Voyage en Chine, été 2024 :
découvertes, rencontres, réflexions.
par Brigitte
Duzan, 31 août 2024
I. Tourisme et opéra
II.
Rencontres
III. Synthèse
II.
Rencontres
Le voyage n’a
pris tout son sens que grâce aux rencontres qui l’ont émaillé –
au-delà de la beauté des paysages, de l’intérêt des villes et de
leurs musées. Et cela a commencé par la découverte du Ningxia
sous la conduite de Liao Yirong et de ses deux amis jurés.
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Les
trois mousquetaires de Yinchuan
Liao Yirong (了一容)
est écrivain, et ami de Sheng Keyi. Il nous a accueillies avec
des fleurs à notre arrivée à Yinchuan et, avec son ami le
peintre Ma Feiyun (马飞云),
nous a pilotées dans les rues de la ville en nous faisant
découvrir la mosquée et le quartier hui. Puis il a quitté
la ville : nous nous sommes retrouvées dans un paysage
verdoyant, inattendu, sur une route bordée de champs de fleurs
bleues et de vignobles dont le vin est maintenant réputé. La
voiture a pris un petit chemin de traverse, bordé de murs de
pisé surmontés de chaume, et s’est arrêté devant une porte…
… donnant sur
un jardin : tout un monde secret de fleurs luxuriantes comme la
Source aux fleurs de pêchers, avec au fond un écran et une
stèle, et sur le côté un petit pavillon où s’asseoir, lire et
discuter dans la paix la plus totale. C’est alors que, pour
compléter la surprise, a fait son apparition, tout sourire, le
troisième luron du trio : le calligraphe Wang Yongchun (王永春),
nom de plume Long Zhaohe (龙照和).
Liao Yirong a
acheté le jardin il y a une vingtaine d’années, à côté de celui
de son ami qui en a fait comme une retraite d’artiste ; les deux
jardins sont irrigués par l’eau d’un puits souterrain. Ils font
figure de dizhu (地主)
dans ce cadre : les nouveaux propriétaires de la Chine moderne,
ou plutôt les nouveaux lettrés, riches de toute une culture qui
prospère derrière les murs du jardin, irriguée comme les fleurs
par l’eau du puits venue du fond des temps. La nuit tombe vite.
La soirée se termine dans un petit restaurant local de fondue où
nous sommes les derniers convives. Dehors, la rue est noire
comme dans un four.
- Le
lendemain, départ matinal avec le trio pour la visite du site de
gravures rupestres de Helanshan (贺兰山岩画),
avec un clin d’œil au passage aux deux pagodes de Baisikou (拜寺口双塔)
qui datent de la fin de la dynastie des Xixia, cette dynastie
qui a résisté aux Song mais disparu, vaincue par les Mongols, en
1227.
À Helanshan
comme partout, il faut laisser la voiture et terminer en prenant
une navette, ce qui permet de canaliser les foules. Et le
parcours est suffisamment long pour décourager quiconque d’y
aller à pied, surtout dans la chaleur de cette fin de juillet,
dès le matin. On sent le souffle du désert. Il vaut mieux
réserver ses forces pour les pétroglyphes, sur un autre chemin
balisé, car ils demandent une certaine concentration pour les
voir, avant même de pouvoir les déchiffrer : une pastille rouge
attire le regard. On apprécie les inscriptions du temps des
Ming, autant que les illustrations de la vie quotidienne des
nomades d’antan et la célèbre
divinité du soleil
avec son énigmatique regard halluciné.
La journée,
cependant, apportera elle aussi sa surprise. Alors que nous
prenions le chemin du retour, un papillon brun est venu
virevolter longuement autour de moi. Il avait l’air familier,
comme venu d’une vie antérieure : j’ai fini par tendre le bras
et il s’est posé près de mon épaule. Il est resté là longtemps,
ailes repliées, à frotter légèrement ses antennes sur ma peau,
sans que j’ose bouger, pétrifiée moi aussi.
Inutile de
dire que cela a frappé les esprits. Long Zhaohe en a illico fait
un poème, dûment calligraphié….
Cela a éclipsé
la visite suivante des tombes impériales des Xixia (Xixia
wangling
西夏王陵),
outre le fait que la chaleur infernale décourageait toute longue
incursion pedibus sur le site. La civilisation des Xixia est
pourtant l’une des découvertes les plus intéressantes du voyage,
et tout particulièrement leur nécropole en plein désert .
Le soir, il a
longuement été question du papillon au dîner. Mais la
conversation s’est vite orientée vers les témoignages de chacun,
selon un schéma qui s’est renouvelé à chaque étape du voyage :
derrière les apparences lisses et conviviales finissait toujours
par émerger une histoire plus ou moins douloureuse, comme reflet
de la vie sans effets superflus, la réalité amère de la vie dans
un pays qui éteint les talents et brise les personnalités hors
cadre, en laissant une traînée de frustrations dans son sillage.
Liao Yirong a
été éleveur et dompteur de chevaux (mumaren
牧马人)
dans le Xinjiang et en a gardé des cicatrices sur tout le corps.
Il écrit comme il respire, des histoires qui ressemblent à sa
vie, pleine de bruit et de fureur.
Il a un fort
accent local et j’ai du mal à le comprendre, ce qui est
réciproque. Les autres traduisent, avec leur propre accent, ce
qui donne des discussions croisées assez drôles parfois, en
particulier quand il évoque ses relations tendues, assez
typiques, avec son supérieur hiérarchique, à l’association des
écrivains.
Les deux
autres sont frustrés de ne pas pouvoir se faire connaître
au-delà de leur cercle provincial, ou très peu. Pourtant, autant
les peintures de l’un que les calligraphies de l’autre valent
leur pesant d’or. Les tableaux de Ma Feiyun, en particulier,
sont étonnants, autant par leurs couleurs que leur force
graphique, dans une sorte de pos-pointillisme. Ils sont sans
doute trop originaux pour entrer dans les cadres officiels de la
Chine actuelle. Ils seraient plus appréciés chez un galeriste
parisien… à condition de pouvoir briser la « Grande Muraille »…
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Dans l’attente du nouveau train |
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La
vie en rouge (la récolte des baies de gojii
枸杞) |
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Je les ai
baptisés « Les trois mousquetaires du Ningxia » (宁夏三个火枪手)
et ils m’ont en retour gratifiée du glorieux surnom
de « Reine-mère du papillon » (Hudié wangmu
蝴蝶王母).
Liao Yirong va écrire une nouvelle que les deux autres
illustreront.
Dîner
mémorable concluant deux journées riches en découvertes qui
plaçaient dès l’abord le voyage sous les meilleurs auspices. Le
lendemain matin : départ en train pour Lanzhou et le Gansu.
o
Lanzhou, Zhangye : babaocha et autres gourmandises et
curiosités
Les deux jours
à Lanzhou ont été marqués par la visite du musée provincial et
celle du musée des « lamelles de bambou » (voir
Notes I),
mais également par deux dîners mémorables : c’est autour d’une
bonne table que les langues se délient le mieux. Le premier
soir, nous étions cinq, en compagnie d’un professeur
d’université proche de la retraite, d’une de ses anciennes
élèves aujourd’hui lancée avec succès dans la vie
professionnelle et de sa sœur, doctorante en fin d’études.
Dîner dans une
salle privée à la décoration raffinée qui a commencé par un
délicieux « thé aux huit trésors » (babaocha
八宝茶),
dont fleurs de chrysanthèmes et de roses, jujubes, baies de goji
et tranches de mandarines séchées, infusion légèrement sucrée au
sucre candy et servie dans une tasse fermée pour mieux en
préserver l’arôme (gaiwan cha
盖碗茶).
Pour le reste, assortiment de plats divers, dont des légumes du
désert qui poussent dans le sable (shā
cōng
沙葱),
dressés sur une assiette comme un mausolée des Xixia.
Le professeur
en vient à raconter sa vie, qu’on écoute bouche bée dans ce
décor, en se disant qu’elle vaudrait une autobiographie, mais
qu’elle serait totalement impossible aujourd’hui… Et puis il
finit par demander soudain : avez-vous entendu parler de
Jiabiangou (夹边沟) ?
C’est moi qui
suis la plus étonnée : oui, non seulement nous en avons entendu
parler, mais nous avons même deux longs documentaires sur le
sujet : l’un de
Wang Bing
– « Les âmes mortes » (《死灵魂》)
-
une série
d’interviews de survivants du camp, l’autre de
Ai Xiaoming (艾晓明)
achevé en 2017 – « Jiabiangou
Elegy » (《夹边沟祭事》)
- préservé dans le
Chinese Independent Film Archive.
Mais
vous, comment en avez-vous entendu parler ? Et comment
pouvez-vous en parler ?
Il ne connaît
pas Wang Bing, mais il connaît l’histoire du camp, où sont morts
des proches, et des milliers d’autres. Il dit : on ne peut pas
écrire, mais on peut parler… Ses étudiants savent. L’histoire
est vivante. Transmise de bouche à oreille, comme une mission.
Mais c’est un choix et un risque, qui valent le respect.
Le plus
étonnant encore est qu’un autre personnage va aussi,
spontanément, me parler de Jiabiangou, un chauffeur avec lequel
nous allons déjeuner quelques jours plus tard : il est chauffeur
pour compléter ses fins de mois, mais il est en fait éleveur de
moutons et sa ferme est à deux pas de Jiabiangou. Il dit en
s’excusant : moi je n’ai pas de culture, mais en fait, il suit
des cours du soir d’anglais, et il connaît son histoire locale,
y compris celle occultée par le pouvoir. C’est ainsi que
l’histoire vit, en dehors des manuels et du discours officiel.
Oralement.
Le lendemain,
dans un taxi, on me fait remarquer des écrans : ils diffusent
des images prises par les caméras de surveillance dans les lieux
publics ; ce sont des gens qui ont commis des infractions ou des
larcins et qui sont ainsi dénoncés et jetés en pâture à la
vindicte publique. Cela rappelle les dazibao de la
Révolution culturelle ainsi que le film de
Chen Kaige
« Caught
in the Web » (《搜索》)
et cela donne un peu la chair de poule. Mais la conductrice y
est très favorable, comme apparemment la majorité des Chinois :
la délinquance a diminué à Lanzhou, y compris le trafic de
drogue. La sécurité est une préoccupation essentielle dans la
population. Du coup tous les contrôles auxquels on est soumis
constamment, ne serait-ce qu’à l’entrée de toutes les stations
de métro ou des gares, ne semblent gêner personne, au
contraire : ils donnent le sentiment de sécurité que tout le
monde recherche et apprécie.
Il est vrai
qu’on finit par s’y habituer et que le système a ses bons côtés.
J’ai oublié mon téléphone sur un banc dans la rue à Pékin : un
agent du nettoyage l’a trouvé et j’ai ainsi pu le récupérer sans
problème. Grâces lui soient rendues, comme dit le dicton : quand
on a bu l’eau, il ne faut pas oublier celui qui a creusé le
puits (chi shui bu wang wa jing ren
吃水不忘挖井人).
Et je préfère remercier l’homme plutôt que le système de
surveillance qui, dit-on, agit comme élément dissuasif.
o
Le
Hunan et Sheng Keyi
-
Yiyang et les souvenirs du « village »
Retrouver
Sheng Keyi (盛可以)
dans son village natal à Yiyang (益阳)
a la saveur douce des
pastèques volées de son enfance :
une plongée vers le passé dans un présent qui n’en garde que peu
de traces. Yiyang est aujourd’hui une grand ville comme une
autre ; il faut suivre la rivière Lanxi en voiture, sur un
chemin défoncé, avant d’arriver devant la maison neuve qu’elle a
fait construire pour sa mère sur le site de l’ancienne, rasée
parce qu’elle prenait l’eau de tous côtés à la première pluie .
La maison est
finie depuis peu, c’est elle qui l’a dessinée et en a supervisé
la construction, elle en a raconté les péripéties dans un récit
légèrement fictionnalisé publié quelques semaines auparavant,
aux Éditions des écrivains : « Éthique de l’architecture (《建筑伦理学》).
Ce n’est pourtant pas le récit tout rose de la Chine moderne que
demande l’autorité suprême, et tout particulièrement de la Chine
rurale – l’exemple-type étant le « Baoshui » (《宝水》)
de
Qiao Ye (乔叶)
couronné du
prix Mao Dun en 2023.
Sheng Keyi dit en particulier sa frustration de n’avoir pu faire
établir un acte de propriété en son nom alors qu’elle a payé la
maison de ses propres deniers : l’acte de propriété est établi
au nom de sa mère et de son frère aîné, elle n’est qu’une fille,
et qui plus est partie vivre ailleurs… Sa mère continue à ne
vivre que pour son fils. Il est entendu qu’elle doit léguer la
maison à sa fille à sa mort, mais le fils restera
copropriétaire.
Ce récit est
l’un des trois derniers titres publiés par Sheng Keyi en cet été
2024, deux en Chine et un à Taiwan selon les informations de son
agent Pierre Astier. Lancé à Canton à la mi-août, le recueil de
nouvelles « La femme-chat » (《女猫》)
a déjà une bonne presse en Chine.
Mais à Yiyang,
l’impératrice est nue. La maison est celle de sa mère, même si
les murs sont décorés de ses tableaux, même si le jardin a
toujours les courges géantes de ses souvenirs d’enfance. Elle
semble là comme dans un décor qui n’est pas tout à fait réel. La
vieille maison a disparu, les mentalités sont les mêmes. Je lui
demande si sa famille lit ce qu’elle écrit. Non, bien sûr, cela
n’intéresse personne. Ce qui me rappelle les commentaires de
Yan Lianke
sur le
même sujet – Yan Lianke dont elle reste proche, c’est lui qui a
calligraphié le nom de la maison qui figure au-dessus de la
porte d’entrée. À la fin de l’un de ses derniers recueils de
souvenirs d’enfance, « L’enfant de
Tianhu » (《田湖的孩子》),
il dit lui aussi que personne chez lui ne lit ses écrits, mais
tout simplement parce que cela n’intéresse personne, ils
connaissent ce qu’il raconte, ils préfèrent lire des histoires
fantastiques, de fantômes et autres.
En fait, il
est optimiste : plus personne ne lit de livres, tout le monde a
le regard rivé sur son téléphone, à regarder le dernier
feuilleton télévisé à la mode, la dernière vidéo dont tout le
monde parle. La culture chinoise est en train de devenir une
culture de l’image, réduite à l’écran du téléphone, mais dont
participe aussi la fièvre des musées tout autant que l’art de la
calligraphie que le pouvoir tente de promouvoir.
Sheng Keyi
reste résolument en marge : en marge de son passé, du présent
reconstruit sur ses ruines, de la scène littéraire où elle
occupe cependant une place non négligeable, dans une sorte de
vide savamment agencé par le Parti et ses officiels de la
littérature. Ce côté officiel se matérialise à Changsha le
lendemain, et de nouveau autour d’une table dans une salle de
restaurant pour réunions officielles.
-
Changsha, ses illuminations et sa littérature
Changsha (长沙)
de jour est une ville grise de grands immeubles alignés le long
du fleuve, cet étrange fleuve Xiang (湘江)
qui coule du Guangxi au sud vers le nord et finit sa course en
se jetant dans le lac Dongting. Changsha était une « longue île
de sable » dans le fleuve, d’où son nom, et son aspect vaguement
sablonneux malgré les jardins verdoyants sur les bords du
fleuve.
Aujourd’hui,
c’est une ville ultramoderne qui a été l’une des premières, en
2016, à inaugurer une ligne de maglev (磁浮列车)
reliant la gare de Changsha-sud à l’aéroport international à
l’ouest de la ville. Mais de nuit, à partir de 19 heures, la
ville se transforme en un décor féérique : chaque immeuble est
illuminé de fresques lumineuses qui scintillent, en perpétuel
mouvement, passant sans arrêt d’une couleur à l’autre, du bleu
au rouge et de nouveau au bleu, plus intense, éclatant, irréel
….
Mais c’est
dans le décor raffiné d’un salon privé de restaurant officiel
que s’est déroulée une discussion balisée sur la littérature
contemporaine, avec un écrivain du sérail spécialisé dans la
littérature « « écolo », une autre relation de Sheng Keyi.
Celui-là même qui, grâce à ses guanxi, va nous permettre
le lendemain de zapper les queues monstrueuses qui attendent en
rangs serrés sur le trottoir de pouvoir accéder aux salles de la
fabuleuse exposition Mawangdui (voir
Notes I).
En passant par une entrée déserte, réservée au personnel.
Je n’ai pas
souvenir de la teneur des propos échangés lors de ce dîner, sauf
s’agissant de Sheng Keyi : non, son « Paradis »
ne pourrait pas être réédité aujourd’hui ; à l’époque (début
2016), il a bénéficié de l’audace de la revue Shouhuo qui
l’a initialement publié. Les temps ont bien changé. Personne ne
peut plus prendre ce genre de risques.
L’ami invité
en même temps que nous opine de la tête. Il est, lui, à la tête
d’une école de chinois qu’il a créée il y a quelques années.
Renseignements pris, il est brillant : il a eu la meilleure note
en composition au gaokao, l’année où il l’a passé. Il
dit : oui, j’écris un peu. Mais il est surtout frustré : c’est
l’un des mécontents du système car son école bat de l’aile,
comme beaucoup d’autres écoles du même genre, que le régime est
en train de brider et d’encadrer pour éviter les excès (les
cours supplémentaires hors cursus payés par les parents pour que
leurs enfants aient les meilleurs résultats et intègrent les
meilleures universités). Inévitablement, la réglementation
freine les investissements, donc le développement de l’école.
Une douceur
lettrée au dessert pour terminer : des poèmes écrits en
caractères bruns à la surface d’un yaourt.
Écrits par qui ?
L’Intelligence artificielle.
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Retour à
l’hôtel après un détour en taxi par les illuminations de la
ville. Le chauffeur peste au téléphone contre les
embouteillages, dans un sabir incompréhensible : le dialecte
local (长沙方言),
une variété de dialecte Xiang (湘方言)
parlé dans la vie courante.
Les dialectes, dans l’ensemble, faisant l’objet d’un intérêt
croissant, que l’on retrouve en littérature, avec des
difficultés quasiment insolubles de traduction.
o
Rencontres au hasard de la route
Ces rencontres
sont nombreuses, épisodiques parfois, mais toujours
instructives :
- Une
professeure de français bien dans ses bottes, linguiste toute à
ses problèmes de linguiste. Et surtout préoccupée de ne pas
franchir la ligne jaune, celle des interdits. Tentative
infructueuse de parler avec elle de littérature chinoise : Yan
Lianke ? elle ne connaît pas, on dit qu’il n’écrit que des
vulgarités… Passons à autre chose…
- Un
jeune chauffeur de taxi qui nous conduit à la gare de Changsha
nous raconte sa vie sans se faire prier : il a une trentaine
d’années, a fait des études de musique (faute de mieux) à
l’université à Changsha, il est au chômage, la société où il
travaillait a fait faillite, il est chauffeur de taxi pour
gagner de quoi survivre dans l’immédiat, comme beaucoup
d’autres.
Le nombre de
chauffeurs de taxi « amateurs », mais enregistrés, a cru de
manière exponentielle ces derniers mois ; il suffit d’avoir une
voiture et un permis de conduire, et de s’inscrire sur une des
nombreuses applis. C’est ce qu’on appelle « ride-hailing »
services : le marché est proche de la saturation.
Même des pères de famille se font chauffeurs de taxi le week-end
faute d’autres loisirs, pour tromper leur ennui et ne pas rester
enfermés chez eux. Mais ce sont surtout les jeunes comme notre
chauffeur qui inondent le marché pour survivre. Il reste malgré
tout confiant : Mao est son modèle, il finira comme lui par s’en
sortir !
- Une
jeune professeure de chinois venue à Pékin voir le musée du
Grand Canal et l’exposition Sanxingdui s’assoit un instant avec
nous pour prendre un thé et apporte une autre version des
problèmes actuels des jeunes.
On sait que la
compétition est féroce pour entrer dans une bonne école, puis
dans une bonne université. Les parents se ruinent en cours
particuliers, y compris pendant les vacances. Ce qu’on sait
moins, c’est que le système éducatif chinois est terrible pour
la moitié des jeunes qui, en fin de collège, sont
automatiquement orientés, au vu de leurs résultats, vers des
lycées professionnels. Ce ne sont évidemment pas les enfants de
l’élite. Et ces enfants préfèrent souvent arrêter purement et
simplement leurs études qui ne les mèneraient à rien. Autant
commencer tout de suite à travailler. C’est peut-être aussi une
autre raison de faire du tangping…
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En attendant,
Pékin n’a jamais été aussi beau et aussi vert. Une dernière
visite, aux vestiges de la Muraille Ming, en donne un ultime
aperçu. C’est devenu un véritable parc.
Et c’est là
que je fais mes dernières rencontres, rares dans cette ville :
ce que j’aurais tendance à appeler des SDF, mais qui ne sont
peut-être que des passants prenant le frais…
III. Synthèse …
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