Histoire littéraire

 
 
 
     

 

 

Brève histoire du xiaoshuo

 

VI. Essor du roman sous les Qing

3. Le roman satirique et politique

3A Du roman satirique au roman politique  (18e-19e siècles)

3B Roman politique et nouveau roman (fin du 19e/début du 20e siècle)

par Brigitte Duzan, 11 novembre 2023

 

C’est dans un contexte de crise nationale, dynastique, politique et sociale, qu’à la fin du 19e siècle émerge un mouvement appelant à un renouveau littéraire, renouveau qui passe de manière inédite par le roman. C’est dans cette forme du xiaoshuo longtemps méprisée par les lettrés que les intellectuels progressistes et réformistes de la fin des Qing décèlent un potentiel permettant d’exprimer une pensée nouvelle, moderne, critique, à l’encontre des rigidités des modèles traditionnels.

 

I/ Roman contre poésie

 

Le sentiment de crise, suscitant désarroi, angoisse et confusion, entraîne une effervescence intellectuelle, frustrée par l’échec des efforts de réforme. Dans ce contexte, le roman apparaît aux yeux des intellectuels comme une forme narrative à développer pour répondre à deux des exigences du moment : représenter la crise en cours dans toute son acuité, en réfléchissant sur un mode d’écriture en phase avec la situation actuelle, et le faire pour un vaste public dans un but d’information et d’éveil, le tout étant lié au problème de la langue, et au développement de l’écriture en langue vernaculaire pouvant toucher le plus grand nombre.

 

o    Révolution en poésie

 

C’est Liang Qichao (梁啟超) qui s’est fait le plus ardent avocat d’un nouveau mode d’écriture opérant une véritable révolution dans la forme comme dans le fond, en appelant d’abord, au tournant du 20e siècle, à une « révolution dans le monde de la poésie » (shijie geming 诗界革命). Dans ses « Notes de voyage à Hawaii » (《夏威夷游记》)[1], il appelle à un poésie nouvelle pour dépeindre la vie moderne, une poésie libérée des obscurités et entraves formelles de la poésie classique, dans une langue plus simple qui puisse transmettre des idées et valeurs propres à éclairer les lecteurs.

 

Cette révolution en poésie a trouvé un précurseur dans l’œuvre du poète et diplomate Huang Zunxian (黄遵宪)[2] que, dans ses « Notes sur la poésie du Studio du buveur de glace »  (Yinbingshì shihua《饮冰室诗话), Liang Qichao cite expressément aux côtés de Xia Zengyou (夏曾佑), Tan Sitong (谭嗣同) et Qiu Weixuan (邱炜萲), comme modèle de poète moderne à émuler pour sa capacité à intégrer des idées nouvelles dans une forme ancienne (近世诗人,能镕铸新思想入旧风格者,当推黄公度). Il aurait été le premier à utiliser, dans un poème, le terme de wenming (文明) pour exprimer l’idée de « civilisation ». Dans ses « Notes de voyage à Hawaii », Liang Qichao cite la série de quatre poèmes  « Adieux d’aujourd’hui » (Jin bieli《今别离》 ) qui chantent les bateaux, les trains, le télégraphe et la photographie, en opposant les anciens modes de locomotion et de communication aux modernes et en intégrant dans un style ancien de yuefu le thème traditionnel du voyageur regrettant son épouse[3].

 

 

Edition illustrée des poèmes Jin bieli de Huang Zunxian

 

 

Cependant, c’est le roman qui s’est imposé comme le meilleur candidat à un renouveau littéraire orienté vers un vaste public, et dans une optique d’éveil au monde moderne pour lutter contre la paralysie de la société chinoise en prônant des réformes de fond, politiques et sociales. Comme l’a dit Yuan Jin (袁进) dans son ouvrage sur la transformation de la littérature chinoise dans la période moderne (zhongguo wenxue de jindai biange 中国文学的近代变革)[4], la révolution littéraire du début du 20e siècle a commencé par la poésie, mais c’est le roman qui a finalement dominé la scène[5].

 

 

Yuan Jin, la transformation de la littérature chinoise

 dans la période moderne, rééd. 2006

 

 

S’il en a été ainsi, c’est bien sûr parce que le genre répondait aux besoins narratifs des intellectuels en cette période cruciale, mais aussi parce qu’il jouissait au 19e siècle d’une grand popularité auprès d’un vaste public. Ce n’était pas forcément un atout aux yeux de tout le monde car cette popularité était fondée sur des œuvres jugées vulgaires, selon un préjugé affectant le xiaoshuo depuis ses origines. Il faudra donc un certain temps pour que le roman se libère de cette image en devenant le mode narratif fondateur de la révolution littéraire liée au projet politique de réforme de ses promoteurs, révolution littéraire passant aussi par l’écriture en langue vernaculaire.  

 

o    La réforme par le baihua

 

Au début, à la toute fin du 19e siècle, les discussions les plus vives portent sur l’utilisation de la langue vernaculaire, ou baihua (白话), sans même trop poser la question de sa définition. Dans sa discussion sur la littérature incluse dans ses « Annales historiques du Japon » (《日本国志》) écrites à la fin des années 1880 (voir note 2), Huang Zunxian s’est fait l’apôtre d’une utilisation généralisée du vernaculaire dans l’écriture de la fiction pour rapprocher la langue écrite du langage parlé et gagner en clarté vis-à-vis d’un large public ; mais, s’il mentionne le roman comme correspondant le mieux à ce souci de se rapprocher du lecteur moyen, urbain et moderne, il n’en va pas pour autant jusqu’à se déclarer en faveur d’une révolution, ni même d’une réforme littéraire..

 

De même, un autre réformiste engagé, Qiu Tingliang (裘廷梁1857–1943), fait de la langue vernaculaire son cheval de bataille, en en faisant l’une des bases de la réforme pour laquelle il milite. Mais c’est une langue vernaculaire locale, qui ouvre la définition du baihua à des formes dialectales qui ont commencé à être utilisées dans la presse à partir du milieu des années 1870. Le 11 mai 1898, dans le cadre de la Réforme des Cent Jours, Qiu Tingliang fonde avec sa nièce, l’écrivaine, journaliste et traductrice Qiu Yufang (裘毓芳), le « Journal en langue vernaculaire de Wuxi » (《无锡白话报》). Ils fondent aussi une école pour l’étude du chinois vernaculaire.

 

 

Qiu Tingliang

 

 

Ce sont autant d’initiatives qui sont stoppées net par la répression du mouvement réformateur. Mais parallèlement Qiu Tingliang publie un article resté célèbre : « Le baihua comme fondement de la réforme » (Lun baihua wei weixin zhi ben《论白话为维新之本》). Il y donne des références et raisons historiques pour l’utilisation du baihua comme moteur de la modernisation, en citant l’exemple des écoliers japonais qui peuvent lire facilement parce que l’écriture proche du langage parlé est devenu la norme dans tout le pays. Mais il ne parle du roman qu’une fois dans le cours de son article.

 

o    Nouvel intérêt pour le roman

 

L’intérêt pour le roman se développe peu à peu après la défaite de la Chine à l’issue de la première guerre sino-japonaise et les clauses désastreuses pour la Chine du traité de Shimonoseki qui conclut le conflit le 17 avril 1895 : elle devait céder au Japon les îles Pescadores (ou Penghu 澎湖群岛), la péninsule du Liaodong et l’île de Taiwan, lui payer de lourdes indemnités de guerre et lui ouvrir les ports de Chongqing, Suzhou et Hangzhou… Ce traité a sur les esprits des conséquences similaires à celles du traité de Versailles en 1919 : un choc et une indignation générale et, lié à une prise de conscience de la faiblesse de la Chine sur l’échiquier mondial, un sentiment de crise nationale entraînant l’urgente nécessité de réformes.

 

Dans ce climat est publié le Gongche Shangshu (公车上书) ou « Pétition au trône des candidats aux examens impériaux »[6], document opposé au traité de Shimonoseki qui demandait l’abrogation du traité, la modernisation de l’armée impériale et la mise en œuvre de réformes. C’est à partir de là que se constitue un mouvement réformateur auquel participent des intellectuels en vue, dont le grand traducteur Yan Fu (严复). Les signataires de la Pétition se retrouvent peu de temps plus tard dans les rangs des promoteurs de la Réforme des Cent Jours. Le mouvement est considéré comme le premier mouvement politique en Chine.

 

Il n’eut aucun effet direct mais, entraînant une prise de conscience de l’importance de réformes, suscita une floraison de journaux pour les promouvoir, journaux souvent fondés avec des capitaux étrangers où s’illustrent les intellectuels réformateurs. C’est le cas, par exemple, du Zhibao (《直报》), fondé en 1895 à Tianjin par un Allemand, Constantin von Hannecken, qui avait été conseiller de Li Hongzhang (李鴻章) – le nom du journal est une référence à la province du Zhili (直隶) dont Li Hongzhang était le vice-roi. C’est dans ce journal que Yan Fu, qui en était rédacteur, publie plusieurs articles en faveur de réformes.

 

L’émergence du roman dans ce contexte de crise est liée au sentiment de l’urgente nécessité de réformes, et de la nécessité conjointe d’en faire prendre conscience à la nation entière. C’est le roman qui apparaît alors comme le candidat idéal pour remplir cet objectif. Genre méprisé des lettrés, mais populaire auprès du grand public, le roman offrait justement, par les défauts mêmes qui lui était habituellement reprochés, le véhicule idéal pour diffuser des idées dans une langue adaptée à son public, sous couvert de narration de fiction. Le xiaoshuo trouvait là de nouvelles lettres de noblesse ; encore fallait-il inventer un nouveau mode narratif et peaufiner un baihua encore hésitant.

 

Le 10 novembre 1897, un éditorial cosigné Yan Fu et Xia Zengyou (夏曾佑)[7] annonce un supplément littéraire au journal Guowen Bao (国闻报》) dont ils sont rédacteurs. Ce journal basé à Tianjin est édité avec des fonds du gouvernement japonais pour promouvoir une action conjointe de la Chine et du Japon en opposition aux puissances occidentales, mais c’est dans ce supplément littéraire que Yan Fu va publier en feuilleton sa première grande traduction, celle de l’ouvrage de Huxley « Evolution and Ethics ». L’éditorial annonçant le supplément est l’un des premiers à promouvoir l’idée d’une réforme nécessaire de la littérature de fiction.

 

La répression brutale des réformateurs après le coup d’Etat perpétré le 21 septembre 1898 par l’impératrice et le clan des ultra-conservateurs de la cour, mettant fin à la Réforme dite des Cent jours, ne fait qu’accentuer le sentiment de crise et l’importance du roman, entraînant la naissance d’un genre nouveau de fiction sous les auspices de Liang Qichao (梁啟超).

 

 

Liang Qichao

 

 

II/ La révolution du roman

 

o    Révolution dans le monde du roman

 

C’est en effet un article de Liang Qichao qui lance ce renouveau littéraire, en appelant à une  « révolution dans le monde du roman » (小说界革命), après celle du monde de la poésie, dans un article publié en 1902 au Japon…

 

Cet article historique intitulé « Des relations entre la fiction et le gouvernement du peuple » (《论小说与群治之关係》) est publié fin 1902 dans le premier numéro de la revue littéraire Xin xiaoshuo (《新小说》) lancée à Yokohama en novembre par Liang Qichao. Il appelle dans cet article à moderniser le xiaoshuo (au sens général de fiction), et ce dans le but de rénover à la fois la morale, la religion, les mœurs et les arts, et de remodeler par là-même les cœurs et les esprits du peuple, car, dit-il, la fiction exerce un pouvoir inestimable sur l'humanité.

 

 

La revue Xin xiaoshuo

 

 

Mais c’était après une série d’articles qui lui avait pavé la voie, et sous l’influence de personnalités du monde anglo-saxon.

 

o    Influences étrangères

 

Cette « révolution du roman » se fait sous l’influence de l’étranger, du Japon bien sûr, mais aussi d’idées empruntées au monde anglo-saxon qui circulaient en particulier à Shanghai, par le biais de nombreuses traductions[8].

 

1/ Une influence déterminante a été celle d’un missionnaire anglican arrivé à Hong Kong en 1861 : John Fryer (Fu Lanya 傅蘭雅/ 傅兰雅1839-1928). Professeur d’anglais à l’école de langues Tongwenguan (同文) de Pékin en 1863, puis en 1865 directeur de l’école franco-chinoise de Shanghai (Yinghua shuguan上海英华书馆), il a été de fin 1866 à 1868 rédacteur du Shanghai Xinbao (), journal chinois fondé par l’éditeur anglais de l’hebdomadaire North China Herald. Puis, à partir de 1868, il a enseigné à l’Arsenal de Jiangnan (Jiangnan zhizaoju 江南制造局) qui a joué un rôle important à l’époque dans le domaine de l’enseignement des langues, et de la littérature plus généralement par le biais de traductions. En 1876, Fryer fonde l’Institut polytechnique de Shanghai (Gezhi xueyuan 格致) et, en 1884, une bibliothèque de livres scientifiques, le Gezhi Shushi (格致书).    

 

 

John Fryer

 

 

C’est ce Fryer qui, en mai 1895, publie un long article exprimant l’intérêt du roman pour lutter contre les « mauvaises habitudes du peuple » et faire évoluer la société : « A la recherche du roman des temps modernes » (Qiuzhe shixin xiaoshuo qi 求著新小说). Et cet article, il le publie dans le Shenbao (申報), journal fondé par un homme d’affaires britannique à Shanghai en 1872 et devenu l’un des premiers journaux modernes chinois. C’est le journal dont Liang Qichao recommandait la lecture pour se maintenir au courant de la politique étrangère ; l’article a donc eu d’autant plus d’impact sur l’évolution du roman[9].

 

Dans un esprit pratique, Fryer a lancé un appel à des textes, mais s’est ensuite dit très déçu par les récits reçus, faisant écho aux commentaires tout aussi négatifs de Liang Qichao. L’anthologie modèle qu’il avait projetée est tombée à l’eau. La révolution du roman est restée un temps dans les têtes.

 

2/ L’idée a pourtant été encouragée à la même époque par un autre missionnaire britannique, Timothy Richard (dit ‘‘Li Timotai’’ 李提摩太 ), venu en Chine en 1869 pour le compte de la société missionnaire baptiste, puis actif auprès du gouvernement des Qing pour promouvoir l’enseignement et participant à ce titre à la fondation de l’université du Shanxi. Il écrivait pour le Wanguo gongbao (萬國公報/万国公报), mensuel fondé en 1868 par le missionnaire méthodiste Young John Allen qu’affectionnait en particulier Kang Youwei[10].

 

C’est dans ce journal que Timothy Richard a sérialisé entre la fin de 1891 et avril 1892 une traduction (abrégée) en chinois classique d’un roman américain d’Edward Bellamy publié en 1888 : « Looking Backward » (Huitou kan jilue 回頭看記略). Traduit en français (par Paul Rey) en 1891 sous le titre « Cent ans après ou l’An 2000 », il s’agit d’un roman futuriste utopique qui est aussi un roman de vulgarisation : l’auteur imagine une société idéale dans les années 2000 dans laquelle un jeune Bostonien contemporain de l’auteur se trouve projeté, passant d'un monde d'injustices et de pauvreté à une société où règnent harmonie, justice et prospérité, en rupture avec le capitalisme, mais aussi l’individualisme. Le problème ouvrier a disparu car chacun a pour seul employeur l’Etat, les écarts de richesse ont été quasiment éliminés et le temps de travail est aménagé en fonction de la pénibilité des tâches ; la production est régulée en fonction de la demande. C’est le pendant utopique de la vision dystopique de Jack London.

 

Le roman connaît un grand succès. Il est publié en Chine en un seul volume et en langue classique en 1894, par les éditions missionnaires Guangxue hui (广学会), sous le titre « Un sommeil de cent ans » (Bainian yijiao 百年一覺) ; puis, traduit en langue vernaculaire, il est publié en 1898 aux éditions Zhongguo guanyin baihua bao (中國官音白話報) sous le titre « Regard rétrospectif » (Huitou kan回頭看), version en baihua rééditée en 1904 dans la revue Xiuxiang xiaoshuo (绣像小说》) dont le romancier Li Boyuan (李伯元) est alors rédacteur en chef. On ne compte pas ensuite les séquelles.

 

L’œuvre a exercé une grande influence en Chine. Elle a nettement inspiré la première – et unique – intrusion de Liang Qichao dans le domaine de la fiction : le roman « L’avenir de la Chine nouvelle » ( Xin Zhongguo weilai ji (新中國未來記), commencé en 1902 et laissé inachevé, essentiellement faute de réussir à imaginer cet avenir. Mais le roman de Bellamy a également été l’une des sources d’inspiration d’un roman bien plus important pour l’histoire de la littérature : « La nouvelle Histoire de la Pierre » (《新石头记》) de Wu Jianren (吴趼人), également conçu comme un roman d’anticipation, une séquelle imaginant une suite à l’histoire du personnage de Jia Baoyu (贾宝玉) dans le Hongloumeng (《红楼梦》).

 

o    Le renouveau du roman, pas à pas

 

Dans ce contexte, le débat sur le nouveau roman agite le microcosme intellectuel et littéraire, et se développe autour d’arguments exposés dans plusieurs articles de fond.

 

1/ Le nouveau roman fait l’objet d’un premier article de Liang Qichao au début de 1897, en complément d’une réflexion sur une réforme du système éducatif : il s’agissait de proposer des types de textes qui puissent être utilisés dans le cadre d’un enseignement moderne. Liang Qichao partait de la constatation que les lecteurs de fiction sont bien plus nombreux que ceux des classiques et que le roman était un outil éducatif potentiellement bien plus intéressant pour diffuser des idées modernes. C’est en raison même du mépris traditionnel envers cette forme littéraire, poursuivait Liang Qichao, qu’elle n’avait attiré jusque-là que des gens de peu de talent (xiao you cai zhi ren 小有才之人), des écrivains qui se plaisaient à écrire des histoires d’amour et de brigands qui n’incitaient qu’à la luxure et au banditisme (h yín h dào诲淫诲盗).

 

2/ Le 10 novembre de cette même année 1897, le journal de Tianjin Guowen bao (《国闻报》) – fondé le 26 octobre précédent par des intellectuels réformistes dont le traducteur Yan Fu (严复) et son ami Xia Zengyou (夏曾佑) – annonce le lancement d’un supplément littéraire dans lequel est publié, trois jours durant, un long article intitulé « Les raisons de la création d’un supplément littéraire » (Benguan fuyin shuobu yuanqi 《本館附印說部緣起》)[11]. L’article est une apologie extrêmement complexe et tortueuse du roman. N’étant pas signé, on en a déduit qu’il était écrit par la rédaction, et même, comme il était truffé de références à l’histoire et à la littérature occidentales, de la main de Yan Fu lui-même assisté de Xia Zengyou.

 

Leur argument reprend le point souligné par Liang Qichao dans son article : la popularité du roman (au sens de fiction au sens large) s’explique par ses atouts auprès du grand public, en termes d’intérêt narratif. Mais c’est un argument à double tranchant. Dans la dernière partie, ils retiennent en effet contre le roman le reproche usuel de morale douteuse et propension aux dérives mensongères, toujours fondé sur l’exemple des mêmes classiques que ceux cités par les détracteurs du genre, « Le roman des trois royaumes », « Au bord de l’eau », « Le rêve dans le pavillon rouge » et autres. Mais ils tentent de défendre le genre en arguant qu’il y avait dans ces récits des subtilités cachées entre les lignes, que le lecteur moyen, réduit à une lecture superficielle, était incapable de déceler. Mais, soulignent les auteurs, le roman a été au centre des périodes de renouveau intellectuel et d’ouverture (开化) en Europe, aux États-Unis et au Japon. Le roman est donc un outil civilisateur d’un grand intérêt potentiel car il s’adresse au cœur des lecteurs. Il suffit de lui redonner force et éclat.

 

En ces dernières années du 19e siècle, la popularité du roman, en tant que fiction, est donc l’argument central de la discussion, et c’est un argument utilitaire. Un réformateur comme Kang Youwei y voit un outil pédagogique adapté à l’enseignement des enfants et des gens sans éducation.

 

3/ Dans ce contexte, Liang Qichao reprend le débat dans un nouvel article publié au Japon où il s’est réfugié en septembre 1898 après le fiasco de la Réforme des Cent Jours : « Préface à la publication de traductions de romans politiques » (Yi yin zhengzhi xiaoshuo xu译印政治小说序) [12]. L’article paraît en décembre 1898 dans le premier numéro du journal alors fondé à Yokohama par Liang Qichao, le Qingyi bao (清議報/《清议报》). Le journal était créé dans le but de « montrer la voie du progrès à la population chinoise », l’article sur les traductions se situant dans la même perspective.

 

 

Le premier numéro du Qingyi bao

 

 

Liang Qichao se fait l’avocat d’une nouvelle catégorie de fiction, importée d’Occident : le roman politique (zhengzhi xiaoshuo  政治小说), investi d’une mission d’éveil de la conscience nationale. Le terme comme le concept est inspiré de la littérature japonaise où la notion de roman politique s’est développée sous l’influence de deux écrivains britanniques du 19e siècle, Benjamin Disraeli et George Bulwer-Lytton.   

 

Dans son article, Liang Qichao oppose le rôle social du nouveau roman à la fonction de divertissement du roman chinois traditionnel. Reprenant l’argument de Yan Fu, Liang Qichao reconnaît que le roman traditionnel est le genre qui touche le plus vaste public, mais parce qu’il est facile et distrayant. Ce sont les mêmes arguments contre le roman classique qui sont repris en boucle, et dans une langue qui est encore loin d’être du baihua :

 

中土小说,虽列之于九流,然自虞初以来,佳制盖鲜。述英雄则规画《水浒》,道男女则步武《红楼》,综其大较,不出诲盗诲淫两端,陈陈相因,涂涂递附,故大方之家,每不屑道焉。虽然,人情厌庄喜谐之大例,既已如彼矣,彼夫缀学之子,黉塾之暇,其手《红楼》而口《水浒》,终不可禁,且从而禁之,孰若从而导之?善夫南海先生之言也!

« Le xiaoshuo en terre chinoise, bien que classé dans les bibliographies des histoires officielles parmi les « neuf courants de pensée » [de la période des Printemps et Automnes et Royaumes combattants][13], à partir de Yu Chu [figure représentative du xiaoshuo sous les Han de l’Ouest][14], le genre a connu de brillants développements. Si un auteur désirait écrire une histoire d’héroïsme, il prenait pour modèle « Au bord de l’eau » (Shuihu [zhuan]《水浒》) et si, en revanche, un autre voulait décrire les relations entre hommes et femmes, il s’inspirait du « Rêve dans le pavillon rouge » (Honglou[meng]《红楼》). De manière générale, tout entrait dans ces deux catégories, l’une incitant au banditisme l’autre à la luxure (h yín h dào诲盗诲淫). Les œuvres se succédaient en chaîne, selon les mêmes principes. C’est pourquoi les écrivains de valeur dédaignaient le genre. Mais il faut bien reconnaître que les gens par goût détestent le sérieux et aiment la frivolité, alors quoi de plus naturel qu’ils s’arrêtent dans leurs études et prennent un peu de loisirs, en lisant qui le « Rêve », qui « Au bord de l’eau » ; il est impossible de l’empêcher, ne vaut-il donc pas mieux de tenter de diriger le mouvement, comme l’a dit le sieur Nanhai[15] ? »

 

Ce qui ressort de l’article, c’est une profonde dévalorisation du roman traditionnel chinois, et ce en prenant pour exemples deux des plus célèbres, qui n’ont même pas besoin d’être cités en entier, deux caractère suffisent ; ils prennent ainsi valeur symbolique. Le problème est que, de la sorte, Liang Qichao se ferme la porte à leur utilisation dans le cadre de son projet de renouveau du genre romanesque à des fins pratiques. Ce qu’il invoque, pour sortir de l’impasse, c’est l’exemple du roman politique étranger, et japonais en première ligne, et la nécessité d’une refondation du genre en effaçant le précédent déplorable du roman chinois et en s’aidant de traductions.

 

4/ En 1902, le nouveau journal, « Fiction nouvelle » (Xin xiaoshuo 《新小说》), fondé en novembre par Liang Qichao à Yokohama devient tout de suite la plus importante revue littéraire du moment et inspire une série de créations semblables, aussi bien au Japon qu’en Chine. L’article qu’il y publie dans le premier numéro de novembre, « Des relations entre la fiction et le gouvernement du peuple » (Lun xiaoshuo yu qunzhi zhi guanxi《论小说与群治之关係》) [16], confirme l’importance primordiale qu’il accorde au nouveau roman.

 

C’est le pouvoir émotionnel de la fiction qu’il met au centre de son argumentation (感人之深,莫此为甚), en élaborant et illustrant son propos par le biais de notions du bouddhisme chan, mais aussi de néoconfucianisme. En raison même de cet impact émotionnel considéré comme fondamental, il désigne le roman (ou plus généralement la fiction) comme « le meilleur "véhicule" littéraire » (小说为文学之最上乘也!), possédant le pouvoir ultime d’élever les esprits (au sens de ) pour les transformer ; et ce pouvoir est le plus fort car il vient de l’intérieur.

 

Cependant, Liang Qichao en revient à la nécessité de redonner une nouvelle vie au genre du xiaoshuo, les romans du passé (toujours les mêmes) ayant agi comme un poison pour les esprits : si s’est produite la Révolte des Boxers, c’est parce qu’ils se prenaient pour les héros du Liangshan[17], et si les Chinois sont devenus frivoles et sentimentaux, c’est pour avoir lu le Pavillon rouge, etc… Le programme, cependant, est annoncé dès l’introduction, l’argumentation étant développée ensuite. Ces deux lignes sont restées comme un véritable manifeste du nouveau roman :

 

欲新一国之民,不可不先新一国之小说。故欲新道德,必新小说;欲新宗教,必新小说;欲新政治,必新小说;欲新风俗,必新小说;欲新学艺,必新小说;乃至欲新人心,欲新人格,必新小说。何以故?小说有不可思议之力支配人道故。

« Si l’on désire redonner vie à un peuple, il faut d’abord redonner vie à la littérature de fiction du pays. Ainsi, si l’on veut une nouvelle moralité, il faut de nouveaux romans ; si l’on veut une nouvelle religion, il faut de nouveaux romans ; si l’on veut une politique nouvelle, il faut des romans nouveaux ; si l’on veut des coutumes nouvelles, il faut des romans nouveaux et si l’on veut des talents académiques nouveaux, il faut des romans nouveaux. Cela va jusqu’au cœur des hommes, à leur caractère, si l’on veut les rénover, il faut un roman nouveau. Et pourquoi donc ? Parce que le roman a un pouvoir inimaginable pour gouverner (zhīpèi 支配) l’humanité (réndào 人道)[18]. »

  

C’est en même temps un texte révélateur des recherches de Liang Qichao sur la langue : outre les emprunts au vocabulaire bouddhique, il a un aspect incantatoire qui tient beaucoup à l’utilisation de parallélismes et de formules répétitives soulignant la progression de l’argumentation (小说也).

 

5/ C’est la même année que Liang Qichao publie le début de son récit de fiction intitulé « L’avenir de la Chine nouvelle » (《新中国未来记》), en application directe de cet appel visant à rénover la fiction. C’est un récit d’anticipation politique où l’auteur imagine une Chine prospère en 1962. L’histoire est contée en flashback, à partir d'un discours célébrant le 50ème anniversaire de la République de la Grande Chine prononcé par un énième descendant de Confucius. Le récit relate les efforts de ce lettré et de son meilleur ami pour trouver le meilleur mode de gouvernement pour la Chine, mais sans qu’ils parviennent à concilier leurs désaccords.

Le roman est resté inachevé, faute de revue pour publier la suite, mais surtout parce que Liang Qichao s’est retrouvé en panne d’inspiration : l’inachèvement traduit ses doutes sur la suite à donner à son récit, et ses incertitudes sur le meilleur gouvernement à donner à la Chine, incertitudes partagées par nombre des anciens réformateurs.

 

Quoi qu’il en soit, ce nouveau mode narratif est représentatif d’une manière nouvelle d’écrire l’histoire, dans laquelle s’inscrit la vogue des romans politiques des premières années du 20e siècle, à commencer par ceux publiés par Xin xiaoshuo même avant de disparaître en janvier 1906. Sont en particulier sérialisés dans ses pages trois des romans écrits en parallèle par l’un des principaux représentants de ce nouveau roman politique, Wu Jianren (吴趼人).

 

Mais, entretemps, l’article de Liang Qichao a provoqué, sur fond de crise politique, une vive controverse littéraire qui s’exprime à partir de 1903 et dans les années suivantes dans les colonnes des différentes revues dirigées et animées par les principaux promoteurs et auteurs du roman politique.

 

o    Le roman entre révolution littéraire et réforme politique

 

1. Le débat passe d’abord par une défense de la langue vernaculaire. En 1903, Xia Zengyou (夏曾佑) publie sous un pseudonyme un long article intitulé « Principes théoriques de la fiction » (《小说原理) dans le troisième numéro de la revue « Fiction brodée » (Xiuxiang xiaoshuo《绣像小说》) dont Li Boyuan (李伯元) est rédacteur en chef.

 

Dans cet article original qui n’a rien perdu de son intérêt, Xia Zengyou étudie les différences de réaction des lecteurs aux textes illustrés qui leur sont proposés dans le journal ; il en conclut que tous les lecteurs, quels que soient leur statut social et leur niveau d’éducation, préfèrent les images au texte, et, parmi les textes, ceux de fiction plutôt que les narrations historiques ou les ouvrages scientifiques. La préférence pour le texte s’entend en termes de récits en baihua, préférence que l’auteur explique dans un autre article par les caractéristiques visuelles de la langue vernaculaire ainsi que par son aptitude à rendre la vie quotidienne en profondeur.

 

2. L’article de Liang Qichao a cependant déchaîné les critiques, à l’encontre d’une part de sa vision de la fiction essentiellement comme outil de réforme politique, mais aussi de sa condamnation sans rémission des grands romans de la littérature vernaculaire chinoise qui ne faisait que reprendre le mépris teinté de méfiance des lettrés à l’égard du xiaoshuo. Un espace de libre discussion est alors créé dans les pages mêmes de la revue Xin xiaoshuo de Liang Qichao, où s’expriment une dizaine d’intellectuels en défense du roman classique.

 

La critique reste cependant mesurée. Wu Jianren, qui était en charge du forum de discussion de Xin xiaoshuo, quitte la revue en 1904 pour tenter de créer sa propre revue. Après plusieurs tentatives, il lance en novembre 1906, le « Mensuel de la fiction » (Yueyue xiaoshuo《月月小说》). Comme d’usage, le premier numéro comporte une introduction (《序》) signée de sa main dans laquelle il définit ses objectifs ; il se démarque de Liang Qichao en donnant toute leur importance aux sentiments, mais en les liant à une exigence morale, donnant pour but à la fiction « par le biais du plaisir de lecture et des émotions, de contribuer à l’éducation morale [des lecteurs] » (“借小说之趣味之感情,为德育之一助”).

 

Wu Jianren reste ainsi dans l’orbite de Liang Qichao appelant à un renouveau de l’écriture de fiction dans un but politique et éducatif, afin d’exposer les maux de la société pour inciter à les corriger par des réformes.

 

3. La rupture avec cette conception utilitariste de la littérature de fiction intervient l’année suivante avec la création par Zeng Pu (曾朴) d’une nouvelle revue mensuelle, « La forêt de la fiction » (Xiaoshuo lin yue kan《小说林月刊》 ) où s’affirme un intérêt prononcé pour la valeur proprement artistique de la fiction.

 

- Ce débat vient relayer une discussion poursuivie, mais de manière feutrée, depuis les théorie et jugements énoncés par le  critique et historien de la littérature Jin Shengtan (金圣叹) au 17e siècle – Jin Shengtan qui a placé au pinacle des grands chefs d’œuvre de la littérature chinoise des œuvres en vernaculaire aussi bien qu’en langue classique : parmi ses « six œuvres de génie » (六才子书) figurent aussi bien « La chambre de l’ouest » (Xixiang ji西厢记) et « Au bord de l’eau » que le Zhuangzi, les « Mémoires historiques » de Sima Qian et les poèmes de Du Fu… Dans la grande tradition classique, il a d’ailleurs laissé des commentaires sur le Xixiang ji et le Shuihu zhuan qui sont de purs éloges de la qualité d’écriture de ces auteurs.

 

Jin Shengtan trouvera des échos à la fin des Ming, chez l’historien et poète Qian Qianyi (钱谦益) par exemple. Mais ces idées sont, dans l’ensemble, longtemps jugées iconoclastes, venant de personnages jugés excentriques. Il faudra attendre Hu Shi (胡适), à la suite du mouvement du 4 mai, pour que Jin Shengtan et ses idées soient réévaluées, mais pour être à nouveau critiquées après 1949[19]…  

 

- Des voix se sont cependant élevées à la suite de l’article de Liang Qichao, parmi lesquelles l’une des plus influentes a été celle de Wang Guowei (王国维), autre natif du Jiangnan qui, pour avoir raté les examens impériaux, est entré dans une école de langue japonaise avant de partir au Japon en 1901 pour y étudier la philosophie allemande. Il publie en 1904 une réévaluation critique du « Rêve dans le pavillon rouge » inspirée par l’esthétique de Schopenhauer et ses concepts d’œuvre d’art et de tragédie[20]. Le dénouement tragique du Hongloumeng tel qu’il a été laissé à la mort de l’auteur est la marque même, pour Wang Guowei, du caractère exceptionnel de l’œuvre, dans un contexte littéraire chinois où un récit se conclut généralement de manière positive, par une réconciliation. Or, selon Wang Guowei[21], l’art doit refléter l’amère nature de la vie humaine, et agir comme catharsis.

 

Il montrait ainsi que l’on pouvait s’émanciper des confins étroits de la tradition chinoise pour réévaluer la littérature, en s’aidant de la pensée occidentale et en plaçant l’art au centre de ses préoccupations et de son analyse.

 

- Wang Guowei a fait nombre d’émules, dont Xu Nianci (徐念慈) qui a participé à un programme éducatif révolutionnaire dans son Jiangsu natal, puis à la fondation en 1905 de la maison d’édition « La forêt de la fiction » de Zeng Pu, et deux ans plus tard à la revue éponyme éditée par la maison d’édition. Il est l’un de ceux qui contribuent alors à une réflexion esthétique sur le roman. Dans son article en forme de manifesto publié dans le premier numéro de la revue en février 1907, il reprend l’idée de force émotionnelle du roman en en cherchant la source : en se référant à l’esthétique de Kant et de Hegel, il la trouve dans la « beauté » (mei ) transcendant la réalité.

 

Poursuivant sa réflexion, il publie en 1908, dans deux numéros successifs de la même revue, un long article sur sa conception de la fiction (yu zhi xiaoshuo guan《余之小说观》) qui propose une vision différente de celle de Liang Qichao sur les relations entre fiction et société : pour lui, la relation est réciproque car, si la fiction a une influence sur la société, la société se reflète en elle.

 

- Xu Nianci meurt de surmenage en 1908 à l’âge de 34 ans. Mais sa réflexion est poursuivie par son ami Huang Ren qui lui succède à la rédaction de la revue. Lettré d’une grande culture, Huang Ren (黄人 ou Huang Moxi 摩西 1866–1913), est l’auteur de ce qui est considéré comme la première histoire de la littérature chinoise (Zhongguo wenxue shi《中国文学史》)[22], compilée à partir des notes des cours donnés à l’université de Suzhou dans les années suivant sa fondation en 1900. Il y défendait le statut de la littérature, idée qu’il développe par ailleurs dans une série d’articles publiés dans la revue Xiaoshuo lin en 1907 et 1908. Modestement intitulés « Menus propos sur le xiaoshuo » (xiaoshuo xiaohua《小说小话》), ce sont pourtant des articles de fond où Huang Ren pose la tradition narrative chinoise comme éminemment sérieuse, en se fondant sur des exemples tirés des grands romans classiques et en opposant l’ouverture d’esprit nécessaire pour écrire un roman à la stérilité de la prose étudiée pour les examens mandarinaux. Il va même jusqu’à voir dans le roman une forme permettant une approche nouvelle, plus scientifique, de la réalité du monde ambiant, mieux que toute autre forme littéraire existant en Chine. Son Histoire de la littérature comporte en particulier un chapitre sur « Les romans à chapitres des auteurs Ming » (明人回小说) qui redore le blason du genre.

 

 

Huang Ren (Huang Moxi)

 

 

Huang Ren a pris en 1907 la direction de l’une des nombreuses sociétés littéraires qui ont fleuri à la fin de cette première décennie du siècle : la Société de soutien à l’étude de la culture nationale (Guoxue fulun she 国学扶轮社), fondée à Shanghai. Deux ans plus tard, il devient membre de la Société littéraire du Sud (Nanshe 南社) fondée le 13 novembre 1909 à Suzhou, engagée à la fois dans le renouveau de la poésie et dans l’opposition à Yuan Shikai, ce qui montre bien le caractère indissociable de la littérature et de la politique à cette époque.

 

C’est grâce à la Guoxue fulun she qu’il publie en 1911 son autre œuvre monumentale : son « Nouveau grand dictionnaire encyclopédique général » (Putong baike xin da cidian普通百科新大辞).  

Il meurt lui aussi prématurément, atteint par des troubles mentaux, en mai 1913.

_____

 

Cet intense bouillonnement créatif va être englouti dans l’effervescence du mouvement du 4 mai, né dans des circonstances très semblables à celles du mouvement réformateur de 1895, et la réforme du roman emportée par l’émergence de la littérature en baihua, sous l’égide de Lu Xun, essentiellement autour de la nouvelle.

 

La naissance du roman politique dans la période charnière de la fin des Qing, sous l’influence de la littérature occidentale, aura cependant laissé des précédents qui ne seront pas totalement perdus. On en retiendra ce que Lu Xun a appelé les « romans de dénonciation » (谴责小说)[23] qui annoncent la vogue des « romans anti-corruption », mais auxquels se rattachent aussi bien, de manière générale, les romans dits réalistes à partir des années 1990.

 


 

Bibliographie

 

- The Chinese Novel at the Turn of the CenturyMilena Dolezelova-Velingerová (ed.), University of Toronto Press, 1980.

- Chinese Fiction of the Nineteenth and Early Twentieth Centuries: Essays by Patrick Hanan, Columbia University Press, 2004.

- Chinese Fiction of the Nineteenth and Early Twentieth Centuries, Patrick Hanan, Columbia University Press, 2013.

- Bringing the World Home: Appropriating the West in Late Qing and Early Republican China, Theodore Huters, University of Hawai’i Press, 2005.

- Fiction From the End of the Empire to the Beginning of the Republic (1897-1916) by Milena Dolezelova-Velingerová, in :The Columbia History of Chinese Literature, Victor H. Mair ed., Columbia University Press, 2001 (ch. 38)

 

 


[1] Journal écrit en décembre 1899 alors qu’il est en route pour les États-Unis, sous un faux passeport japonais car il est sous la menace d’un édit de la cour impériale chinoise autorisant son arrestation, et même son assassinat.

[2] Huang Zunxian (1848–1905) surnommé Gongdu (公度) était diplomate. À la fin des années 1870, il est conseiller d’ambassade à Tokyo, puis en 1882 consul-général à San Francisco, retournant en Chine après sept ans aux Etats-Unis. Il publie ses « Annales historiques du Japon » (Ribenguo zhi《日本国志》) en 1887, en 40 juan.  Sa carrière diplomatique prend fin avec la fin du règne de Guangxu et la prise du pouvoir par Cixi. Ami proche de Liang Qichao, il a publié plus d’une centaine de poèmes, en défendant l’utilisation du vernaculaire, mais n’a exprimé son enthousiasme pour le roman qu’après le début du mouvement du nouveau roman, après 1902.

[4] Ouvrage initialement publié en 1992, en six parties abordant les problèmes fondamentaux qui se posaient aux promoteurs d’un renouveau drastique de la littérature : diffusion et marché (传播与市场), langage et forme (语言与形式), ontologie et portée (本体与范围), tradition et modernité (传统与现代), utilitarisme et esthétique (功利与审美).  Table des matières complète : http://www.bbtpress.com/bookview/20657.html

[5] Ou plutôt plus généralement le xiaoshuo (小说) car si c’est le roman qui s’impose d’abord comme forme narrative, c’est la nouvelle qui dominera ensuite quand s’affinera la recherche esthétique et stylistique, mais aussi pour des raisons pratiques de publication dans la presse.

[6] Le nom de la pétition, littéralement « pétition du véhicule public », vient du terme utilisé pour désigner les candidats aux examens mandarinaux qui, venant de toutes les provinces à la capitale, devaient (théoriquement) être transportés aux frais du gouvernement.

[7] Intellectuel bouddhiste ami de Liang Qichao, membre du mouvement pour une « révolution en poésie » et proche des réformistes, qui publiera en 1904 un « Manuel d’histoire de la Chine » (中国历史教科书) dicté par la conviction exprimée dans la préface que la plus grande sagesse est de tirer des leçons du passé.

[8] La fin des Qing a été marquée par un grand intérêt pour les langues et une floraison de traductions. Les années 1860 ont vu la fondation de deux écoles de traduction sous l’égide du gouvernement : d’une part dans le nord, le Tongwen guan (同文馆) ou École des langues de Pékin établie en 1862 en lien avec la création du Zongli yamen (总理衙门), le bureau des affaires étrangères, et d’autre part dans le sud le Jiangnan zhizao zongju (江南製造總局) ou Bureau de l’arsenal en 1865. Entre 1902 et 1907, le nombre de traductions publiées en Chine a été supérieur à celui des œuvres originales en chinois.

Sur l’arsenal de Jiangnan, voir :

- Hybrid Science versus Modernity: The Practice of the Jiangnan Arsenal, 1864-1897, Meng Yue , East Asian Science, Technology, and Medicine n° 16, 1999 :

https://www.jstor.org/stable/43150555

- The Jiangnan Arsenal: A Microcosm of Translation and Ideological Transformation in 19th-century China, Rachel Lung, revue Meta, vol. 61, hors-série 2016, version numérique en ligne :

https://www.erudit.org/fr/revues/meta/2016-v61-meta02902/1038684ar/resume/

[9] Pour la petite histoire, Fryer donnait en exemple dans son article l’influence exercée par « La Cabine de l’oncle Tom » pour l’abolition de l’esclavage aux Etats-Unis : le roman a été le premier roman américain traduit en chinois, par Lin Shu (林紓) ; Harriet Beecher Stowe va devenir – aux côtés de … madame Roland –  un archétype de femme révolutionnaire donnée en exemple aux femmes chinoises pour les inciter à assumer un rôle dans la société.

[10] Il a été l’un des grands missionnaires-traducteurs qui, en Chine au 19e siècle, ont joué un rôle fondamental dans la transmission des savoirs occidentaux.

Voir : Les missionnaires traducteurs et la transmission des savoirs occidentaux en Chine au 19e siècle : étude du cas de Timothy Richard, article numérisé en ligne : https://books.openedition.org/cths/8251?lang=fr

[13] C’est-à-dire confucianisme, taoïsme, mohisme, écoles du yin et yang, des logiciens et des diplomates, etc.

Le xiaoshuo a longtemps été classé dans des rubriques très diverses, en marge de l’histoire officielle,

voir http://www.chinese-shortstories.com/Reperes_historiques_Breve_histoire_du_xiaoshuo_VIII.htm

[15] C’est-à-dire Kang Youwei.

[17] Ceux du roman « Au bord de l’eau ».

[18] Ceci est une référence au précepte formulé sous les Song par le néoconfucianiste Zhou Dunyi (周敦颐), et devenu un chengyu : c’est par l’écrit qu’est véhiculé le dao  (wén yǐ zài dào 文以载道).

[19] C’est le linguiste Ji Xianlin (季羡林) qui se risquera à prendre la défense de Hu Shi, mort à Taiwan en 1962, en publiant en 1986 « Quelques mots pour Hu Shi » (为胡适说几句话).

[20] Selon les idées exprimées dans son œuvre principale : « Le Monde comme volonté et représentation » (Die Welt als Wille und Vorstellung, 1819).

[21] Influencé aussi par le pessimisme de « La naissance de la tragédie » de Nietzsche, disciple de Schopenhauer.

[22] C’est la première histoire de littérature chinoise utilisant le terme de wenxue au sens moderne de littérature (calqué sur le terme japonais de bungaku, avec les mêmes caractères). L’histoire de Huang Ren avait été précédée en 1904 par celle de Lin Chuanjia (林传甲) inspirée de l’Histoire de la littérature chinoise de Sasakawa Rinpū. (Shina bungakushi支那文学史) publiée au Japon en 1898. Mais, centré sur la prose classique, l’ouvrage de Lin Chuanjia se démarquait de l’histoire de Sasakawa Rinpū en excluant la fiction et le théâtre, pour leur problématique valeur morale. Il sera critiqué par Zheng Zhenduo (郑振铎) en 1922, après la fondation en 1921 de la Société d’études littéraires (Wenxue yanjiu hui 文学研究会).

[23] Les quatre auteurs des principaux « romans de dénonciation » : Li Boyuan (李伯元), Wu Jianren (吴趼人), Zeng Pu (曾朴) et Liu E (刘鹗).

 

 

     

 

 

 

 

     

 

 

 

© chinese-shortstories.com. Tous droits réservés.