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Zhu Yiye 朱一叶

Présentation

par Brigitte Duzan, 26 décembre 2024

 

 

Zhu Yiye (photo The Paper)

 

 

Écrivaine et poétesse née en 1984, Zhu Yiye (朱一叶) vit à Yantai (烟台).

 

Le monde à découvrir…

 

Il y a quelque chose de la légende dans la vie de Zhu Yiye, telle qu’elle la raconte, ou telle qu’on la raconte : après avoir fait des études de publicité, elle a vendu des fruits et des chaussettes sur un étal dans la rue et des herbes et des épices sur internet, a travaillé dans une ferme et a passé dix mois à parcourir l’Afrique et l’Asie. Essentiellement libre et sans attaches (自由自在), elle se dit « reine de la reconversion », d’un intérêt à l’autre (自称兴趣转换大王).  

 

Mais ce n’est pas anodin, c’est une liberté de mouvement qui est aussi manière d’appréhender le monde, tel qu’il vient. En 2018 encore, alors qu’elle venait de terminer son deuxième recueil de nouvelles, elle est repartie, pensant aller voir des amis dans le Yunnan, mais prenant un vol pour Xi’an parce que c’était plus pratique et moins cher, et de là partant sur la Route de la soie à travers le Ningxia et le Gansu jusqu’au nord du Xinjiang, rejoignant des parents qui tiennent une petite boutique dans la préfecture autonome kazakh de l’Ili (伊犁哈萨克自治州), dans la prairie de Nalati (那拉提草原) [1].

 

Au bout du compte, cependant, c’est l’écriture qui est devenue son principal intérêt dans la vie.

 

…et le monde à écrire

 

Au collège, elle s’est intéressée au cinéma et a fait plusieurs films [2], mais elle a tendance aujourd’hui à minimiser cette expérience. Elle en a gardé une certaine frustration car il y avait toujours une différence entre ce qu’elle avait imaginé et le film achevé, entre le film dans sa tête et le film dans la réalité. En outre, elle s’est vite rendu compte que réaliser des films nécessite tout un matériel, et qu’il faut également pouvoir monter des équipes et les gérer. C’est très lourd. L’écriture, en comparaison, ne demande qu’un investissement très léger. En outre, là où le film fixe une image dans l’esprit du spectateur, le texte peut démultiplier dans la tête du lecteur les images suggérées par l’auteur, en jouant sur l’imagination de chacun. Et ses nouvelles le font à merveille.

 

Après son diplôme universitaire, elle a travaillé plusieurs années dans une librairie. Sans lire de manière intensive, elle vivait dans un environnement propice à la lecture, mais aussi ouvert sur le cinéma, la musique et les arts en général. Ensuite, quand elle a quitté la librairie, elle est allée vivre au bord de la mer. Elle n’avait pas d’amis et se sentait très seule. C’est alors qu’elle a commencé à écrire. 

 

Des nouvelles

 

Un jour, en 2013, elle a écrit une nouvelle pour le concours d’écriture de science-fiction de Douban Reading (豆瓣阅读征文大赛) : une nouvelle intitulée « La clé de Khazar » (《哈扎尔之匙》). L’histoire se passe dans un pays où les rêves sont gérés par une société, la société Khazar, qui a mis au point une clé pour les contrôler. Le narrateur est un homme d’une cinquantaine d’années qui tente désespérément de lutter contre la clé Khazar pour préserver son rêve d’une extraordinaire histoire d’amour avec une jeune femme. Il écrit l’histoire, à la première personne, pendant plusieurs jours d’été, très tôt le matin, au moment où ses rêves de la nuit n’ont pas encore disparu, avant qu’ils aient cédé leur place à la réalité, après quoi il revient se coucher. De la sorte, il arrive à échapper brièvement à la trivialité du quotidien en vivant cette aventure.

 

La nouvelle a eu le prix d’excellence et a été publiée en octobre 2016. C’était le pied à l’étrier. Zhu Yiye a ensuite publié deux recueils de nouvelles :

 

- « Mourir sous la patte d’un éléphant » (《死于象蹄》) en 2018. 

Ce premier recueil regroupe six nouvelles qui sont des histoires de voyage, du Kenya et d’une oasis du Sahara, au Laos et au Sinaï en passant par l’Inde et le Sri Lanka. Des histoires écrites à la première personne et inspirées par ses propres voyages : des « choses vues », mais transformées par l’écriture et l’imagination, vies fugitives observées en passant de la fenêtre d’un bus, singulières et insolites.

 

 

Mourir sous la patte d’un éléphant

 

 

- « Une fille qui mange des moineaux » (《吃麻雀的少女》)  en 2019.

Ce deuxième recueil comporte neuf nouvelles, dont celle du titre, « Une fille qui mange des moineaux », une nouvelle « moyenne » (中篇小说), ou novella, qui a été couronnée du premier prix du concours d’écriture de Douban Reading en 2018. Si le recueil précédent était inspiré des voyages de l’auteure, celui-ci reflète l’atmosphère du bord de mer où elle vit désormais.

 

 

Une fille qui mange des moineaux

 

 

La plupart de ces nouvelles sont écrites du point de vue d’un enfant, toujours à la première personne (pour ne pas avoir à inventer un nom, dit-elle), et reflètent des expériences amères, voire cruelles, ou cauchemardesques. C’est le style, cependant, qui en fait tout l’intérêt et le charme : incisif, allusif et plein d’humour, mais un humour froid qui fait parfois frémir rétrospectivement.

 

Elle dit avoir jusqu’ici écrit surtout des nouvelles car c’est ainsi que le veut la vie de ses personnages, leur histoire propre, née d’une chanson, d’une odeur, d’une scène spécifique, pour aller jusqu’à sa conclusion naturelle. Le plus long qu’elle ait écrit, dans ces deux premières publications, est la novella « À la recherche d’Annie » (《寻找安妮》) qui conclut le premier recueil et qui fait 50 000 caractères – une histoire où elle a transcrit sa découverte de la peur, la peur comme un chien noir, dit-elle en se référant au roman de Ian McEwan.

 

Fiction plutôt que non-fiction

 

Elle aurait aussi de quoi écrire de la non-fiction, comme les « choses vues » de Victor Hugo, justement. Quand elle essaie, cependant, elle finit toujours par écrire une nouvelle car les événements, dans la réalité, n’ont pas de logique propre, mais ils ont leurs contraintes. Elle se sent donc bien plus libre dans la fiction. Les quelques notes de voyage qu’elle a écrites sont en fait reprises de ses nouvelles.

 

Elle ne cherche pas non plus à écrire une satire sociale ou à transmettre un message. Elle écrit des histoires. Ce qui, il y a peu encore, occupait une petite partie de son temps, mais a pris bien plus d’importance depuis qu’elle a trouvé de bons éditeurs : elle se sent – dit-elle – « comme une semence fragile qui a rencontré un bon jardinier » (像一个脆弱的小苗遇见了好园丁)[3].

 


 

Traductions en anglais

par Liuyu Ivy Chen

 

Nouvelles

A Girl Who Likes to Dump Trash 《爱好倒垃圾的人》, Washington Square Review, Issue 46, Spring 2021.

Sea Wind on a Bald Head 《海风吹过秃顶》, Los Angeles Review of Books China Channel, Dec. 2019.

A Girl Who Eats Sparrows, LIT Magazine (LIT 杂志》). Extraits.

 

Poèmes

Toy Street (玩具街道), écrit à Hue, Vietnam, octobre 2013. The Margins, AAWW, juillet 2022

Five poems (textes originaux), écrits à Mawlamyine, Myanmar, décembre 2013. Spittoon magazine, April 2021

 

 


[1] Selon son interview avec The Paper (31.12.2018)

[2] Dont un film de 2006 qui s’inscrit dans la brève émergence de films queer en Chine : LaLaLa/Lost in You (《啦啦啦》). Zhu Yiye campe une jeune étudiante née avec une tache de naissance sur le visage, ce qui lui donne de terribles complexes et une sensibilité à fleur de peau ; une de ses camarades, devenue son amie, se met en devoir de la protéger, mais leur relation, qu’elles-mêmes peinent à définir, devient la cible des critiques, y compris des professeurs. Ce que Zhu Yiye montre surtout, c’est la difficulté de vivre et de trouver ses marques propres dans un monde hostile qui n’est pas prêt à accepter des scénarios de vies différents des normes établies.

 

 

LaLaLa/Lost in You

 

 

De manière significative, si le film de Zhu Yiye a été critiqué pour ses défauts, il est souvent rapproché de celui de Li Yu (李玉) sorti cinq ans plus tôt : « Fish and Elephant » (《今年夏天》).

Voir par exemple l’article de 2012 de Liang Shi : Contextualizing Chinese Lesbian Cinema

Zhu Yiye a fait en 2008 un autre film avec la même actrice, qui semble être la suite du précédent, mais dans un registre plus onirique : « Love Mime » (《小树的夏天》) – littéralement « L’été de Xiaoshu », mais avec un jeu de mots sur les deux termes du titre, qui sont les noms des deux personnages.
Ses films ont disparu avec le cinéma queer lui-même, dans un paysage cinématographique chinois « harmonisé ». La « reconversion » de Zhu Yiye dans le domaine de l’écriture ne semble pas due seulement à des problèmes de maîtrise technique.

[3] Selon l’interview du Paper citée ci-dessus.

 

     

 

 

 

 

     

 

 

 

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