Club de lecture de littérature
chinoise (CLLC)
Compte rendu de la séance du 24
avril 2024
et annonce de la séance suivante
par Brigitte Duzan, 28 avril 2024
Cette huitième
séance de l’année 2023-2024
était consacrée aux poèmes narratifs de Luo
Ying (骆英)
publiés en traduction française sous le titre :
- Adieu
la mélancolie (《拒绝忧郁》)
ou Le
gène du garde rouge《拒绝忧郁》, trad. Xu
Shuang et Martine de Clercq, préface de Jacques Darras,
Gallimard, 2015.
Et éventuellement, en complément :
- Lapins, lapins (《小兔子》),
édition bilingue, trad. Xu Shuang, avec la collaboration de
Martine Chardoux, préface de Jacques Darras, Le Castor Astral,
2013.
Le deuxième titre était difficile à trouver, seule une lectrice
assidue avait pu se le procurer. Les commentaires et discussions
ont donc porté essentiellement sur le premier, introuvable en
version originale, sauf dans son édition taïwanaise, et passé
quasiment inaperçu en France lors de sa sortie en traduction
française, en 2015 ; c’est son
adaptation pour la scène au théâtre d’Ivry
en 2022 qui lui a redonné vie et a motivé son inscription au
programme du club de lecture.
Dans l’ensemble, le livre a suscité un grand intérêt, pour sa
peinture hors norme d’une période – la Révolution culturelle –
sur laquelle on dispose de pléthore de romans et de témoignages.
Avec sa dimension d’ovni, le texte de Luo Ying a suscité
questions et réflexions.
Avis divers
- Zh. Guochuan a d’abord été intéressée par la
forme et a ouvert la séance en répondant à une question
que l’on pouvait se poser en lisant la traduction : le texte est
présenté comme « un document et un poème »
,
est-ce vraiment de la poésie ?
C’est de la poésie narrative
,
et avec une traduction allant dans le sens de la clarté pour le
lecteur non averti.
On ne retrouve pas la concision, le rythme et les assonances du
texte original. Guochuan en donne un exemple en lisant quelques
vers. Le texte original est introuvable en Chine, et même sur
internet. Elle a cependant trouvé un
long article d’un critique chinois
citant de nombreux extraits qu’elle
a
regroupés sur une page séparée
en indiquant les titres des poèmes dont ils sont tirés. Cela
peut compenser en partie l’absence d’édition bilingue, comme
pour « Lapins, lapins ».
Outre la forme, elle a été intéressée par le contenu
qui lui a appris certains traits spécifiques de la Révolution
culturelle dont elle n’avait jamais entendu parler :
o
les « danses de la loyauté » (p. 45-46).
[Nota : en chinois zhongxi wu
忠字舞.
On les trouve souvent citées dans les nouvelles et textes sur la
période maoïste,. Voir par exemple
1/ l’article de Lisa Richaud (revue de l’EHESS, 2020) « Les
plaisirs ordinaires du chant révolutionnaire en Chine
post-maoïste »,
paragraphe Revivre la théâtralité quotidienne, § 18 et
36.]
2/ un article entier (en anglais) consacré à l’histoire de ces
danses et à leur développement récent, sur l’excellent site
China Media Project : « The
Delicate Dance of Loyalty ».
]
o
la pratique de « se faire injecter du sang de coq » pour se
donner de la vigueur (p. 115) ;
o
celle de boire du thé noir fermenté comme stimulant, quitte à
finir avec une gastro (p. 117) ;
o
la campagne contre la pollution spirituelle (p. 181) qui n’était
pas dans les manuels scolaires quand elle était à l’école.
[Nota : la campagne contre la pollution spirituelle (清除精神污染)
a été lancée en septembre 1983 par Hu Qiaomu (胡乔木),
contre le « libéralisme bourgeois »
.
Dans le même temps, les manuels chinois, eux, font état d’une
« campagne contre les délinquants » visant à réduire la
délinquance héritée de la Révolution culturelle et à rétablir
l’ordre.]
Par ailleurs, Guochuan a été touchée par certains détails
et portraits, en particulier celui de la mère (Ma mère la
boiteuse, pp. 20-25), ou par l’image de « l’esprit voyou » (p.
199), ce « gène » inaliénable de toute la génération de
l’auteur. Ce qui l’a frappée, finalement, c’est la double
personnalité de l’auteur : violent d’un côté, poète de l’autre,
avec une propension marquée à sympathiser avec ceux qui ont
réussi et à mépriser ceux qui ont échoué. Et soulignant, parmi
ses contradictions, le rôle salvateur attribué à la « musique
pure », « le plus précieux » dit-il (Critique de la musique
pure, pp. 121-122).
- UB
avait déjà lu le livre l’an dernier dès qu’il l’avait vu au
programme du club, en y trouvant un grand intérêt tant pour son
aspect de document que pour sa forme narrative.
Il a apprécié l’auteur-narrateur pour sa sincérité, sans excès
exhibitionnistes, et a trouvé originale l’histoire de la
Révolution culturelle telle qu’elle nous est présentée, avec des
personnages et des épisodes totalement incongrus.
Et il a relu le livre avec un grand plaisir, en appréciant
toujours cette manière « d’encapsuler » les impressions d’une
époque sans effets de manche superflus.
[Nota : dans l’épilogue, Luo Ying va dans ce même sens en
soulignant qu’il voulait rendre « la spécificité nationale de la
poésie », c’est-à-dire non seulement les aspects extérieurs de
la forme, innovations techniques et travail sur la langue, mais
« une représentation synthétisant le mode d’existence réel d’un
peuple à une époque donnée, son état d’âme et sa manière de
l’exprimer ».]
UB
a bien lu « Le gène du garde rouge » comme poésie et chronique,
ce qui lui a rappelé le livre de
l’écrivain
américain Charles Reznikoff, « Testimony : The United States
1885-1890 », dont il avait parlé
lors de la séance précédente :
construit à partir d’archives de tribunaux américains, comme un
montage de minutes des procès, pour témoigner de ce qu’ont vécu
les accusés, « en rythmant les mots » qu’eux-mêmes ont employés
.
Cette fois,
UB a apporté le livre ; il en lit un extrait, qui
frappe, effectivement, par le rythme syncopé de la phrase, un
peu comme les poèmes de Luo Ying. L’ouvrage est sous-titré
« Récitatif ».
|
Charles Reznikoff, «
Testimony » |
|
UB
a trouvé que les poèmes de Luo Ying témoignent d’une sympathie
pour les existences « qui passent », témoignage plein
d’ambivalences et de contradictions qui font partie du caractère
volontairement spontané (au moins en apparence) de la démarche.
Démarche qui rappelle celle de l’Oulipo, remarque au passage
Marion…
- Dorothée
MS
a trouvé « Lapins, lapins » dans sa bibliothèque parisienne, en
le faisant venir de la réserve centrale ! Mais elle a eu
« beaucoup de mal » avec les deux livres.
Elle a trouvé, comme UB, que l’auteur est sincère et ne
cherche pas à se rendre sympathique. Elle a bien aimé retrouver
l’image du corbeau dans les deux textes. Dans « Lapins,
lapins », au début, les corbeaux sont des témoins potentiels qui
« pourraient s’apercevoir de la douleur des arbres, de leur
souffrance sans issue, sous la domination imposante et informe
de la forêt » (Deux arbres, p. 19) ; mais, « Le dernier homme »
(p. 65) est une vision apocalyptique dominée par l’image du
Corbeau « qui habitera le sommet de l’immeuble le plus élevé et
tuera tous les humains », en commençant par les poètes, mais
sauf lui, l’auteur-narrateur, parce que lui est le complice du
Corbeau. Dans « Le gène du garde rouge », les corbeaux sont
juchés sur le haut-parleur que personne n’ose abattre malgré la
pluie de balles de tous côtés et de là-haut ils continuent à
croasser.
Elle a eu cependant beaucoup de difficultés à poursuivre la
lecture et s’est finalement arrêtée au milieu du « Gène du garde
rouge ».
- Christiane
P.
a entrepris « à reculons » la lecture du « Gène du garde rouge »
car c’était annoncé comme des « Souvenirs de la Révolution
culturelle », et elle n’avait guère envie de lire encore un
nouveau récit sur le sujet !
Mais elle a été séduite, et d’abord par l’humour noir, grinçant
et direct, par exemple, à la fin du chapitre où Luo Ying raconte
les déboires de la maison d’édition où il travaillait, et sa
renaissance : « La maison d’édition ressuscita … . J’appris plus
tard qu’elle était en réalité la caisse noire de la fille d’un
dirigeant…. » (La résurrection de la maison d’édition, p.196).
Ou encore : « Après avoir fait fortune, j’ai appris, lors d’un
examen de santé, que l’artère de mon foie avait jadis été
endommagée. / Je suppose que, lorsque cela s’est produit, le
dieu de la mort cuvait son vin et devait s’être endormi. » (p.
35)
Elle a bien aimé le style poétique elliptique, mais a trouvé
terrifiante la cruauté décrite sans chercher à rien atténuer,
comme si de rien n’était : un mineur tranche le crâne d’un garde
rouge qui s’obstinait à tirer au lance-pierres dans tous les
sens, alors « toute la ville fit la queue pour aller contempler
le crâne fendu en deux » (p. 80), ou, lors d’une exécution, le
condamné « avait le crâne ouvert ; dans sa cervelle blanche
sanguinolente on planta un petit fanion rouge » (p. 78)
Puis tout cela est ensuite mis en perspective, devenant comme
une philosophie de l’existence :
« Après le suicide de Jiang Qing, j’ai continué à fredonner les
airs de « L’ode à la rivière du dragon » (《龙江颂》),
Il m’arrive encore de chanter « La montagne dorée de Pékin
éclaire les quatre coins du monde »,
Celui qui a été garde rouge ne peut de toute sa vie desserrer le
poing. »
(Le détachement féminin rouge, p. 112)
Et enfin, Christiane a relevé la réflexion finale sur la
mémoire, dans la postface : « Il est nécessaire que la Chine
purge totalement sa mémoire de son histoire pour que la société
progresse. Parmi tous les combats politiques complexes et
sanglants, il faut au moins nous débarrasser de la détestable
Révolution culturelle… Elle a donné naissance à un esprit voyou
… à un modèle social qui équivaut pour certains à une descente
aux enfers. » (p. 223) Luo Ying cite le travail fait en
Allemagne et les milliers de procès qui ont « purgé la
nation des crimes cachés au fond de la mémoire ». Mais, dit-il,
« nous, nous feignons d’avoir oublié », avec le risque que cela
se reproduise.
Elle a trouvé dans l’ensemble le style percutant, d’une grand
beauté et en a apprécié aussi la sincérité.
- ZRC
avait retrouvé sa voix depuis la séance précédente, mais il
n’avait pu lire le texte en chinois faute de l’avoir trouvé sur
internet comme à son habitude. Il l’a donc lu en français et l’a
trouvé très vivant et bien écrit.
Il a trouvé le terme de « Mélancolie » du titre (youyu
忧郁)
tout à fait approprié : c’est une réalité amère qu’il a éprouvée
à la lecture, dans la ligne des textes sur le laogai lus
en début d’année. Cela lui a fait penser à un nouveau terme,
très proche, utilisé dans le contexte chinois : dépression
politique (zhengzhi yiyu
政治抑郁)
. Terme qui suscite en retour une brève réflexion croisée sur
l’histoire clinique de la « mélancolie », pathologie devenue
allégorie.
[Nota : le terme de dépression politique, d’origine américaine,
a commencé à être utilisé en Chine au moment de la pandémie, et
tout particulièrement en 2022, lorsque se sont développées
frustrations et tensions nées de la politique covid0 et des
confinements répétés imposés à la population
.
Aujourd’hui la dépression politique touche particulièrement les
jeunes.]
ZRC
y voit un sentiment né de l’impuissance ressentie face à
un système qui paraît invulnérable et laisse peu d’espoir de
changement. Il a pensé à Stefan Zweig, l’un de ses auteurs
préférés, qui s’est suicidé. Luo Ying est de la génération de
ses parents, qui ont été endoctrinés et bercés de l’illusion
qu’ils vivaient dans le meilleur des mondes. D’où un réveil
amer, même si ensuite ils ont connu des changements positifs.
ZRC
s’est intéressé à la vie de Luo Ying, en lisant sa biographie.
Il a perdu ses parents jeune, il se qualifie d’herbe sauvage.
C’est sa ténacité, son caractère, qui lui ont permis de survivre
et de surmonter tous ses problèmes : il a dit qu’il est sûr
d’une chose, qu’il ne connaîtra jamais la dépression. Et
finalement il s’est enrichi, il est l’une des personnes les plus
riches de Chine, aujourd’hui, mais il garde son esprit critique.
ZRC ressent comme une fascination vis-à-vis des
contradictions du personnage.
Christiane P.
fait un parallèle avec « L’hiver du doyen » de Saul Bellow : le
doyen d’une université de Chicago, marié avec une
astrophysicienne d’origine roumaine, accompagne sa femme à
Bucarest où se meurt la mère de celle-ci. Elle est en
réanimation, les visites sont interdites, c’est l’hiver, il est
bloqué dans l’appartement glacial de la mère et ressasse ses
problèmes, Chicago étant finalement aussi oppressante que
Bucarest est sinistre… Il ne semble y avoir d’alternative
qu’entre l’effrayante bureaucratie de l’Etat policier et la
société capitaliste gangrenée par ses propres insanités….
|
The Dean’s December
(L’hiver du doyen) |
|
- Françoise
J.
a lu « Le gène du garde rouge » dès sa sortie, en 2015, et l’a
mis en parallèle avec ses propres souvenirs de la fin des années
1970 en Chine – souvenirs de ses compagnons d’études, embrigadés
après avoir été eux aussi emportés dans une vague de ferveur
naïve.
Puis, elle a vu le spectacle du théâtre d’Ivry, « Adieu la
mélancolie », qui l’a incitée à relire le livre, relecture qui
l’a plus intéressée que la lecture initiale, en particulier pour
le constat que la Révolution culturelle pourrait revenir faute
d’avoir fait le travail de mémoire comme en Allemagne, et comme
il reste encore au Japon à le faire.
Elle n’a pas été très touchée par l’aspect poétique, bien plus
par l’humour, et la satire des poètes - comme ce poète
d’autrefois devenu chauve et replet, faute d’adversité (p. 154).
Mais c’est surtout le constat sur le temps présent qu’elle a
retenu : garde rouge un jour, garde rouge toujours. Avec un
constat supplémentaire qui l’a marquée : la solitude de
l’auteur, qui ne semble même plus avoir de liens familiaux.
- Geneviève
B.
a trouvé le texte très dur, surtout la première partie, la
deuxième lui ayant paru plus fluide, bien que le ton soit
toujours sarcastique. Mais la troisième partie a fini de lui
rendre le personnage désagréable : trop content de lui.
Elle a trouvé dans ces poèmes une atmosphère de tragédie
grecque, mais, chez Sophocle ou Homère, les atrocités sont
expliquées et exonérées comme étant de la responsabilité des
dieux.
Et finalement, elle s’est posé la question de la Révolution
française et des atrocités commises en son nom.
Il faut relire les « Ecrits politiques » de Victor Hugo, suggère
Marion.
En fait, dit UB, le parallèle serait à faire avec les
guerres de religion, et en particulier avec les guerres des
enfants
.
- Giselle
H.
n’a pas ressenti un grand enthousiasme, mais a été intéressée à
plusieurs égards.
D’abord elle a été très touchée par l’évocation de la famille
dans la première partie. Mais la deuxième partie, ensuite, lui a
semblé d’une grande dureté, et la troisième a fini de la mettre
mal à l’aise, avec ce côté viscéral : il faut être un loup pour
« réussir ».
En revanche, elle a apprécié que l’auteur veuille se battre pour
préserver la mémoire, contre la tentation de l’oubli
instrumentalisé par le pouvoir. Mais se pose alors la question
des jeunes Chinois d’aujourd’hui, élevés dans cette totale
omerta.
- Si on ne parle pas aux enfants du passé, dit ZRC, c’est
pour les protéger, pour éviter qu’ils se créent des ennuis en
parlant de manière inconsidérée.
- C’est vrai, dit Guochuan, que les manuels scolaires
abordent la question en la réduisant à une phrase – la
Révolution culturelle faisant partie des 30 % d’erreurs commises
par Mao.
- Mais, précise Dorothée, le travail de mémoire en
Allemagne ne s’est pas fait tout de suite ; elle-même n’a appris
la réalité des camps que lorsqu’elle est arrivée en France (en
1972).
L’histoire n’est pas la même partout.
- Arrivant
en dernier, Marion J. déclare que cela lui a permis de
modifier quelque peu la vision qu’elle avait retirée de sa
lecture – mais qu’elle reste malgré tout radicale.
S’adressant d’abord plus particulièrement à Dorothée,
elle rapproche la discussion qui a précédé d’un livre qui parle
du chaos de l’Allemagne en 1945, dans l’immédiat après-guerre :
« Le temps des loups. L’Allemagne et les Allemands (1945-1955 »
de Harald Jähner
.
C’est un pays en ruine, où tout est à reconstruire, donc
similaire à la situation de la Chine au lendemain de la
Révolution culturelle.
Marion
se dit fascinée par la capacité de la population chinoise à
supporter à la fois les excès du communisme et les excès du
capitalisme. Elle a apprécié la lecture du livre, comme d’autres
avant elle dans le groupe, pour sa « grande sincérité ». Mais
elle n’y voit pas d’honnêteté. Elle considère Luo Ying comme un
opportuniste, une sorte de Tapie – mais quand même poète en
plus, lui souffle-t-on – non pire : un tueur, et à la limite
guère au-dessus d’un mafieux russe.
Il ne lui a rien appris sur la Révolution culturelle.
- Quand même, dit UB, c’est la Révolution culturelle vue
par les yeux d’un enfant, dans la rue.
- Oui, mais c’est plein d’ambiguïtés et de contradictions. Il se
vante d’avoir profité du système pour voler des livres : « Ma
renommée se répandit dans toute la ville… j’avais un monde à
moi, acquis par effraction, la nuit je versais des larmes sur le
Compte de Monte-Cristo, j’étais fasciné par Mark Twain… je
veillais tard le soir en rêvant d’être poète. » (p. 107).
Marion
cite sa position ambiguë, à la fin : « Nous avons renversé une
clique de capitalistes par la remplacer par une autre / Nous
avons sorti d’affaire une génération de pauvres pour en voir
naître une autre… nous sommes prêts à brandir à nouveau le poing
comme quand nous étions gardes rouges … l’Histoire est
corrompue. » (p. 212). Il dit aussi : « Sans lutte, la nation
s’ennuie. » Donc il dit tout et son contraire.
Mais ce qui l’a intéressée, c’est qu’il pose la question du mal,
et celle de la nécessité du travail de mémoire pour sortir de la
« sauvagerie ». Mais qui n’est pas toujours possible quand la
moitié de la population a dénoncé l’autre comme en URSS, comme
le montre la poétesse russe Anna Akhmatova dans ses propres
compositions poétiques, dont son « Requiem » sur la terreur
stalinienne.
Conclusion
On peut conclure sur les paroles de Luo Ying dans sa postface :
« … nous sommes toujours à l’époque post-Révolution culturelle,
et nous n’avons pas tenté de la purger de nos mémoires parce
qu’elle nous est encore nécessaire. Telle est notre tragédie. »
Ce qu’il a voulu faire, c’est mettre cette expérience en poèmes,
comme des contes, des élégies ou des ballades des temps
modernes, dans une sorte de processus cathartique tout aussi
douloureux pour lui, l’auteur, que pour le lecteur. Comme l’a
montré la séance du club de lecture, celui-ci n’en sort pas
indemne. On peut juste regretter que cette lecture soit
impossible en Chine.
Un souvenir, a posteriori
Françoise J. possède un superbe souvenir d’un détail évoqué par
Luo Ying au chapitre « Le Kompucha » du « Gêne du garde rouge »
(p. 117) : la « protection isotherme tissée de fils plastique
multicolores » permettant aux voyageurs prenant le train de
boire sans se brûler l’eau chaude versée régulièrement par
l’employée des chemins de fer. Elle en a conservé deux
exemplaires de son séjour d’étude à Tianjin en 1978,
effectivement très colorés.
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« Le Kompucha » du « Gêne du garde
rouge » (p. 117) |
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Protection isotherme tissée de fils
plastique multicolores |
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Prochaine
séance :
Le mercredi
29 mai 2024
Un roman
satirique de
Dong Xi (东西) :
- Destin
trafiqué
《篡改的命》,
trad. Shao Baoqing et Elsa Shao, Actes Sud, sept. 2022, 368p.
Et/ou en
complément, du même auteur :
- Une vie de
silence, recueil de trois nouvelles, trad. Isild Darras,
éditions de l’Aube 2010, 160 p.
- Sauver une
vie, trad. Amélie Manon, éditions de l’Aube 2013, 139 p.
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