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Brève histoire du
xiaoshuo
VII. Essor du roman sous les Qing
…
3. Le roman satirique et
politique
3A Du roman satirique au roman
politique (18e-19e siècles)
3B Roman politique et nouveau
roman (fin du 19e/début du 20e siècle)
par Brigitte Duzan,
11 novembre 2023
C’est dans un
contexte de crise nationale,
dynastique, politique et sociale, qu’à la fin du 19e
siècle émerge un mouvement appelant à un renouveau littéraire,
renouveau qui passe de manière inédite par le roman. C’est dans
cette forme du xiaoshuo longtemps méprisée par les
lettrés que les intellectuels progressistes et réformistes de la
fin des Qing décèlent un potentiel permettant d’exprimer une
pensée nouvelle, moderne, critique, à l’encontre des rigidités
des modèles traditionnels.
I/ Roman
contre poésie
Le sentiment
de crise, suscitant désarroi, angoisse et confusion, entraîne
une effervescence intellectuelle, frustrée par l’échec des
efforts de réforme. Dans ce contexte, le roman apparaît aux yeux
des intellectuels comme une forme narrative à développer pour
répondre à deux des exigences du moment : représenter la crise
en cours dans toute son acuité, en réfléchissant sur un mode
d’écriture en phase avec la situation actuelle, et le faire pour
un vaste public dans un but d’information et d’éveil, le tout
étant lié au problème de la langue, et au développement de
l’écriture en langue vernaculaire pouvant toucher le plus grand
nombre.
o
Révolution en poésie
C’est
Liang Qichao (梁啟超)
qui s’est fait le plus ardent avocat d’un nouveau mode
d’écriture opérant une véritable révolution dans la forme comme
dans le fond, en appelant d’abord, au tournant du 20e
siècle, à une « révolution dans le monde de la poésie » (shijie
geming
诗界革命).
Dans ses « Notes de voyage à Hawaii » (《夏威夷游记》),
il appelle à un poésie nouvelle pour dépeindre la vie moderne,
une poésie libérée des obscurités et entraves formelles de la
poésie classique, dans une langue plus simple qui puisse
transmettre des idées et valeurs propres à éclairer les
lecteurs.
Cette
révolution en poésie a trouvé un précurseur dans l’œuvre du
poète et diplomate Huang Zunxian (黄遵宪)
que, dans ses « Notes sur la poésie du Studio du buveur de
glace » (Yinbingshì
shihua《饮冰室诗话》),
Liang Qichao cite expressément aux côtés de Xia Zengyou (夏曾佑),
Tan Sitong (谭嗣同)
et Qiu Weixuan (邱炜萲),
comme modèle de poète moderne à émuler pour sa capacité à
intégrer des idées nouvelles dans une forme ancienne (“近世诗人,能镕铸新思想入旧风格者,当推黄公度”).
Il aurait été le premier à utiliser, dans un poème, le terme de
wenming (文明)
pour exprimer l’idée de « civilisation ». Dans ses « Notes de
voyage à Hawaii », Liang Qichao cite la série de quatre poèmes
« Adieux d’aujourd’hui » (Jin bieli《今别离》 )
qui chantent les bateaux, les trains, le télégraphe et la
photographie, en opposant les anciens modes de locomotion et de
communication aux modernes et en intégrant dans un style ancien
de yuefu le thème traditionnel du voyageur regrettant son
épouse.
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Edition illustrée des poèmes Jin bieli de
Huang Zunxian |
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Cependant,
c’est le roman qui s’est imposé comme le meilleur candidat à un
renouveau littéraire orienté vers un vaste public, et dans une
optique d’éveil au monde moderne pour lutter contre la paralysie
de la société chinoise en prônant des réformes de fond,
politiques et sociales. Comme l’a dit Yuan Jin (袁进)
dans son ouvrage sur la transformation de la littérature
chinoise dans la période moderne (zhongguo wenxue de jindai
biange
中国文学的近代变革),
la révolution littéraire du début du 20e siècle a
commencé par la poésie, mais c’est le roman qui a finalement
dominé la scène.
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Yuan Jin, la
transformation de la littérature chinoise
dans la période
moderne, rééd. 2006 |
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S’il en a été
ainsi, c’est bien sûr parce que le genre répondait aux besoins
narratifs des intellectuels en cette période cruciale, mais
aussi parce qu’il jouissait au 19e siècle d’une grand
popularité auprès d’un vaste public. Ce n’était pas forcément un
atout aux yeux de tout le monde car cette popularité était
fondée sur des œuvres jugées vulgaires, selon un préjugé
affectant le xiaoshuo depuis ses origines. Il faudra donc
un certain temps pour que le roman se libère de cette image en
devenant le mode narratif fondateur de la révolution littéraire
liée au projet politique de réforme de ses promoteurs,
révolution littéraire passant aussi par l’écriture en langue
vernaculaire.
o
La réforme par le baihua
Au début, à la
toute fin du 19e siècle, les discussions les plus
vives portent sur l’utilisation de la langue vernaculaire, ou
baihua (白话),
sans même trop poser la question de sa définition. Dans sa
discussion sur la littérature incluse dans ses « Annales
historiques du Japon » (《日本国志》)
écrites à la fin des années 1880 (voir note 2), Huang Zunxian
s’est fait l’apôtre d’une utilisation généralisée du
vernaculaire dans l’écriture de la fiction pour rapprocher la
langue écrite du langage parlé et gagner en clarté vis-à-vis
d’un large public ; mais, s’il mentionne le roman comme
correspondant le mieux à ce souci de se rapprocher du lecteur
moyen, urbain et moderne, il n’en va pas pour autant jusqu’à se
déclarer en faveur d’une révolution, ni même d’une réforme
littéraire..
De même, un
autre réformiste engagé, Qiu Tingliang (裘廷梁1857–1943),
fait de la langue vernaculaire son cheval de bataille, en en
faisant l’une des bases de la réforme pour laquelle il milite.
Mais c’est une langue vernaculaire locale, qui ouvre la
définition du baihua à des formes dialectales qui ont
commencé à être utilisées dans la presse à partir du milieu des
années 1870. Le 11 mai 1898, dans le cadre de la Réforme des
Cent Jours, Qiu Tingliang fonde avec sa nièce, l’écrivaine,
journaliste et traductrice
Qiu Yufang (裘毓芳),
le « Journal en langue vernaculaire de Wuxi » (《无锡白话报》).
Ils fondent aussi une école pour l’étude du chinois
vernaculaire.
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Qiu Tingliang |
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Ce sont autant
d’initiatives qui sont stoppées net par la répression du
mouvement réformateur. Mais parallèlement Qiu Tingliang publie
un article resté célèbre : « Le baihua comme fondement de
la réforme » (Lun baihua wei weixin zhi ben《论白话为维新之本》).
Il y donne des références et raisons historiques pour
l’utilisation du baihua comme moteur de la modernisation,
en citant l’exemple des écoliers japonais qui peuvent lire
facilement parce que l’écriture proche du langage parlé est
devenu la norme dans tout le pays. Mais il ne parle du roman
qu’une fois dans le cours de son article.
o
Nouvel intérêt pour le roman
L’intérêt pour
le roman se développe peu à peu après la défaite de la Chine à
l’issue de la première guerre sino-japonaise et les clauses
désastreuses pour la Chine du traité de Shimonoseki qui conclut
le conflit le 17 avril 1895 : elle devait céder au Japon les
îles Pescadores (ou Penghu
澎湖群岛),
la péninsule du Liaodong et l’île de Taiwan, lui payer de
lourdes indemnités de guerre et lui ouvrir les ports de
Chongqing, Suzhou et Hangzhou… Ce traité a sur les esprits des
conséquences similaires à celles du traité de Versailles en
1919 : un choc et une indignation générale et, lié à une prise
de conscience de la faiblesse de la Chine sur l’échiquier
mondial, un sentiment de crise nationale entraînant l’urgente
nécessité de réformes.
Dans ce climat
est publié le Gongche Shangshu (公车上书)
ou « Pétition au trône des candidats aux examens impériaux »,
document opposé au traité de Shimonoseki qui demandait
l’abrogation du traité, la modernisation de l’armée impériale et
la mise en œuvre de réformes. C’est à partir de là que se
constitue un mouvement réformateur auquel participent des
intellectuels en vue, dont le grand traducteur
Yan Fu (严复).
Les signataires de la Pétition se retrouvent peu de temps plus
tard dans les rangs des promoteurs de la Réforme des Cent Jours.
Le mouvement est considéré comme le premier mouvement politique
en Chine.
Il n’eut aucun
effet direct mais, entraînant une prise de conscience de
l’importance de réformes, suscita une floraison de journaux pour
les promouvoir, journaux souvent fondés avec des capitaux
étrangers où s’illustrent les intellectuels réformateurs. C’est
le cas, par exemple, du Zhibao (《直报》),
fondé en 1895 à Tianjin par un Allemand, Constantin von
Hannecken, qui avait été conseiller de
Li Hongzhang (李鴻章)
– le nom du journal est une référence à la province du Zhili (直隶)
dont Li Hongzhang était le vice-roi. C’est dans ce journal que
Yan Fu, qui en était rédacteur, publie plusieurs articles en
faveur de réformes.
L’émergence du
roman dans ce contexte de crise est liée au sentiment de
l’urgente nécessité de réformes, et de la nécessité conjointe
d’en faire prendre conscience à la nation entière. C’est le
roman qui apparaît alors comme le candidat idéal pour remplir
cet objectif. Genre méprisé des lettrés, mais populaire auprès
du grand public, le roman offrait justement, par les défauts
mêmes qui lui était habituellement reprochés, le véhicule idéal
pour diffuser des idées dans une langue adaptée à son public,
sous couvert de narration de fiction. Le xiaoshuo
trouvait là de nouvelles lettres de noblesse ; encore fallait-il
inventer un nouveau mode narratif et peaufiner un baihua
encore hésitant.
Le 10 novembre
1897, un éditorial cosigné
Yan Fu
et Xia Zengyou (夏曾佑)
annonce un supplément littéraire au journal Guowen Bao (《国闻报》)
dont ils sont rédacteurs. Ce journal basé à Tianjin est édité
avec des fonds du gouvernement japonais pour promouvoir une
action conjointe de la Chine et du Japon en opposition aux
puissances occidentales, mais c’est dans ce supplément
littéraire que Yan Fu va publier en feuilleton sa première
grande traduction, celle de l’ouvrage de Huxley « Evolution and
Ethics ». L’éditorial annonçant le supplément est l’un des
premiers à promouvoir l’idée d’une réforme nécessaire de la
littérature de fiction.
La répression
brutale des réformateurs après le coup d’Etat perpétré le 21
septembre 1898 par l’impératrice et le clan des
ultra-conservateurs de la cour, mettant fin à la Réforme dite
des Cent jours, ne fait qu’accentuer le sentiment de crise et
l’importance du roman, entraînant la naissance d’un genre
nouveau de fiction sous les auspices de
Liang Qichao (梁啟超).
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Liang Qichao |
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II/ La
révolution du roman
o
Révolution dans le monde du roman
C’est en effet
un article de Liang Qichao qui lance ce renouveau littéraire, en
appelant à une « révolution dans le monde du roman » (小说界革命),
après celle du monde de la poésie, dans un article publié en
1902 au Japon…
Cet article
historique intitulé « Des
relations entre la fiction et le gouvernement du peuple » (《论小说与群治之关係》)
est publié fin 1902 dans le premier numéro de la revue
littéraire Xin xiaoshuo (《新小说》)
lancée à Yokohama en novembre par Liang Qichao. Il appelle dans
cet article à moderniser le xiaoshuo (au sens général de
fiction), et ce dans le but de rénover à la fois
la morale, la religion, les mœurs et les arts, et de remodeler
par là-même les cœurs et les esprits du peuple, car, dit-il, la
fiction exerce un pouvoir inestimable sur l'humanité.
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La revue Xin xiaoshuo |
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Mais c’était après une série d’articles qui lui avait pavé la
voie, et sous l’influence de personnalités du monde anglo-saxon.
o
Influences étrangères
Cette
« révolution du roman » se fait sous l’influence de l’étranger,
du Japon bien sûr, mais aussi d’idées empruntées au monde
anglo-saxon qui circulaient en particulier à Shanghai, par le
biais de nombreuses traductions.
1/ Une influence déterminante a été celle d’un missionnaire
anglican arrivé à Hong Kong en 1861 : John Fryer (Fu
Lanya
傅蘭雅/
傅兰雅1839-1928).
Professeur d’anglais à l’école de langues Tongwenguan (同文馆)
de Pékin en 1863, puis en 1865 directeur de l’école
franco-chinoise de Shanghai (Yinghua shuguan上海英华书馆),
il a été de fin 1866 à 1868 rédacteur du Shanghai Xinbao
(新报),
journal chinois fondé par l’éditeur anglais de l’hebdomadaire
North China Herald. Puis, à partir de 1868, il a enseigné à
l’Arsenal de Jiangnan (Jiangnan zhizaoju
江南制造局)
qui a joué un rôle important à l’époque dans le domaine de
l’enseignement des langues, et de la littérature plus
généralement par le biais de traductions. En 1876, Fryer fonde
l’Institut polytechnique de Shanghai (Gezhi xueyuan
格致学院)
et, en 1884, une bibliothèque de livres scientifiques, le
Gezhi Shushi (格致书室).
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John Fryer |
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C’est ce Fryer
qui, en mai 1895, publie un long article exprimant l’intérêt du
roman pour lutter contre les « mauvaises habitudes du peuple »
et faire évoluer la société : « A la recherche du roman des
temps modernes » (Qiuzhe shixin xiaoshuo qi
《求著时新小说启》).
Et cet article, il le publie dans le Shenbao (《申報》),
journal fondé par un homme d’affaires britannique à Shanghai en
1872 et devenu l’un des premiers journaux modernes chinois.
C’est le journal dont Liang Qichao recommandait la lecture pour
se maintenir au courant de la politique étrangère ; l’article a
donc eu d’autant plus d’impact sur l’évolution du roman.
Dans un esprit
pratique, Fryer a lancé un appel à des textes, mais s’est
ensuite dit très déçu par les récits reçus, faisant écho aux
commentaires tout aussi négatifs de Liang Qichao. L’anthologie
modèle qu’il avait projetée est tombée à l’eau. La révolution du
roman est restée un temps dans les têtes.
2/ L’idée a
pourtant été encouragée à la même époque par un autre
missionnaire britannique, Timothy Richard (dit ‘‘Li
Timotai’’
李提摩太 ),
venu en Chine en 1869 pour le compte de la société missionnaire
baptiste, puis actif auprès du gouvernement des Qing pour
promouvoir l’enseignement et participant à ce titre à la
fondation de l’université du Shanxi. Il écrivait pour le
Wanguo gongbao (《萬國公報》/《万国公报》),
mensuel fondé en 1868 par le missionnaire méthodiste Young John
Allen qu’affectionnait en particulier Kang Youwei.
C’est dans ce
journal que Timothy Richard a sérialisé entre la fin de 1891 et
avril 1892 une traduction (abrégée) en chinois classique d’un
roman américain d’Edward Bellamy publié en 1888 :
« Looking Backward » (Huitou kan jilue
《回頭看記略》).
Traduit en français (par Paul Rey) en 1891 sous le titre « Cent
ans après ou l’An 2000 », il s’agit d’un roman futuriste
utopique
qui est aussi un roman de vulgarisation : l’auteur
imagine une société idéale dans les années 2000 dans laquelle un
jeune Bostonien contemporain de l’auteur se trouve projeté,
passant d'un monde d'injustices et de pauvreté à une société où
règnent harmonie, justice et prospérité, en rupture avec le
capitalisme, mais aussi l’individualisme. Le problème ouvrier a
disparu car chacun a pour seul employeur l’Etat, les écarts de
richesse ont été quasiment éliminés et le temps de travail est
aménagé en fonction de la pénibilité des tâches ; la production
est régulée en fonction de la demande. C’est le pendant utopique
de la vision dystopique de Jack London.
Le roman connaît un grand succès. Il est publié en Chine en un
seul volume et en langue classique en 1894, par les éditions
missionnaires
Guangxue hui
(广学会),
sous le titre « Un sommeil de cent ans » (Bainian yijiao
《百年一覺》) ;
puis, traduit en langue vernaculaire, il est publié en 1898 aux
éditions
Zhongguo guanyin baihua bao (中國官音白話報)
sous le titre « Regard rétrospectif » (Huitou kan《回頭看》),
version en baihua rééditée en 1904 dans la revue
Xiuxiang xiaoshuo (《绣像小说》)
dont le romancier
Li Boyuan (李伯元)
est alors rédacteur en chef. On ne compte pas ensuite les
séquelles.
L’œuvre a exercé une grande influence en Chine. Elle a nettement
inspiré la première – et unique – intrusion de Liang Qichao dans
le domaine de la fiction : le roman « L’avenir de la Chine
nouvelle » (
Xin Zhongguo
weilai ji
(新中國未來記),
commencé en 1902 et laissé inachevé, essentiellement faute de
réussir à imaginer cet avenir. Mais le roman de Bellamy a
également été l’une des sources d’inspiration d’un roman bien
plus important pour l’histoire de la littérature : « La nouvelle
Histoire de la Pierre » (《新石头记》)
de
Wu Jianren (吴趼人),
également conçu comme un roman d’anticipation, une séquelle
imaginant une suite à l’histoire du personnage de Jia Baoyu (贾宝玉)
dans le Hongloumeng (《红楼梦》).
o
Le renouveau du roman, pas à pas
Dans ce contexte, le débat sur le nouveau roman agite le
microcosme intellectuel et littéraire, et se développe autour
d’arguments exposés dans plusieurs articles de fond.
1/ Le nouveau roman fait l’objet d’un premier article de Liang
Qichao au début de 1897, en complément d’une réflexion sur une
réforme du système éducatif : il s’agissait de proposer des
types de textes qui puissent être utilisés dans le cadre d’un
enseignement moderne. Liang Qichao partait de la constatation
que les lecteurs de fiction sont bien plus nombreux que ceux des
classiques et que le roman était un outil éducatif
potentiellement bien plus intéressant pour diffuser des idées
modernes. C’est en raison même du mépris traditionnel envers
cette forme littéraire, poursuivait Liang Qichao, qu’elle
n’avait attiré jusque-là que des gens de peu de talent (xiao
you cai zhi ren
小有才之人),
des écrivains qui se plaisaient à écrire des histoires d’amour
et de brigands qui n’incitaient qu’à la luxure et au banditisme
(huì
yín huì
dào诲淫诲盗).
2/ Le 10
novembre de cette même année 1897, le journal de Tianjin
Guowen bao (《国闻报》)
– fondé le 26 octobre précédent par des intellectuels
réformistes dont le traducteur
Yan Fu (严复)
et son ami Xia Zengyou (夏曾佑)
– annonce le lancement d’un supplément littéraire dans lequel
est publié, trois jours durant, un long article intitulé « Les
raisons de la création d’un supplément littéraire » (Benguan
fuyin shuobu yuanqi
《本館附印說部緣起》).
L’article est une apologie extrêmement complexe et tortueuse du
roman. N’étant pas signé, on en a déduit qu’il était écrit par
la rédaction, et même, comme il était truffé de références à
l’histoire et à la littérature occidentales, de la main de Yan
Fu lui-même assisté de Xia Zengyou.
Leur argument
reprend le point souligné par Liang Qichao dans son article : la
popularité du roman (au sens de fiction au sens large)
s’explique par ses atouts auprès du grand public, en termes
d’intérêt narratif. Mais c’est un argument à double tranchant.
Dans la dernière partie, ils retiennent en effet contre le roman
le reproche usuel de morale douteuse et propension aux dérives
mensongères, toujours fondé sur l’exemple des mêmes classiques
que ceux cités par les détracteurs du genre, « Le roman des
trois royaumes », « Au bord de l’eau », « Le rêve dans le
pavillon rouge » et autres. Mais ils tentent de défendre le
genre en arguant qu’il y avait dans ces récits des subtilités
cachées entre les lignes, que le lecteur moyen, réduit à une
lecture superficielle, était incapable de déceler. Mais,
soulignent les auteurs, le roman a été au centre des périodes de
renouveau intellectuel et d’ouverture (开化)
en Europe, aux États-Unis et au Japon. Le roman est donc un
outil civilisateur d’un grand intérêt potentiel car il s’adresse
au cœur des lecteurs. Il suffit de lui redonner force et éclat.
En ces
dernières années du 19e siècle, la popularité du
roman, en tant que fiction, est donc l’argument central de la
discussion, et c’est un argument utilitaire. Un réformateur
comme Kang Youwei y voit un outil pédagogique adapté à
l’enseignement des enfants et des gens sans éducation.
3/ Dans ce
contexte, Liang Qichao reprend le
débat dans un nouvel article publié au Japon où il s’est
réfugié en septembre 1898 après le fiasco de la Réforme des Cent
Jours : « Préface à la publication de traductions de romans
politiques » (Yi yin zhengzhi xiaoshuo xu《译印政治小说序》).
L’article paraît en décembre 1898 dans le premier numéro du
journal alors fondé à Yokohama par Liang Qichao, le Qingyi
bao (《清議報》/《清议报》).
Le journal était créé dans le but de « montrer la voie du
progrès à la population chinoise », l’article sur les
traductions se situant dans la même perspective.
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Le premier numéro du
Qingyi bao |
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Liang Qichao
se fait l’avocat d’une nouvelle catégorie de fiction, importée
d’Occident : le roman politique (zhengzhi xiaoshuo
政治小说),
investi d’une mission d’éveil de la conscience nationale. Le
terme comme le concept est inspiré de la littérature japonaise
où la notion de roman politique s’est développée sous
l’influence de deux écrivains britanniques du 19e
siècle, Benjamin Disraeli et George Bulwer-Lytton.
Dans son
article, Liang Qichao oppose le rôle social du nouveau roman à
la fonction de divertissement du roman chinois traditionnel.
Reprenant l’argument de Yan Fu, Liang Qichao reconnaît que le
roman traditionnel est le genre qui touche le plus vaste public,
mais parce qu’il est facile et distrayant. Ce sont les mêmes
arguments contre le roman classique qui sont repris en boucle,
et dans une langue qui est encore loin d’être du baihua :
中土小说,虽列之于九流,然自虞初以来,佳制盖鲜。述英雄则规画《水浒》,道男女则步武《红楼》,综其大较,不出诲盗诲淫两端,陈陈相因,涂涂递附,故大方之家,每不屑道焉。虽然,人情厌庄喜谐之大例,既已如彼矣,彼夫缀学之子,黉塾之暇,其手《红楼》而口《水浒》,终不可禁,且从而禁之,孰若从而导之?善夫南海先生之言也!
« Le
xiaoshuo en terre chinoise, bien que classé dans les
bibliographies des histoires officielles parmi les « neuf
courants de pensée » [de la période des Printemps et Automnes et
Royaumes combattants],
à partir de Yu Chu [figure représentative du xiaoshuo
sous les Han de l’Ouest],
le genre a connu de brillants développements. Si un auteur
désirait écrire une histoire d’héroïsme, il prenait pour modèle
« Au bord de l’eau » (Shuihu [zhuan]《水浒》)
et si, en revanche, un autre voulait décrire les relations entre
hommes et femmes, il s’inspirait du « Rêve dans le pavillon
rouge » (Honglou[meng]《红楼》).
De manière générale, tout entrait dans ces deux catégories,
l’une incitant au banditisme l’autre à la luxure (huì
yín huì
dào诲盗诲淫).
Les œuvres se succédaient en chaîne, selon les mêmes principes.
C’est pourquoi les écrivains de valeur dédaignaient le genre.
Mais il faut bien reconnaître que les gens par goût détestent le
sérieux et aiment la frivolité, alors quoi de plus naturel
qu’ils s’arrêtent dans leurs études et prennent un peu de
loisirs, en lisant qui le « Rêve », qui « Au bord de l’eau » ;
il est impossible de l’empêcher, ne vaut-il donc pas mieux de
tenter de diriger le mouvement, comme l’a dit le sieur Nanhai ? »
Ce qui ressort
de l’article, c’est une profonde dévalorisation du roman
traditionnel chinois, et ce en prenant pour exemples deux des
plus célèbres, qui n’ont même pas besoin d’être cités en entier,
deux caractère suffisent ; ils prennent ainsi valeur symbolique.
Le problème est que, de la sorte, Liang Qichao se ferme la porte
à leur utilisation dans le cadre de son projet de renouveau du
genre romanesque à des fins pratiques. Ce qu’il invoque, pour
sortir de l’impasse, c’est l’exemple du roman politique
étranger, et japonais en première ligne, et la nécessité d’une
refondation du genre en effaçant le précédent déplorable du
roman chinois et en s’aidant de traductions.
4/ En 1902, le
nouveau journal, « Fiction nouvelle » (Xin xiaoshuo
《新小说》),
fondé en novembre par Liang Qichao à Yokohama devient tout de
suite la plus importante revue littéraire du moment et inspire
une série de créations semblables, aussi bien au Japon qu’en
Chine. L’article qu’il y publie dans le premier numéro de
novembre, « Des relations entre la fiction et le gouvernement du
peuple » (Lun xiaoshuo yu qunzhi zhi guanxi《论小说与群治之关係》),
confirme l’importance primordiale qu’il accorde au nouveau
roman.
C’est le
pouvoir émotionnel de la fiction qu’il met au centre de son
argumentation (感人之深,莫此为甚),
en élaborant et illustrant son propos par le biais de notions du
bouddhisme chan, mais aussi de néoconfucianisme. En
raison même de cet impact émotionnel considéré comme
fondamental, il désigne le roman (ou plus généralement la
fiction) comme « le meilleur "véhicule" littéraire » (小说为文学之最上乘也!),
possédant le pouvoir ultime d’élever les esprits (au sens de
tí
提)
pour les transformer ; et ce pouvoir est le plus fort car il
vient de l’intérieur.
Cependant,
Liang Qichao en revient à la nécessité de redonner une nouvelle
vie au genre du xiaoshuo, les romans du passé (toujours
les mêmes) ayant agi comme un poison pour les esprits : si s’est
produite la Révolte des Boxers, c’est parce qu’ils se prenaient
pour les héros du Liangshan,
et si les Chinois sont devenus frivoles et sentimentaux, c’est
pour avoir lu le Pavillon rouge, etc… Le programme, cependant,
est annoncé dès l’introduction, l’argumentation étant développée
ensuite. Ces deux lignes sont restées comme un véritable
manifeste du nouveau roman :
欲新一国之民,不可不先新一国之小说。故欲新道德,必新小说;欲新宗教,必新小说;欲新政治,必新小说;欲新风俗,必新小说;欲新学艺,必新小说;乃至欲新人心,欲新人格,必新小说。何以故?小说有不可思议之力支配人道故。
« Si l’on
désire redonner vie à un peuple, il faut d’abord redonner vie à
la littérature de fiction du pays. Ainsi, si l’on veut une
nouvelle moralité, il faut de nouveaux romans ; si l’on veut une
nouvelle religion, il faut de nouveaux romans ; si l’on veut une
politique nouvelle, il faut des romans nouveaux ; si l’on veut
des coutumes nouvelles, il faut des romans nouveaux et si l’on
veut des talents académiques nouveaux, il faut des romans
nouveaux. Cela va jusqu’au cœur des hommes, à leur caractère, si
l’on veut les rénover, il faut un roman nouveau. Et pourquoi
donc ? Parce que le roman a un pouvoir inimaginable pour
gouverner (zhīpèi
支配)
l’humanité (réndào
人道). »
C’est en même
temps un texte révélateur des recherches de Liang Qichao sur la
langue : outre les emprunts au vocabulaire bouddhique, il a un
aspect incantatoire qui tient beaucoup à l’utilisation de
parallélismes et de formules répétitives soulignant la
progression de l’argumentation (小说也).
5/ C’est
la même année que Liang Qichao publie le début de son récit de
fiction intitulé « L’avenir de la Chine nouvelle » (《新中国未来记》),
en application directe de cet appel visant à rénover la fiction.
C’est un récit d’anticipation politique où l’auteur imagine une
Chine prospère en 1962. L’histoire est contée en flashback, à
partir d'un discours célébrant le 50ème anniversaire de la
République de la Grande Chine prononcé par un énième descendant
de Confucius. Le récit relate les efforts de ce lettré et de son
meilleur ami pour trouver le meilleur mode de gouvernement pour
la Chine, mais sans qu’ils parviennent à concilier leurs
désaccords.
Le roman est resté inachevé, faute de revue pour publier la
suite, mais surtout parce que Liang Qichao s’est retrouvé en
panne d’inspiration : l’inachèvement traduit ses doutes sur la
suite à donner à son récit, et ses incertitudes sur le meilleur
gouvernement à donner à la Chine, incertitudes partagées par
nombre des anciens réformateurs.
Quoi qu’il en soit, ce nouveau mode narratif est représentatif
d’une manière nouvelle d’écrire l’histoire, dans laquelle
s’inscrit la vogue des romans politiques des premières années du
20e siècle, à commencer par ceux publiés par Xin
xiaoshuo même avant de disparaître en janvier 1906. Sont en
particulier sérialisés dans ses pages trois des romans écrits en
parallèle par l’un des principaux représentants de ce nouveau
roman politique,
Wu Jianren (吴趼人).
Mais, entretemps, l’article de Liang Qichao a provoqué, sur fond
de crise politique, une vive controverse littéraire qui
s’exprime à partir de 1903 et dans les années suivantes dans les
colonnes des différentes revues dirigées et animées par les
principaux promoteurs et auteurs du roman politique.
o
Le roman entre révolution littéraire et réforme politique
1. Le débat passe d’abord par une défense de la langue
vernaculaire. En 1903,
Xia Zengyou (夏曾佑)
publie sous un pseudonyme un long article intitulé « Principes
théoriques de la fiction » (《小说原理》)
dans le troisième numéro de la revue « Fiction brodée » (Xiuxiang
xiaoshuo《绣像小说》) dont
Li Boyuan (李伯元)
est rédacteur en chef.
Dans cet
article original qui n’a rien perdu de son intérêt, Xia Zengyou
étudie les différences de réaction des lecteurs aux textes
illustrés qui leur sont proposés dans le journal ; il en conclut
que tous les lecteurs, quels que soient leur statut social et
leur niveau d’éducation, préfèrent les images au texte, et,
parmi les textes, ceux de fiction plutôt que les narrations
historiques ou les ouvrages scientifiques. La préférence pour le
texte s’entend en termes de récits en baihua, préférence
que l’auteur explique dans un autre article par les
caractéristiques visuelles de la langue vernaculaire ainsi que
par son aptitude à rendre la vie quotidienne en profondeur.
2. L’article de Liang Qichao a cependant déchaîné les critiques,
à l’encontre d’une part de sa vision de la fiction
essentiellement comme outil de réforme politique, mais aussi de
sa condamnation sans rémission des grands romans de la
littérature vernaculaire chinoise qui ne faisait que reprendre
le mépris teinté de méfiance des lettrés à l’égard du
xiaoshuo. Un espace de libre discussion est alors créé dans
les pages mêmes de la revue Xin xiaoshuo de Liang Qichao,
où s’expriment une dizaine d’intellectuels en défense du roman
classique.
La critique reste cependant mesurée.
Wu Jianren,
qui était en charge du forum de discussion de Xin xiaoshuo,
quitte la revue en 1904 pour tenter de créer sa propre
revue. Après plusieurs tentatives, il lance en novembre 1906, le
« Mensuel de la fiction » (Yueyue xiaoshuo《月月小说》).
Comme d’usage, le premier numéro comporte une introduction (《序》)
signée de sa main dans laquelle il définit ses objectifs ; il se
démarque de Liang Qichao en donnant toute leur importance aux
sentiments, mais en les liant à une exigence morale, donnant
pour but à la fiction
« par le biais
du plaisir de lecture et des émotions, de contribuer à
l’éducation morale [des lecteurs] » (“借小说之趣味之感情,为德育之一助”).
Wu Jianren
reste ainsi dans l’orbite de Liang Qichao appelant à un
renouveau de l’écriture de fiction dans un but politique et
éducatif, afin d’exposer les maux de la société pour inciter à
les corriger par des réformes.
3. La rupture
avec cette conception utilitariste de la littérature de fiction
intervient l’année suivante avec la création par
Zeng Pu (曾朴)
d’une nouvelle revue mensuelle, « La forêt de la fiction » (Xiaoshuo
lin yue kan《小说林月刊》
) où s’affirme un intérêt prononcé pour la valeur proprement
artistique de la fiction.
- Ce débat
vient relayer une discussion poursuivie, mais de manière
feutrée, depuis les théorie et jugements énoncés par le
critique et historien de la littérature Jin Shengtan (金圣叹)
au 17e siècle – Jin Shengtan qui a placé au pinacle
des grands chefs d’œuvre de la littérature chinoise des œuvres
en vernaculaire aussi bien qu’en langue classique : parmi ses
« six œuvres de génie » (六才子书)
figurent aussi bien « La chambre de l’ouest » (Xixiang ji《西厢记》)
et « Au bord de l’eau » que le Zhuangzi, les « Mémoires
historiques » de Sima Qian et les poèmes de Du Fu… Dans la
grande tradition classique, il a d’ailleurs laissé des
commentaires sur le Xixiang ji et le Shuihu zhuan
qui sont de purs éloges de la qualité d’écriture de ces auteurs.
Jin Shengtan
trouvera des échos à la fin des Ming, chez l’historien et poète
Qian Qianyi (钱谦益)
par exemple. Mais ces idées sont, dans l’ensemble, longtemps
jugées iconoclastes, venant de personnages jugés excentriques.
Il faudra attendre Hu Shi (胡适),
à la suite du mouvement du 4 mai, pour que Jin Shengtan et ses
idées soient réévaluées, mais pour être à nouveau critiquées
après 1949…
- Des voix se
sont cependant élevées à la suite de l’article de Liang Qichao,
parmi lesquelles l’une des plus influentes a été celle de
Wang Guowei (王国维),
autre natif du Jiangnan qui, pour avoir raté les examens
impériaux, est entré dans une école de langue japonaise avant de
partir au Japon en 1901 pour y étudier la philosophie allemande.
Il publie en 1904 une réévaluation critique du « Rêve dans le
pavillon rouge » inspirée par l’esthétique de Schopenhauer et
ses concepts d’œuvre d’art et de tragédie.
Le dénouement tragique du Hongloumeng tel qu’il a été
laissé à la mort de l’auteur est la marque même, pour Wang
Guowei, du caractère exceptionnel de l’œuvre, dans un contexte
littéraire chinois où un récit se conclut généralement de
manière positive, par une réconciliation. Or, selon Wang Guowei,
l’art doit refléter l’amère nature de la vie humaine, et agir
comme catharsis.
Il montrait
ainsi que l’on pouvait s’émanciper des confins étroits de la
tradition chinoise pour réévaluer la littérature, en s’aidant de
la pensée occidentale et en plaçant l’art au centre de ses
préoccupations et de son analyse.
- Wang Guowei
a fait nombre d’émules, dont
Xu Nianci (徐念慈)
qui a participé à un programme éducatif révolutionnaire dans son
Jiangsu natal, puis à la fondation en 1905 de la maison
d’édition « La forêt de la fiction » de Zeng Pu, et deux ans
plus tard à la revue éponyme éditée par la maison d’édition. Il
est l’un de ceux qui contribuent alors à une réflexion
esthétique sur le roman. Dans son article en forme de manifesto
publié dans le premier numéro de la revue en février 1907, il
reprend l’idée de force émotionnelle du roman en en cherchant la
source : en se référant à l’esthétique de Kant et de Hegel, il
la trouve dans la « beauté » (mei
美)
transcendant la réalité.
Poursuivant sa
réflexion, il publie en 1908, dans deux numéros successifs de la
même revue, un long article sur sa conception de la fiction (yu
zhi xiaoshuo guan《余之小说观》)
qui propose une vision différente de celle de Liang Qichao sur
les relations entre fiction et société : pour lui, la relation
est réciproque car, si la fiction a une influence sur la
société, la société se reflète en elle.
- Xu Nianci
meurt de surmenage en 1908 à l’âge de 34 ans. Mais sa réflexion
est poursuivie par son ami Huang Ren qui lui succède à la
rédaction de la revue. Lettré d’une grande culture, Huang Ren
(黄人
ou
Huang
Moxi
黄摩西
1866–1913), est l’auteur de ce qui est considéré comme la
première histoire de la littérature chinoise (Zhongguo wenxue
shi《中国文学史》),
compilée à partir des notes des cours donnés à l’université de
Suzhou dans les années suivant sa fondation en 1900. Il y
défendait le statut de la littérature, idée qu’il développe par
ailleurs dans une série d’articles publiés dans la revue
Xiaoshuo lin en 1907 et 1908. Modestement intitulés « Menus
propos sur le xiaoshuo » (xiaoshuo xiaohua《小说小话》),
ce sont pourtant des articles de fond où Huang Ren pose la
tradition narrative chinoise comme éminemment sérieuse, en se
fondant sur des exemples tirés des grands romans classiques et
en opposant l’ouverture d’esprit nécessaire pour écrire un roman
à la stérilité de la prose étudiée pour les examens mandarinaux.
Il va même jusqu’à voir dans le roman une forme permettant une
approche nouvelle, plus scientifique, de la réalité du monde
ambiant, mieux que toute autre forme littéraire existant en
Chine. Son Histoire de la littérature comporte en particulier un
chapitre sur « Les romans à chapitres
des auteurs Ming » (明人章回小说)
qui redore le blason du genre.
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Huang Ren (Huang Moxi) |
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Huang Ren a
pris en 1907 la direction de l’une des nombreuses sociétés
littéraires qui ont fleuri à la fin de cette première décennie
du siècle : la Société de soutien à l’étude de la culture
nationale (Guoxue fulun she
国学扶轮社),
fondée à Shanghai. Deux ans plus tard, il devient membre de la
Société littéraire du Sud (Nanshe
南社)
fondée le 13 novembre 1909 à Suzhou, engagée à la fois dans le
renouveau de la poésie et dans l’opposition à Yuan Shikai, ce
qui montre bien le caractère indissociable de la littérature et
de la politique à cette époque.
C’est grâce à
la Guoxue fulun she qu’il publie en 1911 son autre œuvre
monumentale : son « Nouveau grand dictionnaire encyclopédique
général » (Putong baike xin da cidian《普通百科新大辞典》).
Il meurt lui
aussi prématurément, atteint par des troubles mentaux, en mai
1913.
_____
Cet intense
bouillonnement créatif va être englouti dans l’effervescence du
mouvement du 4
mai,
né dans des circonstances très semblables à celles du mouvement
réformateur de 1895, et la réforme du roman emportée par
l’émergence de la littérature en baihua, sous l’égide de
Lu Xun, essentiellement autour de la nouvelle.
La naissance
du roman politique dans la période charnière de la fin des Qing,
sous l’influence de la littérature occidentale, aura cependant
laissé des précédents qui ne seront pas totalement perdus. On en
retiendra ce que Lu Xun a appelé les « romans de dénonciation »
(谴责小说)
qui annoncent la vogue des « romans
anti-corruption »,
mais auxquels se rattachent aussi bien, de manière générale, les
romans dits réalistes à partir des années 1990.
Bibliographie
-
The
Chinese Novel at the Turn of the Century, Milena
Dolezelova-Velingerová (ed.), University of Toronto Press, 1980.
-
Chinese Fiction of the Nineteenth and Early Twentieth Centuries:
Essays by Patrick Hanan, Columbia University Press, 2004.
-
Chinese Fiction of the Nineteenth and Early Twentieth Centuries,
Patrick Hanan, Columbia University Press, 2013.
-
Bringing the World Home:
Appropriating the West in Late Qing and Early Republican China,
Theodore Huters, University of Hawai’i Press, 2005.
- Fiction From the End of the Empire to the Beginning of the
Republic (1897-1916) by
Milena Dolezelova-Velingerová, in :The
Columbia History of Chinese Literature,
Victor H. Mair ed., Columbia University Press, 2001 (ch. 38)
Sur l’arsenal de Jiangnan, voir :
-
Hybrid Science versus Modernity: The Practice of the
Jiangnan Arsenal, 1864-1897,
Meng Yue ,
East
Asian Science, Technology, and Medicine n° 16, 1999 :
https://www.jstor.org/stable/43150555
- The Jiangnan Arsenal: A Microcosm of Translation and
Ideological Transformation in 19th-century China, Rachel
Lung, revue Meta, vol. 61, hors-série 2016, version
numérique en ligne :
https://www.erudit.org/fr/revues/meta/2016-v61-meta02902/1038684ar/resume/
Pour
la petite histoire, Fryer donnait en exemple dans son
article l’influence exercée par « La Cabine de l’oncle
Tom » pour l’abolition de l’esclavage aux Etats-Unis :
le roman a été le premier roman américain traduit en
chinois, par
Lin
Shu (林紓) ;
Harriet Beecher Stowe va devenir – aux côtés de … madame
Roland – un archétype de femme révolutionnaire donnée
en exemple aux femmes chinoises pour les inciter à
assumer un rôle dans la société.
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