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Zhu Wenying 朱文颖

Présentation

par Brigitte Duzan, 21 mai 2024

 

 

Zhu Wenying

 

 

Née en 1971 à Shanghai mais vivant à Suzhou depuis 1978, Zhu Wenying est l’une des écrivaines chinoises représentatives de la génération dite « post’70 », et plus spécialement de la culture du Jiangnan (江南), ce « sud du fleuve » qui a été un foyer culturel dès la dynastie des Han. En ce sens, elle peut être considérée comme une nouvelle incarnation de « l’esprit des ruelles » (小巷精神) des écrivains de Suzhou, Lu Wenfu (陆文夫) en tête. Membre de l’Association des écrivains chinois, elle est vice-présidente de l’Association des écrivains de Suzhou (苏州市作家协会副主席).

 

Écrivaine de Suzhou

 

Elle a fait des études d'économie puis de littérature et a d’abord travaillé dans le domaine du commerce extérieur avant d’entrer dans une agence de presse à Suzhou. Elle a commencé à écrire en 1996.

 

Se perdre pour écrire

 

On lui a souvent demandé si, ayant d’abord fait des études d’économie, elle n’avait pas le sentiment d’avoir des bases plus fragiles que d’autres pour écrire. Elle répond par la phrase de Lu Xun, comme une boutade : « La vie commence par l’apprentissage confus de la lecture. » (人生识字糊涂始。)[1].  Surtout, elle souligne combien a été important pour elle, comme pour beaucoup d’autres écrivains de sa génération, le fond de contes et légendes populaires compensant dans les campagnes l’ignorance des paysans et leur manque de lecture. En fait, elle lit beaucoup, mais seulement ce qui la concerne, ce qui la touche.

 

Elle a d’abord écrit des nouvelles, puis des romans à partir de 2001. Son écriture a évolué depuis le début des années 2000 et elle s’en est elle-même expliqué dans un recueil d’essais publié en 2008 aux éditions de l’Association des écrivains intitulé « Dix ans en onze chapitres » (《十年十一章》) : onze courts essais exprimant le sens qu’a pour elle la littérature, ses inspirations et ses influences, ses idées sur l’amour et la musique, sur le passage du temps et son effet sur l’évolution de son écriture et sa personnalité d’écrivaine. Elle souligne combien l’écriture est pour elle un univers où se perdre :

真实的写作,其实是需要失去理智的。需要失控。真正的失控。只有这样,人才有勇气道出真伪,写出如履薄冰的东西……”

En fait, écrire nécessite de perdre toute sa raison, de perdre le contrôle de soi, de le perdre véritablement. Ce n’est qu’ainsi que l’on peut avoir le courage de dire la vérité et de l’écrire. C’est comme marcher sur une fine couche de glace.

 

De la culture du Jiangnan à la peinture de la vie urbaine

 

On voit son écriture et sa thématique évoluer de roman en roman : « Chaussures à talons » (《高跟鞋》), en 2001, se passe à Shanghai et décrit la vie de deux étudiantes au milieu des bouleversements des années 1980 et 1990 ; « Madame Dai et Bleue » (《戴女士与蓝》), publié en avril 2004, est un récit écrit à la première personne et conté par un narrateur masculin qui raconte sa vie au Japon, puis son retour à Shanghai, et ses relations avec deux femmes, l’une rencontrée au Japon restant un mystère ; « Le tout petit Sud de la tante Lily » (《莉莉姨妈的细小南方》), en avril 2011, est suivi en janvier 2012 de « Mariage lacustre » (水姻缘) qui sont tous deux un hommage au Jiangnan, à la culture du « sud ».

 

 

Chaussures à talons

 

 

 

Madame Dai et Bleue  Dai nüshi yu lan, éd. 2014

 

 

Zhang Qinghua (张清华), professeur à l’Université normale de Pékin, a écrit un essai sur la nouvelle « Le tout petit Sud de la tante Lily » intitulé « Infinie petite tristesse du Sud » (南方的小无尽愁) : en juxtaposant la petite et la grande histoire par le biais de la tante Lily et d’une narration à la première personne, cette nouvelle, selon lui, donne une version personnelle de l’histoire culturelle du Jiangnan dans le contexte spécifique de Suzhou.

 

 

Aunt Lily’s Little South, éd. 2022

 

 

« Mariage lacustre » a été particulièrement bien reçu par la critique. Ainsi, toujours selon Zhang Qinghua, ce roman peut être, en un sens, considéré comme le complément du « Chant des regrets éternels » (《长恨歌》) de Wang Anyi (王安忆) ; il dépeint en effet l’histoire moderne de Shanghai (ville à laquelle Zhu Wenying est attachée car c’est la ville de sa mère), de même que « Le petit Sud de tante Lily » contribue à l’écriture d’une histoire moderne de Suzhou (某种意义上,如果说《长恨歌》式的作品构造了现代史中的上海的话,那么《莉莉姨妈的细小南方》则构造了当代史中的苏州)

 

 

Shengming bànlü

 

 

Mais Zhu Wenying est aujourd’hui passée à la peinture de la vie urbaine. Son dernier recueil de nouvelles, publié en 2021, est représentatif de l’orientation actuelle de sa thématique et de son style : « Somebody Is Coming » (有人将至) a pour thème principal la dépression, la souffrance mentale et émotionnelle de femmes dans la Chine urbaine d’aujourd’hui, ainsi que les désirs cachés et le vide qui en résulte.

 

Un séminaire sur son œuvre

 

En décembre 2021, l’Association des écrivains du Jiangsu et la maison d’édition Phoenix Publishing and Media ont organisé à Nankin un séminaire sur l’œuvre de Zhu Wenying, avec la participation de Li Jingze (李敬泽), vice-président et secrétaire de l’Association des écrivains chinois, Bi Feiyu (毕飞宇), vice-président de l’Association des écrivains chinois et président de la branche du Jiangsu, et une vingtaine d’autres personnalités littéraires et politiques[2].  Discussions riches et approfondies dont on retiendra quelques-unes venant éclairer l’œuvre sous des jours particuliers.

 

Zhang Qinghua (张庆华), déjà cité, a souligné l’importance de l’espace dans les récits de Zhu Wenying : espace des hôpitaux et cliniques psychiatriques où se passent nombre de ses récits récents. En prenant l’exemple de la nouvelle « La pendule nocturne marquant les minutes » (《分夜钟》) , il a montré que la clinique psychiatrique est pleine de secrets ; que chacun semble être un patient ; qu’il y a une relation inversée entre le directeur et le patient et une relation spécifique entre la maladie mentale et les phénomènes naturels, le lac, la pluie, l’orage pouvant devenir rêve et produisant une relation symbolique profonde.

 

Mais Zhang Li (张莉), professeure également à l’Université normale de Pékin, voit l’espace (spatial et temporel) dans les récits de Zhu Wenying comme un mécanisme, un dispositif émotionnel, lié à un sentiment d’illusion et de leurre formant l’élément moteur de l’intrigue.

 

Xu Kun (徐坤), rédactrice en chef de la revue littéraire Xiaoshuo xuankan (《小说选刊》), se rappelle avoir participé à des réunions du Pen Club avec Zhu Wenying au début des années 2000 : elle portait un qipao, des lunettes cerclées de noir et des talons hauts, comme sortie d’une de ses nouvelles – et rappelant aussi Zhang Ailing.... Ses héroïnes sont en errance, dans le silence et la solitude, en proie à un sentiment de vide parce que la rue de leur enfance a disparu, avec la maison, l’école, le vieux murier de la cour… mais pour affronter le futur, on a besoin de mémoire pour se raccrocher à quelque chose de plus ou moins stable dans un monde en perpétuel changement. C’est ce que recherche Zhu Wenying dans ses récits.

 

Pour He Ping (何平), professeur à l’Université normale de Nankin, Zhu Wenying représente une nouvelle génération de littérature urbaine chinoise. Il note une évolution de son écriture à partir de 2008 : abandonnant l’accent mis sur la petite bourgeoisie urbaine, elle est passée directement de la jeunesse à l’âge mur, avec un ton plus acerbe, en écho à un monde spirituel sombre, comme son roman récent, publié en juillet 2023 : « Voyage nocturne dans les profondeurs de la mer » (《深海夜航》).

 

 

Voyage nocturne dans les profondeurs de la mer

 

 

Ce roman se déroule dans une petite ville au sud du Yangtsé, et a pour principaux protagonistes un couple d’âge mûr : un historien et son épouse, artiste interprète de pingtan (评弹)[3], qui ont un enfant autiste. Le roman oppose la réalité sociale et les événements historiques passés, en explorant l’impact de la globalisation sur la culture locale. À une époque riche en désastres et changements de toutes sortes, Zhu Wenying tente de faire prévaloir l’idée que :

 

所有乱象都指向一个新时代,悲观无用,不如思考蓝图,闯过布满暗礁的海。

Tout phénomène de chaos indique une ère nouvelle. Le pessimisme ne sert à rien, il vaut mieux réfléchir et faire des plans,  pour traverser cette mer pleine d’écueils.

 


 

 À lire en complément

 

« Onze chapitres », vingt ans après…

 


 

Publications

 

Recueils de nouvelles

 

2001 : Hua sha花杀

2014 : Ningshi Malina 凝视玛丽娜

2020 : Shengming bànlü《生命伴侣》(Un compagnon pour la vie), recueil de dix nouvelles.

Introduction / Précipice 悬崖 / Une ville de cours intérieures 庭院之城 / En regardant fixement Marina 凝视玛丽娜 / Muet / Compagnon pour la vie 生命伴侣 / Le canari 金丝雀 / Le Hall Wuliang pendant l’ère Wanli 万历年间的无梁殿 / Vie flottante 浮生 / Doubles pupilles 重瞳 / Prospérité 繁华.

2021 : You ren jiang zhi  有人将至(Quelqu’un arrive)

 

Romans

Août 2001 : Chaussures à talons  Gaogen xie 《高跟鞋》

Avril 2004 / rééd. 2014 : Madame Dai et Bleue  Dai nüshi yu lan 《戴女士与蓝》

Avril 2011/rééd. 2021 : Le tout petit Sud de la tante Lily

                                      Lili yima de xixiao nanfang《莉莉姨妈的细小南方》

Janvier 2012 : Mariage lacustre Shuiyin yuan 水姻缘 (comportant aussi « Chaussures à talons »)

Juillet 2023 :  Voyage nocturne dans les profondeurs de la mer Shenhai yèháng《深海夜航》

 


 

Traduction en français

 

- L’incontournable histoire, trad. Catherine Grillot, Bleu de Chine, coll. « Chine en poche », 2004

Shanghai, années 1930. Un grand-père est au centre d’un drame familial, personnage antipathique que fuient ses propres enfants. Récit présenté comme une enquête par une narratrice à la recherche de ses racines, mais aussi exploration cathartique et réflexion sur l’imagination voire le mensonge dans une telle narration biographique.

 

 


[2] Le séminaire a fait l’objet d’un rapport détaillé publié sur le site de l’Association des écrivains :

https://www.jszjw.com/wap/topnews/20211229/1640827687377.shtml

[3] Forme de récit en musique (shuochang 说唱) relevant de la tradition narrative et musicale de la région de Suzhou dont les origines remontent à la dynastie des Song mais qui s’est surtout développé à partir du milieu du 19e siècle. Le chant est accompagné au pipa (琵琶) ou au sanxian (三弦) et rythmé par les claquettes de bois.

 

     

 

 

 

 

     

 

 

 

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