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Club de lecture de littérature chinoise

Compte rendu de la séance du 15 décembre 2021

et annonce de la séance suivante

 par Brigitte Duzan, 20 décembre 2021

 

Compte rendu de la séance du 15 décembre

Le Mudanting (II)

 

Après une première séance sur le « Pavillon aux pivoines » ou Mudanting (《牡丹亭》), le 17 novembre dernier, le Club de lecture de littérature chinoise (CLLC) a poursuivi sa lecture de la pièce par un regard plus attentif sur plusieurs scènes.

 

Le nombre de participants étant toujours limité en raison des distances à respecter dans le cadre des mesures anti-covid, nous étions huit – et masqués - à cette deuxième séance sur la pièce, peu ou prou comme à la première[1].

 

Par ailleurs, un tour d’horizon réalisé auprès des inscrit.e.s qui ne se manifestent que rarement a révélé que le programme de lecture et les séances sont suivis avec intérêt par une vingtaine de personnes supplémentaires à travers les comptes rendus qui leur sont envoyés.

 

Le programme de la séance

 

À la suite de l’approche générale de la pièce lors de la séance précédente, cette séance était consacrée plus spécialement à quelques scènes triées sur le volet :

-     La scène 7 : L’école des femmes  Guī shú 闺塾

      complétée par la scène 9 : Nettoyage du jardin  Sù yuàn 肃苑

-     Les scènes 19, 38 et 47 pour le personnage de la brigande et la scène burlesque avec le Tartare.

scène 19 : Une femme bandit Pìn zéi 牝贼

scène 38 : La patrouille de la Huai  Huái jǐng 淮警

scène 47 : La levée du siège  Wéi shì 围释

-     La scène 23 : Le jugement aux enfers  Míngpàn 冥判 

 

Le but de la séance était d’approfondir d’une part le caractère des différents personnages, et d’autre part le sens des poèmes qui émaillent et concluent chaque scène ainsi que les références historiques et littéraires.

 

        I. Avis et impressions de lecture des participants

 

Prolongeant le plaisir de leur première lecture, les lecteurs et lectrices présents ont effectué une relecture très attentive des scènes proposées. Ne pouvant participer à la séance, Sylvie Duchesne a envoyé par courriel les questions qui la troublaient et qui constituaient effectivement quelques-uns des sujets au centre des réflexions de cette séance :

 

            -     les croyances en « l’au-delà » dans le taoïsme, voire le confucianisme, et en particulier les différents

                  niveaux de l’enfer dont il est question à la scène 23 (et que l’on retrouve dans le roman

                  « Funérailles molles » (《软埋》) de Fang Fang).

            -     la caricature des croyances populaires, concernant entre autres la réincarnation, et ce que l’on peut

                  penser de la « résurrection » de l’héroïne, qui semble admise.

 

Les poèmes conclusifs de chaque séance ont fait l’objet de recherches enthousiastes, l’amour de la poésie ancienne chinoise se combinant à la joie addictive que l’on trouve à résoudre un rébus.

Plus encore que d’habitude, chaque participant.e a apporté sa pierre à l’édifice.

Les avis se sont d’abord portés sur les personnages, avant de passer aux poèmes.

 

Les personnages

 

- Christiane Pompei ouvre la séance en passant en revue ce qui l’a retenue dans les trois séries de scènes :

 

1/ L’école des femmes et le balayage du jardin (7, 9) : elle souligne l’opposition qu’elle y a vue

            -     entre Du Liniang et Chunxiang, l’une consciente de ses responsabilités de fille de bonne famille et

            respectueuse des valeurs inculquées par ses parents, l’autre délurée, vive et insolente (voire même

                  paillarde dans ses échanges avec le jardinier à la scène 9, mais avec des limites).

            -     entre le précepteur Chen Zuiliang et Du Liniang : l’un d’un formalisme mortifère, aux discours creux et

                  pédants, l’autre en quête de sens derrière ces propos.

            -     Chunxiang est l’élément lucide, parfaitement consciente du statut secondaire de la femme dans la

                  famille comme dans la société, mais avec autant de bon sens que d’humour (comme dans la scène

                  des pinceaux où elle feint la méprise entre pinceaux de maquillage et pinceaux pour écrire).

 

2/ Les personnages des brigands (19, 38, 47) :  

-     Le brigand Li Quan (李全) est une caricature qui, autant que les hors-la-loi d’ « Au bord de l’eau » (《水浒传》), et en particulier Li Kui (李逵)[2] mentionné nommément, rappelle au lecteur occidental les héros de l’Iliade ou même Tartarin de Tarascon.

-     C’est un summum de vulgarité, opposé au caractère picaresque de sa femme, qui apparaît bien plus intelligente, en particulier à la scène 38.

 

3/ Le jugement aux enfers (23) :

-     c’est une vision comique, voire burlesque, du monde des enfers, avec son juge bon enfant, qui évoque autant le monde des vivants que celui des morts.

-     c’est en même temps une scène très enlevée, en bonne partie grâce à l’écriture évitant le monologue, relançant les propos du juge par les interventions ponctuelles du greffier.

-     c’est un monde infernal sympathique, que ces enfers, où la pire des sentences est la réincarnation en animal en fonction des fautes commises. Il y a même possibilité de marchandage avec le juge. On est loin de « La dure loi du karma » (《生死疲劳》) de Mo Yan (莫言).

-     c’est un monde parallèle à celui des vivants, tout aussi sensible aux marques de statut et d’autorité : si le juge commence à fléchir sur le sort à réserver à Du Liniang, c’est parce qu’il apprend qu’elle est la fille du préfet Du Bao (杜宝)[3].

 

- Gérard Castex poursuit en nuançant cette description des caractères des personnages selon sa propre lecture :

 

1/ L’école des femmes et le balayage du jardin :

-     Chen Zuilang (陈最良), soit « le plus beau, le meilleur », est un vieux « lettré rassis » choisi par le préfet Du Bao pour parfaire l'éducation de sa fille, sur la base des seules lectures autorisées : « le Classique des poèmes », seul ouvrage pouvant convenir à l'éducation d'une jeune fille de la bonne société, « le fleuron des six classiques ». Cette première leçon dévoile en fait les capacités limitées du précepteur qui se révèle opportuniste pontifiant et piètre pédagogue, y compris en calligraphie. Le seul principe, confucéen, qu’il est capable d’enseigner tient à deux mots : « Penser droit ! ».

-     Chunxiang a flairé l'imposture et se moque ouvertement du maître. Espiègle, vive, effrontée, dotée d'un solide bon sens, elle joue le rôle des « personnages-guides » de nos comédies classiques. Comme Dorine dans Tartuffe, elle ne se gêne pas pour critiquer ouvertement le parvenu. C'est elle aussi qui, avec son énergie vitale et en dépit des interdictions, va faire découvrir à sa maîtresse qui s'étiole le fameux jardin secret, levant ainsi un tabou.

-     L’autre force de vie est la Fée des fleurs (花神).

 

2/ Les brigands : 

-     Nous sommes, dans ces trois scènes, carrément dans le registre de la farce, avec un côté subversif. Li Quan, seigneur de la guerre, sacré « prince errant des Jin », ne maîtrise rien ni personne, à commencer par lui-même. Pusillanime et vantard, il est mené par le bout du nez par sa femme qui assume crânement le rôle de stratège qui lui est volontiers cédé.

 

-     Mais l’avis est ici en désaccord avec le précédent : la brigande paraît bien plus intéressée et pleine de fatuité qu’intelligente. Le personnage apparaît comme un pastiche des femmes générales de la famille Yang, comme le dit textuellement son mari dans une séquence comique où chacun endosse le rôle d’un personnage de l’antiquité, roi de Chu et concubine, avant de « changer de pièce » car aucun ne leur convient. C’est ici du théâtre dans le théâtre.

 

3/ Le jugement aux enfers :

-     Scène particulièrement riche, elle nous donne une image pittoresque de l'enfer dans la tradition chinoise et son organisation très élaborée. Elle y transpose aussi, de manière plaisante et forcément caricaturale, les rituels judiciaires en vigueur dans la Chine ancienne.

 

-     Gérard Castex fait une synthèse des dix-huit niveaux de l’enfer taoïste, répartis entre dix tribunaux chacun présidé par un roi Yama, le dixième étant chargé de la roue de transmigration et veillant à ce que l'âme qui va se réincarner aille bien dans le corps qui lui est assigné, homme ou animal. L'enfer décrit dans le Mudanting correspond grosso modo à ce schéma, à la différence du juge Hu, assistant du prince du dixième enfer, qui n'exerce ses fonctions qu'à titre exceptionnel et provisoire, cet enfer étant en effet resté vide pendant trois ans pour cause de dépopulation provoquée par les guerres. Malgré ses défauts, il s'agit plutôt d'un « bon » juge, ni vicieux ni pervers, non réfractaire à l'écoute, mais prudent et plutôt influençable, au grand soulagement de ses justiciables...

 

-     C’est un juge de comédie. « Un rêve n'a jamais tué personne » dit-il  perplexe, convoquant alors la fée des fleurs pour interrogatoire. Il apparaît qu’aucune infraction n'a été commise, d'autant plus que le registre virtuel des mariages montre que les deux amants sont bien des époux prédestinés. Le juge Hu, dont l'intention première était de rétrograder la jeune femme dans le monde des loriots et des hirondelles, rend finalement un verdict de clémence, en la renvoyant dans le monde des humains. Les forces de vie ont été les plus fortes, grâce à l'entremise de cette « fée des fleurs » qui en est l'incarnation, comme l’avait déjà noté Christiane Pompei.

 

- Françoise Huelle, pour sa part, considère comme une même personne les personnages de Du Liniang et de Chunxiang, l’une ayant la liberté de dire ce que l’autre, liée par son statut social, ne peut pas. Chunxiang serait donc le reflet de la pensée véritable de Du Liniang.

 

Françoise Huelle apporte par ailleurs, en illustration de la scène 23, des images concrètes issues de ses souvenirs de voyages. Il s’agit de photos de statues et de fresques de deux temples :

 

-     Le temple du Dieu de la ville de Yuci (Yúcì Chénghuáng miào 榆次城隍庙), dans le Shanxi, temple qui a une salle consacrée aux enfers du taoïsme populaire : la salle du Roi des ténèbres (Míngwáng diàn 冥王殿). La statue principale est celle du Grand Empereur du Pic de l’Est ( Dōngyuè dàdì 东岳大帝)[4]. La salle héberge à côté les statues colorées des dix rois au-dessus des chambres de torture où sont représentés les mécréants en train de subir les tortures auxquelles ils ont été condamnés.

 

La salle des enfers du temple du Dieu de la ville de Yuci,

 avec les divers rois au-dessus des chambres de torture

 

-     L’autre temple est celui du Dieu de la ville de la vieille ville de Pingyao (平遥古城城隍庙), également dans le Shanxi. Il comprend une salle dédiée à Zhong Kui ( 钟馗殿), la divinité invoquée pour chasser les démons et esprits maléfiques et les exorciser [5], avec une riche représentation, là aussi très colorée, de toutes les tortures infligées aux malheureux condamnés.

 

Ces représentations un peu naïves d’atrocités et de tortures venues des croyances populaires sont en opposition avec l’image bon enfant du juge Hu et l’aspect lénifiant de l’enfer dans le Mudanting. Cela renforce l’impression de comédie qui ressort de la scène 23. On a l’impression d’une mise en abîme quelque peu dérisoire des mentalités et superstitions populaires, opérant une distanciation avec le monde des lettrés.

 

Le temple du Dieu de la ville de Pingyao,

salle Zhong Kui, un exemple de torture : la meule

 

Autre torture : les méchants sont sciés en deux 

 

- Marion Jorsin a été frappée par l’opposition du précepteur et des deux jeunes femmes : il est non seulement pédant et pontifiant, mais il se glorifie de ne jamais avoir connu l’amour et ne voit pas l’intérêt de vouloir sortir dans un jardin. Il est incapable du moindre trait d’humour. Marion ajoute la description de Liu Mengmei à la scène 40 : « un jeune qui prend le faux pour le vrai ». C’est le cas de Chen Zuiliang : il est obtus, mélange réalité et fiction, et finalement ne comprend rien à rien.

 

Elle a beaucoup aimé l’humour de la pièce et dit avoir ri toute seule en la lisant, en particulier :

-     dans la scène 23, les questions du greffier qui font rebondir le discours du juge se présentant, ce qui évite un long monologue ; finalement c’est très drôle.

-     les réparties du greffier qui vont jusqu’à la grivoiserie, à laquelle le juge répond, étonnamment pour un juge,  sur le même ton : quand Du Liniang apparaît, il commente sa beauté, le greffier lui suggère de la prendre pour concubine… un moment… C’est la perspective du châtiment attaché à sa charge qui fait reculer le juge. La satire sociale est réjouissante.

 

Toute la pièce est ainsi bâtie sur une alternance de scènes de drame et de scènes de comédie pleines d’humour. Dont, par exemple, les scènes de batailles et de siège alternant avec les scènes burlesques avec les brigands.

 

- Geneviève Bousquet enchaîne sur l’idée de mélange drame/comédie, mais a été particulièrement sensible au drame qu’est la mort de Du Liniang, avec un aspect très réel dans une alternance plan terrestre/plan infernal, mais le second aussi réel et concret que le premier :

 

-     plan terrestre : le préfet Du Bao fait construire la tombe de Du Liniang, bâtie dans le jardin même où a eu lieu le rêve, avec un bout de terrain pour couvrir les frais d’entretien, le tout laissé aux soins de la nonne taoïste, assistée du précepteur [6] ;

 

-     plan infernal :  au terme du jugement aux enfers, parfaitement réaliste, Du Liniang est renvoyée sur terre, elle « ressuscite » donc. Mais elle devient une revenante très réelle : elle repart en tant qu’ « âme errante » (yóu hún 游魂)  munie d’un laisser-passer pour le monde des vivants, et la Fée des fleurs est chargée de veiller à la bonne conservation de son corps [7].

 

-     Ne croyant pas aux revenants, en bon confucéen, le préfet Du Bao aura du mal à reconnaître sa fille dans cette ressuscitée d’entre les morts quand elle apparaîtra devant lui. Mais il cèdera à la joie de la voir se marier avec un brillant lauréat à l’examen impérial.

 

Reste la question de l’interprétation de cette « résurrection » qui suscite aussitôt débat. Françoise Huelle ouvre le feu en soulignant qu’il ne s’agit vraiment ni d’une « mort » ni, donc, d’une « résurrection » au sens courant du terme. Le juge parle bien d’« âme errante », souligne Marion Jorsin, le terme yóu hún répondant à celui du titre de la scène 27 : les errances de l’âme (hún yóu 魂游). On a l’impression de ces personnes revenues d’un coma à qui on demande de raconter « comment c’était » : c’est la question posée par Chunxiang quand elle revoit Du Liniang. Marion feuillette son livre, à la recherche d’une citation.. et s’arrête à la scène 32 (Serments d’outre-tombe 冥誓) dans laquelle Du Liniang rend visite à Liu Mengmei : dans l’introduction elle parle « d’imbroglio des relations entre fantôme et être vivant » et explique que son âme n’a pas encore trouvé le repos.

 

Du Liniang est en fait dans cet état intermédiaire où sont les âmes des défunts après la mort terrestre[8]. On est ici dans un contexte semblable à celui des contes de Pu Songling, et dans la même atmosphère.

 

- Tout en appréciant les échanges précédents, Giselle Helmer apporte une note complémentaire sur la traduction, sujet qui a souvent été évoqué au cours des deux séances sur la pièce sans être développé. Renouant avec de lointaines études d’anglais, elle a lu le Mudanting comme une pièce de Shakespeare. Déçue par la traduction d’André Lévy, elle a particulièrement apprécié celle de Cyril Birch, dans une langue d’une grande beauté et avec en outre une foison de notes explicatives. Beaucoup manifestent leur accord, Gérard Castex en soulignant que la traduction française a carrément escamoté bien des détails, en particulier dans les quatrains à la fin de chaque scène. Mais il est aussi généralement reconnu que le traducteur français, travaillant sous pression pour le festival d’automne, n’a sans doute pas eu tout le temps qu’il aurait voulu pour réaliser son travail. Il est un traducteur éminent des grands textes classiques chinois, dont d’ailleurs Pu Songling.

 

Les poèmes

 

- Après ces discussions, Françoise Josse préfère aborder le sujet des poèmes qui l’a beaucoup absorbée. Les poèmes abondent dans la pièce, déclamés ou chantés par un personnage ou un autre. Elle a fait une recherche plus particulière des poèmes dont sont extraits les vers des quatrains conclusifs des scènes du programme, recherche qui finit, dit-elle, par devenir obsessive, mais apporte in fine une satisfaction semblable à celle de reconstituer les éléments d’une énigme et de la résoudre – plaisir d’esthète qui devait être celui des contemporains de Tang Xianzu retrouvant leurs poètes favoris, leur culture de lettrés qui nous manque étant compensée par les trésors d’internet.

 

- L’autre énigme était celle de l’interprétation du poème sélectionné pour la première leçon de l’ « école des femmes », qui est le premier poème de la plus ancienne anthologie de poèmes chinois, le Shijing (诗经》). Ce poème est particulièrement difficile à comprendre. Les traductions les plus différentes abondent, et dès l’abord concernant la nature des oiseaux en cause dans le premier vers cité : tourtereaux d’eau qui roucoulent pour André Lévy, très élégants « ospreys »[9] qui crient pour Cyril Birch, pour ne citer que ces deux traducteurs. 

 

Christiane Pompei a consulté une autre traduction, dans « Le classique des poèmes / Shijing », traduit, présenté et annoté par Rémi Mathieu, en folio bilingue [10]. Ici l’oiseau est un aigle pêcheur, et le traducteur ajoute un commentaire sur le sens à donner au vers complet cité par Tang Xianzu : évocation de la recherche d’une jeune fille « pure » pour le « seigneur ».

 

- Françoise Huelle, pour sa part, s’est surtout concentrée sur les quatrains à la fin de chaque scène. Poursuivant des cours au

 

Le Classique des poèmes, Folio bilingue

téléphone avec un professeur chinois reparti à Shanghai, comme elle lui parlait de ces poèmes, il s’est exclamé : ah mais oui, ce sont des jijushi, des poèmes par assemblage de vers de poèmes préexistants…  Stupeur et enthousiasme… tout un monde lointain se dévoilant dans la brume…  

 

        II. Commentaires complémentaires de Brigitte Duzan

 

La séance ayant été particulièrement riche, les commentaires en fin de séance ont été succincts ; ils ont consisté surtout en une récapitulation des thèmes discutés et des apports de chacun.  Voici quelques commentaires complémentaires.

 

Un mot sur les références historiques

 

La pièce se situe sous la dynastie des Song du Sud, entre 1185 et 1187, alors que la cour impériale s’est repliée au « sud du fleuve » après la prise de Kaifeng, la capitale du nord, en 1127 par la dynastie des Jin (金朝) – littéralement la Dynastie d’or - fondée par les Jürchen en 1115. L’empereur Song Huizong (宋徽宗) qui avait abdiqué et son successeur Song Qinzong (宋钦宗) sont capturés avec la majeure partie de la cour et exilés en Mandchourie. Au moment où la pièce se situe, le Sud est menacé à son tour. Cette histoire tragique est évoquée dans les scènes sur la défense organisée par le préfet Bao, mais elle est aussi l’objet de scènes pleines d’humour qui ridiculisent autant les barbares que ceux qui se sont ralliés à eux.

 

On a une référence ironique à l’invasion des hordes barbares des Jürchen Jin déferlant sur le nord de l’empire chinois dans la scène 23 du Jugement aux enfers (Míngpàn 冥判 ). La scène se passe au dixième tribunal des Enfers [11], réinstauré provisoirement par égards pour le juge, après avoir été supprimé (十停去了一停), la population correspondante ayant été décimée par les barbares.

 

Ces mêmes invasions barbares font l’objet d’autres traits d’humour dans les chapitres sur les brigands qui se sont ralliés aux envahisseurs, donnant une bonne idée du chaos qui régnait dans le pays, de l’incompétence de l’empereur et de sa cour ainsi que de la corruption générale à tous les niveaux. Au chapitre 47 (La levée du siège 围释), la brigande Yang se laisse facilement convaincre de lâcher les barbares et de se rallier à l’empereur, appâtée par le titre ronflant de « Chasseresse pourfendeuse des Jin » : titre aussitôt tourné en plaisanterie en jouant sur le double sens de Jin, transformant le titre en « Chasseresse en quête d’or » - avec référence obligée aux Analectes par le précepteur promu ambassadeur.

 

Un mot sur les termes utilisés dans les titres

 

Guī shú 闺塾 :  Guī désignait les appartements des femmes dans une demeure ancienne, bien fermés derrière une porte basse mén  ; shú désignait par ailleurs une petite école avec précepteur privé pour les enfants d’une famille aisée, et lettrée ; en général c’était pour les fils, en vue des examens mandarinaux, mais une solide éducation lettrée pour les filles leur permettait de prétendre, avec l’art de la broderie, à un meilleur mariage.

 

Sù yuàn 肃苑 :   est un verbe signifiant payer ses respects avec une dimension rituelle (avec extension adverbiale respectueusement), puis éliminer ; yuàn est un terme ancien désignant un parc, et en particulier les parcs impériaux et domaines de chasse de l’empereur, comme le « Parc du sud » Nányuàn (南苑) pendant les dynasties Yuan, Ming et Qing.

 

Pìn zéi 牝贼 :  l’ironie perce ici dès le choix du premier caractère, pìn , qui désigne la femelle d’un animal (pìnmǔ 牝牡mâle et femelle); zéi / étant un voleur, un bandit – gibier de potence en quelque sorte.

 

Míngpàn 冥判 :  Míng est un adjectif signifiant obscur, et désigne par extension les ténèbres, étendu au sens du monde souterrain des enfers.

 

Précisions et notes complémentaires sur les poèmes

 

Le Mudanting peut se lire comme un poème, avait été l’un des commentaires de la première séance du club de lecture sur la pièce. La pièce est en effet riche de citations, de références et même de poèmes « dans le style des Tang » dits par l’un ou l’autre des personnages.

 

Méritent une attention particulière les deux thèmes abordés lors de la séance :

-          Le premier poème du Shijing, sujet de la première leçon du précepteur Chen à la scène 7, 

-          Les quatrains conclusifs des séances.

 

Les commentaires sur ces deux thèmes ont été regroupés dans une note sur les poèmes du Mudanting doublée d’une note sur les jijushi.

Ce qui est loin d’épuiser le sujet, mais donne au moins la satisfaction de l’avoir agréablement effleuré. 

 


 

Prochaine séance : le 26 janvier 2022

 

Le programme de lecture pour la période des fêtes est beaucoup plus léger, avec sa dose d’humour aussi, mais pas seulement. Il allie des textes satiriques (qualifiés de roman) d’un professeur de littérature comparée de l’université de Wuhan, Du Qinggang (杜青钢), et un recueil de poèmes de son poète préféré, dont il a traduit et publié des poèmes en chinois : Henri Michaux.

 

- Le Président Mao est mort, roman satirique de Du Qinggang (杜青钢), Desclée de Brouwer, 2002, 177 p.

- Idéogrammes en Chine, d’Henri Michaux, Fata Morgana, 1975, 44 p.

 

En complément, on pourra lire un court texte d’un

 

Idéogrammes en Chine, Henri Michaux

auteur chinois peu connu qui reste à découvrir, Pu Ning (卜寧), alias Wumingshi (无名氏), c’est-à-dire le sans-nom, l’anonyme. Le texte en question s’intitule « Le jour où le président est mort », et c’est le dernier d’un recueil de nouvelles autobiographiques couvrant la période des années 1950-1970/80 intitulé « La Terreur des fleurs » (《花的恐怖》) : c’est l’antithèse des textes du recueil de Du Qinggang. Il en existe une traduction en anglais : 

 

Le Président Mao est mort

 

Flower Terror, Pu Ning

 

- Flower Terror, Suffocating Stories of China, Pu Ning, trad. Andrew Morton et Richard J. Ferris Junior, Homa & Sekey Books, 1999.

 

Vous recevrez début janvier, en introduction, une brève présentation de cet auteur et de son œuvre.

 


 

À noter pour les séances de la fin de l’année 2021-2022

 

Afin de laisser plus de temps pour la lecture de la novella « Le Serpent blanc » de Yan Geling dont la traduction va paraître au printemps, la séance qui lui sera consacrée est repoussée au 22 juin, en inversant avec la séance sur le livre de Bei Dao avancée au 20 avril. La séance autour de Zhang Yueran reste le 9 mars.

 

Sixième séance : 20 avril

Autour de l’œuvre en prose du poète Bei Dao (北岛

 

Septième et huitième séances : 18 mai - 22 juin

Autour de la Légende du Serpent blanc.

Le 18 mai : Trois contes aux sources de la légende

Le 22 juin : Le Serpent blanc (《白蛇》) de Yan Geling (严歌苓)

 

Voir le programme révisé de l’année.

 

 

Pour la séance du 26 janvier, veuillez m’envoyer confirmation de votre présence ou nouvelle demande d’inscription.

 


 


[1] Participants à cette séance, par ordre alphabétique (avec Brigitte Duzan) : Geneviève Bousquet, Gérard Castex, Giselle Helmer, Marion Jorsin, Françoise Josse, Françoise Huelle, Christiane Pompei.

Excusées : Zhang Guochuan, Martine Breton, Sylvie Duchesne.

[2] Li Kui, surnommé « Tourbillon noir », l’un des proches du chef des rebelles Song Jiang (宋江), aussi turbulent qu’immoral, mais d’une loyauté sans faille et d’un courage démesuré.

[4] Pic de l’Est ou Dongyue : autre nom du mont Tai, l’une des cinq montagnes sacrées du taoïsme.

[5] Sur l’histoire de Zhong Kui, voir le film de Huang Shuqin (黄蜀芹) « Woman, Demon, Human (《人..情》).

[6] Scène 20 : Mélopée funèbre 闹殇.

[7] Fin de la scène 23, instructions du juge à la Fée des fleurs : 花神休坏了他的肉身也.

[9] Ou fishhawks : balbuzards pêcheurs.

[10] Gallimard, collection Folio bilingue, n° 221octobre 2019.


 

     

 

 

 

 

     

 

 

 

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