marier, elle a trimé du matin au soir, jusque tard dans la nuit, pour réussir à mettre de côté l’argent qu’il lui fallait pour se payer cette couverture à fleurs, peut-être même s’est-elle privé de sommeil. Et pourtant, je connais des gens qui l’ont accusée

d’avoir une horrible mentalité féodale…… »

 

Sur ces paroles, il s’arrêta brusquement, resta figé un moment, puis me dit : « Bon ! … On va aller la lui rendre ! »

 

« Ce qui est prêté est prêté, si on lui rend sa couverture, on va l’embarrasser. » A voir son air ingénu et affligé, je le trouvai drôle, mais aussi attendrissant. Je ne sais trop comment, je ressentais une profonde affection pour ce jeune idiot qui venait du même patelin que moi.


Mon raisonnement lui sembla juste, il réfléchit un instant puis me dit d’un air décidé : « D’accord, tant pis. Mais, quand on l’aura utilisée, on la lui lavera bien. » Sur quoi il me prit toutes les couvertures que je portais, en mit la moitié sur une épaule, l’autre moitié sur l’autre épaule, et partit à grands pas.


De retour au poste sanitaire, je le renvoyai à son régiment. Il me salua avec une soudaine animation puis s’en alla. Il n’avait pas fait trois pas qu’il s’arrêta, comme s’il pensait soudain à quelque chose ; il fouilla dans son sac et en sortit deux petits pains qu’il me montra, et posa sur une pierre au bord de la route en me disant : « C’est pour votre repas. » Sur quoi il partit sans plus attendre. J’allai chercher ces deux petits pains tout secs, et vis que, dans le canon de son fusil, je ne sais quand, il avait glissé au milieu des branches des fleurs de chrysanthèmes sauvages qui frémissaient près de son oreille au rythme de ses pas.


Il était déjà loin, mais je pouvais encore voir le bout de tissu déchiré, sur le haut du bras, qui flottait au vent. Je me pris à regretter de ne pas le lui avoir recousu avant qu’il parte. Maintenant, il allait rester au moins toute la soirée l’épaule à l’air.

 

III

 

Il n’y avait pas beaucoup de personnel, au poste sanitaire, alors le cadre du canton avait mobilisé quelques femmes comme aides d’appoint, pour s’occuper de l’eau, du feu, ce genre de chose. Parmi elles était venue la jeune nouvelle mariée ; elle était arrivée avec son air souriant, lèvres pincées, et m’avait lancé un regard en coin, mais elle ne cessait de regarder à droite et à gauche comme si elle cherchait quelque chose, et finit par me demander : « Le jeune camarade de l’autre jour, il est parti où ? » Je lui expliquai qu’il n’était plus là : à l’heure qu’il était, il devait être au front. Elle eut un petit rire gêné et me dit : « Quand il est venu me demander la couverture, je me suis un peu fâchée contre lui. » Sur quoi, avec son même sourire, lèvres serrées, elle se mit à ranger la dizaine de couvertures et de couettes qu’on nous avait prêtées sur les battants de portes et les tables (deux bureaux de l’école assemblés faisant un lit). Je la vis disposer sa couverture neuve aux lis blancs sur un battant de porte installé à l’extérieur, sous l’avant du toit.

 

La nuit tombait, à l’horizon apparut la pleine lune. L’offensive générale n’avait pas encore commencé. En règle générale, l’ennemi n’aime pas le crépuscule ; il avait allumé des feux un peu partout, les déflagrations de ses tirs en aveugle retentissaient sporadiquement et il tirait des bombes éclairantes

l’une après l’autre : à la lueur de la lune, on aurait dit qu’étaient soudain allumées d’innombrables petites lampes à huile qui ne laissaient pas le  moindre endroit au sol dans l’obscurité. C’est dans cette « nuit blanche » qu’allait avoir lieu l’offensive ; cela allait être d’autant plus difficile, et le prix à payer d’autant plus lourd !

 

Je me mis à détester même la brillante clarté de la pleine lune.

 

Le cadre du canton revint partager avec nous quelques gâteaux de lune aux légumes secs apportés de chez lui. Après tout, c’était la fête de la mi-automne (voir voc. 10).

 

Ah, la fête de la mi-automne, chez moi, au village, les gens mettent devant chaque maison une petite table à thé, avec dessus des bâtons d’encens et des petites assiettes pleines de gâteaux de lune aux fruits. Les enfants attendent impatiemment que se soient totalement consumés les bâtons d’encens pour se partager ce qui a été offert à la déesse de la lune, alors ils se mettent à danser à côté des tables en chantant : « La lune brille, frappons les gongs, achetons des bonbons…. » - « Lune ma mère, envoie-moi ta lumière…. » Ces souvenirs me firent penser à mon jeune pays, ce jeune garçon qui traînait les branches de bambou géant, peut-être que lui aussi, quelques années auparavant, avait entonné ces chansons !


…. Je savourai une bouchée de gâteau de lune fait maison, pensant que lui était probablement, au même moment, courbé dans une tranchée, peut-être au poste de commandement, ou encore en train de courir dans une de ces tranchées de communication qui partent en zigzag ! ……

 

A un moment retentit le grondement de nos canons, le ciel s’éclaira de fusées rouges de signalisation,

l’offensive avait débuté. Peu de temps après commencèrent à arriver les blessés, nous fûmes aussitôt très occupés.

 

Je pris un petit carnet pour noter les noms et adresses des blessés ; pour les blessés légers, il suffisait de demander, pour les autres, il fallait chercher leurs papiers. Alors que j’étais en train de passer en revue les papiers de l’un d’eux, je tombai sur les deux mots « agent de liaison », et cela me donna instantanément des sueurs froides, je sentis mon cœur bondir. Mais, en reprenant mes esprits, je vis

qu’était inscrit le nom d’un autre bataillon. Ah ! Ce n’était donc pas lui. Mais, étrangement, il me vint à

l’idée de demander si des blessés ne pouvaient pas rester sur le champ de bataille sans qu’on s’en rende compte, ou encore ce que faisaient les estafettes, outre transmettre les missives ——  sans vraiment savoir pourquoi je voulais poser toutes ces questions sans intérêt.

 

Quelques dizaines de minutes après le début des combats, tout allait bien, les blessés apportaient de bonnes nouvelles : que nous avions fait une brèche dans la première ligne d’abattis, puis dans la deuxième ligne de fils de fer, que les fortifications de l’ennemi étaient tombées et que le combat se poursuivait dans les rues. A ce point là, cependant, les nouvelles cessèrent brusquement, les blessés qui arrivèrent ensuite répondaient simplement : « Les combats continuent » ou « on se bat dans les rues ». 
Mais, à les voir arrivés couverts de boue, dans un état d’extrême épuisement, sur des brancards qui semblaient avoir juste été extraits de la fange, tout le monde devinait quel combat était en train de se poursuivre là bas.

 

Au poste sanitaire, les brancards ne suffisaient pas, bon nombre de blessés graves ne pouvaient être envoyés tout de suite aux hôpitaux de l’arrière, et devaient attendre là.

 

Je ne pouvais soulager leurs souffrances, juste, avec quelques autres femmes, leur laver le visage et les mains, et leur donner un peu à manger ; ceux qui avaient un sac à dos, on pouvait les changer, leur enfiler des vêtements propres et en profiter pour laver un peu la boue et les traces de sang qu’ils avaient sur le corps.  


Moi, cela ne me posait aucun problème, mais cela faisait honte aux femmes et les effrayait, elle ne voulaient pas le faire, alors elles se précipitaient pour aller s’occuper du poêle, la jeune nouvelle mariée en particulier.

 

Après que je lui eus parlé longuement, elle rougit et acquiesça. Mais elle accepta seulement de m’aider.

 

Le bruit des tirs, à l’avant, s’espaça. On avait l’impression qu’il allait bientôt faire jour, mais, en réalité, ce n’était encore que le milieu de la nuit.

 

La lune était très brillante, et elle était bien plus haut que d’habitude. Il nous arriva encore un blessé du front. Comme il n’y avait plus de place à l’intérieur, on l’installa sur le battant de porte sous l’avant-toit. Le brancardier qui l’avait emmené refusa de repartir après l’avoir hissé dessus, et resta à côté. C’était un brancardier d’âge mûr, et, me prenant sans doute pour un médecin, m’attrapa par le bras et me dit : « Docteur, il faut absolument faire tout votre possible pour sauver ce camarade ! Si vous le sauvez, je…  toute l’équipe, nous vous offrirons une bannière votive en remerciement………» Tandis qu’il me parlait, je remarquai d’autres brancardiers qui me fixaient eux aussi, comme s’ils attendaient que je hoche la tête et leur dise que le blessé allait guérir. J’allais leur donner quelques explications lorsque je vis la jeune mariée s’approcher du lit en apportant de l’eau et proférer un « ah ! » très bref. J’écartai les gens autour de moi pour aller voir et découvris un visage poupin, très jeune, au teint normalement brun ocre, mais maintenant d’un jaune grisâtre, les yeux fermés,  l’air paisible. A l’épaule de son uniforme, il y avait toujours ce gros accroc d’où pendait un bout de tissu.


« C’est pour nous sauver… » dit le brancardier d’un ton auto-accusateur, « nous étions plus d’une dizaine de brancardiers dans une petite ruelle, qui nous préparions à avancer, ce camarade derrière nous, lorsque je ne sais quel chien de réactionnaire japonais nous a lancé une grenade d’un toit ; elle est tombée au milieu de nous en fumant et tournant sur elle-même, alors le camarade nous a crié de vite nous coucher et il s’est jeté dessus. …… »

 

La jeune femme fit un autre « ah » très bref. Moi, j’avais du mal à retenir mes larmes ; je renvoyai les brancardiers après leur avoir dit quelques mots. Me retournant alors, je vis que la jeune femme avait tout doucement approché la lampe à huile et écarté ses vêtements ; son sentiment de gêne et de honte avait totalement disparu, elle lavait avec solennité et dévotion le jeune soldat, très grand, qui gisait là sans le moindre bruit. …… Reprenant brusquement mes esprits, je me levai d’un bond pour courir, en trébuchant, chercher un médecin. En attendant que je revienne avec lui, et de quoi faire des piqûres, la jeune femme s’était assise à côté du blessé. La tête baissée, elle était occupée à lui recoudre, point par point, l’accroc qu’il avait à l’épaule. Le médecin écouta son cœur, se releva doucement et dit : « Ce n’est pas la peine de lui faire une piqûre. » M’étant approchée pour lui toucher les mains, je m’aperçus qu’elles étaient effectivement glacées.
 

La jeune épouse, cependant, semblait n’avoir rien remarqué, ni rien entendu, et continuait de coudre la déchirure de la manche, à petits points serrés. Sans plus la regarder, je lui dis à voix basse : « Ce n’est pas la peine de continuer. » Elle me jeta cependant un regard étrange, baissa à nouveau la tête et se remit à coudre. J’avais envie de l’écarter, envie de dissiper cette atmosphère pesante, envie de le voir s’asseoir et sourire d’un air confus. Mais je heurtai alors par inadvertance quelque chose qui était dans l’une de mes poches ; tendant la main pour toucher ce que c’était, je réalisai qu’il s’agissait des petits pains qu’il m’avait donnés, ces deux petits pains tout secs….


Les infirmiers firent apporter un cercueil, et firent un geste pour enlever la couverture avant de mettre le corps dedans. La jeune femme blêmit alors, et leur arracha la couverture des mains, en les regardant d’un air féroce. Elle posa ensuite une moitié de la couverture bien à plat dans le fond du cercueil, et couvrit le corps de l’autre moitié. Un infirmier lui dit d’un air embarrassé : « Cette couverture… c’est quelqu’un qui nous l’a prêtée. »

 

« C’est la mienne—— » hurla-t-elle comme une furie, puis tourna la tête et s’en fut. Sous la clarté de la lune, je vis ses yeux étinceler comme du cristal et restai à contempler la couverture aux lis blancs sur fond rouge sombre, fleurs symboles de pureté des sentiments qui couvraient maintenant le visage de ce jeune garçon tout simple, que j’imaginais traînant des branches de bambou géant.

 


 

 



 

 

 

     

 

 

 

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