Chengyu

 
 
 
     

 

Wu Gang coupe l’osmanthe 吴刚伐桂

par Brigitte Duzan, 31 octobre 2023

 

Wu Gang, le Sisyphe chinois

 

Wu Gang (吴刚) était simple bûcheron, mais il était obsédé par l’art de l’immortalité (xianshu 仙术), et cherchait à maîtriser les pratiques pour devenir immortel. Il était cependant bien trop paresseux pour se plier longtemps à une quelconque discipline. La divinité suprême Tiandi (天帝), exaspéré par ses prétentions et sa paresse, décida de lui donner une leçon : il l’exila sur la lune en lui disant que le seul moyen qui lui permettrait de revenir sur terre serait de couper le seul arbre existant sur la lune. Wu Gang se mit au travail sans délai car il ne voulait pas rester éternellement sur la lune. Mais l’arbre qu’il avait à couper n’était pas un arbre ordinaire : chaque fois que Wu Gang le frappait de sa hache, l’entaille se refermait aussitôt. Wu Gang était condamné à couper indéfiniment cet arbre.

 

D’où le chengyu :

(Tel) Wu Gang coupant l’osmanthe  (wúgāng fáguì 吴刚伐桂) pour signifier un labeur sans fin.

 

 

Wu Gang coupant l’osmanthe

 

 

Il existe plusieurs versions du mythe.

 

1.   La version du Youyang zazu (酉阳杂俎), recueil de légendes, anecdotes et récits divers compilé au 9e siècle, sous les Tang, par Duan Chengshi (段成式). Cette version mentionne juste Wu Gang tentant de couper sans fin l’arbre qui repousse.

 

2.   Dans une deuxième version, celle du « Classique des monts et des mers » (le Shanhaijing《山海经》) [1], Wu Gang ayant quitté son foyer pendant trois ans pour rechercher la voie de l’immortalité, sa femme profite de son absence pour avoir une liaison avec un petit-fils de l’empereur Yandi (炎帝)[2], Sun Boling (孙伯陵), auquel elle donne trois fils. À son retour, furieux, Wu Gang trucide l’amant, ce qui lui vaut d’être banni sur la lune par Yandi et condamné à couper l’arbre qui s’y trouve et repousse indéfiniment.

(une variante populaire ajoute que la femme avait tellement mauvaise conscience qu’elle a envoyé ses trois fils pour l’aider ; l’un s’est changé en crapaud, l’autre en lapin, on ne sait pas ce qu’est devenu le troisième, certains disent un serpent…)

 

3.   Dans une troisième version, Wu Gang entreprend de devenir immortel, mais il ne pousse aucune des pratiques à fond, alors l’empereur de Jade, furieux, l’envoie sur la lune couper l’arbre qu’il y a planté. Mais l’arbre repousse éternellement, la tâche est impossible.

Selon une variante de cette version, Wu Gang est affecté à la garde de la porte sud du ciel (Nantianmen 南天门), mais il néglige souvent cette mission car il est obsédé par Chang’e (嫦娥) qui est là, tout près, sur la lune, et qu’il rêve de rencontrer. C’est ce qui rend l’empereur de Jade furieux …

 

4.   Une quatrième version est une variante de la précédente. Wu Gang a trouvé un maître pour lui enseigner les pratiques pour devenir immortel. Mais chaque fois que son maître veut lui en enseigner une, Wu Gang abandonne au bout de quelques jours. Alors le maître l’envoie sur la lune pour l’obliger à une tâche sans fin.

 

5.   Mais l’une des sources les plus anciennes est le livre de divination Guizang () [3]. Dans un fragment de cet ouvrage, Wu Gang apparaît comme un (apprenti) immortel, voisin de Chang’e (嫦娥), enfuie (ou exilée) sur la lune après avoir volé l’élixir de l’immortalité ….

Dans certaines versions de cet autre mythe, Chang’e est condamnée à broyer sans fin les ingrédients de l’élixir, mais elle est accompagnée du Lapin de Jade (玉兔) qui le fait pour elle. En ce sens, Chang’e elle-même est condamnée à un « travail de Sisyphe ».

 

Le mythe de Wu Gang est par ailleurs associé à la fête de la mi-automne (中秋节).

 

Wu Gang et la fête de la mi-automne

 

Selon l’une des légendes, il y eut un jour une épidémie à Xianning (咸宁), dans le Hubei, qu’aucun remède local n’arrivait à soigner. Le tiers des habitants en mourut. Il y avait alors non loin de là, au pied des monts Guabang (挂榜山), un jeune homme nommé Wu Gang dont la mère était tombée malade. Comme il allait tous les jours dans la montagne chercher des herbes pour tenter de guérir sa mère, il attira l’attention de Guanyin. Elle lui apparut en rêve et lui dit qu’il y avait un arbre nommé osmanthe, dont la fleur infusée dans de l’eau guérirait sa mère. Cet arbre est dans la lune, lui dit-elle, mais, le 15 août (ou plus exactement le 15e jour du 8e mois lunaire 农历八月十五日), une échelle permettra d’y monter du sommet du mont Guabang.

 

Wu Gang monta au sommet de la montagne, et dans la nuit du 15 août parvint jusqu’à la lune où il admira les osmanthes en fleur. Il en ramassa autant qu’il put, mais ce n’était pas suffisant, alors il eut l’idée de secouer les arbres : les fleurs se répandirent sur toute la contrée, les rivières en furent embaumées, et en buvant de cette eau, les malades guérirent.

 

 

Wu Gang secouant les arbres pour faire tomber les fleurs d’osmanthe sur terre

 

 

Cependant, il ne restait plus de fleurs sur les arbres sur la lune. Or l’empereur de Jade aimait manger des gâteaux de lune parfumés à l’osmanthe (月桂花做的月饼) pour la fête de la mi-automne. Il dépêcha des émissaires pour capturer Wu Gang. Quand celui-ci lui expliqua les raisons de son geste, l’empereur fut touché, mais il fallait quand même que Wu Gang soit puni. Or, interrogé, Wu Gang exprima son vœu le plus cher : pouvoir rapporter un osmanthe sur terre. L’empereur lui répondit que s’il parvenait à en couper un, il pourrait l’emporter. Wu Gang se mit donc à couper… mais l’arbre repoussait, sans fin. Wu Gang désespéré envoie donc tous les 15 août des fleurs sur terre pour témoigner de son désir de rentrer chez lui. De la sorte, les habitants de Xianning peuvent faire du thé parfumé aux fleurs d’osmanthe et il n’y a plus d’épidémie dans toute la contrée. Xianning est surnommée « la ville aux fleurs d’osmanthe » (桂花城).

 


 


[1] Dans la partie Hainei jing (海內经), le « livre d’entre les mers ». Dans ce texte, Wu Gang est appelé Wu Quan (吴权).

[2] Empereur mythique assimilé à Shennong (神农).

[3] L’un des trois anciens livres de divination avec le Zhouyi (周易) ou Yijing et le Lianshan (連山). On n’en connais que des fragments. Il a longtemps été considéré comme un faux datant de la dynastie des Han, mais les lamelles de bambou découvertes dans une tombe du site archéologique de Wangjiatai (王家台) en 1993 ont permis de l’authentifier comme datant des Shang. Plus narratif que le Zhouyi, il comporte quelques références à des légendes.


 

     

 

 

 

 

 

     

 

 

 

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