Club
de lecture de littérature chinoise
Compte
rendu de la séance du 15 décembre 2021
et
annonce de la séance suivante
par
Brigitte Duzan, 20 décembre 2021
Compte
rendu de la séance du 15 décembre
Le
Mudanting (II)
Après une
première
séance sur le « Pavillon aux pivoines »
ou
Mudanting
(《牡丹亭》),
le 17 novembre dernier, le Club de lecture de littérature
chinoise (CLLC) a poursuivi sa lecture de la pièce par un regard
plus attentif sur plusieurs scènes.
Le nombre de
participants étant toujours limité en raison des distances à
respecter dans le cadre des mesures anti-covid, nous étions huit
– et masqués - à cette deuxième séance sur la pièce, peu ou prou
comme à la première.
Par
ailleurs, un tour d’horizon réalisé auprès des inscrit.e.s qui
ne se manifestent que rarement a révélé que le programme de
lecture et les séances sont suivis avec intérêt par une
vingtaine de personnes supplémentaires à travers les comptes
rendus qui leur sont envoyés.
Le
programme de la séance
À la suite
de l’approche générale de la pièce lors de la séance précédente,
cette séance était consacrée plus spécialement à quelques scènes
triées sur le volet :
- La scène 7 :
L’école des femmes Guī
shú 闺塾
complétée
par la scène 9 : Nettoyage du jardin Sù yuàn
肃苑
- Les scènes
19, 38 et 47 pour le personnage de la brigande et la scène
burlesque avec le Tartare.
scène 19 :
Une femme bandit
Pìn zéi
牝贼
scène 38 :
La patrouille de la Huai Huái jǐng
淮警
scène 47 :
La levée du siège Wéi
shì
围释
- La scène
23 : Le jugement aux enfers Míngpàn
冥判
Le but de la
séance était d’approfondir d’une part le
caractère des différents personnages, et d’autre part le sens
des poèmes qui émaillent et concluent chaque scène ainsi que les
références historiques et littéraires.
I. Avis
et impressions de lecture des participants
Prolongeant
le plaisir de leur première lecture, les lecteurs et lectrices
présents ont effectué une relecture très attentive des scènes
proposées. Ne pouvant participer à la séance, Sylvie Duchesne a
envoyé par courriel les questions qui la troublaient et qui
constituaient effectivement quelques-uns des sujets au centre
des réflexions de cette séance :
- les
croyances en « l’au-delà » dans le taoïsme, voire le
confucianisme, et en particulier les différents
niveaux de
l’enfer dont il est question à la scène 23 (et que l’on retrouve
dans le roman
« Funérailles
molles » (《软埋》)
de Fang Fang).
- la
caricature des croyances populaires, concernant entre
autres la réincarnation, et ce que l’on peut
penser de la
« résurrection » de l’héroïne, qui semble admise.
Les poèmes
conclusifs de chaque séance ont fait l’objet de recherches
enthousiastes, l’amour de la poésie ancienne chinoise se
combinant à la joie addictive que l’on trouve à résoudre un
rébus.
Plus encore
que d’habitude, chaque participant.e a apporté sa pierre à
l’édifice.
Les avis se
sont d’abord portés sur les personnages, avant de passer aux
poèmes.
Les
personnages
-
Christiane Pompei ouvre la séance en passant en revue ce qui
l’a retenue dans les trois séries de scènes :
1/ L’école
des femmes et le balayage du jardin (7, 9) : elle souligne
l’opposition qu’elle y a vue
- entre Du
Liniang et Chunxiang, l’une consciente de ses responsabilités de
fille de bonne famille et
respectueuse des valeurs inculquées
par ses parents, l’autre délurée, vive et insolente (voire même
paillarde dans ses échanges avec le jardinier à la scène 9, mais
avec des limites).
- entre le
précepteur Chen Zuiliang et Du Liniang : l’un d’un formalisme
mortifère, aux discours creux et
pédants, l’autre en quête de
sens derrière ces propos.
- Chunxiang
est l’élément lucide, parfaitement consciente du statut
secondaire de la femme dans la
famille comme dans la société,
mais avec autant de bon sens que d’humour (comme dans la scène
des pinceaux où elle feint la méprise entre pinceaux de
maquillage et pinceaux pour écrire).
2/ Les
personnages des brigands (19, 38, 47) :
- Le
brigand Li Quan (李全)
est une caricature qui, autant que les hors-la-loi d’ « Au bord
de l’eau » (《水浒传》),
et en particulier Li Kui (李逵)
mentionné nommément, rappelle au lecteur occidental les héros de
l’Iliade ou même Tartarin de Tarascon.
- C’est
un summum de vulgarité, opposé au caractère picaresque de sa
femme, qui apparaît bien plus intelligente, en particulier à la
scène 38.
3/ Le
jugement aux enfers (23) :
- c’est
une vision comique, voire burlesque, du monde des enfers, avec
son juge bon enfant, qui évoque autant le monde des vivants que
celui des morts.
- c’est
en même temps une scène très enlevée, en bonne partie grâce à
l’écriture évitant le monologue, relançant les propos du juge
par les interventions ponctuelles du greffier.
- c’est
un monde infernal sympathique, que ces enfers, où la pire des
sentences est la réincarnation en animal en fonction des fautes
commises. Il y a même possibilité de marchandage avec le juge.
On est loin de « La dure loi du karma » (《生死疲劳》)
de
Mo Yan (莫言).
- c’est
un monde parallèle à celui des vivants, tout aussi sensible aux
marques de statut et d’autorité : si le juge commence à fléchir
sur le sort à réserver à Du Liniang, c’est parce qu’il apprend
qu’elle est la fille du préfet Du Bao (杜宝).
- Gérard
Castex
poursuit en nuançant cette description des caractères des
personnages selon sa propre lecture :
1/ L’école
des femmes et le balayage du jardin :
- Chen
Zuilang (陈最良),
soit « le plus beau, le meilleur », est un vieux « lettré rassis
» choisi par le préfet Du Bao pour parfaire l'éducation de sa
fille, sur la base des seules lectures autorisées : « le
Classique des poèmes », seul ouvrage pouvant convenir à
l'éducation d'une jeune fille de la bonne société, « le fleuron
des six classiques ». Cette première leçon dévoile en fait les
capacités limitées du précepteur qui se révèle opportuniste
pontifiant et piètre pédagogue, y compris en calligraphie. Le
seul principe, confucéen, qu’il est capable d’enseigner tient à
deux mots : « Penser droit ! ».
- Chunxiang
a flairé l'imposture et se moque ouvertement du maître.
Espiègle, vive, effrontée, dotée d'un solide bon sens, elle joue
le rôle des « personnages-guides » de nos comédies classiques.
Comme Dorine dans Tartuffe, elle ne se gêne pas pour critiquer
ouvertement le parvenu. C'est elle aussi qui, avec son énergie
vitale et en dépit des interdictions, va faire découvrir à sa
maîtresse qui s'étiole le fameux jardin secret, levant ainsi un
tabou.
- L’autre
force de vie est la Fée des fleurs (花神).
2/ Les
brigands :
- Nous
sommes, dans ces trois scènes, carrément dans le registre de
la farce, avec un côté subversif. Li Quan, seigneur de la
guerre, sacré « prince errant des Jin », ne maîtrise rien ni
personne, à commencer par lui-même. Pusillanime et vantard, il
est mené par le bout du nez par sa femme qui assume crânement le
rôle de stratège qui lui est volontiers cédé.
- Mais
l’avis est ici en désaccord avec le précédent : la brigande
paraît bien plus intéressée et pleine de fatuité
qu’intelligente. Le personnage apparaît comme un pastiche des
femmes générales de la famille Yang, comme le dit textuellement
son mari dans une séquence comique où chacun endosse le rôle
d’un personnage de l’antiquité, roi de Chu et concubine, avant
de « changer de pièce » car aucun ne leur convient. C’est ici du
théâtre dans le théâtre.
3/ Le
jugement aux enfers :
- Scène
particulièrement riche, elle nous donne une image pittoresque de
l'enfer dans la tradition chinoise et son organisation très
élaborée. Elle y transpose aussi, de manière plaisante et
forcément caricaturale, les rituels judiciaires en vigueur dans
la Chine ancienne.
- Gérard
Castex fait une synthèse des dix-huit niveaux de l’enfer
taoïste, répartis entre dix tribunaux chacun présidé par un roi
Yama, le dixième étant chargé de la roue de transmigration et
veillant à ce que l'âme qui va se réincarner aille bien dans le
corps qui lui est assigné, homme ou animal. L'enfer décrit dans
le Mudanting correspond grosso modo à ce schéma, à la
différence du juge Hu, assistant du prince du dixième enfer, qui
n'exerce ses fonctions qu'à titre exceptionnel et provisoire,
cet enfer étant en effet resté vide pendant trois ans pour cause
de dépopulation provoquée par les guerres. Malgré ses défauts,
il s'agit plutôt d'un « bon » juge, ni vicieux ni pervers, non
réfractaire à l'écoute, mais prudent et plutôt influençable, au
grand soulagement de ses justiciables...
- C’est
un juge de comédie. « Un rêve n'a jamais tué personne »
dit-il perplexe, convoquant alors la fée des fleurs pour
interrogatoire. Il apparaît qu’aucune infraction n'a été
commise, d'autant plus que le registre virtuel des mariages
montre que les deux amants sont bien des époux prédestinés. Le
juge Hu, dont l'intention première était de rétrograder la jeune
femme dans le monde des loriots et des hirondelles, rend
finalement un verdict de clémence, en la renvoyant dans le monde
des humains. Les forces de vie ont été les plus fortes, grâce à
l'entremise de cette « fée des fleurs » qui en est
l'incarnation, comme l’avait déjà noté Christiane Pompei.
-
Françoise Huelle, pour sa part, considère comme une
même personne les personnages de Du Liniang et de Chunxiang,
l’une ayant la liberté de dire ce que l’autre, liée par son
statut social, ne peut pas. Chunxiang serait donc le reflet de
la pensée véritable de Du Liniang.
Françoise
Huelle
apporte par
ailleurs, en illustration de la scène 23, des images concrètes
issues de ses souvenirs de voyages. Il s’agit de photos de
statues et de fresques de deux temples :
- Le
temple du Dieu de la ville de Yuci (Yúcì
Chénghuáng miào
榆次城隍庙),
dans le Shanxi, temple qui a une salle consacrée aux
enfers du taoïsme populaire : la salle du Roi des
ténèbres (Míngwáng diàn
冥王殿).
La statue principale est celle du Grand Empereur du
Pic de l’Est ( Dōngyuè
dàdì
东岳大帝).
La salle héberge à côté les statues colorées des dix
rois au-dessus des chambres de torture où sont
représentés les mécréants en train de subir les
tortures auxquelles ils ont été condamnés. |
|
La salle des enfers du temple du Dieu
de la ville de Yuci,
avec les divers rois au-dessus
des chambres de torture |
- L’autre
temple est celui du Dieu de la ville de la vieille ville de
Pingyao (平遥古城城隍庙),
également dans le Shanxi. Il comprend une salle dédiée à Zhong
Kui ( 钟馗殿),
la divinité invoquée pour chasser les démons et esprits
maléfiques et les exorciser,
avec une riche représentation, là aussi très colorée, de toutes
les tortures infligées aux malheureux condamnés.
Ces représentations un peu naïves d’atrocités et de
tortures venues des croyances populaires sont en
opposition avec l’image bon enfant du juge Hu et
l’aspect lénifiant de l’enfer dans le Mudanting.
Cela renforce l’impression de comédie qui ressort de
la scène 23. On a l’impression d’une mise en abîme
quelque peu dérisoire des mentalités et
superstitions populaires, opérant une distanciation
avec le monde des lettrés.
Le temple du Dieu de la ville de
Pingyao,
salle Zhong Kui, un exemple de
torture : la meule |
|
Autre torture : les méchants sont
sciés en deux |
- Marion
Jorsin a été frappée par l’opposition du précepteur et des
deux jeunes femmes : il est non seulement pédant et pontifiant,
mais il se glorifie de ne jamais avoir connu l’amour et ne voit
pas l’intérêt de vouloir sortir dans un jardin. Il est incapable
du moindre trait d’humour. Marion ajoute la description de Liu
Mengmei à la scène 40 : « un jeune qui prend le faux pour le
vrai ». C’est le cas de Chen Zuiliang : il est obtus, mélange
réalité et fiction, et finalement ne comprend rien à rien.
Elle a beaucoup aimé l’humour de la pièce et
dit avoir ri toute seule en la lisant, en
particulier :
- dans
la scène 23, les questions du greffier qui font
rebondir le discours du juge se présentant, ce qui
évite un long monologue ; finalement c’est très
drôle.
- les
réparties du greffier qui vont jusqu’à la
grivoiserie, à laquelle le juge répond, étonnamment
pour un juge, sur le même ton : quand Du Liniang
apparaît, il commente sa beauté, le greffier lui
suggère de la prendre pour concubine… un moment…
C’est la perspective du châtiment attaché à sa
charge qui fait reculer le juge. La satire sociale
est réjouissante.
Toute la pièce est ainsi bâtie sur une alternance de
scènes de drame et de scènes de comédie pleines
d’humour. Dont, par exemple, les scènes de batailles
et de siège alternant avec les scènes burlesques
avec les brigands.
- Geneviève Bousquet
enchaîne sur l’idée de mélange drame/comédie, mais a
été particulièrement sensible au drame qu’est la
mort de Du Liniang, avec un aspect très réel dans
une alternance plan terrestre/plan infernal, mais le
second aussi réel et concret que le premier :
- plan
terrestre : le préfet Du Bao fait construire la tombe de Du
Liniang, bâtie dans le jardin même où a eu lieu le rêve, avec un
bout de terrain pour couvrir les frais d’entretien, le tout
laissé aux soins de la nonne taoïste, assistée du précepteur
;
- plan
infernal : au terme du jugement aux enfers, parfaitement
réaliste, Du Liniang est renvoyée sur terre, elle « ressuscite »
donc. Mais elle devient une revenante très réelle : elle repart
en tant qu’ « âme errante » (yóu hún
游魂)
munie d’un laisser-passer pour le monde des vivants, et la Fée
des fleurs est chargée de veiller à la bonne conservation de son
corps
.
- Ne
croyant pas aux revenants, en bon confucéen, le préfet Du Bao
aura du mal à reconnaître sa fille dans cette ressuscitée
d’entre les morts quand elle apparaîtra devant lui. Mais il
cèdera à la joie de la voir se marier avec un brillant lauréat à
l’examen impérial.
Reste la
question de l’interprétation de cette « résurrection » qui
suscite aussitôt débat. Françoise Huelle ouvre le feu en
soulignant qu’il ne s’agit vraiment ni d’une « mort » ni, donc,
d’une « résurrection » au sens courant du terme. Le juge parle
bien d’« âme errante », souligne Marion Jorsin, le terme
yóu hún répondant à celui du titre de la scène 27 : les
errances de l’âme (hún yóu
魂游).
On a l’impression de ces personnes revenues d’un coma à qui on
demande de raconter « comment c’était » : c’est la question
posée par Chunxiang quand elle revoit Du Liniang. Marion
feuillette son livre, à la recherche d’une citation.. et
s’arrête à la scène 32 (Serments d’outre-tombe
冥誓)
dans laquelle Du Liniang rend visite à Liu Mengmei : dans
l’introduction elle parle « d’imbroglio des relations entre
fantôme et être vivant » et explique que son âme n’a pas encore
trouvé le repos.
Du Liniang
est en fait dans cet état intermédiaire où sont les âmes des
défunts après la mort terrestre.
On est ici dans un contexte semblable à celui des
contes de Pu
Songling,
et dans la même atmosphère.
- Tout en
appréciant les échanges précédents, Giselle Helmer
apporte une note complémentaire sur la traduction, sujet qui a
souvent été évoqué au cours des deux séances sur la pièce sans
être développé. Renouant avec de lointaines études d’anglais,
elle a lu le Mudanting comme une pièce de Shakespeare.
Déçue par la traduction d’André Lévy, elle a particulièrement
apprécié celle de Cyril Birch, dans une langue d’une grande
beauté et avec en outre une foison de notes explicatives.
Beaucoup manifestent leur accord, Gérard Castex en soulignant
que la traduction française a carrément escamoté bien des
détails, en particulier dans les quatrains à la fin de chaque
scène. Mais il est aussi généralement reconnu que le traducteur
français, travaillant sous pression pour le festival d’automne,
n’a sans doute pas eu tout le temps qu’il aurait voulu pour
réaliser son travail. Il est un traducteur éminent des grands
textes classiques chinois, dont d’ailleurs Pu Songling.
Les
poèmes
- Après ces
discussions, Françoise Josse préfère aborder le sujet des
poèmes qui l’a beaucoup absorbée. Les poèmes abondent dans la
pièce, déclamés ou chantés par un personnage ou un autre. Elle a
fait une recherche plus particulière des poèmes dont sont
extraits les vers des quatrains conclusifs des scènes du
programme, recherche qui finit, dit-elle, par devenir obsessive,
mais apporte in fine une satisfaction semblable à celle de
reconstituer les éléments d’une énigme et de la résoudre –
plaisir d’esthète qui devait être celui des contemporains de
Tang Xianzu retrouvant leurs poètes favoris, leur culture de
lettrés qui nous manque étant compensée par les trésors
d’internet.
- L’autre énigme était celle de l’interprétation du
poème sélectionné pour la première leçon de l’
« école des femmes », qui est le premier poème de la
plus ancienne anthologie de poèmes chinois, le
Shijing (《诗经》).
Ce poème est particulièrement difficile à
comprendre. Les traductions les plus différentes
abondent, et dès l’abord concernant la nature des
oiseaux en cause dans le premier vers cité :
tourtereaux d’eau qui roucoulent pour André Lévy,
très élégants « ospreys »
qui crient pour Cyril Birch, pour ne citer que ces
deux traducteurs.
Christiane Pompei
a consulté une autre traduction, dans « Le classique
des poèmes / Shijing », traduit, présenté et annoté
par Rémi Mathieu, en folio bilingue
.
Ici l’oiseau est un aigle pêcheur, et le traducteur
ajoute un commentaire sur le sens à donner au vers
complet cité par Tang Xianzu : évocation de la
recherche d’une jeune fille « pure » pour le
« seigneur ».
- Françoise Huelle, pour sa part, s’est
surtout concentrée sur les quatrains à la fin de
chaque scène. Poursuivant des cours au
|
|
Le Classique des poèmes, Folio
bilingue |
téléphone avec un professeur chinois reparti à
Shanghai, comme elle lui
parlait de ces poèmes, il s’est exclamé : ah mais oui, ce sont
des jijushi, des poèmes par assemblage de vers de poèmes
préexistants… Stupeur et enthousiasme… tout un monde lointain
se dévoilant dans la brume…
II.
Commentaires complémentaires de Brigitte Duzan
La séance
ayant été particulièrement riche, les commentaires en fin de
séance ont été succincts ; ils ont consisté surtout en une
récapitulation des thèmes discutés et des apports de chacun.
Voici quelques commentaires complémentaires.
Un mot
sur les références historiques
La pièce se
situe sous la dynastie des Song du Sud, entre 1185 et 1187,
alors que la cour impériale s’est repliée au « sud du fleuve »
après la prise de Kaifeng, la capitale du nord, en 1127 par la
dynastie des Jin (金朝)
– littéralement la Dynastie d’or - fondée par les Jürchen en
1115. L’empereur
Song Huizong (宋徽宗)
qui avait abdiqué et son successeur Song Qinzong (宋钦宗)
sont capturés avec la majeure partie de la cour et exilés en
Mandchourie. Au moment où la pièce se situe, le Sud est menacé à
son tour. Cette histoire tragique est évoquée dans les scènes
sur la défense organisée par le préfet Bao, mais elle est aussi
l’objet de scènes pleines d’humour qui ridiculisent autant les
barbares que ceux qui se sont ralliés à eux.
On a une
référence ironique à l’invasion des hordes barbares des Jürchen
Jin déferlant sur le nord de l’empire chinois dans la scène 23
du Jugement aux enfers (Míngpàn
冥判 ).
La scène se passe
au dixième
tribunal des Enfers
,
réinstauré provisoirement par égards pour le juge, après avoir
été supprimé (十停去了一停),
la population correspondante ayant été décimée par les barbares.
Ces mêmes invasions barbares font l’objet d’autres traits
d’humour dans les chapitres sur les brigands qui se sont ralliés
aux envahisseurs, donnant une bonne idée du chaos qui régnait
dans le pays, de l’incompétence de l’empereur et de sa cour
ainsi que de la corruption générale à tous les niveaux. Au
chapitre 47 (La levée du siège
围释),
la brigande Yang se laisse facilement convaincre de lâcher les
barbares et de se rallier à l’empereur, appâtée par le titre
ronflant de « Chasseresse pourfendeuse des Jin » : titre
aussitôt tourné en plaisanterie en jouant sur le double sens de
Jin, transformant le titre en « Chasseresse en quête d’or » -
avec référence obligée aux Analectes par le précepteur promu
ambassadeur.
Un mot
sur les termes utilisés dans les titres
Guī shú 闺塾
: Guī
désignait les appartements des femmes dans une demeure ancienne,
bien fermés derrière une porte basse mén
门 ;
shú désignait par ailleurs une petite école avec
précepteur privé pour les enfants d’une famille aisée, et
lettrée ; en général c’était pour les fils, en vue des examens
mandarinaux, mais une solide éducation lettrée pour les filles
leur permettait de prétendre, avec l’art de la broderie, à un
meilleur mariage.
Sù yuàn
肃苑
: Sù
est un verbe signifiant payer ses respects avec une dimension
rituelle (avec extension adverbiale respectueusement), puis
éliminer ; yuàn est un terme ancien désignant un parc, et
en particulier les parcs impériaux et domaines de chasse de
l’empereur, comme le « Parc du sud » Nányuàn (南苑)
pendant les dynasties Yuan, Ming et Qing.
Pìn zéi
牝贼 :
l’ironie perce ici dès le choix du premier caractère,
pìn
牝,
qui désigne la femelle d’un animal (pìnmǔ
牝牡mâle
et femelle); zéi
贼/
賊étant
un voleur, un bandit – gibier de potence en quelque sorte.
Míngpàn
冥判 :
Míng
est un adjectif signifiant obscur, et désigne par extension les
ténèbres, étendu au sens du monde souterrain des enfers.
Précisions et notes complémentaires sur les poèmes
Le
Mudanting peut se lire comme un poème, avait été l’un des
commentaires de la
première
séance du club de lecture sur la pièce.
La pièce est en effet riche de citations, de références et même
de poèmes « dans le style des Tang » dits par l’un ou l’autre
des personnages.
Méritent une
attention particulière les deux thèmes abordés lors de la
séance :
-
Le premier
poème du Shijing, sujet de la première leçon du précepteur Chen
à la scène 7,
-
Les
quatrains conclusifs des séances.
Les
commentaires sur ces deux thèmes ont été regroupés dans une
note sur les
poèmes du Mudanting
doublée d’une
note sur les
jijushi.
Ce qui est
loin d’épuiser le sujet, mais donne au moins la satisfaction de
l’avoir agréablement effleuré.
Prochaine
séance : le 26 janvier 2022
Le programme de lecture pour la période des fêtes
est beaucoup plus léger, avec sa dose d’humour
aussi, mais pas seulement. Il allie des textes
satiriques (qualifiés de roman) d’un professeur de
littérature comparée de l’université de Wuhan,
Du Qinggang (杜青钢),
et un recueil de poèmes de son poète préféré, dont
il a traduit et publié des poèmes en chinois : Henri
Michaux.
- Le Président Mao est mort, roman satirique de Du
Qinggang (杜青钢),
Desclée de Brouwer, 2002, 177 p.
- Idéogrammes en Chine, d’Henri Michaux, Fata
Morgana, 1975, 44 p.
En complément, on pourra lire un court texte d’un
|
|
Idéogrammes en Chine, Henri Michaux |
auteur
chinois peu connu qui reste à découvrir, Pu Ning (卜寧),
alias Wumingshi (无名氏),
c’est-à-dire le sans-nom, l’anonyme. Le texte en question
s’intitule « Le jour où le président est mort », et c’est le
dernier d’un recueil de nouvelles autobiographiques couvrant la
période des années 1950-1970/80 intitulé « La Terreur des
fleurs » (《花的恐怖》) :
c’est l’antithèse des textes du recueil de Du Qinggang. Il en
existe une traduction en anglais :
Le Président Mao est mort |
|
Flower Terror, Pu Ning |
- Flower
Terror, Suffocating Stories of China, Pu Ning, trad. Andrew
Morton et Richard J. Ferris Junior, Homa & Sekey Books, 1999.
Vous
recevrez début janvier, en introduction, une brève présentation
de cet auteur et de son œuvre.
À noter
pour les séances de la fin de l’année 2021-2022
Afin de
laisser plus de temps pour la lecture de la novella « Le Serpent
blanc » de Yan Geling dont la traduction va paraître au
printemps, la séance qui lui sera consacrée est repoussée au 22
juin, en inversant avec la séance sur le livre de Bei Dao
avancée au 20 avril. La séance autour de Zhang Yueran reste
le 9 mars.
Sixième séance : 20 avril
Autour de
l’œuvre en prose du poète
Bei Dao (北岛)
Septième et huitième séances : 18 mai - 22 juin
Autour de la
Légende du
Serpent blanc.
Le 18 mai :
Trois contes aux sources de la légende
Le 22 juin :
Le Serpent blanc (《白蛇》)
de
Yan Geling (严歌苓)
Voir le
programme
révisé de l’année.
Pour la
séance du 26 janvier, veuillez m’envoyer confirmation de votre
présence ou nouvelle demande d’inscription.
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