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Brève histoire du
xiaoshuo
IX. En marge des différentes formes du
xiaoshuo
1. Le
biji
筆記/笔记
par Brigitte Duzan, 11 juillet 2023
Dans la tradition littéraire chinoise, le terme biji (筆記/笔记)
– littéralement « notes tracées au pinceau » - désigne un genre
de notes libres, sans structure particulière ni sujet déterminé,
et donc difficile à classer. Ce sont souvent des témoignages et
commentaires personnels sur l’histoire, mais ce peut être aussi
bien des anecdotes, observations et réflexions diverses, au fil
du temps et au gré des humeurs. C’est un genre subtil, cultivé
par les lettrés, qui reflète à la fois la période et la
personnalité de l’auteur et s’est développé en marge, et en
complément, de la narration historique et des genres principaux
que sont la poésie, le théâtre et les contes et nouvelles ;
proche de ces derniers, il a longtemps été rattaché au
xiaoshuo,
I. Premiers développements sous les Tang (9e siècle)
Bien que remontant aux 4e/5e siècles de
notre ère, le genre s’est développé sous la dynastie des Tang,
parallèlement à la poésie et au
xiaoshuo
dont il ne se distingue guère encore – on parle de biji
xiaoshuo (筆記小說) :
il consiste surtout en recueils d’anecdotes et brèves histoires
relevant le plus souvent du rêve et du surnaturel,
dans la
tradition du chuanqi (傳奇)
ou « transmission de l’extraordinaire » qui se
développe au 8e siècle.
Dans son « Histoire de la littérature chinoise »
,
le
sinologue allemand Wolfgang Kubin fait remonter le genre – où il
voit plutôt un style – à l’écrivain des Tang Han Yu (韓愈),
au début du 9e siècle : initiateur d’un mouvement de
retour à la langue ancienne (古文運動),
en réaction contre la prose ornée en phrases parallèles, il
prônait un style plus direct, plus dépouillé, qui est celui de
ses essais pour lesquels il était aussi célèbre que pour ses
poèmes ; il y traite de la nature humaine (Yuan
Xing《原性》),
et fustige le bouddhisme et le taoïsme. Présenté à l’empereur en
819, son pamphlet contre le transfert des reliques du Bouddha au
palais impérial (Jiàn
yíng fú gǔ biǎo 《諫迎佛骨表》)
lui valut d’être banni après avoir échappé de peu à une
condamnation à mort.
Cela définit
un style, mais il ne s’agit pas encore de biji. Le genre
se développe en fait en recueils qui
portent des
dénominations diverses - zashi (雜識),
bilu (筆錄),
bitan (筆談)
etc. - qui insistent autant sur la diversité (za
雜)
que sur le caractère de note (ji
記//
shi識
// lu
錄
etc).
Le premier recueil le plus célèbre date de la moitié du 9e
siècle : c’est le
Youyang zazu
(《酉陽雜俎》)
ou « Mélanges Youyang » de Duan Chengshi (段成式),
daté de 853.
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Youyang zazu |
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C’est un
recueil de contes et légendes dans la tradition du chuanqi,
brèves anecdotes et notes diverses sur les rêves, les phénomènes
naturels, les herbes médicinales et autres observations sur la
vie au quotidien, y compris les tatouages. Certaines histoires
sont de tradition orale, la plus célèbre étant l’histoire de Ye
Xian (葉限),
proche de celle de Cendrillon, qui aurait été rapportée à Duan
Chengshi par son serviteur.
II.
Évolution sous les Song (11e-13e siècles)
Sous les Song,
le genre évolue en se diversifiant vers une forme qui cultive la
spontanéité de l’expression en la rapprochant de l’écriture de
la poésie, on parle de « notes au fil du pinceau » (suibi隨筆).
Le biji devient le style privilégié des historiens de la
cour et des lettrés, un genre marginal qui bénéficie des progrès
de l’imprimerie (par gravure sur bois) à partir du 11e
siècle.
*
Song du Nord
De nombreux
biji de la période Song, et d’abord des Song du Nord, ont
pour thème l’histoire, comme une sorte de témoignage personnel
en marge de l’histoire officielle. Les plus anciens (10e-11e
siècle) rapportent des anecdotes intervenues sous la dynastie
des Tang et la période des Cinq Dynasties, avec des titres
paraphrasant les
Annales
dynastiques :
« Histoires récentes des Tang du Sud » (《南唐近事》)
de Zheng Wenbao (鄭文寶)
– où les histoires
shì事remplacent
l’Histoire
shǐ
史 – ou
encore le « Nouveau livre des contrées méridionales » (《南部新書》)
de Qian Yi (錢易).
L’un des recueils de biji du 11e siècle est
celui de l’historien Song Qi (宋祁),
surtout connu comme coauteur du « Nouveau Livre des Tang » (《新唐書》)
présenté à l’empereur Song Renzong (宋仁宗)
en 1060. Il est le premier à utiliser expressément le terme de
biji
笔记dans
son titre : Song Jiwen biji ou « Notes au pinceau
de Song Jingwen » (《宋景文筆記》)
– recueil publié en parallèle avec un recueil de xiaoshuo,
ce qui tend à souligner les liens entre les deux genres :
« Récits divers de Song Jingwen » (《宋景文雜說》).
Deux autres recueils de biji de la même époque montrent
combien le genre est proche des histoires officielles. Il s’agit
des recueils de deux historiens de l’empereur : le Sushui
jiwen (《涑水紀聞》)
de Sima Guang (司馬光)
et le Guitian lu (《歸田録》)
de Ouyang Xiu (歐陽修),
l’autre compilateur du « Nouveau Livre des Tang » qui a par
ailleurs révisé la « Nouvelle histoire des Cinq Dynasties » (《新五代史》).
Leurs deux recueils, révisés par l’empereur, ont été reconnus
comme histoires officielles, et seront répertoriés dans la
catégorie « Histoires diverses » (záshǐ
雜史)
de l’encyclopédie Siku quanshu (四庫全書)
commanditée par l’empereur Qianlong (乾隆)
en 1773.
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Le Sushui jiwen de Sima Guang |
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Le Guitian lu de
Ouyang Xiu |
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Bien d’autres recueils de la même période des Song du Nord ont
ce caractère historiographique, mais c’est justement à partir du
règne de l’empereur Renzong que les thèmes changent pour aborder
des sujets plus personnels, comme un commentaire sur la vie en
marge de l’histoire – les auteurs ne sont plus des historiens,
mais des lettrés, écrivant souvent dans la retraite d’une maison
de campagne sur des sujets les concernant ; c’est le cas par
exemple de deux recueils datant de la toute fin du 11e
siècle, sous le règne de l’empereur Zhezong (宋哲宗) :
le Shiyou tanji (《師友談記》)
ou « Discussions entre professeurs et amis » de Li Zhi (李廌)
qui rapporte des discussions d’éminents lettrés contemporains,
et le Shengshui yantan lu (《澠水燕談錄》)
ou « Propos de table au bord de la rivière Sheng »
de Wang Pizhi (王辟之)
qui couvre des thèmes semblables, dans une tonalité très
confucéenne, mais apportant une foule d’anecdotes et même de
plaisanteries sur les ministres, peintres, calligraphes, devins
et autres personnalités de la cour de l’empereur.
Le genre ne se borne cependant pas à des discussions de lettrés
en marge de la cour, il aborde les sujets les plus divers dans
un esprit encyclopédique mêlé à une curiosité pour l’étrange,
voire le fantastique, comme dans l’un
des recueils
les plus célèbres de la période : le
Mengxi bitan
(《夢溪筆談》),
ou « Conversation avec mon pinceau au bord d’un ruisseau de
rêve », de Shen Kuo (沈括),
compilé en 1088 dans l’isolement de la propriété de l’auteur,
dans le Jiangsu.
L’ouvrage
rapporte un grand nombre d’anecdotes et réflexions sur les
sujets les plus divers, des mathématiques et de la géologie à
l’astronomie, la botanique, la géologie, l’imprimerie, le
taoïsme, en passant par des notes sur des détails de la vie
quotidienne, des armes aux vêtements en passant par
l’observation de phénomènes naturels comme la foudre ou étranges
comme l’apparition d’un objet lumineux dans le ciel.
*
Song du Sud
C’est ce style
qui va se développer sous les Song du Sud (à partir de 1127). Au
Menxi bitan
répond le
Rongzhai suibi
(《容齋隨筆》)
ou « Notes au fil du pinceau du Studio de la tolérance » de Hong
Mai (洪邁)
où l’on voit apparaître le terme de suibi dans le titre.
Hong Mai était historiographe, membre de la très officielle
Académie Hanlin (翰林院),
mais aussi féru d’histoires « officieuses ». Son recueil couvre
les sujets aussi divers que celui de Shen Kuo, dont il relève au
passage quelques erreurs, mais en y ajoutant des chapitres sur
la littérature et les arts, les coutumes et les lois et
règlements.
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Le Rongzhai suibi |
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Hong Mai est
par ailleurs l’auteur d’un recueil de contes fantastiques dans
la tradition du yaoguai (妖怪) mais
qui mêle aussi des détails de la vie quotidienne sous les Song :
le Yijianzhi (《夷坚志》)
dont le nom est emprunté à un certain Yi Jian cité dans le
Liezi (《列子》)
pour noter systématiquement toutes les histoires qu’il
entendait. Hong Mai a défendu la narration de fiction en chinois
vernaculaire, en l’élevant au rang d’écriture poétique – il a
d’ailleurs également compilé un recueil de dix mille poèmes
Tang. Ses suibi sont d’un style de cet ordre, à la
frontière mouvante entre narration et poésie. Mais la frontière
est tout aussi poreuse entre biji et xiaoshuo :
certaines histoires du Yijianzhi – et autres - se
retrouveront par exemple dans les recueils de récits de
Feng Menglong
(馮夢龍)
ou de
Ling Mengchu (淩濛初).
Ceci n’exclut
cependant pas les thèmes politiques, en l’occurrence des
réflexions sur les événements récents offrant un riche
contrepoint historique, d’autant plus intéressant qu’il est
souvent détaillé et personnel. C’est le cas du Huizhulu
(《揮麈錄》)
ou « Propos en agissant son fouet »
de Wang Mingqing (王明清),
des notes critiques sur la chute des Song du Nord et la
refondation de la dynastie au sud, ou du Sichao wenjian lu
(《四朝聞見錄》)
ou « Rumeurs sur le règne des quatre empereurs » de Ye Shaoweng
(葉紹翁),
ces empereurs étant les quatre premiers des Song du Sud, mais
traités dans un ordre non chronologique. D’autres recueils, dont
le Laoxue’an biji (《老學庵筆記》)
ou « Notes du vieux lettré dans sa retraite » de Lu You (陸遊),
critiquent les dépenses extravagantes à la cour de l’empereur
Gaozong (宋高宗),
le premier empereur des Song du Sud, et l’influence désastreuse
de son conseiller Qin Hui (秦檜)
.
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Le Laoxue’an biji de Lu
You |
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Ces deux
recueils sont des exemples-types de l’histoire non officielle,
ce que les Chinois appellent « histoire sauvage » (yěshǐ
野史),
mais dûment répertoriée dans les encyclopédies impériales, à
commencer par le siku quanshu.
Parallèlement,
dans la lignée des notes de lettrés sous les Song du nord, les
biji peuvent aussi rapporter des anecdotes et des détails
sur des écrivains et leur œuvre, devenant ainsi une source non
négligeable d’information sur l’histoire littéraire, et souvent,
ici encore, sous la forme d’anecdotes. Dans le Houqinglu
(《侯鯖錄》)
ou « Notes d’excellence »
de Zhao Lingzhi (趙令畤),
lui-même poète, on a ainsi, entre autres, des anecdotes sur Su
Shi (蘇軾)
qui fut l’un de ses amis intimes, mais aussi des indications sur
l’évolution du style de poésie ci
詞sous
les Song.
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Le Houqinglu de
Zhao Lingzhi |
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Certains
recueils de biji des Song du Sud ont même directement
trait à la littérature, et surtout à la poésie, comme le
Helin yulu (《鶴林玉露》)
ou « Rosée de jade dans la forêt des grues » de Luo Dajing (羅大經),
dont le titre est tiré d’un poème de Du Fu (杜甫).
L’ouvrage est discursif et narratif plus qu’analytique car il a
pour but de dépeindre la vie et la pensée des écrivains et
penseurs de l’époque. Mais il donne aussi d’intéressantes
informations sur la politique impériale et les dessous de la vie
de la cour, dont la chute du favori de l’empereur Gaozong (宋高宗)
ou la conjuration de palais pour pousser l’empereur Guangzong (宋光宗)
à abdiquer en faveur de l’empereur Ningzong (宋寧宗).
D’autres recueils enfin sont consacrés à la vie quotidienne
animée de la capitale Lin’an (臨安),
voire de l’ancienne capitale de Kaifeng comme le Dongjing
menghua lu (《東京夢華錄》)
de Meng Yuanlao (孟元老).
La
caractéristique de tous ces recueils est de ne pas se limiter à
un sujet déterminé, mais d’en aborder de nombreux sans forcément
de liens entre eux, mais comme témoignage personnel sur
l’histoire et la vie de l’époque. C’est encore le cas des
biji d’un auteur à la charnière entre les Song et les Yuan :
les Qidong yeyu ou « Propos spontanés de l’est de
Qi » (《齊東野語》)
de Zhou Mi (周密)
qui vécut la chute des Song mais refusa de servir la nouvelle
dynastie, se réfugiant alors dans l’écriture et y consacrant
tout son temps, le Qidong yeyu n’étant que l’un
des nombreux ouvrages qu’il a écrits.
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Le Qidong Yeyu de
Zhou Mi |
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C’est une
histoire non officielle de la dynastie des Song du Sud, rédigée
à partir de notes laissées par son père et son grand-père
maternel ainsi que d’autres sources, dûment indiquées ; mais
Zhou Mi a aussi ajouté des données sur une foule d’autres sujets
comme la calligraphie, la peinture, l’acupuncture, la production
du papier, les instruments d’astronomie ou les problèmes de
calcul du calendrier.
III. Nouvel
essor sous les Yuan et les Ming
Après cette
période d’essor qui lui a donné ses lettres de noblesse, le
biji a continué sous les Yuan (13e-14e
siècles) à être un genre privilégié des lettrés, à côté de la
poésie et surtout du théâtre.
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Sous les Yuan
On peut citer
deux recueils datant de cette époque :
- le
Yutang jiahua (《玉堂嘉話》)
ou « Admirables propos du Hall de Jade » de Wang Hun (王琿)
mêle des données sur les institutions de l’administration
mongole et les razzias de calligraphies et de peintures opérées
par les Mongols lors de leur conquête à des histoires qui
devaient circuler à la cour, comme un plagiat de calligraphie
d’un traité d’astronomie.
- et le
Chuogenglu (《輟耕錄》)
ou « Renonciation à une vie de labours » (à entendre comme
labeurs à la cour) de Tao Zongyi (陶宗儀)
qui annonçait ainsi quitter le gouvernement pour se retirer dans
le sud à la fin de sa carrière, qui coïncidait avec la fin de la
dynastie. Il donne des informations sur la vie dans la capitale,
et en particulier la peinture et la poésie, les chants
populaires, l’opéra et le théâtre.
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Le Chuogenglu
(abrégé de Nancun Chuogenglu) |
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Sous les Ming (14e-17e siècles)
Sous les Ming,
les recueils de biji, comme les romans, bénéficient de la
multiplication des imprimeurs
,
ce qui contribue à les rapprocher du xiaoshuo, roman et
narration historique étant souvent écrits par les mêmes auteurs.
Deux recueils
du 15e siècle sont représentatifs :
- Le
Shuyuan zaji (《菽園雜記》)
ou « Notes diverses du jardin des petits pois
»
de Lu Rong (陸容)
De manière typique, Lu Rong y aborde les sujets les plus variés,
de la vie sociale et familiale et des affaires du gouvernement
au divinités et esprits divers, mais aussi au monde naturel et
aux connaissances scientifiques et techniques
.
- et le
Qixiu leigao (《七修類稿》)
ou « Notes de sept sortes » de Lang Ying (郎瑛).
Le titre semble annoncer une division en sept thèmes, mais le
recueil est en fait tout aussi disparate que les autres, avec
des notes sur les coutumes et certains traits de la vie courante
(dont par exemple les tabous et erreurs d’écriture en découlant
persistant sur certains noms), mais aussi des observations sur
les phénomènes naturels comme l’arc-en-ciel ; si l’on peut
distinguer quelques thématiques, elles sont historiques pour
beaucoup, mais sans omettre le surnaturel, et traitées par
bribes. Lang Ying lui-même reconnaît un mode d’écriture proche
du xiaoshuo dans un commentaire sur la véracité de
certains épisodes historiques qu’il relate concernant
l’enlèvement des deux derniers empereurs des Song du Nord par
les envahisseurs Jin ; ces épisodes lui ont été inspirés par un
ouvrage antérieur anonyme, compilé sous les Song, révisé sous
les Yuan et réédité sous les Ming, qui est à la fois une
histoire romancée et un prototype du roman vernaculaire
Shuihuzhuan
(《水浒传》)
ou « Au bord de l’eau » : le Xuanhe Yishi (《宣和遺事》).
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Le Qixiu leigao
de Lang Ying |
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En même temps,
étant écriture personnelle, le biji suit les modes : au
17e siècle, il devient écriture du sentiment quand se
développe la vogue du qing (情),
dans un contexte de réaction contre l’emprise sclérosante du
li (理)
confucéen comme principe d’ordre
.
Le qing ajoute un élément stylistique supplémentaire à la
volonté de se dégager de l’imitation des anciens.
De la fin de
la dynastie datent deux recueils importants :
- Le
Wanli yehuo bian (萬厲野獲編)
ou « Notes prises sur le vif de la période Wanli » du dramaturge
Shen Defu (沈德符),
achevé en 1607. Le titre revendique le caractère spontané,
« pris sur le vif » (yěhuò
野獲), de
ces pages, comme des instantanés photographiques. Shen Defu a
été le premier mari de la grande courtisane
Xue Susu (薛素素),
elle-même peintre et poète, qu’il a épousée en 1605 – et en ce
sens une figure emblématique du qing.
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Le Wanli yehuo bian,
édition petit format de la période Qing
(National Palace Museum,
Taipei) |
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- Le
Yongzhuang xiaopin (《涌幢小品》)
ou « Modestes notes du studio Yongzhuang » de Zhu Guozhen (朱國禎),
édité en 1622 ; le recueil était initialement intitulé Xi
Hong xiaopin (《希洪小品》)
en hommage au Rongzhai suibi de Hong Mai. Par ailleurs
auteur d’une « Histoire générale de l’empire des Ming » (《皇明史概》),
Zhu Guozhen traite de la politique du moment, avec des portraits
de personnalités et des cas concrets, y compris les histoires de
piratage sur la côte ou de révoltes paysannes à l’intérieur. Le
recueil est le type même de l’histoire privée, traitée par
bribes, en marge de l’histoire officielle.
La vogue des
biji à la fin des Ming coïncide avec la valorisation des
genres populaires en réaction à l’imitation stérile des modèles
anciens et en lien avec la pensée d’un Li Zhi (李贄)
qui, à la fin du 16e siècle, inspira l’émergence d’un
mouvement littéraire privilégiant l’expression spontanée (ziwen
自文).
Hostile à la stricte orthodoxie néo-confucéenne, et de Zhu Xi (朱熹)
en particulier, et marqué par les conceptions
« intuitionnistes » du bouddhisme chan, il privilégiait
sincérité et authenticité, selon sa théorie de l’expression du
« cœur de l’enfant » (tongxin shuo童心说).
Li Zhi excellait, justement, dans le genre dit mineur du
xiaopin (小品).Ses
récits de voyages, en particulier, peuvent être la brève
description d’un site, d’une promenade, le récit d’une rencontre
fortuite, soulignant chaque fois la sensibilité de l’auteur.
Les notes de
voyage (youji
遊記)
deviennent d’ailleurs un genre à part entière à la fin de la
dynastie, en particulier sous le pinceau du véritable géographe
que fut Xu Xiake (徐霞客),
dont les voyages pendant plus de quarante ans ont nourri un
journal qui est une véritable encyclopédie géographique, mais
couchée dans une superbe prose, une « littérature de notes de
voyage » (“遊記文學”) empreinte d’émotion
devant les beautés de la nature
– littérature « de notes » proche de la poésie paysagiste,
influencée par la peinture :
« Il
chargeait les randonnées scientifiques de ses émotions
personnelles, les pèlerinages aventureux étaient transmués en
expériences poétiques et spirituelles, la précision de
l’observation étant proportionnelle à la beauté de l’expression
littéraire. »
Zhang
Yinde, Histoire de la littérature chinoise, p. 48
Li Zhi fut
aussi l’inspirateur de l’école Gong’an (公安)
fondée en cette même fin du 16e siècle par Yuan
Hongdao (袁宏道)
et ses frères et prônant une écriture spontanée et authentique (zhen
真),
traduisant le « génie naturel » (xingling
性靈), et
partageant ce que Martine Valette-Hémery, dans son ouvrage sur
Yuan Hongdao
,
a appelé « l’hédonisme désabusé de la fin des Ming ».
IV.
Efflorescence du biji sous les Qing
En réaction à
l’effervescence de la fin des Ming, le début de la période Qing
est marqué par un mouvement de retour aux classiques et, en
littérature, à la prose ancienne. Il fut tout particulièrement
incarné par l’école de Tongcheng, (桐城派),
du nom d’une petite ville de l’Anhui dont étaient originaires
ses initiateurs qui prônaient une langue claire et concise,
telle que celle des grands prosateurs des Tang ou des
néo-confucéens sous les Song - la langue même des biji
dont la période nous offre de nombreux exemples, à commencer par
un recueil qui fit scandale.
*
Fin du 17e siècle
L’un des
fondateurs de l’école de Tongcheng était le lettré Fang Bao (方苞)
qui avait une position officielle dans le gouvernement de
l’empereur Kangxi. Or, en 1711, il fut impliqué dans ce qu’on a
appelé « l’incident de Nanshan » (南山案),
pour avoir écrit la préface d’un recueil de biji écrit
par un dénommé Dai Mingshi (戴名世)
auquel Fan Bao était apparenté par sa femme.
- Le recueil –
intitulé Nanshan ji (南山集),
ou « Notes de la montagne du sud »
– était un livre de souvenirs nostalgiques d’un parent de Dai
Mingshi qui avait combattu aux côtés de Wu Sangui (吳三桂),
un officier des Ming qui s’était illustré en ouvrant la passe de
Shanhaiguan aux envahisseurs mandchous, ce pourquoi il avait été
récompensé par un fief dans le Yunnan et le Guizhou et un titre
royal ; mais il s’était ensuite rebellé contre les Qing en se
proclamant empereur d’un empire vite disparu car il était mort
quelques mois plus tard, en 1678. Wu Sangui était donc considéré
comme doublement traître ; il était mal venu de célébrer son
nom. Mais cela nous a valu non seulement le recueil de Dai
Mingshi, mais aussi un autre recueil, le Yu zhong zaji
(《獄中雜記》)
ou « Notes diverses écrites en prison » par Fang Bao. Lui s’en
tira, mais Dai Mingshi fut décapité.
Cela semble
anecdotique, mais le Nanshan ji se présentait comme un
recueil de notes diverses dans la grande tradition du biji :
préface, postface, lettres, hommages, épigraphes, biographies,
descriptions etc. D’autres recueils célèbres ont vu le jour dès
le début de la dynastie. L’art du biji est alors mis au
service de la nostalgie du passé et d’un idéal de vie raffiné,
chaque recueil reflétant la personnalité de l’auteur.
- Le grand
dramaturge et romancier iconoclaste Li Yu (李漁)
lui-même est l’auteur d’un recueil de « Notes consignées au gré
du hasard et des loisirs » ou Xianqing ouji (《闲情偶寄》),
où sont abordés les divers domaines chers à Li Yu : art
dramatique bien sûr, mais aussi architecture, mobilier,
décoration, art culinaire, soins du corps et art de vivre –
autant de notes témoignant d’un hédonisme doublé d’un plaisir
d’esthète.
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Le Xianqing ouji
de Li Yu, édition originale |
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- À peu près à
la même époque, un autre grand lettré et esthète, Zhang Dai (張岱),
qui ne s’était pas remis de la perte des plaisirs raffinés de la
vie à la fin des Ming, en fit une évocation nostalgique dans ses
« Souvenirs rêvés de Tao’an » ou Tao’an mengyi (《陶庵夢憶》)
écrits vers 1665. Le recueil comporte des portraits de
personnages, amateur d’opéra ou de fleurs, maître graveur,
joueurs de cithares, mais aussi des scène de vie urbaine, dont
des promenades sur les bateaux de plaisir du Lac de l’Ouest, et
des témoignages de tout un art de vivre disparu, art du thé,
combats de coqs, collections d’encriers… Il a été doublé d’un
second volet, « En quête du Lac de l’Ouest en rêve » ou
Xihu mengxun (《西湖夢尋》),
dans le même esprit.
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Le Tao’an mengyi,
édition illustrée |
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- Un autre
nostalgique des Ming, Gu Yanwu (顧炎武),
qui avait trente ans lors de la chute de la dynastie et
participa à la résistance contre les Mandchous, nous a laissé
des « Notes sur les acquis de connaissance au quotidien » ou
Rizhilu (《日知錄》),
initialement édité en 1670. Comme il était l’un des fondateurs
d’une école dédiée à l’étude des textes anciens (xunguxue
訓詁學) et
à l’interprétation des classiques confucéens, beaucoup de ses
notes sont des commentaires sur les classiques, y compris les
erreurs dans les textes, , mais il reprend aussi la tradition
des notes sur des sujets divers : institutions, politique,
histoire, astronomie et astrologie, géographie, etc.
*
Fin du 18e siècle
Cet art du
biji connaît un brillant épanouissement un siècle plus tard,
sous le pinceau du grand érudit Ji
Yun (紀昀),
membre de l’Académie Hanlin, nommé en 1773 par l’empereur
Qianlong responsable de la compilation de l’immense encyclopédie
livresque Siku Quanshu (四庫全書)
– fabuleuse entreprise qui fit rêver Borges. Mais parallèlement
à ce travail de démiurge, outre des recueils de contes
fantastiques, Ji Yun écrivit des recueils de biji –
mêlant souvenirs personnels et récits rapportés – réunis en
1798 sous le titre de « Notes de la chaumière des observations
subtiles » ou Yuewei caotang biji (《阅微草堂笔记》).
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Le Yuewei caotang
biji |
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Lu Xun en fait
l’éloge au chapitre XXII de sa « Brève histoire du xiaoshuo
» (《中国小说史略》)
en expliquant que ce sont en fait cinq recueils d’anecdotes
rédigés à partir de 1789 – à commencer par des « Notes écrites
pendant mes loisirs d’été à Luanyang » ou
Luanyang
xiaoxia lu
(《灤陽消夏錄》)
c’est-à-dire pendant le temps qui lui laissait la supervision du
travail de rangement des livres de la bibliothèque de la
résidence d’été de l’empereur à Rehe (Jehol pour les Jésuites,
mais aussi appelée Luanyang)
.
Cai Yuanpei (蔡元培)
pour sa part dira du Yuewei caotang biji que c’était
l’une des trois œuvres les plus lues de l’époque mandchoue, avec
les
Contes de Pu
Songling
et le Shitou ji (《石頭記》),
ou « Histoire de la pierre » c’est-à-dire le récit-cadre du
« Rêve dans le pavillon rouge ». C’est l’apogée du genre.
*
19e siècle
L’art du
biji se poursuit cependant au siècle suivant, avec en
particulier les deux recueils du philosophe et philologue Yu
Zhengxie (俞正燮) :
le Guisi leigao (《癸巳類稿》)
ou « Notes classifiées de l’année guisi » achevé en 1833
et le Guisi cungao (《癸巳存稿》)
ou « Notes restantes de l’année guisi », tous deux
édités à la fin du règne de l’empereur Daoguang (道光帝),
en 1847.
Ces deux
ouvrages fourmillent de renseignements sur l’administration
impériale, dont la gestion du Grand Canal, les travaux de
régulation des eaux, l’institution des résidents impériaux ou
ambans dans les zones frontalières (zhuzha dachen
駐劄大臣),
avec des développements sur les relations des Mandchous avec le
Tibet, par exemple, ou encore le système de taxation, capitation
et taxe foncière (diding
地丁).
Yu Zhengxie y joint des réflexions sur les us et coutumes, avec
chaque fois une note sur l’histoire, qu’il s’agisse du tabac ou
des pastèques.
Mais le plus
frappant, et étonnant pour l’époque, est l’insistance sur
l’égalité des femmes, contre les diktats confucéens défendus par
ailleurs, ses opinions sur la condition féminine étant dérivées
de l’étude des textes – et en particulier en défense de
l’égalité des sexes dans le mariage. Cette position lui vaudra
d’être considéré par Lin Yutang (林語堂)
comme l’un des trois penseurs féministes prémodernes, avec le
poète, essayiste et auteur de contes fantastiques
Yuan Mei (袁枚),
mort en 1797, et le romancier et phonologiste Li Ruzhen (李汝珍),
mort en 1830.
V. Le 20e
siècle : un temps, aussi, pour le biji
Entre écriture
du moi et observation sociale, l’essai se développe au début du
20e siècle en poursuivant la tradition des notes au
fil du pinceau, suibi (随笔),
ou des notes brèves du genre xiaopin (小品).
*
De Lu Xun à Zhou Zuoren et Lin Yutang
Lu Xun (魯迅)
en est un maître, avec plus d’une quinzaine de recueils
d’essais, pensées diverses, commentaires politiques et autres
qui sont un miroir de la vie en Chine du vivant de l’auteur,
mais qui sont beaucoup moins connus que son œuvre de fiction
.
C’est aussi le cas de son frère
Zhou Zuoren (周作人)
qui est, lui, essentiellement essayiste
.
S’il s’est posé en radical iconoclaste, contre la tradition
confucéenne, dans ses premiers articles publiés dans La
Jeunesse (《新青年》)
à partir de 1918, il adopte une attitude plus ouverte dans les
années 1920, quand il se tourne vers l’écriture de biji,
notés de manière informelle au gré de ses lectures.
Nourri de
culture classique grecque et japonaise, il s’attachait à peindre
des événements même apparemment futiles avec la « fadeur »
privilégiée par les lettrés
,
mais toujours avec une profonde sympathie envers les pauvres et
les opprimés selon les idéaux littéraires énoncés dans son essai
publié en 1918 : « Une littérature de l’homme » (《人的文学》).
En novembre
1924 est créée la revue hebdomadaire d’avant-garde Yusi
(《語絲》)
ou « Fils du discours », par les écrivains autour de Lu Xun et
de son frère : c’était la première revue littéraire chinoise à
être dédiée uniquement à la publication d’essais.
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Le journal Yusi,
numéro de novembre 1924 |
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L’un des
auteurs qui y participent est Lin
Yutang (林語堂)
qui s’est lui-même illustré dans le genre du xiaopin à la
même époque. En septembre 1932, il fonde un bi-hebdomadaire
humoristique intitulé « Les Analectes » (Lunyu banyuekan《論語》半月刊)
dédié à l’essai court, écrit dans un style sans apprêt, et où il
publie des essais de Hu Shi (胡适),
Lao She (老舍),
Zhou Zuoren et même Lu Xun. Mais celui-ci l’attaqua l’année
suivante pour être apolitique, en accusant cet élégant « xiaopin
wen » (小品文)
d’être « un bric à brac pour la bourgeoisie » alors que venait
d’être fondée la Ligue des écrivains de gauche et que
l’artillerie japonaise venait de détruire les locaux de la
Commercial Press lors de « l’incident du 28 janvier » (1932) à
Shanghai… La revue n’en devint pas moins très populaire.
En parallèle,
à la même époque, on peut également citer le poète Zhu Ziqing (朱自清),
l’un des pionniers du modernisme au moment du
mouvement du 4
mai
et qui s’est aussi illustré dans le genre de l’essai. Ce sont
des textes brefs, intimistes, relatant des souvenirs ou traitant
de questions diverses caractérisées essentiellement par la
recherche de l’expression juste, comme dans sa poésie. L’un des
plus célèbres est celui intitulé simplement « Vert » ("綠"),
ode à la beauté de l’étang Meiyu (梅雨潭),
dans les monts Yandang, dans le sud-est du Zhejiang, écrit après
avoir découvert l’endroit en 1923. Mais il peut aussi bien
évoquer son père, dont il ne se rappelle que le dos après
l’avoir vu deux ans auparavant, pour les funérailles de sa
grand-mère – le texte est intitulé « Vue
de dos » (背影),
très sobre, mais plein d’émotion, et d’un style recherché.
On n’est plus
là dans la conception traditionnelle du biji, mêlant
histoire officieuse et témoignages sur la vie d’une époque. On
est dans un registre intime, proche de la poésie, où prime
l’expression. Dans son « Histoire de la littérature chinoise »,
Zhang Yinde le donne en exemple de la « belle prose » en chinois
moderne (p. 81).
*
Le biji comme « belle prose » de la vie courante : Li Jingze
Aujourd’hui,
la plupart des grands écrivains chinois contemporains sont aussi
des essayistes dont beaucoup se réclament de la tradition du
biji, mais cet aspect de leur œuvre, élusif et difficile à
classer, est relativement peu connu ; ces textes sont peu
traduits. Ils connaissent pourtant une nouvelle popularité que
le critique littéraire Li Jingze (李敬泽)
a attribuée à son adéquation avec la vie moderne, le rythme
rapide et brutal du changement et la nature fragmentaire des
expériences vécues qui en découle. Les biji en sont le
reflet. Li Jingze a d’ailleurs lui-même publié plusieurs
recueils, dont, en 2022, le Shanghe ji (《上河记》)
ou « Notes d’un voyage le long du Yangzi » qui regroupe quinze
essais relevant des notes de voyage (youji
遊記) à
la manière d’un Xu Xiake, avec poèmes, citations et références
culturelles.
*
Le biji contre la science-fiction : John Minford et Xi Xi
Le biji
wenxue (筆記文学) est
devenu un véritable courant littéraire en Chine comme mode
informel de commentaires sur la vie quotidienne. On pourrait
citer des textes de Jia Pingwa ou de Mo Yan, dans le genre
« littérature mineure » d’écrivains majeurs, avec une tendance à
intégrer le dialectal. Mais le terme de biji wenxue est
aussi celui retenu par John Minford, sinologue et traducteur
célèbre de littérature chinoise classique, pour qualifier les
« Teddy
Bear Chronicles » (《縫熊志》)
ou « Chroniques de Nounours » de
Xi Xi (西西)
dont il a publié en 2021 la traduction en anglais dans les Hong
Kong Literature Series de la Chinese University Press dont il
est éditeur.
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Teddy Bears Chronicles
(Xi Xi) |
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Lors d’une conférence dans sa série « Culture et traduction » (文化與翻譯系列)
intitulée Biji : xianqing ji qu (筆記:閒情記趣
« Jottings and Belles Lettres »)
dont on pourrait traduire le titre chinois par « Le biji
et la vogue de la littérature de loisir »,
il a expliqué qu’il avait choisi ce terme de biji wenxue
pour définir le recueil de Xi Xi parce que l’auteur « a pris un
sujet frivole et en a fait quelque chose de sérieux ». Dans sa
préface à l’ouvrage en traduction anglaise, Minford regrette que
le genre ait été aussi négligé dans le monde non-chinois, et
sans doute, suggère-t-il, parce qu’il n’y correspond à aucune
catégorie établie. Il espère que ces Chroniques seront une
contribution bienvenue pour combler les vides actuels de la
traduction de littérature chinoise, où la littérature de
science-fiction occupe une place démesurée depuis le succès des
« Trois
Corps » (《三体》)
de
Liu Cixin (刘慈欣).
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Le biji entre prose et poésie : Yu Jian
Le biji
est d’autant plus intéressant que, dans sa concision même, il se
prête à l’expérimentation, aux frontières de la poésie. C’est ce
que montre le poète Yu Jian (于坚),
né en 1954 et auteur en 1994 du long poème narratif (non
versifié) « Dossier zéro » (《O档案》)
.
Composé, tel un dossier personnel secret, comme un montage
d’éléments disparates - fragments de journal intime,
autocritiques, rapports politiques, bulletins scolaires - le
tout émaillé de citations classiques tout autant que de slogans
et de chansons populaires, le texte témoigne de l’absurdité de
la réalité sociale rendue sur un mode fragmentaire.
C’est cette
écriture fragmentaire, résolument non lyrique, qui caractérise
aussi ses nombreux recueils de notes de voyage et d’impressions
de la vie quotidienne, entre prose et poésie, dont les « Notes
du monde humain » (Renjian biji《人间笔记》)
publiées en 1999, suivies de Lao Kunming : Jiinma biji
(《老昆明:金马碧鸡》)
publié en septembre 2000
et nombre d’autres.
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Renjian biji, de
Yu Jian (éd. 1999) |
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Le biji contestataire : Tsering Woeser et ses « Notes du Tibet »
Les biji
ont dès leurs origines été critiques de l’histoire
officielle, écrits très souvent pour en donner une autre
version, voire pour dénoncer la version officielle ou la
politique de l’empereur – avec souvent de graves conséquences
comme ce fut le cas pour Han Yu. C’est cette tradition dans
laquelle s’inscrit explicitement la poétesse et écrivaine
tibétaine, mais sinophone, Tsering
Woeser (唯色)
en titrant « Notes du Tibet » (Xizang biji《西藏笔记》)
son premier recueil d’essais publié en 2003 et aussitôt
interdit. De manière typique de la porosité entre biji et
poésie, elle le republie à Taiwan en 2006 dans une version
révisée sous le titre
« Un poème nommé Tibet » (Ming wei Xizang de shi
《名為西藏的詩》).
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Xizang biji de
Woeser |
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Très peu traduit, méconnu, le biji reste à découvrir…
comme le sanwen (散文),
cette « prose éparpillée » qui lui est apparentée, mais, plus
récente, jouit d’une meilleure notoriété même si les deux genres
se recoupent et même se rejoignent dans le concept très vague de
xiaopinwen (小品文)
dont Zhou Zuoren s’est fait le chantre
.
Sur la “marginalité” du genre, voir :
Notebooks (Biji) and Shifting Boundaries of Knowledge in
Eleventh-Century China,
la
marginalité étant d’abord celle du lettré écrivant dans
l’isolement d’une retraite à la campagne. La popularité
du genre n’a pas éliminé sa marginalité. Les titres
parlent d’eux-mêmes, ainsi le Guitian lu de
Ouyang Xiu cité plus loin : « Notes de ma retraite à la
campagne ». Après tout, sous les Song, les biji
étaient toujours classés sous la rubrique du xiaoshuo,
genre mineur par excellence, comprenant bavardage et
conversations d’arrière-cour selon la formulation de
l’historien des Han Ban Gu (班固).
Expression imagée : huīzhǔ揮麈
évoque une habitude attribuée aux Jin qui consistait à
agiter un fouet fait de crins de la queue d’un cheval (挥动麈尾
zhǔwěi
=
拂尘
fúchén)
quand ils discutaient.
Voir :
https://www.zdic.net/hans/%E9%BA%88
Le titre est une allusion lettrée à une histoire datant
des Han, houqing désignant une sorte de ragoût de
poisson (鲭鱼)
servi à un certain Wang Wuhou (王五侯)
et resté dans les annales comme un mets délicieux, donc
symbole d’excellence.
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