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Chengyu : Solide
comme un roc
par
Brigitte Duzan, 25 juin 2020
Il est des chengyu qui ne posent pas de problèmes
particuliers de traduction car le français possède
une expression équivalente. L’intérêt est alors de
remonter à la source car l’origine en est souvent un
poème ou un classique qui lui donne tout son sens.
C’est le cas du chengyu « Solide comme un
roc » (jiān
rú pánshí
《坚如磐石》),
qui est |
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Jiān rú pánshí
《坚如磐石》
Calligraphie du titre du film de Zhang Yimou |
le titre chinois du film de Zhang Yimou (张艺谋)
annoncé pour 2020.
L’expression vient du yuefu « Le paon vole vers le
sud-est » (kǒngquè
dōngnán fēi
《孔雀东南飞》).
L’un des plus anciens yuefu
Les yuefu (乐府)
sont de longs poèmes narratifs (长篇叙事诗)
appartenant à la tradition orale et populaire dont les premiers
recueils ont été collectés au 2e siècle avant
Jésus-Christ, sous le règne de l’empereur Han Wudi (汉武帝).
« Le paon vole vers le sud-est » est l’un des deux plus anciens,
avec « La Ballade de Mulan » (《木兰诗》).
Anonyme, il est inclus dans l’anthologie de yuefu sans
doute la plus complète, compilée par Guo Maoqian (郭茂倩)
sous les Song. L’histoire date du début du 3e
siècle ; selon la préface de certaines éditions, le poème aurait
été inspiré par un fait divers qui se serait passé pendant l’ère
Jian’an (建安年间),
à la fin de la dynastie des Han (196-219) et aurait ému le
poète. La date de composition, cependant, est controversée, et
de nombreux arguments relevant autant des coutumes, croyances et
institutions que de la langue tendraient à le dater plutôt du
milieu du 6e siècle, ou du moins il a pu être écrit
avant, mais révisé dans sa forme définitive à cette époque-là
.
Ce yuefu est unique tant par sa longueur (plus de trois
cents vers) que par la complexité de sa ligne narrative et la
maîtrise du rythme de l’action. La construction est très serrée,
impression renforcée par la concision des vers de cinq
caractères ; chaque épisode suit le précédent rapidement et sans
hiatus. Certains détails sont notoirement impossibles - le
remariage de la jeune épouse organisé en trois jours, les
vêtements du trousseau brodés en un seul… Mais les événements
sont par ailleurs savamment connectés entre eux, souvent par
liens personnels, et la moitié de la narration est sous forme de
dialogues, ce qui ajoute à l’aspect vivant du récit qui se situe
clairement dans la tradition orale.
Le paon vole vers le sud-est |
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Le thème du poème est assez courant dans la poésie
ancienne : les malheurs d’un couple condamné par les
règles de la société confucéenne, et surtout par la
mère de l’époux. Mais il est rarement aussi bien
développé. Le poème relate l’histoire d’un jeune
homme nommé Jiao Zhongqing (焦仲卿)
obligé d’abandonner sa jeune épouse Liu Lanzhi (刘兰芝)
parce que sa mère, veuve, ne la supporte pas. La
jeune femme répudiée jure de ne jamais se remarier,
mais, contrainte par sa famille d’accepter un
nouveau mariage, elle se suicide en se jetant
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à l’eau. Peu
après, son ancien époux fait de même en se pendant à un
arbre
.
Le poème est sous-titré « Un ancien poème écrit à la
mémoire de la femme de Jiao Zhongqing » (《古诗为焦仲卿妻作》).
Le premier vers lui donne son titre, le second
montre bien la tristesse de la séparation :
孔雀东南飞,五里一徘徊
Le paon vole vers le sud-est,
mais revient sur ses pas tous les cinq li,
Le premier vers, cependant, ne prend son sens qu’à
la fin : c’est à la branche d’un arbre au sud-est du
jardin que l’époux s’est pendu.
De manière typique, il se termine par deux vers à
valeur didactique et morale : c’est une leçon pour
les futures générations, à ne pas oublier, conclut
le poète. C’est aussi une ébauche des
amants-papillons : au-dessus de la tombe des époux
malheureux, les arbres mêlent leurs feuilles, et au
milieu deux oiseaux échangent des cris. |
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La tombe des deux époux |
Traductions numérisées en ligne
En français
Le Paon, ancien poème chinois, trad. Tchang Fong, Jouve et Cie
éd., Paris, 1924, 47 p.
https://www.chineancienne.fr/traductions/le-paon-trad-tchang-fong/
En anglais
The Chinese Ballad « Southeast Fly the Peacocks”, tr. Hans H.
Frankel,
Harvard Journal of Asiatic Studies,
vol. 34 (1974), pp. 248-271 – pub. by Harvard Yenching
Institute.
https://www.jstor.org/stable/2718702?read-now=1&seq=1#page_scan_tab_contents
Le chengyu
jiān rú pánshí
《坚如磐石》
Le chengyu n’est pas tiré verbatim du poème, mais reprend en le
synthétisant ce que dit la jeune épouse à son mari en le
quittant alors qu’il est venu lui faire ses adieux en lui
promettant de lui rester éternellement fidèle :
君当作磐石,妾当作蒲苇。
蒲苇纫如丝,磐石无转移。
Tu es tel le rocher, et moi, le jonc.
Le jonc est solide comme la soie, le roc inébranlable.
D’où l’expression : solide comme un roc, inébranlable
jiān rú pánshí
《坚如磐石》
Voir les arguments exposés dans la postface à la
traduction de Hans H. Frankel.
Le seul argument probant en faveur d’une composition
datant de la fin du 3e siècle est celui
avancé par Hu Shi (胡适) :
si le poème avait été écrit sous les Dynasties du Nord
et du Sud, il reflèterait des idées, en particulier
relatives à la séparation et à la mort, caractéristiques
du bouddhisme qui était alors en plein essor, ce qui
n’est pas le cas.
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