|
Club de lecture de littérature
chinoise (CLLC)
Compte rendu de la séance du 27
mars 2024
et annonce de la séance suivante
par Brigitte
Duzan, 31 mars 2024
Cette septième
séance de l’année 2023-2024
était consacrée à un recueil de neuf textes de
Jin Yucheng (金宇澄) paru
en traduction française aux éditions Picquier :
- Battre
les cartes (Xipai
niandai
《洗牌年代》),
trad. Stéphane Lévêque et Yannan Wu avec le concours d’Alexandre
Pateau, illustrations intérieures et couverture de l’auteur, éd.
Picquier, 2022, 160p.
|
Battre les cartes |
|
Du même auteur
était proposé en complément un recueil de quatre
nouvelles traduites en anglais :
- A Nest of Nine Boxes, trad. Yawtsong Lee, Better Link
Press, 2016, 184 p.
Ce programme prenait un sens particulier du fait de la célébrité
de l’auteur, devenu icône emblématique de Shanghai, et
aujourd’hui plus que jamais alors que son roman « Blossoms » (Fanhua《繁花》),
prix Mao Dun en 2015,
vient d’être adapté en
série télévisée à succès
par le réalisateur
Wong Kar-wai (王家卫).
Cependant, le
recueil de nouvelles n’a été lu que par une seule lectrice.
C’est « Battre les cartes » qui a été privilégié, et dans
l’ensemble bien apprécié, avec les nuances habituelles. Il
s’agit d’un recueil de neuf textes
tirés d’un ensemble de 27 plus une postface initialement parus
en 2006, et récemment portés à 35 dans une
nouvelle édition parue en 2021.
|
Xipai niandai,
éd. 2021 |
|
Premiers
avis : le ton est donné
Le ton était
donné par les avis envoyés par courriel par deux absentes :
- Giselle
H., grippée, a tenu à dire combien elle avait aimé les deux
recueils, et en particulier le sens de l’humour du premier,
« loin des fresques historiques à la
Wang Anyi (王安忆) ».
Mais elle a aussi apprécié l’atmosphère plus sombre, quelque peu
mystérieuse, du « Nest of Nine Boxes », avec ses personnages
énigmatiques, voire parfois un peu inquiétants, dont on n’a pas
toujours les clés qui seraient nécessaires pour bien les
comprendre. Le récit est en outre illustré de descriptions très
poétiques de la nature.
- Dorothée
MS était elle aussi absente à son corps défendant car elle
aurait aimé partager les discussions, ayant lu le livre avec
beaucoup de plaisir malgré la quatrième de couverture annonçant
qu’il s’agissait « des années de grand bouleversement ». Le
titre, en revanche, lui a plutôt fait penser au plaisir du jeu :
Jin Yucheng parvient à faire revivre avec légèreté ce qu’il
appelle, lui, « la période insolite » (p. 54). Des regrets
apparaissent brièvement, dans de courtes remarques (« longtemps
après, en 1978, au moment où les jeunes – qui n’étaient plus si
jeunes - … ») ou encore dans un dessin, tel celui du dortoir du
camp de laogai (p. 67). D’ailleurs les dessins lui ont
beaucoup plu.
Elle a en
outre apprécié les détails sociologiques : comment se
singulariser par une manière bien personnelle de porter des
vêtements uniformes (p. 75), comment fabriquer une « guitare »
(p. 46) ou apprécier les différences régionales dans les
couettes. Parmi les personnages qu’elle a trouvés les plus
attachants : le musicien Lao Yang.
ZRC,
lui, était bien là, mais complètement aphone. Qu’à cela ne
tienne, il avait enregistré son avis sur son téléphone. Vive
l’Intelligence artificielle !
« Ma première
impression du livre : une grande admiration devant autant de
détails du quotidien, aussi bien décrits ! Animaux, plantes,
sociologie, histoire de la ville et des voisins, production
industrielle, artisanat, et bien d'autres choses encore : ce
livre est une véritable encyclopédie vivante. Une interview de
l’auteur m’a donné quelques éléments de réponses : il a un tel
amour de la vie et de Shanghai, il apprécie tellement le passé
et les petites choses de la vie.
Dans cette
interview, il souligne que, contrairement à la littérature
chinoise, la littérature française a connu une période assez
longue de naturalisme, défini par Zola comme l'opposé du
romantisme ; cela me semble un bon terme pour décrire l’écriture
de Jin Yucheng. Nul besoin d'une intrigue ou d’une structure
conventionnelle de récit : l’auteur va droit au but, parlant sur
un ton apparemment indifférent des petites histoires ou des
choses qui l’intéressent. "Le destin de chacun est comme une
feuille, elle tombe, flotte, et disparaît" dit-il. À cet égard,
ce livre est très différent des classiques chinois
traditionnels, et même de la novella « Sur le balcon » lue le
mois dernier.
Dans
l’interview, l’auteur a également parlé de la pauvreté de la
langue chinoise en Chine aujourd’hui. Beaucoup de gens se
contentent d'utiliser quelques mots à la mode sur les réseaux
sociaux, par exemple, pour décrire des hommes infidèles, le
terme
zhānán « 渣男 » :
ordure, salaud.
C’est un exemple de terme réducteur qui recouvre en fait des
situations très diverses. Mais il trouve que justement, en Chine
actuellement, tout est monotone, pour privilégier les valeurs
positives. À l’encontre de cette monotonie, l’écriture de Jin
Yucheng a la richesse et la variété du monde réel. »
Les avis
suivants sur la lecture de « Battre les cartes » évitaient
d’ailleurs aussi la monotonie : ils étaient dans l’ensemble
positifs, mais à des degrés divers et avec des nuances dans
l’appréciation.
Appréciation générale, avec des variations
Et ce sont les
variations qui, en l’occurrence, ont tout leur intérêt, dans des
échanges souvent croisés.
-
Christiane P. rebondit sur l’aspect naturaliste, mais avec
un regard sur le passé nimbé d’une ombre de mélancolie.
Elle a
beaucoup aimé ces récits, d’abord pour le parti pris de
revisiter l’histoire surtout à travers des jeunes, avec un
éventail de diverses tranches d’âge, des adolescents et jeunes
instruits aux jeunes actifs, et de le faire avec légèreté, même
quand il s’agit de drames. Il y a un effort notoire d’éviter
tout pathos, en impliquant que les drames de toutes sortes
relèvent de l’ordre normal des choses. Les personnages
« ordinaires » peuvent être hors normes, tel cet Ah Di, délicat
et mystérieux, se changeant sous sa couette, et qui finalement
se révèle être un être étrange entre fille et garçon,
hermaphrodite finalement plutôt garçon pour faire plaisir à
papa. Certains personnages sont à peine ébauchés, mais avec
tendresse : une jeune fille solitaire sur un bateau, un homme
qui meurt dans l’explosion d’une chaudière, ou encore le
musicien en herbe Lao Yang…
Le style mêle
humour et poésie. L’humour, par exemple, affleure dans la
description de l’homme sur lequel la dénommée « Jane » a jeté
son dévolu (dans le récit « À la recherche du prince charmant »
《上海水晶鞋》),
mais qui renonce illico à l’idée de mariage en voyant les poils
de ses bras dépasser de ses manches… finalement, c’est sa femme
de ménage qui épouse l’homme, « aussi velu qu’un ours noir »,
mais dont l’idéal de riche Européen du nord était d’épouser une
Shanghaïenne… La poésie, elle, est dans les descriptions des
paysages et des saisons, comme dans le récit intitulé
« Printemps » (《春》).
Christiane
a
bien aimé, justement, le contraste entre réalité et poésie,
souvent évoquée allusivement au détour d’une phrase, comme à la
fin du premier récit, « L’Albizzia des adieux » (《合欢》) :
un homme s’est suicidé, c’est l’émoi dans la rue, mais c’est
justement « à la faveur de cette confusion qu’une branche
d’albizzia, une branche entière… , se retrouva dans l’herbier de
Betty », qui en cherchait une depuis longtemps, avec ses fleurs
tels « des oiseaux rose pâle dans l’arbre ».
Mais c’est le
quotidien, la peinture sociale qui l’a le plus intéressée,
citant ce qu’en dit Jin Yucheng dans « Le sommeil des
Shanghaïens » (《上海人困觉》) :
« C’est dans les détails infimes que s’écrit l’histoire d’une
époque, et ces menues choses sont les relevés fidèles de la vie
des êtres. » Menues choses ou objets quotidiens avec des
différences bien notées entre citadins et ruraux, et entre nord
et sud, en particulier d’ordre vestimentaire, mais aussi dans la
qualité des couettes. Mais tout cela est dépeint comme en
passant, sans porter de jugement.
-
Sylvie D.,
elle, n’a pas été enthousiasmée par ces récits dans leur
ensemble. Ce qu’elle a apprécié, c’est l’aspect historique dans
ce qu’il a d’inconnu, de surprenant, s’agissant d’une période
très connue, justement.
Elle a
beaucoup aimé les dessins, finement évocateurs, celui du dortoir
du camp de laogai par exemple. Dessins liés à l’histoire
des objets qui forme une véritable trame narrative. Le récit
qu’elle a préféré est « Printemps » avec ses superbes
descriptions du bord de la rivière. Mais là aussi, c’est une
description originale car ce n’est pas à la belle saison, on
attend le printemps ; donc, de même qu’on évite le pathos, on
évite aussi la peinture traditionnelle de l’éveil de la nature
au printemps. Ici « il tombe une pluie fine, comme il pleuvra
demain… les saules ont des désirs de verdure… rares étaient les
passants… » Nature en harmonie avec la légère anxiété du jeune
Bi Yu qui va devoir quitter son pays natal. Vision personnelle
de la campagne encore un peu hivernale, sans trop de promeneurs
encore.
- UB a
beaucoup aimé. Surpris, il a trouvé ces récits, et leur
écriture, déroutants, avec un fil directeur axé sur les objets,
et une narration faite de digressions.
Il a trouvé
étonnant l’éclairage sur la Révolution culturelle, que l’auteur
réhumanise en la présentant sous un aspect inhabituel. Ce qu’il
nous raconte est l’inverse de l’histoire qu’on nous a racontée
par ailleurs. Il apporte un témoignage personnel sous forme
d’anecdotes, avec une attention toute en légèreté portée sur la
vie matérielle, qui évite la froideur. Il a retrouvé dans cette
démarche celle de l’écrivain Charles Reznikoff dont le magnum
opus – « Testimony : The United States 1885-1890 » - est
construit à partir d’archives de tribunaux américains, pour
témoigner de ce qu’ont vécu ses protagonistes, mais « en
rythmant les mots » qu’eux-mêmes ont employés, afin de « créer
un état d’âme ou un sentiment ».
UB
a trouvé
salvatrice l’attention portée par Jin Yucheng aux objets, avec
leurs listes, longues et détaillées, et la sorte de dignité qui
leur est conférée. Comme Christiane P, il a apprécié
l’absence de pathos, mais a ressenti une empathie de l’auteur
avec ses personnages, son sujet. Il a vu beaucoup de profondeur
dans cette manière d’humaniser les objets, comme un moyen de
ré-humaniser les hommes déshumanisés dans la Chine de Mao,
surtout pendant la Révolution culturelle.
… Oui,
remarque Marion J, quand les hommes sont détruits restent
les objets…
UB
a bien aimé l’histoire d’A Qiang (« Souvenirs sous le boisseau »
《锁琳琅》),
mais il a encore préféré le dernier texte, « Entre joie et
attente » (《在愉快与期待中》),
comme un hommage à tous ces disparus anonymes, victimes
d’accidents dont les corps, glacés, déchiquetés, liquéfiés etc.,
sont décrits de manière ultra réaliste, comme les objets par
ailleurs. En ce sens, cette écriture lui a rappelé l’histoire
« antiquaire » de Nietzsche : une histoire aux antipodes de la
théorie et de l’histoire « monumentale », offrant aux individus
le lien d’une mémoire commune, la philosophie se devant d’être
historique.
Jin Yucheng adopte une démarche similaire : pas de nostalgie,
pas de projection dans un idéalisme abstrait. Il dit juste :
voilà ce que j’ai vu, ce que j’ai vécu. Et de dresser des listes
d’objets à quoi se raccrocher, comme celle des menus objets
shanghaïens accumulés au fil du temps par les jeunes instruits
dans le Grand Nord (dans « Le sommeil des Shanghaïens »
《上海人困觉》).
Au final,
UB a trouvé que Jin Yucheng donnait de la couleur à une
époque en noir et blanc, un peu comme Luo Ying
d’une toute autre manière.
- Zh.
Lingling a bien aimé ces textes, en précisant qu’il s’agit
de non-fiction, et en l’occurrence de sanwen (散文),
avec l’aspect déconstruit que le genre suppose.
Et justement,
cet aspect l’a déconcertée au départ. Elle avait du mal à suivre
la narration, car elle procède par digressions et son esprit
s’envolait entre deux pages, deux histoires. Elle a cherché en
vain une introduction, une préface ou une postface qui puisse
l’aider à mieux comprendre. Même la postface du recueil chinois
n’a pas été traduite.
Mais
finalement elle a beaucoup apprécié ce style décousu, fait de
souvenirs qui remontent du fond de la mémoire, l’un en appelant
un autre, sans forcément de rapport direct entre eux. Une
mémoire bien plus riche ainsi, en « battant les cartes ». Pas de
modèle, de structure préconçue, les lieux comme les saisons
changent, les objets émergent du souvenir dans leur état naturel
d’incomplétude, la mémoire n’est pas figée. Le texte est comme
un patchwork juxtaposant les détails et les anecdotes.
(Il y a un
côté aléatoire, comme dans la vie, remarque Christiane P.)
Beaucoup
d’anecdotes sont des histoires un peu drôles qui circulaient
dans les années 1970, sur le yoga pouvant conduire à des excès
de végétarisme par exemple, ou la rumeur que, selon les
Français, les asperges sont bonnes pour les hommes ( ??).
Mais Lingling a apprécié l’écriture presque allégorique,
faisant des arbres des êtres humains, ou des esprits réincarnés
comme les albizzias. Finalement, la peinture des objets comme
reflets (symboliques) des gens lui a paru relever de l’écriture
traditionnelle, mais l’ensemble des textes lui est apparu comme
très moderne. Elle a trouvé que l’atmosphère était bien celle de
l’univers de
Wong Kar-wai (王家卫),
et en particulier dans l’avant-dernière nouvelle, « Souvenirs
sous le boisseau » (suǒ
línláng《锁琳琅》littéralement
« beau jade, bijoux précieux enfermés à clef »).
Elle aussi a
apprécié la légèreté de l’écriture, sans que jamais cependant
elle ne tombe dans l’indifférence ; ce trait lui a semblé être
en fait une manière d’autoprotection, contre les souffrances
causées par l’époque. Cependant, le manque de prise de position
lui a paru un peu paradoxal.
- Geneviève
B. est ravie d’annoncer, le sourire aux lèvres, que, cette
fois-ci, elle a bien aimé le livre au programme.
Et d’ajouter dans la foulée qu’elle a particulièrement aimé
« Les cordes au cœur » (《琴心》)
… pour son côté japonisant, dans une sorte d’épure des
sentiments. Bien aimé aussi les dessins, qui ne laissent rien
deviner de l’histoire, gardant leur part de mystère.
Elle a
apprécié toutes ces histoires parce qu’elle les trouve
mémorables, avec toujours un aspect inattendu, si bien,
dit-elle, qu’on ne les oublie pas aussitôt le livre refermé.
Mémorables aussi car très riches en détails peu courants sur la
période, et même des détails atroces comme ce mort broyé par une
machine mise en route inopinément ou cet autre déchiqueté par
l’explosion d’une chaudière, mais aussi les histoires sur la
musique comme lien fédérateur des jeunes, et bien sûr l’histoire
du violon. Cette façon de décrire la période lui a beaucoup plu,
avec toujours du recul, mais beaucoup de sensibilité dans la
description des personnages.
Ce qui l’a
particulièrement frappée, c’est, dans « Les cordes au cœur »,
justement, tout ce qui concerne les jeunes partant sans état
d’âme pour le camp de laogai, pour accompagner un copain
qui a reçu sa feuille de route, et renonçant pour cela, sans
penser aux conséquences, à leur hukou urbain. Ce qui l’a
interloquée, c’est la légèreté avec laquelle est décrite la
décision, sans aucune idéologie, comme une ouverture sur une vie
nouvelle.
Marion J.
a elle aussi été frappée par cette légèreté dans la description
du départ de ces jeunes, « renonçant de leur plein gré à leur
permis de résidence » et partant joyeusement avec la doudoune
kaki qui leur était offerte. Ce qui leur vaudrait toutes les
difficultés du monde ensuite pour revenir à Shanghai.
- Françoise
J. a pour sa part beaucoup aimé ces textes pour les
souvenirs très personnels qu’ils lui ont rappelés, de son séjour
en Chine de 1978 à la fin de la décennie : les albizzias à
Pékin, la couette chinoise du même genre que celle dans laquelle
elle dort toujours, avec les éternels problèmes de lavage, et
enfin, ou peut-être surtout, le « faux col » à boutons pression
pour tenir le cou au chaud à une époque où la laine était rare,
et qu’elle a précieusement conservé : elle le sort de son sac
pour le montrer à la ronde, il répond exactement à la
description qui est faite de celui de la jeune fille sur le
bateau (dans « Le vent du sud traverse la fenêtre ouest »
《穿过西窗的南风》),
à la seule différence que celui de la jeune fille, dans
l’histoire de Jin Yucheng, est jaune pâle, le sien est bleu-roi.
Dans
l’ensemble, elle a apprécié la poésie autant que le réalisme,
les descriptions de la nature, et en particulier celle de
l’arrivée du printemps au début de « Printemps ». Elle a admiré
que, sur des textes aussi courts, l’auteur ait réussi à évoquer
d’aussi longues périodes : l’évolution du salon de coiffure au
cours du temps dans « Souvenirs sous le boisseau », ou
l’histoire de Lao Yang dans « Les cordes du cœur »… Et en même
temps, c’est très actuel, témoin le descriptif des accidents du
travail dans « Entre joie et attente ».
Ce qui l’a
gênée, ce sont les transcriptions difficilement lisibles et
compréhensibles des termes et expressions en Shanghaïen.
- Marion J.
retient le terme de « salvateur » employé par UB pour
caractériser le soin dans le détail avec lequel sont traités les
objets dans ces textes, avec un sentiment d’empathie.
L’humour
doux-amer, lucide et humain, de Jin Yucheng lui a rappelé celui
des
dessins de Sempé,
avec ses petites touches doucement satiriques et poétiques. Mais
il peut aussi devenir carrément comique, comme dans l’histoire
des « voleurs de saisies », dans un monde « qui ne cessait de
passer de l’apparition à la disparition » : les biens saisis
(par les Gardes rouges) chez les particuliers perquisitionnés se
volatilisaient derechef en un rien de temps, et ces nouvelles
richesses finissaient par devenir introuvables (« Battre les
cartes »
《洗牌年代》).
Elle a ri aux premiers essais d’ « augmentation mammaire », aux
petites remarques comme « pour les femmes mariées, les hommes
célibataires étaient toujours vierges », et aux listes d’injures
shanghaïennes.
Elle a
apprécié les ellipses, les allusions (la violence bien avant la
Révolution culturelle, les femmes traitées comme esclaves dans
les anciennes filatures), les menus détails qui en disent long
(les signes de confort « bourgeois » comme le rembourrage des
couettes)… Et par-dessus tout, surtout dans le dernier texte, la
maîtrise avec laquelle les souvenirs du passé sont évoqués à
travers toute la gamme des sens, vue, odeurs et sons.
On sent,
dit-elle, le désir de réhabiliter un passé évanoui, un monde
englouti, mais sans la nostalgie habituelle.
- Zh.
Guochuan a lu la totalité du recueil en chinois et a pioché
dans les titres qui l’ont intriguée.
Elle en a
sélectionné deux pour en faire
un résumé pour le club de lecture :
l’un a trait aux chats (« Les chats dans la réalité »《现实猫》),
l’autre aux chiens (« Les menus droits des chiens »
《狗权零碎》).
La thématique est différente ; à cet égard, on constate que
celle des textes traduits en français est assez homogène et
tourne autour des souvenirs de la période de la Révolution
culturelle. En revanche, la construction narrative est la même,
à base de digressions souvent sans lien direct avec ce qui
précède, et avec le même humour.
Elle a par
ailleurs trouvé elle aussi que la transcription des expressions
shanghaïennes laissait à désirer.
Conclusion
Voilà un
recueil de textes extrêmement originaux. Mais leur originalité
tient en grande partie à leur style ; or la traduction a trop de
défauts pour permettre au lecteur français d’en jouir
pleinement, et c’est vraiment trop dommage. Le problème des
transcriptions du shanghaïen n’est qu’une partie du problème. Le
choix a été fait de textes à thématique socio-historique qui
sont bourrés de références dont quasiment aucune n’est
expliquée. La méconnaissance de certaines de ces références
entraîne même des fautes caractérisées de traduction. Par
ailleurs, au lieu d’ajouter des explications en notes en bas de
page, on en trouve quelques-unes de manière récurrente entre
parenthèses.
C’est un
miracle que ces textes puissent survivre dans de telles
conditions, mais ils en sortent amoindris.
Il faudrait
reprendre toute la traduction non seulement pour rectifier ce
qui concerne les termes shanghaïens, mais en outre pour faire
ressortir et souligner tout ce que les références comportent de
contextualisation subtile sur la période. On en trouvera
quelques exemples à la fin de
l’article consacré aux essais de Jin Yucheng.
Prochaine
séance :
Le mercredi
24 avril 2024
Cette séance
sera consacrée à des
poèmes en prose de Luo
Ying (骆英)
- Adieu
la mélancolie ou Le
gène du garde rouge《拒绝忧郁》, trad. Xu
Shuang et Martine de Clercq, préface de Jacques Darras,
Gallimard, 2015, 240 p.
Essais
de type sanwen (散文) :
1)
L’albizzia des adieux《合欢》
/ 2)
Battre les cartes
《洗牌年代》/
3) Les
cordes au cœur《琴心》/
4) Le sommeil des Shanghaïens《上海人困觉》/
5) Le
vent du sud traverse la fenêtre ouest
《穿过西窗的南风》/
6) Printemps《春》/
7) À
la recherche du prince charmant《上海水晶鞋》/
8)
Souvenirs sous le boisseau《锁琳琅》/9)
Entre joie et attente《在愉快与期待中》.
|
|