Extraits de romans

 
 
 
     

 

 

Zhang Yueran 张悦然 « Le Clou »《茧》 chap. 15 [1]

Texte choisi pour l’épreuve de version de l’agrégation de chinois 2025.

Traduction et commentaires de Brigitte Duzan/Zhang Guochuan 11.02.2025

 

Traduction proposée 

 

     一九九三年的那个冬天,对我来说最重要的事,是我爸爸回来了,就在我妈结婚前的那个星期。十二月的一个下午,他到学校来找我。我一路飞奔向大门口,隔着铁栏杆远远地看到他站在外面抽烟。身上穿着一件黑色长风衣,竖起的领子遮住了半张脸。不知道为什么,连他的样子也没有看清,就觉得他过得似乎很不好。我的心一酸,眼泪掉了出来。

 

    Cet hiver 1993, l’événement le plus important pour moi fut le retour de mon père, la semaine précédant le mariage de ma mère. Il est venu me chercher à l’école un après-midi de décembre. Je me suis précipitée vers l’entrée principale, et à travers les barreaux de fer du portail je l’ai aperçu au loin, debout, fumant une cigarette. Il portait une gabardine noire dont le col relevé lui cachait la moitié du visage. Je ne saurais dire pourquoi, même si je n’avais pas distingué nettement ses traits, j’ai eu le sentiment qu’il avait l’air de ne pas avoir une vie très heureuse. J’ai senti mon cœur se serrer, et mes larmes couler.

 

     他看出我哭了,就立刻低下了头,捻灭扔在地上的烟蒂。我的眼泪可能令他感到为难了。 在我们的关系中,任何感情强烈的表达都是一种禁忌。

 

    Il a vu que je pleurais et, baissant aussitôt la tête, il a jeté son mégot et l’a écrasé par terre. C’étaient peut-être mes larmes qui l’avaient mis dans l’embarras. Entre nous, toute manifestation un peu forte de sentiment était de l’ordre de l’interdit.

    

     他瘦了许多,变黑了,头发长了,脸上有一些胡子茬。看上去很疲倦,抽烟抽得很凶,刚熄灭了立即又掏出一支,然后开始浑身上下找打火机。点烟的时候,我注意到他的手在发抖。

     "今天下午都是自习课。" 我撒了谎,意思是我可以跟他出去。

     "好。" 他真的带我走了。

 

    Il avait beaucoup maigri, sa peau avait bruni, ses cheveux étaient plus longs et il était mal rasé. Il avait l’air épuisé et fumait nerveusement, prenant une nouvelle cigarette après avoir fini l’autre, et cherchant alors fébrilement son briquet dans toutes ses poches. J’ai remarqué que sa main tremblait en allumant la cigarette.

    « Cet après-midi, on a étude, » ai-je menti, pour dire que je pouvais partir avec lui.

    « Bien, » a-t-il dit, et il m’a effectivement emmenée avec lui.

 

     但我们其实没有什么地方可以去。漫无目的地走了几条街,看到一个有湖的公园,就买了票进去。冬天的公园非常萧索,湖边的柳树像素描本上凌乱的铅笔线条。湖对岸有个亭子,低着檐角,像是在寻找自己在水中的倒影。可它找不到,湖水已经结成了厚冰。多么孤独啊,连影子都不能陪伴它。

 

    Mais nous n’avions en fait nulle part où aller. Après avoir déambulé sans but dans quelques rues, nous avons trouvé un parc avec un lac, alors nous avons acheté des billets et nous sommes entrés. C’était l’hiver, le parc était totalement désert, les saules au bord du lac avaient l’apparence de quelques traits griffonnés en désordre au crayon dans un carnet de dessin. Sur la rive opposée se trouvait un pavillon à l’avant-toit très bas qui semblait chercher son reflet dans l’eau. Mais en vain : à la surface du lac s’était déjà formée une épaisse couche de glace. Ah ! comme il avait l’air solitaire, même son reflet ne pouvait lui tenir compagnie.

 

     我爸爸去小卖店买烟,回来的时候给我带了一块烤红薯。我用它烘着冻僵的手,慢慢地吃。风很大,我们在一个回廊里坐下来。身旁的方形柱子上缠着干枯的藤,我想象着夏天那上面爬满绿色叶子,想象着那个时候我们来这里划船。

 

    Mon père est allé s’acheter des cigarettes dans une petite boutique, et en revenant m’a rapporté une patate douce grillée. J’en ai profité pour réchauffer mes mains engourdies, en la mangeant tout doucement. Comme il y avait un vent très fort, nous sommes allés nous asseoir dans une galerie. À côté, une plante grimpante toute sèche était enroulée autour d’un pilier carré. Je me la suis imaginée en été, couverte de feuilles vertes, en nous imaginant aussi venant à ce moment-là canoter sur le lac. 

 

     "你记得我们以前来过这里吗?" 他问我。

     "我们没有来过。"

     "来过,你很小的时候。" 他说。

 

    « Tu te rappelles qu’on est déjà venus ici ? » m’a-t-il demandé.

    « Non, on n’est jamais venus. »

    « Si. Quand tu étais toute petite, » m’a-t-il dit.

 

     我想问他那时是不是夏天,可他完全沉浸在回忆里,让人不忍心唤他回来。他的眼神变得很温柔,我简直觉得他有一点怀念我们从前的生活。可能吗?我对这一切毫无把握。事实上我仍旧不敢相信,他竟然真的来学校找我了。要知道,这曾是我做过的一个梦。先前他站在大门口的样子,和梦里如出一辙。但梦里他穿的是一件咖啡色毛衣,头发很短。他将脸贴在铁栏杆上,对我招手,走吧,他说,我们要走了。他当然不会带我走。如果说以前我还对此抱有幻想的话,此时那些火种早就熄灭了。可是他来学校找我,至少意味着他想念我。这已经是一种很强烈的情感表达了,足以令我受宠若惊。和他一起往公园走的路上,我很想说一点什么,又担心流露出内心的欢喜,会让他觉得很蠢。

 

    Je voulais lui demander si c’était en été, mais il était tellement plongé dans ses souvenirs que je n’ai pas eu le cœur de l’en tirer. Son regard était devenu très doux, et j’ai presque eu l’impression qu’il éprouvait une certaine nostalgie en se remémorant notre vie passée. Était-ce possible ? Je n’en ai aucune certitude. En fait, je n’arrivais toujours pas à croire qu’il était vraiment venu me chercher à l’école. Il faut savoir que j’en avais fait le rêve. Dans ce rêve, il se tenait devant le portail de l’entrée exactement de la même manière, mais il portait un pull couleur café, et il avait les cheveux très courts. Il collait le visage contre les barreaux de fer et me faisait signe de la main, viens, on y va, disait-il. Bien sûr, il n’allait pas m’emmener. Si dans le passé je me suis fait pas mal d’illusions à ce sujet, maintenant toutes ces petites flammes s’étaient éteintes depuis longtemps. Mais il était venu me chercher à l’école, cela signifiait au moins que je lui manquais. C’était là une manifestation très forte de sentiment, apte à faire naître en moi une sensation de bonheur intense. Pendant que nous nous dirigions ensemble vers le parc, j’avais très envie de dire quelque chose, mais je n’ai pas voulu trahir la joie qui m’habitait, de peur qu’il pense que j’étais idiote.

 

Commentaires

 

Le texte, de prime abord, ne pose pas de problèmes de compréhension. Il est simple, sans difficultés lexicales ni syntaxiques. Sa traduction demande donc un style clair, mais il faut surtout qu’il soit précis pour respecter les articulations et en faire ressortir la logique, ainsi que le bref passage poétique à la fin. Il ne faut négliger aucun détail.

 

Par exemple :

-  dans la première phrase, l’accent est mis sur la date, et il ne faut pas omettre 对我来说 : il s’agit d’un sentiment personnel (non général).

- dans le deuxième alinéa, il ne faut pas oublier non plus 立刻 : il baissa aussitôt la tête, ce qui marque le désarroi du père en apercevant sa fille pleurer.

- on pourrait de même omettre 就买了票进去 : il est vrai que la description du parc ensuite laisse entendre qu’ils y sont entrés, mais le style du texte n’est pas allusif, la jeune Li Jiaqi évoque des souvenirs d’enfance très précis, au geste près. Tout le roman est une quête du passé fondée sur le souvenir qu’il s’agit de fouiller pour tenter d’en faire ressortir une vérité insaisissable : d’où l’intérêt du détail.

- autre précision à bien rendre dans ce même passage : 可它找不到. D’une part, il s’agit d’une image poétique qui est le reflet de la tristesse solitaire de Li Jiaqi ; mais surtout cet introuvable reflet dans l’eau appelle et introduit l’explication qui suit : s’il est introuvable, c’est que le lac était gelé.

- dans l’ordre des précisions lexicales : 一块烤红薯 est à prendre au sens de « une patate douce » et non « un morceau de patate douce »,  étant ici tout simplement un classificateur.

 

 

 

 

 

 

On ne vend pas des « morceaux » de patates douces car elles sont cuites entières dans leur peau, et on les mange ainsi, dans la rue, en ouvrant peu à peu la peau :

 

 

- autre détail qui a sa signification : 这曾是我做过的一个梦. Ce n’est pas ici « j’en avais rêvé », mais « j’en avais fait le rêve ». C’est très précis : elle l’avait rêvé exactement comme cela s’est passé. Et la suite est la description du père dans son rêve, avec des différences dans le physique, mais les mêmes gestes.

 

Note sur les temps

 

Le passé composé (narratif) a ici été privilégié plutôt qu’un passé simple (sauf à la première phrase qui est ponctuelle et datée).

Dans la description du rêve, il faut des imparfaits y compris pour le dernier verbe (disait-il) qui souligne la récurrence du rêve.

 


[1] 张悦然,《茧》,人民文学出版社,2016

Zhang Yueran, Le Clou, Ed. Renmin wenxue, 2016


 

     

 

 

 

 

     

 

 

 

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