Chengyu

 
 
 
     

 

Chengyu : Solide comme un roc

par Brigitte Duzan, 25 juin 2020

 

Il est des chengyu qui ne posent pas de problèmes particuliers de traduction car le français possède une expression équivalente. L’intérêt est alors de remonter à la source car l’origine en est souvent un poème ou un classique qui lui donne tout son sens.

 

C’est le cas du chengyu « Solide comme un roc » (jiān rú pánshí 坚如磐石), qui est

 

Jiān rú pánshí 《坚如磐石》
Calligraphie du titre du film de Zhang Yimou

le titre chinois du film de Zhang Yimou (张艺谋) annoncé pour 2020 [1].

 

L’expression vient du yuefu « Le paon vole vers le sud-est » (kǒngquè dōngnán fēi 《孔雀东南飞》).

 

L’un des plus anciens yuefu

 

Les yuefu (乐府) sont de longs poèmes narratifs (长篇叙事诗) appartenant à la tradition orale et populaire dont les premiers recueils ont été collectés au 2e siècle avant Jésus-Christ, sous le règne de l’empereur Han Wudi (汉武帝).

 

« Le paon vole vers le sud-est » est l’un des deux plus anciens, avec « La Ballade de Mulan » (《木兰诗》). Anonyme, il est inclus dans l’anthologie de yuefu sans doute la plus complète, compilée par Guo Maoqian (郭茂倩) sous les Song. L’histoire date du début du 3e siècle ; selon la préface de certaines éditions, le poème aurait été inspiré par un fait divers qui se serait passé pendant l’ère Jian’an (建安年间), à la fin de la dynastie des Han (196-219) et aurait ému le poète. La date de composition, cependant, est controversée, et de nombreux arguments relevant autant des coutumes, croyances et institutions que de la langue tendraient à le dater plutôt du milieu du 6e siècle, ou du moins il a pu être écrit avant, mais révisé dans sa forme définitive à cette époque-là [2].

 

Ce yuefu est unique tant par sa longueur (plus de trois cents vers) que par la complexité de sa ligne narrative et la maîtrise du rythme de l’action. La construction est très serrée, impression renforcée par la concision des vers de cinq caractères ; chaque épisode suit le précédent rapidement et sans hiatus. Certains détails sont notoirement impossibles - le remariage de la jeune épouse organisé en trois jours, les vêtements du trousseau brodés en un seul… Mais les événements sont par ailleurs savamment connectés entre eux, souvent par liens personnels, et la moitié de la narration est sous forme de dialogues, ce qui ajoute à l’aspect vivant du récit qui se situe clairement dans la tradition orale.

 

Le paon vole vers le sud-est

 

Le thème du poème est assez courant dans la poésie ancienne : les malheurs d’un couple condamné par les règles de la société confucéenne, et surtout par la mère de l’époux. Mais il est rarement aussi bien développé. Le poème relate l’histoire d’un jeune homme nommé Jiao Zhongqing (焦仲卿) obligé d’abandonner sa jeune épouse Liu Lanzhi (刘兰芝) parce que sa mère, veuve, ne la supporte pas. La jeune femme répudiée jure de ne jamais se remarier, mais, contrainte par sa famille d’accepter un nouveau mariage, elle se suicide en se jetant

à l’eau. Peu après, son ancien époux fait de même en se pendant à un arbre [3].

  

Le poème est sous-titré « Un ancien poème écrit à la mémoire de la femme de Jiao Zhongqing » (《古诗为焦仲卿妻作》). Le premier vers lui donne son titre, le second montre bien la tristesse de la séparation :

孔雀东南飞,五里一徘徊

Le paon vole vers le sud-est,

mais revient sur ses pas tous les cinq li,

Le premier vers, cependant, ne prend son sens qu’à la fin : c’est à la branche d’un arbre au sud-est du jardin que l’époux s’est pendu.

 

De manière typique, il se termine par deux vers à valeur didactique et morale : c’est une leçon pour les futures générations, à ne pas oublier, conclut le poète. C’est aussi une ébauche des amants-papillons : au-dessus de la tombe des époux malheureux, les arbres mêlent leurs feuilles, et au milieu deux oiseaux échangent des cris.

 

La tombe des deux époux

 


 

Traductions numérisées en ligne

 

En français 

Le Paon, ancien poème chinois, trad. Tchang Fong, Jouve et Cie éd., Paris, 1924, 47 p.

https://www.chineancienne.fr/traductions/le-paon-trad-tchang-fong/

 

En anglais

The Chinese Ballad « Southeast Fly the Peacocks”, tr. Hans H. Frankel, Harvard Journal of Asiatic Studies, vol. 34 (1974), pp. 248-271 – pub. by Harvard Yenching Institute.

https://www.jstor.org/stable/2718702?read-now=1&seq=1#page_scan_tab_contents

 


 

Le chengyu jiān rú pánshí坚如磐石

 

Le chengyu n’est pas tiré verbatim du poème, mais reprend en le synthétisant ce que dit la jeune épouse à son mari en le quittant alors qu’il est venu lui faire ses adieux en lui promettant de lui rester éternellement fidèle :

         君当作磐石,妾当作蒲苇。

蒲苇纫如丝,磐石无转移。

Tu es tel le rocher, et moi, le jonc.

Le jonc est solide comme la soie, le roc inébranlable.

 

D’où l’expression : solide comme un roc, inébranlable jiān rú pánshí 坚如磐石

 

 

 


[1] Titre anglais « Under the Light », voir : http://www.chinesemovies.com.fr/actualites_338.htm

[2] Voir les arguments exposés dans la postface à la traduction de Hans H. Frankel. Le seul argument probant en faveur d’une composition datant de la fin du 3e siècle est celui avancé par Hu Shi (胡适) : si le poème avait été écrit sous les Dynasties du Nord et du Sud, il reflèterait des idées, en particulier relatives à la séparation et à la mort, caractéristiques du bouddhisme qui était alors en plein essor, ce qui n’est pas le cas.


 

 

     

 

 

 

 

 

     

 

 

 

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