Le serpent dans les mythes et
légendes
par Brigitte Duzan, 3 août 2022
Le
Serpent blanc de la légende
chinoise apparaît
sous des dehors ambigus, dans une évolution historique qui gomme
peu à peu les traits effrayants du serpent des origines pour le
présenter comme une femme malheureuse dont l’amour est subverti
par les menées d’un moine pervers et les préjugés de la société.
On retrouve cette image ambivalente du serpent dans les nombreux
mythes, chinois et autres, qui l’ont érigé en figure
emblématique, monstrueuse ou protectrice.
Le mythe serait une
dramaturgie de la vie sociale ou de l’histoire poétisée…
Quels que soient les
systèmes d’interprétation,
[les mythes] aident à
percevoir une dimension de
la réalité humaine et
montrent à l’œuvre la fonction
symbolisante de
l’imagination. […] Ce qu’il importe
de discerner, c’est leur
valeur symbolique qui en
révèle le sens profond.
Jean Chevalier,
Dictionnaire des symboles
Première partie :
Ambivalence de l’image du
serpent dans les grands mythes, en Chine et ailleurs
Dans de nombreuses anciennes
religions et mythologies, le serpent était vénéré comme
détenteur de savoir et de force vitale et porteur de renouveau.
C’est le cas en particulier dans la civilisation gréco-romaine
et les anciennes cultures du Proche Orient de même qu’en Asie.
Dans les mythes de la Grèce antique comme en Égypte ou en Inde,
si le serpent représentait une puissance menaçante et
effrayante, nombre de divinités protectrices étaient
représentées sous forme de serpents et ont donné naissance à de
riches légendes et iconographies. Mais le serpent est aussi
central dans les représentations du temps cyclique, en Occident
comme en Orient.
Sommaire
A/ Le serpent dans les grands mythes fondateurs
I. En Chine : Nüwa (女娲)
et son frère Fuxi (伏羲)
a) Nüwa (女娲)
b) Nüwa et Fuxi
II. La symbolique du serpent
en Chine, en Inde et en Égypte
1.
Les grandes figures symboliques
a) Dans l’antiquité chinoise
b) Dans la mythologie indienne
c) Dans la cosmogonie de
l’Égypte ancienne.
2.
Le serpent comme représentation du
temps
B/ Serpents monstrueux et serpents protecteurs : image
ambivalente
I. Les serpents maléfiques de la Chine à la Grèce en passant par
l’Égypte
1.
Les serpents venimeux de la tradition chinoise
a) L’un des « cinq poisons » du 5ème mois lunaire
b) Les serpents fantastiques des anciens classiques
2.
Les dangereux serpents de la mythologie grecque
a) Les Gorgones et Méduse
b) Typhon et Python
3.
Apophis
II. Les serpent protecteurs :
de l’Agathodaimon
d’Alexandrie à Serapis et Isis
1. Agathodaimon et Serapis
2. Isis, Wadjet et Renenutet
a) Isis
b) Wadjet et Renenutet
Note sur les serpents de feu de
la Bible, le Nehushtan et le caducée
Conclusion :
muthos et xiaoshuo.
___________________
A/ Le serpent dans les grands mythes fondateurs
I. En Chine : Nüwa (女娲)
et son frère Fuxi (伏羲)
a) Nüwa
(女娲)
Femme à corps de serpent, Nüwa est divinité créatrice à
plusieurs titres : elle a réparé l’un des piliers du ciel qui
s’était effondré et elle a façonné les hommes dans de la glaise
en leur donnant le pouvoir de procréer. Les sources écrites de
ce mythe chinois sont relativement récentes, les plus anciennes
datant de la période des Royaumes combattants, du 4e
au 2e siècle avant J.C. : le « Livre
des monts et des mers » (Shanhaijing《山海经》),
le « Classique
du vide parfait » (Liezi
《列子》),
les « Chants de Chu » (Chuci《楚辞》)
de Qu Yuan (屈原),
dans le chapitre « Questions au ciel » (天问)
qui sont des questions sur la mythologie chinoise et les
anciennes croyances religieuses, leurs contradictions et
énigmes, ainsi que le
Huainanzi
(《淮南子》).
Ayant certainement évolué à partir de sources orales très
anciennes, chacun de ces classiques apporte des détails
différents autour d’un mythe des origines.
Il est dit dans le Liezi qu’à l’origine le ciel reposait
au-dessus de la terre soutenu par des piliers. Or l’un de ces
piliers a été brisé, dans sa fureur, par Gonggong (共工)
dans son combat contre Zhurong (祝融),
ministre régulateur du feu (火正官),
descendant de Zhuanxu (颛顼)
ou, selon le Huainanzi, contre Zhuanxu lui-même,
souverain mythique descendant de l’Empereur Jaune, Huangdi (黄帝).
Il s’agit d’un mythe des origines typique dépeignant la lutte de
l’eau contre le feu, des puissances chtoniennes contre celles,
célestes, de la lumière. Descendant de Yandi (炎帝),
rival de Huangdi, Gonggong aurait été responsable des
inondations, avec son « ministre » Xiangyao (相柳),
ou Xiangliu (相柳),
esprit des eaux dévastateur dépeint dans le « Livre des monts et
des mers » comme un serpent à neuf têtes au corps enroulé sur
lui-même
- serpent qui a ensuite évolué dans l’imaginaire populaire comme
une sorte de monstrueuse hydre à neuf têtes semblable à l’Hydre
de Lerne tuée par Heraclès.
Une représentation de Xiangyao d’après le « Livre
des monts et des mers »
Dans sa lutte contre Zhuanxu
(ou Zhurong), furieux de ne pouvoir l’emporter, Gongong se jeta
contre le mont Buzhou (不周山),
colonne céleste au nord-ouest de la chaîne des monts Kunlun (昆仑山脉),
brisant la colonne et provoquant des inondations et d’importants
dégâts. Nüwa répara la colonne brisée en la remplaçant par l’une
des pattes de la tortue marine géante Ao (鳌),
mais sans parvenir à replacer le ciel dans un parfait
parallélisme avec la terre, ce qui a entraîné une série de
problèmes, dont la direction sud-est des cours d’eaux dans la
région. Cette tortue aquatique est par ailleurs liée au serpent
sous forme de dragon Bixi (赑屃),
l’un des neuf fils du Roi des dragons, capable de porter
d’immenses charges sur le dos, d’où sa représentation comme
porteur de stèles.
Dans le Fengsu tongyi (《风俗通义》)
de Ying Shao (應劭),
datant de la période des Han de l’Est, dont dix juan sont
inclus dans l’encyclopédie Taiping Yulan (《太平御览》)
des Song, l’histoire de Nüwa s’enrichit d’un mythe de création
supplémentaire. Elle aurait créé les premiers hommes en les
façonnant avec de la glaise pour ne plus être seule ; puis,
fatiguée, elle se serait facilité la tâche, pour aller plus
vite, en trempant une corde dans la boue et en la secouant
ensuite en l’air : les goutte de boue en retombant créaient
autant d’hommes. Cette double manière de procéder explique les
différences de classe, les premiers hommes façonnés avec soin
ayant formé l’élite nobiliaire, et les seconds le petit peuple.
Une variante du mythe explique
que, la terre ayant été dévastée par des inondations, Nüwa et
son frère Fuxi étant les seuls à avoir survécu, elle repeupla la
terre en s’unissant avec lui.
b) Nüwa et Fuxi
Tous deux étant gênés à l’idée de s’unir alors qu’ils étaient
frère et sœur, ils décidèrent de se soumettre à un test de
divination. Dans un texte de la période Tang (9e
siècle) sur les mythes et légendes, le Duyizhi (《独异志》)
de Li Rong (李冗),
ils montèrent sur le mont Kunlun en demandant au Ciel de
dissiper la brume. Mais la légende la plus courante est
légèrement différente : ils montèrent chacun sur une montagne et
allumèrent un feu - si les fumées s’élevaient sans se rejoindre,
cela signifierait qu’ils ne devaient pas s’unir. Mais les fumées
de leurs feux allèrent s’enrouler l’une autour de l’autre,
montrant que le ciel était favorable à leur union. Nüwa est
ainsi considérée en Chine comme la mère de l’humanité, associée
à Fuxi.
L’iconographie est ici intéressante. La représentation la plus
célèbre de Nüwa et Fuxi est celle de la centaine de peintures
similaires datant de la période Tang découvertes à partir de
1959 dans le complexe de tombes d’Astana (阿斯塔那)
non loin de Turfan, près de l’ancienne cité-oasis de Gaochang (高昌)
ou Qara-hoja, sur la branche nord de l’ancienne Route de la
soie. Sur des bannières de soie pour la plupart déposées sur les
cercueils, frère et sœur devenus mari et femme sont représentés
entre des constellations par deux corps à queues de serpents
s’enroulant l’une autour de l’autre.
On pourrait lier ces représentations à des influences venues de
l’Ouest par la Route de la Soie. Mais on en a découvert de
semblables sur des bas-reliefs et des briques dans des tombes de
la dynastie des Han. Les serpents de la mythologie chinoise ont
en fait une valeur symbolique à rapprocher d’autres mythologies,
celles de Babylone, de la Grèce, de l’Égypte ou de l’Inde, entre
autres. Dans la mythologie babylonienne, par exemple, il y avait
aussi deux divinités semblables à Nüwa et Fuxi : Nyingma, déesse
de la fertilité, également créatrice de l’humanité en jouant
avec de la glaise, et Enki, dieu de la sagesse. Également frère
et sœur, ils sont décrits copulant joyeusement à l’issue d’un
festin des dieux où ils s’étaient enivrés. Eux aussi sont
représentés comme deux êtres mi-humains mi-serpents emmêlant
leurs queues de serpent. En Inde aussi, on retrouve une double
entité Naga-Naji avec de semblables représentations du couple.
Si les textes chinois insistent sur la symbolique yin-yang du
couple Nüwa-Fuxi et sur celle de l’ordre du monde contenue dans
les deux figures brandissant une règle et un compas, mais aussi
parfois des instruments de musique, l’image du serpent y est
cependant en général peu commentée. Elle a pourtant une
symbolique quasiment universelle.
Nüwa et Fuxi en
figures cosmiques mi-hommes mi-serpents,
entourés du
soleil, de la lune et des principales constellations,
peinture sur
soie de la tombe d’Astana, au Xinjiang (伏羲女娲图)
Nüwa et Fuxi,
fresque murale dans une tombe datant de la dynastie des Han de
l’Est à
Zhanjiagou, au Sichuan
Un naga et sa
parèdre dans une sculpture datant de
l’empire
Hoysala, dans le sud de l’Inde (10e-14e
siècles)
II.
La symbolique du serpent en Chine, en Inde et en Égypte
Le serpent a une place
fondamentale dans un grand nombre de mythes des origines, dans
une symbolique reflétant le dualisme cosmologique
quasi-universel opposant deux principes : la lumière, le soleil
et le feu d’une part et l’obscurité, la lune et l’eau d’autre
part. C’est à ce deuxième principe qu’est associé le serpent, en
lien avec les eaux primordiales et le chaos dont émerge la
création.
1.
Les grandes figures symboliques
a)
Dans l’antiquité chinoise,
Shun (舜),
l’un des grands souverains mythiques et dernier des cinq
empereurs légendaires, au 3e millénaire avant J.C.,
était par sa mère, nommée Wodeng (握登)
dans les « Annales de Bambou » (《竹书纪年》),
lié à un clan ayant un serpent pour totem, tandis que son père
l’empereur Yao (堯)
était d’un clan ayant pour totem un oiseau solaire. Shun était
donc issu des deux principes.
Or, selon l’une des généalogies
les plus courantes, que l’on trouve en particulier dans les « Mémoires
historiques » (《史记》)
de Sima Qian (司马迁),
Shun était un descendant de Zhuanxu, ce souverain mythique,
vainqueur de Gonggong, qui tenta de lutter contre les
inondations.
b) La symbolique est plus
complexe dans la mythologie indienne. Le serpent joue un
rôle-clé dans celle de l’hindouisme, qu’il s’agisse du serpent
Kundalini lové autour de Shiva, de Kaliya, roi des nagâs de la
rivière Yamuna et monstrueux serpent à quatre têtes vaincu par
Krishna à l’âge de cinq ans, ou d’Ananta, le serpent cosmique
sur les anneaux duquel repose Vishnu après la dissolution d’un
kalpa (ou cycle cosmique).
Il est intéressant de noter la
représentation symbolique de la Kundalini, qui désigne en
sanskrit une énergie spirituelle lovée à la base de la colonne
vertébrale. La Kundalini, énergie féminine de Shiva, est
représentée symboliquement par deux serpents s’enroulant autour
d’un canal central – représentation symbolique proche de celle
du caducée qui n’est pas sans rappeler aussi, dans son
iconographie d’origine, celle de Nüwa et Fuxi.
Les serpents
Kundalini sur un autel d’un temple de Shiva du Tamil Nadu (photo
Alamy)
Quant au serpent Ananta, il a
une origine très ancienne : dans la mythologie védique, c’est un
serpent des profondeurs de l’océan né des eaux sombres, avec un
symbolisme ambivalent car, esprit des eaux, il est aussi esprit
chtonien de la nature primordiale, éternel survivant à la
destruction de l’univers.
Dans le panthéon védique, l’eau, donc les
serpents, sont par ailleurs associés à Varuna. Comme l’explique
Mircea Eliade dans son « Histoire des croyances et des idées
religieuses »
,
dans le chapitre concernant les dieux védiques, Varuna, qui
régnait sur le panthéon védique avant d’être supplanté par
Indra, est associé à l’eau – il deviendra dieu de l’océan.
Souverain terrible, dit Eliade, il est une puissance du ciel
nocturne, identifié aux serpents dans le Mahâbhârata où il est
appelé « seigneur de la mer » et « roi des nâgas », car
l’océan est le séjour de ces êtres mi-hommes mi-serpents. Les
mythes védiques racontent que Varuna a aidé Indra à vaincre le
dragon-serpent Vrta et à libérer les eaux qu’il maintenait
captives, permettant l’émergence de la vie.
En outre, Eliade cite divers textes védiques
qui identifient à des serpents les Adityas, fils de la déesse
Aditi dont fait partie Varuna. Ces Adityas sont des puissances
célestes personnifiant le soleil. « Ayant dépouillé leurs
vieilles peaux – ce qui veut dire qu’ils ont vaincu la mort –
ils sont devenus des dieux, les devas ». De là
l’affirmation que le Veda est « la science des Serpents »
.
Une nagini,
génie féminin des eaux, statuette de bronze, Népal 19e
s, Science Museum, Londres
Un naga et une
nagini aux queues enlacées, dans un temple de Bhubaneshwar
(Orissa)
– la cité des
temples dédiés à Shiva
c) Comme l’explique encore Mircea Eliade
,
on retrouve le serpent dans la
cosmogonie de l’Égypte ancienne. Elle commence de
diverses manières, mais l’une d’elles comporte l’émergence d’un
Serpent primitif, première et dernière image du dieu Atum –
représentant le soleil couchant ; en effet, dans « le Livre des
Morts », il est dit que, lorsque le monde retournera à l’état de
Chaos [semblable au hundun (混沌)
primordial de la cosmologie chinoise], Atum redeviendra serpent.
Ainsi, commente Eliade, « on peut reconnaître en Atum le Dieu
suprême caché, tandis que Rê [ou Râ, le soleil au zénith] est
par excellence le Dieu manifeste ». Le serpent est ainsi à la
source de toute chose, mais lié au chaos.
Le dieu Atum en
serpent enroulé sur lui-même
décorant le
couvercle d’un cercueil, 7e siècle av.
J.C.
(Art Institute of Chicago)
Par ailleurs, le Soleil créa,
de sa matière même, un premier couple divin qui donna naissance
au dieu Geb (la Terre) et à la déesse Nut (le Ciel), et c’est de
leur union que vinrent au monde les deux couples de frères et
sœurs Osiris et Isis, Seth et Nephtys, associés au serpent, mais
dans une double symbolique dont il est intéressant de comprendre
les images contrastées car elles nous ramènent à la double
identité du personnage du Serpent blanc dans la légende
chinoise : serpent maléfique caché sous des dehors de femme
séduisante et dangereuse ou serpent transformé en femme par
amour pour un mortel et en butte aux préjugés sociaux et
religieux.
Au-delà de cette symbolique
dans les grandes cosmogonies mondiales, le serpent est aussi
symbole du temps, temps cyclique opposé au temps linéaire de
l’histoire.
2.
Le serpent comme représentation du
temps
En Grèce, c’est Aiôn qui est la
représentation symbolique du temps cyclique, en opposition à
Chronos, représentant le temps linéaire et historique, mais
aussi à Kairos, l’instant opportun, petit dieu ailé qu’il
faut saisir quand il passe. Aiôn symbolise le renouvellement
perpétuel du Temps et de l’univers
.
Il a probablement pour origine le concept zoroastrien de temps
infini. Dans le culte d’origine indo-iranienne de Mithra, à Rome
entre les 1er et 4e siècles, Aiôn
est un dieu dont le corps humain ailé à tête de lion est entouré
et comme immobilisé par un serpent : c’est le dieu du temps
immuable et éternel.
Aiôn enlacé par
le serpent dans une représentation du culte de Mithra
Ce temps cyclique est
représenté visuellement par l’Ouroboros : étymologiquement, le
nom signifie en grec « qui dévore sa queue », et il est
représenté par un serpent enroulé sur lui-même, avec sa queue
dans sa bouche, ou proche d’y disparaître. On ne saurait mieux
représenter la continuité du temps, et la totalité du cosmos.
Car dans le cercle formé par le serpent sont les mots : έν το
πᾶν, le un est le tout. Un étant le début et la fin,
et le cercle du temps un processus harmonieux dans lequel le
futur est un retour du passé, dénotant l’unité de la création.
L’Ouroboros connote le mythe de l’éternel retour. D’un autre
côté, cependant, toujours dans la même ambivalence
d’interprétation, le serpent qui se mord la queue évoque la roue
implacable des existences, le samsâra, cercle infini des
renaissances dans l’hindouisme puis le bouddhisme, dont il
convient de se libérer pour atteindre l’éveil.
Il est probable que cette image
circulaire du temps ait été inspirée aux Grecs par la mythologie
égyptienne. On en trouve des illustrations dans des papyrus
comme celui de Dama-Heroub (XXIe dynastie) où l’enfant Horus est
représenté dans le cercle formé par le serpent Mehen,
serpent-dieu qui protège la barque du soleil Râ et dont le nom
signifie « celui qui est enroulé » ; Horus, fils d’Osiris et
Isis dans le mythe osirien est, à l’opposé de Seth, symbole et
garant de l’ordre et de l’harmonie universelle et il est
lui-même l’image même de la continuité dans le temps puisque né
de son père post mortem (voir ci-dessous : Serpents
protecteurs). Il est représenté enfant triomphant des scorpions
et des serpents qui le menacent.
Horus enfant
triomphant des scorpions et serpents (Basse époque)
Stèle
du Walters Art Museum, Baltimore
Horus enfant
dans le disque du soleil levant entouré par le serpent Mehen
Papyrus de Dama Heroub
Cette symbolique du temps cyclique se
retrouve dans la pensée chinoise, bien que d’une autre manière,
la Chine, comme l’a dit François Jullien
,
ayant « pensé l’absolu, que ce soit le Ciel des Confucéens ou la
Voie des Taoïstes, sans pour autant penser l’éternel. » Car,
poursuit-il, il s’agit ici de distinguer l’ « éternel » et le
« constant », tous deux disant la pérennité en s’opposant à
l’éphémère, mais différemment : l’éternel étant séparé du
temporel, le constant se manifestant à travers le changement.
« Le constant est ce qui … ne varie pas, l’éternel est ce qui …
ne devient pas. »
Or ce constant ne cesse de se
renouveler, comme principe d’harmonie continue qui ne connaît ni
début ni fin, mais dans ce cadre, le renouveau cyclique est
plutôt représenté par le phénix, même si le serpent, comme être
capable de se régénérer régulièrement en changeant de peau, y a
sa part. Le serpent est l’un des animaux du zodiaque chinois, le
sixième dans le cycle de douze années, lié à l’eau et au yin,
après le dragon.
Omniprésent dans les mythes
fondateurs, le serpent l’est aussi dans les mythes universels
comme figures contrastées, monstrueuses ou protectrices.
B/ Serpents
monstrueux et serpents protecteurs : image ambivalente
S’ils étaient souvent invoqués comme divinités
protectrices, et essentiellement sous des formes féminines, les
serpents étaient aussi des dangers redoutés qu’il s’agissait de
vaincre. Le serpent apparaît constamment dans une symbolique
ambivalente qui tente de concilier les extrêmes.
I. Les serpents maléfiques de la Chine à la Grèce en passant par
l’Égypte
1.
Les serpents venimeux de la tradition chinoise
a) L’un des « cinq poisons » du 5ème mois lunaire
L’une des grandes fêtes traditionnelles célébrées en Chine est
le festival Duanwu (端午节)
ou fête des Bateaux-dragons, encore appelée fête « du Double
Cinq » car elle se passe le 5e jour du 5e
mois du calendrier lunaire. Cette fête commémore le poète Qu
Yuan (屈原)
qui s’est jeté dans la rivière Miluo (汨罗江)
après la défaite du royaume de Chu dont il avait tenté, en vain,
de conseiller le roi Huai.
À l’origine, le 5e mois lunaire était un mois
néfaste, pendant lequel étaient fréquentes maladies et
catastrophes, et le 5e jour était le pire. Ce jour-là
marquait le pic de l’été selon le calendrier traditionnel, et on
pensait que la chaleur était propice aux maladies et autres
maux. Apparaissaient alors toutes sortes d’animaux dangereux, ce
qu’on appelait « les 5 créatures venimeuses » ou « cinq
poisons » (wu du
五毒),
les serpents en tête, juste avant les scorpions. Pour les
éloigner, on collait leur effigie sur les portes en les bardant
d’aiguilles.
Les cérémonies d’exorcisme pratiquées ce jour-là ont été
reprises dans les festivités du festival duanwu. Dans
certaines régions, on a continué longtemps à mettre au poignet
des enfants des fils de soie de cinq couleurs censés éloigner
les maladies et esprits mauvais. Par ailleurs, on pensait qu’il
fallait combattre le poison par le poison, et que le mieux pour
se protéger était de boire du vin de réalgar (xionghuang jiu
雄黃酒),
c’est-à-dire du vin jaune mélangé à du sulfure d’arsenic, le
réalgar étant considéré dans la médecine chinoise comme un
antidote universel contre le venin de serpent.
Les cinq animaux nuisibles, serpent en tête
La fête de Duanwu est également liée à la
légende du
Serpent blanc
car les événements les plus dramatiques du récit se déroulent à
cette occasion. Sur les conseils du moine Fahai, le mari du
Serpent blanc lui fait ingurgiter ce jour-là du vin de réalgar,
et elle manque en mourir.
Les « cinq poisons » ont ensuite été repris dans la nomenclature
des ennemis du Parti communiste chinois (membres des mouvements
d’indépendance du Turkestan oriental, du Tibet et de Taiwan, du
Falungong et du mouvement pour la démocratie en Chine). Quant au
serpent plus précisément, il a retrouvé une nouvelle vie dans le
vocabulaire de la Révolution culturelle : les ennemis étaient
dénoncés comme « démons buffles et esprits serpents » (niugui
sheshen
牛鬼蛇神).
Expression lancée par le Quotidien du peuple dans le titre de
son éditorial du 1er juin 1966 qui appelait à
éliminer ces dangereux éléments, elle a en fait été inventée par
le poète des Tang Du Mu (杜牧)
dans sa préface à un recueil de poèmes de Li He (《李贺诗序》)
pour en louer les éléments fantastiques.
Grand rallye appelant à éliminer les « démons
buffles et esprits serpents »
横扫一切牛鬼蛇神
b) Les serpents fantastiques des anciens classiques
Ceci ne fait qu’élargir la riche nomenclature des serpents
fantastiques des légendes populaires chinoises que l’on trouve
jusque dans les grands classiques. Ainsi, dans son « Art de la
guerre » (《孙子兵法》),
au chapitre XI (Des neuf sortes de terrains : jiudi
九地),
Sunzi parle d’un serpent dit shuàirán (率然),
ainsi nommé parce que frappant avec la rapidité de l’éclair, de
la tête et de la queue :
故善用兵者,譬如率然。率然者,常山之蛇也。擊其首則尾至,擊其尾則首至,擊其中則首尾俱至。
Si vous voulez tirer un bon
parti de votre armée et la rendre invincible, faites qu'elle
ressemble au Shuairan, ce serpent qui se trouve sur le mont
Chang. Si on lui frappe sur la tête, à l'instant même sa queue
est là pour la secourir ; qu'on le frappe sur la queue, la tête
s'y trouve aussitôt pour la défendre ; qu'on le frappe sur le
milieu ou sur quelque autre partie du corps, sa tête et sa queue
s'y portent ensemble dans l’instant.
(Sunzi,
XI 25, trad. d’après Amiot)
.
C’était, dans le propos de Sunzi, pour donner une image de la
manière dont un bon général doit procéder. Mais le serpent est
malgré tout dépeint comme vivant sur le mont Chang (常山)
et pourrait être l’un des animaux fabuleux dépeints dans le « Livre
des monts et des mers » (Shanhaijing《山海经》).
L’un de ces serpents est le bashe (巴蛇),
une sorte de monstrueux python qui avale des éléphants entiers,
que l’on trouve à la fois à la fin du Shanhaijing et dans
la section « Questions au ciel » (Tianwen《天问》)
des « Chants de Chu » (Chuci《楚辞》)
de Qu Yuan où est posée la question de savoir comment ce
serpent qui avale des éléphants peut en digérer les os. La
réponse est donnée, justement, dans la dernière partie du
Shanhaijing, « Le Livre des terres entre les mers », et plus
précisément celles du sud (《海內经.
海内南经》
)
:
巴蛇食象,三岁而出其骨,君子服之,无心腹之疾。其为蛇青赤黑。一曰黑蛇青首,在犀牛西。
Le bashe peut
avaler un éléphant
;
au bout de trois ans, il régurgite les os. L’homme de bien qui
en prend comme médicament ne souffrira ni du cœur ni du ventre.
Ces serpents sont verts, jaunes, écarlates ou noirs. On dit
aussi que ceux qui sont noirs ont la tête verte. Ils vivent à
l’ouest du pays des rhinocéros
Il s’agissait vraisemblablement d’un python ou d’un boa (ranshe
蚺蛇),
comme le suggère l’historien et poète de la dynastie des Jin de
l’Est
Guo Pu (郭璞)
dans son commentaire du Shanhaijing, au 4e
siècle, en mettant en doute la longueur prétendue de l’animal.
Il y critique aussi la longueur démesurée d’un autre serpent
mentionné dans le même classique où il est nommé simplement « le
long serpent » (changshe
長蛇),
et dépeint vivant sur le mont Daxian (大咸),
couvert de poils durs comme des soies de porc.
Ces discussions sur les serpents, leur taille et leur couleur
rappellent la discussion similaire, mais ironique, que l’on
trouve dans la novella de
Yan Geling (严歌苓)
« Le
Serpent blanc » (《白蛇》) :
l’ancienne danseuse au centre du récit y est devenu l’objet
d’une sorte de vénération quasiment mythique de la part de ses
admirateurs qui finissent par répandre toutes sortes de rumeurs
sur elle et son corps ophidien en se demandant avec quelle sorte
de python (mangshe
蟒蛇)
elle a vécu dans le passé
…
On trouve encore un autre serpent monstrueux dans le
Shanhaijing, mais aussi dans le
Huainanzi
(《淮南子》),
dans l’histoire de l’archer Houyi (后羿)
dont il est question dans la 8ème partie (《淮南子·本经训》).
Houyi est cet archer mythique qui, entre autres, abattit les
neuf soleils apparus pendant le règne du souverain Yao (堯
– 24e-23e siècles avant J.C.), sauvant la
terre de la sécheresse et des incendies. Mais, en même temps que
les neuf soleils, étaient apparus six sortes de monstres qui
faisaient des ravages dans la population, dont, à Dongting, un
serpent géant dit « serpent orné » (xiushe
修蛇)
que tua Houyi – il le coupa en morceaux, dit le texte (断修蛇于洞庭),
comme Héraclès tuant l’Hydre de Lerne (voir ci-dessous).
Houyi abattant le serpent du lac Dongting
(ici le serpent Ba dans une variante de la
légende)
Sculpture géante sur la place Baling (巴陵广场)
au bord de lac Dongting
Les historiographes expliquent ces histoires de serpents par des
conflits, dans l’antiquité, entre clans dont certains se
livraient à des cultes du serpent. Le Huainanzi est
réputé avoir été écrit par des maîtres ès techniques
divinatoires et esprits divers pratiquant la « Voie des
magiciens et immortels » ou Fangxiandao (方仙道),
les fāngshì
(方士).
Selon les « Annales
de Bambou » (《竹书纪年》),
Houyi aurait été un chef de clan qui aurait attaqué la dynastie
Xia, mais, dans le Mengzi (《孟子》),
le livre de Mencius, il est présenté comme un archer d’élite
appartenant à l’ethnie des Dongyi (东夷)
ou Yi de l’Est. Ces Dongyi auraient vaincu un autre groupe de
« barbares », plus au sud, qui avaient sans doute le serpent
pour totem.
Le serpent apparaît ainsi dans l’antiquité chinoise comme un
animal mythique omniprésent, surtout dans le sud ; c’est le
danger qu’il représentait – symbolisé par sa gueule ouverte
exprimant son agressivité et sa force tellurique - qui est à la
source tant des légendes que des cultes auxquels il a donné
naissance – autant de caractères ambivalents que l’on retrouve
dans d’autres mythologies, tant dans le monde gréco-romain que
dans la civilisation égyptienne pour ne prendre que ces exemples
significatifs, et qui font écho aux mythes et légendes chinois.
2.
Les dangereux serpents de la mythologie grecque
a) Les Gorgones et Méduse
Dans la
mythologie grecque, les Gorgones étaient trois sœurs au regard
pétrifiant dont la plus célèbre est Méduse, la seule mortelle
des trois. Dans les Métamorphoses, Ovide les dépeint avec des
serpents enroulés autour de la tête et de la taille
.
Réputées très laides, elles terrorisaient les mortels, même les
dieux les fuyaient. Mais Persée, armé d’un bouclier lui
permettant d’éviter son regard et d’une épée offerte par Hermès,
réussit à trancher la tête de Méduse, qu’il offrit à Athéna ; la
déesse en orna son bouclier qui dès lors était censé pétrifier
ses ennemis. Même Alexandre le Grand est parfois représenté avec
la tête de Méduse sur son armure
.
Là encore, le serpent est doté d’une double symbolique : vivant
il effraie, mort il protège. Ainsi, Athéna offrit une boucle des
cheveux de Méduse à Héraclès qui, dit-on, la donna à Andromède
pour protéger la ville de Tégée. Héraclès, d’ailleurs, avait
failli être victime de serpents quand il était encore bébé : né
d’une infidélité de Zeus, il avait étranglé les serpents envoyés
par l’épouse du dieu, Héra, cherchant à se venger.
Selon une autre légende, Andromède avait par sa beauté suscité
la jalousie des Néréides qui avaient demandé à Poséidon, dieu
des mers, de la punir. Poséidon avait envoyé un monstre marin,
mais Persée avait pétrifié le monstre à l’aide de la tête de
Méduse qu’il venait de tuer, sauvant Andromède.
Musée de Weishan
(微山文化馆),
Shandong (source : chinaknowledge)
II. Les serpent protecteurs :
de l’Agathodaimon
d’Alexandrie à Serapis et Isis
Conservée à la BnF, au département des
médailles et antiques, une stèle datant de l’époque romaine (1er-3e
siècle) découverte par André Dutertre à Saqqara lors de
l’expédition d’Égypte en 1798
,
représente à gauche l’Agathodaimon (le bon génie), serpent divin
protecteur d’Alexandrie, associé à droite à Isis-Thermoutis,
déesse des provisions et des richesses. Dans cette
représentation, de même qu’Isis est reconnaissable à sa
coiffure, le serpent Agathodaimon porte le modius de
Serapis, et renvoie donc à l’histoire du culte de Serapis à
Alexandrie. A partir du Nouvel Empire, Isis, pour sa part, est
associée aux déesses ophidiennes Wadjet et Renenutet.
Agathodaimon et
Isis-Thermoutis
1.
Agathodaimon et Serapis
a) Un agathodaimon était
une divinité de l’Egypte antique dont la plus ancienne mention
se trouve dans un texte démotique du 2e siècle avant
J.C. Représenté sous les apparences d’un serpent, il était
protecteur du foyer et de la famille, et donc divinité de
premier plan.
Il dérive d’un esprit ou génie
protecteur de la mythologie grecque qui était invoqué pour
apporter paix et richesse ; il était représenté sous les traits
d’un jeune homme portant une corne d’abondance et un épi de blé,
mais parfois aussi associé à un serpent.
Antinoüs avec
Agathodaimon (torse d’Apolollon acéphale trouvée dans le Tibre,
complétée avec
une tête d’Antinoüs trouvée séparément (130-138 ap. J.C.)
Adoptés en Egypte, ces génies
bienfaisants se retrouvent dans des divinités protectrices
populaires comme Aha-Bes, représentée tenant un serpent dans
chaque main pour protéger des morsures venimeuses, et apparentée
à la « déesse » minoenne des serpents dont on a trouvé deux
statuettes en 1903 lors de fouilles au palais de Cnossos, en
Crète : l’une brandissant deux serpents, l’autre ayant des
serpents enroulés autour des bras – vraisemblablement en fait
des prêtresses d’un culte local incluant des symboles de
fertilité.
La divinité
protectrice Aha-Bes (Thèbes, 1800-1750 av.
J.C.), the Walters Art Museum, Baltimore
La “déesse”
minoenne des serpents (1600 av. J.C.), musée archéologique
d’Heraklion
b) Mais les agathodaimon ont surtout
été associés à d’autres divinités égyptiennes porteuses
d’abondance et de richesse, et en premier lieu Serapis.
C’était une divinité qui existait à Alexandrie avant les
Ptolémées, mais le culte de Serapis fut promu au 3e
siècle avant J.C. par le pharaon Ptolémée 1 Soter dans un but
d’intégration des Grecs dans son royaume. Selon Plutarque (dans
son De Iside et Osiride ou « Traité d’Isis et d’Osiris »),
il serait allé voler une statue à Sinope après avoir reçu en
rêve la mission de la rapporter à Alexandrie – légende bien sûr
contestée, mais la statue n’est pas anodine : elle est décrite
comme représentant une divinité ressemblant à Hadès, dieu des
morts, et elle portait sur la tête le modius (ou
kalathos en grec, signifiant panier), cette coiffe
cylindrique caractéristique de Serapis : c’était chez les
Égyptiens le symbole d’une mesure de grain et l’emblème de son
rôle de protecteur des richesses végétales, mais chez les Grecs
le symbole du royaume des morts. La statue intégrait tous ces
symboles : elle portait à la main un sceptre, elle avait à ses
pieds Cerbère, gardien des enfers, et à sa base un serpent,
symbole égyptien du pouvoir et de l’autorité divine représenté
par l’uraeus, le cobra dressé, symbole de la déesse
Wadjet – associée à Isis – qui ornait le front des pharaons.
Le Serapis
alexandrin, monté sur son crocodile sacré, portant de la main
gauche une règle pour
marquer les
inondations sur le Nil, et de la main gauche un curieux animal à
trois têtes :
celle d’un
lion pour figurer le présent, celle d’un loup pour représenter
le passé et celle d’un chien
pour le futur ;
le corps de l’animal est pris dans les anneaux d’un serpent
enroulé autour de lui.
Amulette en
faïence émaillée verte (couleur de Wadjet) en forme d’uraeus et
provenant d’un collier
2. Isis, Wadjet et Renenutet
a) Isis
Déesse funéraire de l’Égypte
antique, magicienne, épouse et mère exemplaire, Isis est la sœur
et épouse d’Osiris, roi qui plaça son règne sous le signe de
l’harmonie cosmique, mais fut victime d’un complot de son frère
Seth. Aidée de sa sœur Nephtys et de son fils adoptif Anubis,
Isis retrouva le corps et le cacha dans les marécages de
Chemnis, au nord du delta du Nil. Après quelques autres
péripéties, Isis ramena son époux à la vie – mais dans un
royaume d’esprits immortels - et s’unit avec lui, concevant
ainsi son fils Horus qui se fera reconnaître comme successeur
légitime de son père Osiris.
Isis est parfois représentée avec une queue
de serpent comme dans la stèle d’Osiris et Isis-Thermoutis citée
plus haut, et le hiéroglyphe désignant son nom comporte parfois
le cobra dressé de l’uraeus à côté du trône. C’est, à partir du
Nouvel Empire (1550-1069 av. J.C .), par assimilation d’Isis
avec la déesse « nourricière » Renenutet-Thermoutis. Sous cette
forme, Isis était particulièrement invoquée pour protéger des
morsures des serpents, sur terre et dans l’eau.
Statuette d’Isis-Thermoutis, représentée avec une
queue de serpent
Hôtel Cabu, Musée d’histoire et d’archéologie, Orléans,
exposition « Du Nil à la Loire,
la collection égyptienne des musées d’Orléans »
(16.09.2017-11.03.2018)
b) Wadjet et Renenutet
Isis a été associée à Wadjet,
divinité solaire protectrice de l’Égypte unifiée après l’avoir
été de la Basse Égypte, et protectrice du pharaon dont la
couronne en portait le symbole : l’uraeus. Selon la mythologie,
Wadjet fut la nourrice d’Horus et aida sa mère Isis à le
protéger de son oncle Seth quand, enceinte, elle se réfugia dans
le delta du Nil pour lui échapper. Selon une version du mythe la
concernant, Wadjet était la fille du soleil Râ qui lui avait
commandé de rester près de lui sous forme de cobra pour le
protéger. Wadjet est donc représentée comme un cobra avec une
tête de femme, ou une femme avec une tête de serpent.
Wadjet sur un
bas-relief du temple d’Atshepsut, dans la vallée de Deir
el-Bahari à Thèbes.
À Wadjet est associée une autre déesse
représentée sous forme de cobra : Renenutet, ou serpent
nourricier, une déesse agraire protectrice des récoltes et des
greniers. Dans un pays où la principale nourriture est le blé,
il était vital de protéger les grains, et contre les rongeurs en
particulier, d’où le choix d’une déesse-cobra comme protectrice
puisque ce serpent se nourrit de rongeurs
.
Dans la tombe thébaine de Khaemhat, scribe royal contrôleur des
greniers, un bas-relief montre les opérations de mesure des
grains effectuées face à la déesse
.
Wadjet et Renenutet ont leur
contrepartie dans Meretseger, déesse-cobra chargée de
protéger le vaste domaine des morts de la nécropole thébaine.
Patronne des ouvriers et artisans des tombes, elle était
particulièrement associée à une colline, El Qurn, dominant la
Vallée des Rois dont on pensait que c’était l’une des entrées du
royaume des morts.
L’une des plus anciennes
représentations de Wadjet, datant de l’ère prédynastique (avant
3100 av. J.C.), cependant, est celle d’un serpent enroulé autour
d’une tige de papyrus, ou bâton symbole du pouvoir, image que
l’on retrouve dans diverses autres cultures méditerranéennes, en
particulier en Grèce avec le caducée, symbole d’Hermès, et dans
la tradition hébraïque.
Note sur les serpents de feu de la Bible, le Nehushtan et le
caducée
Dans la Bible et la tradition
judaïque (mais aussi les traditions chrétienne et islamique),
les Séraphins seraphim sont souvent associés aux serpents.
En hébreu, le terme de saraph, signifiant « qui brûle »,
est utilisé en connotation du serpent, en raison de la sensation
brûlante provoquée par sa morsure. Dans le Livre d’Isaïe, le
singulier saraph est utilisé pour désigner un « serpent
de feu volant » : les seraphim sont des êtres célestes
ailés investis d’une passion brûlante pour accomplir le bien
divin.
Dans le « Livre des Nombres »
(21 :6-8), au contraire, les « serpents de feu » sont une
punition envoyée par Dieu pour châtier les mécréants qui ont
offensé son nom en lui reprochant les détours imposés sur le
chemin de la mer Rouge après l’Exode ; répondant à la prière de
Moïse, Dieu lui ordonne alors de brandir au sommet d’un pilier
un « serpent de feu » - ou « serpent d’airain » par jeu
sémantique sur le mot « serpent » proche du mot « bronze » en
hébreu : tous ceux qui auront été mordus mais lèveront les yeux
vers ce serpent seront sauvés… D’après le « Livre des Rois », la
vénération de ce serpent devenu idole, nommé Nehushtan, fut
prohibée dans le cadre des réformes du roi Hezekiah, ou
Ezechias, roi de Juda au 8e siècle avant J.C.
Les Israélites
sauvés des serpents de feu par le Nehushtan,
Michel-Ange,
plafond de la chapelle Sixtine (1508)
En fait, des cultes de serpents existaient à
Canaan à l’Âge du bronze : les archéologues ont découvert des
objets de ce culte dans plusieurs cités pré-israélites de
Canaan. Il est possible que le Nehushtan, dans ce contexte, ait
été le symbole d’un dieu mineur invoqué contre les morsures de
serpent. C’est ce qu’était aussi, à l’origine, le caducée,
attribut du dieu Hermès qui l’avait reçu d’Apollon en échange de
sa lyre :
représenté par une baguette de laurier ou d’olivier surmontée de
deux ailes et entouré de deux serpents enlacés, il servait à
guérir les morsures de serpent. On revient ici à l’origine
chtonienne du serpent, les deux animaux enlacés du caducée
symbolisant à l’origine, à Sumer, l’union du ciel et de la terre
et l’éveil à la conscience cosmique.
Hermès
reconnaissable à ses sandales ailées et à son caducée
Bas-relief
romain (1er siècle) trouvé à Herculanum, musée
national de Naples
________
Finalement, on peut dire du
serpent ce que François Jullien dit du temps (déroulé à partir
de l’éternité) : qu’il faut lui supposer une angoisse. Le
serpent est l’image du mal dans sa dualité, avec tout ce qu’elle
a de dramatique et d’énigmatique, qui appelle un récit - récit
fourmillant d’anecdotes relevant de la fable, du muthos,
opposé au logos, que Platon a chassé de sa cité idéale
mais qui y revient en force parce que le monde n’a de plénitude
que dans le divers.
Muthos
qui est aussi
xiaoshuo,
fonds inépuisable et intemporel où va puiser la littérature.
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Deuxième partie :
La légende du Serpent blanc
et son histoire : sources et évolution
Peintre, graveur
et dessinateur français (1753-1842) qui a fait partie de
l’expédition d’Égypte, expédition scientifique doublant
la campagne d’Égypte menée par Bonaparte et ses
successeurs de 1798 à 1801. La stèle est représentée sur
une aquarelle préparatoire de la Description de l’Egypte
d’André Dutertre (BnF Département des Estampes). Date
d’acquisition de la stèle : 27 juin 1838.
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