|
L’exil des poètes, conférence du
professeur Haun Saussy
Collège de France, 25 juin
2024
par Brigitte
Duzan, 2 juillet 2024
Le professeur
Haun Saussy avait choisi d’intituler sa conférence : « Le chemin
de l’exil, tournant décisif chez quelques poètes de la Chine
classique ». L’exil était en effet un moment de rupture,
d’éloignement de la capitale, pour les poètes mis à l’écart de
la cour. Il s’agit là d’un exil aristocratique, touchant des
rivaux politiques. Mais c’était un tournant décisif aussi en
termes de création poétique. C’est ce que le professeur a
illustré en prenant quatre exemples du 4e au 12e
siècles, après avoir posé Qu Yuan (屈原)
et son Lisao (《离骚》),
ou « Tristesse de la séparation », en modèle initial.
1. Xie
Lingyun (谢灵运
385-433), descendant d’une illustre famille dont la vie a été
marquée en 420 par la chute de la dynastie des Jin (qui avaient
brièvement réunifié l’empire à la fin de la période des
Royaumes combattants).
|
Xie
Lingyun, inventeur du poème de paysage à Yongjia
|
|
Après avoir
servi le gouvernement des Liu-Song (刘宋朝)
de 420 à 422, Xie Lingyun est envoyé en poste dans le petit
port de Yongjia (永嘉),
aujourd’hui Wenzhou, dans le sud du Zhejiang. Au bout d’un an,
cependant, il démissionne et se retire sur le domaine familial
dans ce qui est aujourd’hui Shangyu (上虞)
dans le nord-est du Zhejiang. Il fait là de longues expéditions
en montagne. C’est la source d’un nouveau genre poétique, la
poésie de paysage (shanshui shi
山水诗),
poèmes qui ont le paysage pour thème principal, et non seulement
pour cadre ; sous les Tang, ils auraient inspiré ceux de Meng
Haoran (孟浩然)
et de Wang Wei (王维),
retiré de même sur son domaine familial.
Mais Xie
Lingyun est rappelé à la capitale à la faveur de nouveaux
changements politiques. En 431, il est exilé dans le Jiangxi
actuel, puis à Canton où il sera décapité en 433 sous une charge
fallacieuse. Son dernier poème sera pour regretter ne pas
pouvoir mourir sur l’une de ses montagnes préférées.
Le poème
représentatif de cette nouvelle poésie de paysage de Xie
Lingyun, cité par Haun Saussy, est « En montant sur la tour
au-dessus de l’étang » (《登池上楼》)
qui date de 423. Il dépeint les sentiments du poète montant
admirer le paysage après avoir rejeté ses couvertures, après
avoir été malade.
Par la suite,
l’exil change de nature : il devient mesure administrative de
punition, traduisant le plus souvent le résultat d’un conflit et
le désir de mettre à l’écart un personnage trop critique du
pouvoir et de sa politique. Le poème devient mode narratif pour
rendre compte des difficultés du voyage, mais aussi de
l’expérience vécue.
2. C’est
le cas de Shen Quanqi (沈佺期
650-729),
deux siècles plus tard, dont la faute était d’avoir été le
protégé d’un proche de l’impératrice Wu Zetian, Zhang Yizhi (张易之),
exécuté à la chute de l’impératrice, en 705. Shen Quanqi fut
accusé de corruption et envoyé en exil dans le sud, dans ce qui
est aujourd’hui Vinh, au Vietnam.
|
Shen Quanqi, œuvre
annotée
(en deux volumes), 2001 |
|
Il fut
pardonné par la suite, mais cet exil fut déterminant pour
l’évolution de sa poésie, au niveau thématique autant que
formel : il a en particulier contribué au développement de la
poésie pentasyllabique (五言律诗).
L’un de ses poèmes représentatifs est celui décrivant les
difficultés de son voyage vers une région aussi lointaine et
difficilement accessible, offrant une narration à son périple :
« En remontant le cours de la rivière de Changle à la Montagne
Blanche pour redescendre sur Chenzhou » (自昌乐郡溯流至白石岭下行入郴州).
C’est presque
le récit posthume de son expérience, commente Haun Saussy, et
c’est un poème très différent de ceux qu’il a écrits auparavant
à Chang’an, comme « Dans la rue à Chang’an » (长安道)
où il dépeint les joies de la capitale, avec un rien de
nostalgie.
3. Liu
Zongyuan (柳宗元
773-819)
est lui aussi victime des retournements politiques, et lui après
la révolte d’An Lushan. En 803, il est gouverneur de Lantian (蓝田),
dans l’actuel Shaanxi. En 805, le nouvel empereur, Tang Shunzong
(唐顺宗),
engage une politique de réformes. Liu Zongyuan est nommé
ministre des Rites. Mais Shunzong meurt l’année suivante, et son
successeur Xianzong (唐宪宗),
met fin aux réformes. Liu Zongyuan est envoyé en exil.
|
Liu Zongyuan, Chronique
du premier
festin aux Montagnes de
l’Ouest
Extrait de « Huit notes de voyage à Yongzhou »
(Yongzhou baji
《永州八记》 |
|
Il est envoyé
à Yongzhou (永州)
occuper un poste subalterne qui lui laisse le temps d’écrire. Il
écrit là « Huit notes de voyage à Yongzhou » (Yongzhou baji
《永州八记》)
dans un genre nouveau : le récit de voyage (youji wenxue
游记文学),
inspiré des « Commentaires sur le Classique de l’eau » (Shuijing
zhu《水经注》)
de Li Daoyuan (郦道元
466 ou 472-527), géographe et essayiste de la dynastie des Wei
du Nord. Liu Zongyuan dépeint la beauté des montagnes et des
eaux, loin des sites du nord, en exprimant son indignation de
les voir tenues à l’écart, comme lui. Certains analystes pensent
que certaines des « notes » sont fictionnelles et ont un
caractère symbolique, en particulier « Chronique du premier
festin aux Montagnes de l’Ouest » (《始得西山宴游记》) :
ils ont noté que Liu Zongyuan cite une phrase du Liezi (《列子》),
« L’esprit est au repos, le corps en liberté » (“心凝形释”),
expression d’une méditation taoïste en symbiose avec la nature.
Liu Zongyuan a
également écrit des apologues (寓言)
dans le genre
chuanqi
(传奇)
dont une douzaine nous sont parvenus ; ce sont pour beaucoup des
satires des malheurs du temps et du sort misérable de tous ceux
dont les idéaux politiques sont battus en brèche par les
magouilles et la corruption des notables au pouvoir, mais aussi
tout simplement une réflexion sur la bêtise humaine et sa
nature.
L’une des plus
célèbres est « L’histoire de l’homme qui attrapait les
serpents » (《捕蛇者说》),
qui se passe à Yongzhou, justement : dans ces régions sauvages
et incultes il y avait un serpent dont la morsure était
mortelle, mais dont le venin pouvait donner un drogue efficace
pour guérir paralysie, ankyloses et autres maux, si bien qu’en
en capturant on était exempté d’impôt. Mais l’homme de
l’histoire préfère encore en mourir, comme son père et son
grand-père avant lui, plutôt que de se voir astreint au paiement
de l’impôt – lui au moins peut survivre librement sans être
harcelé par les agents de l’administration. Liu Zongyuan conclut
sur la phrase de Confucius : « Un gouvernement tyrannique est
plus féroce qu’un tigre » (“苛政猛于虎也!”)..
et plus « empoisonnant » qu’un serpent
.
Et enfin, Liu
Zongyuan a laissé quelque 200 poèmes, dans un style de poésie de
paysage proche de celle de Xie Lingyun
.
Mais s’y ajoutent des réflexions originales sur l’environnement,
et les difficultés de communication dans une région où les
habitants ont des modes de vie différents et parlent des
dialectes incompréhensibles. Haun Saussy donne en exemple le
poème « En sortant vers le sud on arrive au gué… » (郡城南下接通津) :
郡城南下接通津,异服殊音不可亲。En
sortant des remparts vers le sud on tombe sur le gué,
Habits étranges,
accents singuliers, rien ne peut être familier.
青箬裹盐归峒客,绿荷包饭趁虚人。Les
Dong rentrent chez eux avec du sel dans des feuilles de bambou,
D’autres ont
enveloppé leur riz dans des feuilles de lotus.
鹅毛御腊缝山罽,鸡骨占年拜水神。Les
plumes d’oie servent à bourrer les couettes contre le froid,
Les os de
poulet à la divination et au culte du dieu des eaux.
愁向公庭问重译,欲投章甫作文身。Soucieux,
je demande au juge de traduire une énième fois,
J’en jetterais mon sceau et comme
eux me tatouerais le corps.
L’ « ensauvagement », cependant, reste chez lui du domaine de
l’imaginaire. Le sauvage reste étranger, et vaguement
inquiétant.
4. Sous
les Song, Su Shi (苏轼1037-1101),
alias Su Dongpo (苏东坡),
est un autre cas. Exilé trois fois, dans des coins de plus en
plus reculés, il finit par trouver un sens à ses disgrâces
successives, au point d’en faire un mode de vie en marge, au
plus près des populations locales.
|
Su Shi, le poème en
marge de son portrait et autres commentaires |
|
Il est arrêté
et envoyé à Hangzhou, pour s’être opposé aux réformes de Wang
Anshi (王安石).
Mais c’est encore un exil doré. En 1077, il est envoyé à Xuzhou
(徐州),
dans le nord-est du Jiangsu. Puis à Huangzhou (黄州),
une petite préfecture du Hubei où il s’achète un lopin de terre
dont il fait un potager par nécessité. C’est là qu’il prend le
pseudonyme de Dongpo jushi (东坡居士) :
le lai de la pente de l’est. Il est ensuite ballotté entre
réformateurs et opposants à la réforme, et finalement, quand
l’empereur Zhezong (宋哲宗)
rappelle les réformateurs après la mort de l’impératrice
douairière, en 1093, il est démis de ses fonctions et exilé à
Huizhou (惠州),
près de Canton. Sa deuxième femme meurt cette année-là, sa
concubine mourra trois ans plus tard, en 1096. Et l’année
suivante, il est banni encore plus loin : à Danzhou (儋州),
sur l’île de Hainan.
D’exil en
exil, il n’a cessé de s’efforcer de participer à la vie locale,
au service de la population. À Huizhou il a même aidé à
l’élaboration d’un projet de conduite d’eau potable. Et chaque
fois dans des populations parlant des dialectes divers, en
particulier à Huizhou. Mais Hainan est vraiment une épreuve
encore plus difficile, en raison du climat, du manque de
ressources et de l’absence d’administration. Il se fait pourtant
des amis parmi les tribus locales des Li (黎).
Seule la mort de l’empereur Zhezong, en 1100, lui permet de
rentrer, mais il meurt en 1101 dans le Zhejiang sur le chemin du
retour.
Cette vie
d’exilé aura pourtant nourri une riche inspiration poétique.
Ainsi le célèbre fu (ou poème narratif) de la Falaise
rouge (《赤壁赋》)
évoque les sentiments nés lors d’une promenade en bateau en 1082
sur les lieux de la bataille navale qui faillit mettre un terme
aux ambitions de Cao Cao, pendant
les Trois Royaumes.
Mais l’importance de l’exil dans sa vie et son œuvre est
soulignée par un poème cité par Haun Saussy – quatre vers
inscrits à la fin de sa vie en marge d’un portrait, comme une
synthèse de son existence (“绝命诗”) :
《自题金山画像》
心似已灰之木,身如不系之舟。L’esprit
tel du bois réduit en cendres,
Le
corps tel un bateau à la dérive,
问汝平生功业,黄州惠州儋州。Si
je devais dire ce que j’ai accompli dans la vie
(Je
répondrais) Huangzhou, Huizhou, Danzhou.
Un poème
original de par sa forme même, en vers de six caractères pour
amener et justifier les six derniers…
Et quand Su
Shi quitte Danzhou, il écrit un poème d’adieu, avec un vague
sentiment de nostalgie pour ce voyage qui s’achève, les
indigènes apparaissant alors comme des sortes d’immortels hors
du monde ordinaire :
我本海南民,寄生西蜀州。Je
suis en fait un enfant de Hainan,
Je
suis né au Sichuan, mais c’est un accident.
忽然跨海去,譬如事远游。J’ai
d’un coup traversé l’océan,
Comme
un voyage au long cours.
平生生死梦,三者无劣优。La
vie, la mort, le rêve,
Sont trois
mêmes choses dans ma vie.
知君不再见,欲去且少留。Je
pars pour ne plus revenir,
Mais
serais bien resté encore un tout petit moment.
Il s’agit bien
d’une nouvelle forme poétique narrative, un récit qui revendique
l’expérience de l’exil et la transforme par la grâce de la
poésie.
九死南荒吾不恨,兹游奇绝冠平生。
Neuf fois près
de mourir dans les déserts du sud, mais aucun repentir,
Ce voyage
étonnant à nul autre pareil a couronné ma vie
.
Conférence
enregistrée, diffusée
sur la chaîne YouTube du Collège de France .
______________
À l’issue de
la conférence, trois spécialistes français de la poésie
classique chinoise ont proposé quelques commentaires qui n’ont
pas été enregistrés mais qui méritent un bref développement.
-
Nicolas Chapuis
a souligné la notion d’honneur et de « honte » liée à celle de
l’exil chez beaucoup de poètes bannis ou exilés volontaires :
honte de ne pas pouvoir / vouloir servir son pays, surtout, très
souvent, pendant des périodes troublées où cette participation
aux affaires publiques aurait été particulièrement utile et
justifiée.
Il a également
distingué exil volontaire (et exil intérieur) et bannissement,
le premier étant le cas de Du Fu (杜甫),
mais aussi de nombreux poètes et lettrés de la fin des Ming
restés longtemps fidèles à la dynastie évincée, dans une
retraite obstinée loin de la cour des Qing.
|
Du Fu sur le chemin de
l’exil |
|
-
Stéphane Feuillas
est revenu sur l’idée de poésie comme biographie, et d’exil
intérieur dans la lignée du Zhuangzi.
Dans un
deuxième temps, il a avancé la notion d' « aliénation
linguistique » en lien avec l’exil, en réponse au vers de
Liu Zongyuan (柳宗元) évoquant
la nécessité, dans son exil, de "traduire et retraduire" (chóngyì
重译), en
raison de la diversité des dialectes locaux qui lui étaient
incompréhensibles.
- Posant
ensuite la question du « pourquoi » de l’exil (ou du
bannissement),
Rémi Matthieu
a rappelé que les premiers exilés de l’histoire et de la
littérature chinoises se trouvent en fait dans la mythologie. Ce
sont les « Quatre monstres » (sì
xiōng
四凶)
exilés aux quatre coins du monde par l’empereur Shun (舜),
dernier des cinq empereurs mythiques
.
Ce qui mérite quelques explications.
Les
dangereux exilés de l’empereur Shun
D’après la
légende, la renommée de Shun serait parvenue aux oreilles de
l’empereur Yao au moment où celui-ci se cherchait un successeur,
son fils et héritier Danzhu (丹朱)
n’ayant ni le caractère ni les capacités requises
.
Yao mit donc Shun à l’essai en le nommant ministre et, selon les
« Annales de bambou » (《竹书纪年》)
,
le choisit ensuite pour lui succéder sur le trône à la place de
Danzhu, abdiquant en sa faveur et lui donnant en outre ses deux
filles en mariage. Quant à Danzhu, il aurait été exilé à Danshui
(丹水),
lieu d’une victoire de Yao sur les San Miao (三苗)
rapportée dans les
« Printemps et automnes de Lü » (Lüshi chunqiu《吕氏春秋》),
ou Annales de Lü Buwei.
Une autre
version de l’histoire est donnée par le
Hanfeizi
(《韩非子》)
qui rapporte que Shun aurait détrôné et emprisonné Yao jusqu’à
sa mort en portant brièvement Danzhu sur le trône avant de l’en
chasser, le peuple ayant reconnu Shun comme authentique
héritier du trône. Une lecture critique, sous les Tang, du
« Livre des monts et des mers » (le
Shanhaijing《山海经》)
par l’historien Liu Zhiji (劉知幾/刘知几)
,
a donné une autre version encore selon laquelle l’empereur Yao
aurait en fait été renversé par Danzhu qui aurait choisi Shun
comme ministre ; mais, peu après cette nomination, Shun aurait à
son tour renversé Danzhu et serait monté sur le trône.
Pour les
historiens modernes, toute cette mythologie semble en fait
l’histoire symbolique d’une lutte entre clans et usurpateurs,
dans un contexte de mythe des origines évoquant la lutte des
premiers âges contre la barbarie et le chaos. D’après Mencius,
Shun aurait été un souverain Dongyi ou Yi de l’Est (东夷),
soit les peuplades du nord-est qui, à partir des Han, figureront
parmi les « quatre barbares » (Si yi
四夷). Il
aurait été allié par mariage du clan de Zhuanxu (颛顼),
deuxième, selon Sima Qian, des cinq empereurs mythiques, et
descendant de l’Empereur jaune.
|
L’éducation des barbares
Dongyi par Shun |
|
Quoi qu’il en
soit, une fois Shun sur le trône, il lui fallait asseoir son
pouvoir. Il commença par offrir des sacrifices à Shangdi (上帝).
Puis il entreprit une vaste pérégrination aux quatre points
cardinaux, offrant des sacrifices au Ciel et aux quatre
montagnes : le mont Tai (泰山)
à l’est (aujourd’hui dans le Shandong), le mont Huang (黄山)
au sud-est (dans la province actuelle de l’Anhui), le mont Hua (华山)
à l’ouest (dans l’actuel Shaanxi) et le mont Heng (衡山)
au sud dans l’actuel Hunan. Puis il divisa le pays en douze
provinces et bannit aux quatre orients les Quatre dangereux
monstres (sì
xiōng
四凶),
c’est-à-dire, selon entre autres le
Zuo Zhuan
(《左传》)
et le
Shanhaijing
(《山海经》) :
- Hundun
(混沌),
créature sans tête représentant le chaos primordial, ou encore
outre informe contenant toutes les choses encore non créées.
- Qiongqi
(窮竒/穷竒),
créature monstrueuse se nourrissant de chair humaine.
- Taowu
(檮杌/梼杌),
créature stupide mais féroce, ou selon le « Livre des
documents », Gun (鯀),
fils de Zhuanxu et père de Yu le Grand, exécuté par Shun pour
n’avoir pas réussi à juguler les inondations.
- Taotie
(饕餮),
un glouton féroce dont le masque est un motif qui orne les
bronzes rituels Shang et Zhou.
|
Le féroce Taowu |
|
D’autres
sources citent aussi Gongong (共工)
parmi ce quatuor de dangereuses créatures maléfiques. Il avait
d’après le Lushi (路史)
un visage humain mais un corps de serpent et des chevaux rouges.
Selon le Huainanzi
(《淮南子》),
il lutta pour le trône avec Zhuanxu (颛顼)
et leur lutte fut si féroce que l’univers s’en trouva ébranlé et
les fleuves se mirent à couler vers l’est. On peut voir dans
cette guerre un combat entre deux clans rivaux, celui de
Zhuanxu, descendant de l’empereur Jaune, et Gonggong, descendant
de l’empereur Rouge Yandi (炎帝),
frère de l’empereur Jaune – d’où ses cheveux rouges. De manière
significative, Gonggong est dépeint luttant contre les
inondations ; mais il a été supplanté dans ce rôle par Yu Le
Grand, descendant de l’empereur Jaune, grand vainqueur dans
cette histoire.
Lutte entre clans mais aussi contre les barbares
En fait, le
premier adversaire de l’empereur Jaune était Chi You (蚩尤),
guerrier inventeur de nombreuses armes fabriquées avec des
minerais du Mont Lushan (盧山).
D’après le Lushi, Chi You était un ministre ou un
descendant de Yandi, qu’il a déposé pour usurper le trône.
D’après un livre perdu cité dans l’encyclopédie
Chuxueji
(《初學記》/《初学记》)
compilée sous les Tang, au 8e siècle, Chi You aurait
été tué dans un combat par l’empereur Jaune. Mais, d’après le
Shanhaijing, ayant réussi à vaincre Chi You avec l’aide de
la déesse de la sécheresse (Hanshen
旱神),
l’empereur le fit exécuter sur le mont Lishan (黎山).
Ici pas d’exil. En revanche, Gonggong, lui, aurait été banni par
Shun dans la province de You (Youzhou
幽州), au
nord-est – le nom même de la province (yōu
幽)
suggérant un endroit retiré, propre à une vie de reclus, et
d’exilé.
Citées aussi
parmi les dangereux monstres sont les trois tribus Sanmiao
(三苗),
vaincues par Yao à Danshui, dont le chef Huandou (驩兜)
aurait été un descendant de Chi You. Le « Livre des dieux et
choses étranges » (Shenyijing《神异经》)
le décrit comme un mélange d’homme et de différents animaux et
vivant dans le sud. Après avoir été vaincues, les tribus ont
continué à se rebeller. Finalement Yao les a transférées dans la
région du mont Sanwei (三危山),
dans le Gansu actuel. Quant à leur chef Huandou, pour avoir
conspiré avec Gonggong contre Yao, il fut banni au mont
Zhongshan (崇山)
[près de l’actuelle Nankin].
Il est
intéressant de noter que « le sud », dans ces temps
mythologiques, est le lieu privilégié de l’exil et lieu de tous
les dangers, avant le nord. Dans le même ordre d’idées, Yu et
Shun seraient mort au cours d’une expédition de chasse sur les
franges méridionales de leur empire : Yu dans les monts Kuaiji (会稽山),
au sud-est de Shaoxing où un mausolée en son honneur a été
construit, le Dayu Ling (大禹陵) ;
Shun dans les monts Jiuling (九岭山),
dans le Hunan, où un temple a été bâti à l’emplacement supposé
de sa tombe.
Ces exilés
monstrueux préfigurent les exilés politiques, ministres et
poètes, de l’histoire impériale et post-impériale, le
bannissement au Xinjiang venant remplacer le sud sous les Qing,
et donnant lieu à
toute une littérature.
Mais
pourquoi le bannissement plutôt que la mort ?
Le choix du
bon souverain, et l’éventuel châtiment du mauvais, par
bannissement plutôt qu’exécution, font partie de la lutte pour
sortir du chaos, aménager le monde et instaurer la civilisation,
le bannissement restant dans toute l’histoire impériale une
manière d’éloigner les ministres et poètes trop critiques (à
défaut de les exécuter avec tout leur clan), et l’exil
volontaire le moyen de s’éloigner de la cour pour sauver sa peau
en temps d’alternance du pouvoir et de troubles.
L’exil s’est
trouvé comme institutionnalisé par les préceptes confucéens
mettant l’accent sur la morale : « la vertu d’abord, la punition
ensuite » (de zhu xing fu
德主刑辅),
« inutile de tuer » (yan yong sha
焉用杀).
Cela n’a pas empêché pour autant d’exécuter des ministres et
tous leurs clans, mais le bannissement apparaît de manière
générale comme une manifestation de la bienveillance (ren
仁) du
souverain . Or cette vertu morale du souverain (idéal) commence
avec Shun, comme l’a dit Sima Qian : « La plus haute vertu dans
le monde commence avec (Yu) Shun » (“天下明德,皆自虞舜始。”《史记•五帝本记》).
Il a régné en donnant l’exemple et en mettant en avant la morale
au lieu des punitions :
dé wèi
xiān,
zhòng jiàohuà“德为先,重教化”
« La vertu
d’abord, priorité à l’ éducation du peuple »
Il y aurait
peut-être donc une évolution dans le processus civilisationnel
d’aménagement du monde : Chi You périt (au combat ou exécuté),
Gonggong est banni par Shun…
Quant à l’exil
volontaire, il est à rapprocher de la culture de l’ermite et de
la philosophie du
Zhuangzi…
Dans tous les
cas, l’exil est une riche source d’inspiration littéraire,
aujourd’hui comme dans le passé.
Traduction par
André Lévy
en
note jointe au conte de
Pu Songling
sur un thème semblable : « Le charmeur de serpents » (《蛇人》),
Chroniques de l’étrange, Ph. Picquier 1996/1999, n. 2
pp. 132-134.
六月二十日夜渡海
Traversée de nuit, le 11 juin, derniers vers du
quatrain.
Selon
la version la plus courante, celle des
Mémoires historiques de Sima Qian,
Shun a
été le cinquième et dernier empereur après l’Empereur
jaune Huangdi (黄帝),
Zhuanxu (颛顼),
Ku (帝喾)
et Yao (尧).
Lui a succédé Yu le Grand (大禹),
fondateur légendaire, au 3e millénaire avant
notre ère, de la dynastie Xia (夏朝),
première des trois dynasties de la Chine pré-impériale.
Généalogie faisant de chaque empereur un descendant de
l’Empereur jaune, Yu en étant le huitième
arrière-petit-fils.
Question que l’on peut poser aussi pour Napoléon.
|
|