Zhang Tianyi
张天翼
Présentation
par
Brigitte Duzan, 5 juin 2024
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Zhang
Tianyi |
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Zhang
Tianyi (张天翼)
est une jeune écrivaine, née à Tianjin en 1984, qui vit
aujourd’hui à Pékin et a commencé à publier au début des
années 2010.
Essais et nouvelles
Également
critique cinématographique, elle a d’abord publié des essais
sanwen (散文),
initialement sous le nom de plume Nalan Miaoshu (纳兰妙殊).
Puis, elle a écrit des nouvelles dont le premier recueil a
été publié en août 2015 : « La boîte de sucre brun » (《黑糖匣》).
Sa
nouvelle « Accro aux baisers » (《吻瘾者》)
a été adaptée au cinéma ; le film éponyme, « The Kiss
Addict », premier long métrage de Li Yanning (李燕宁),
est sorti en Chine en septembre 2018 sans susciter beaucoup
d’intérêt ni pour le film ni pour le réalisateur.
En
revanche, son recueil de nouvelles publié en juin 2020,
« Lutter contre le feu » (《扑火》),
a été salué par la critique, comme une sorte de recueil de
contes de fées chinois pour adultes dans le style d’Angela
Carter, mais aussi bien de Villiers de l’Isle-Adam, une
sorte de mille et une nuits postmoderne avec robots et ados.
C’est une réflexion sur la vie dans le monde moderne à
travers les histoires aussi tristes qu’absurdes de deux
handicapés et onze personnages excentriques – la réalité
au-delà des apparences les plus bizarres, avec toujours la
quête d’amour et les aspirations inabouties.
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Lutter contre le feu
(2020) |
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Ces
nouvelles ont apporté une première notoriété à Zhang Tianyi,
mais c’est son recueil « Comme la neige, comme les
montagnes » (《如雪如山》),
publié en avril 2022 aux éditions Littérature du peuple (人民文学出版社),
qui l’a propulsée dans la sphère médiatique. Il a figuré
dans la première sélection du
prix Blancpain-Imaginist 2022
et, la même année, a obtenu le prix du jury Pageone.
Il est arrivé en tête de la sélection Douban 2022 de
littérature chinoise de fiction.
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Comme la neige, comme
les montagnes (2022) |
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Comme la neige, comme les montagnes
Il s’agit
d’un recueil de sept nouvelles d’un style totalement
différent, résolument réaliste. Chacune a pour personnage
principal une femme dont le prénom se prononce Lili. Ce que
l’auteure explique dans sa postface (Xueshan yu baihe
雪山与百合,
les montagnes enneigées et les lis) :
“丽丽”在我国是太常见的名字,曾有一个重名概率最高的名字榜单,前二十强里有两个丽,一个张丽,一个王丽。我认识三个叫张丽的女性。我猜,任意选一幢楼,对之高喊“丽丽”,一定会有人应声探出头来。我亲爱的读者,你一定也认识一个张丽或王丽。你也一定遇见过她们:在医院中怀抱婴儿、正为产后抑郁症所苦的她跟你擦肩而过,在微博热帖里你读过她惨死于未婚夫之手的报道。她是住你家隔壁的早熟小姑娘,也是春运火车上坐你对面的恬静女学生.
« Lili » est un nom extrêmement courant dans notre pays. Il
y a quelques temps, on a fait un classement des noms les
plus répandus et deux noms avec « Li » sont arrivés dans les
vingt premiers : Zhang Li et Wang Li. Personnellement, je
connais trois Wang Lis. Je suis sûre que l’on peut choisir
un immeuble au hasard et crier « Lili », quelqu’un va
répondre et sortir sa tête. Toi, cher lecteur, tu connais
aussi certainement une Wang Li ou une Zhang Li. Tu les as
forcément rencontrées : tu l’as croisée à l’hôpital, un bébé
dans les bras, luttant contre une dépression post-partum ;
tu as lu un reportage sur sa mort horrible aux mains de son
compagnon dans un hashtag
#
hot de Weibo ; c’est la petite fille des voisins qui a
grandi trop vite ; et c’est aussi l’étudiante très sage qui
était assise en face de toi dans le train pendant la ruée de
la fête du Printemps.
Lili
représente ainsi symboliquement la femme chinoise. On
trouvait déjà le nom, écrit avec des caractères différents (《荔荔》),
dans le titre d’une novella (ou nouvelle moyenne)
initialement publiée en juin 2012, puis rééditée dans un
recueil en 2017. L’idée, donc, était déjà là.
Les
histoires de toutes ces femmes n’ont pas l’ambition d’être
parfaitement représentatives, mais elles sont typiques et
piétinent allègrement les tabous, des agressions sexuelles à
l’homosexualité et jusqu’à la peine de mort. Zhang Tianyi
dénonce tout autant la persistance de structures
patriarcales et d’une société misogyne que le fossé
villes-campagne, voire le racisme latent.
Le recueil
est une série de portraits apparemment quelconques, mais
qui, mis bout à bout, dressent un tableau acerbe de la
société chinoise d’aujourd’hui, vue par un regard féminin
posé au ras du sol. Le premier récit, « Je veux juste
m’asseoir » (我只想坐下),
est la description d’un voyage en train de deux jours, pour
les fêtes du Nouvel An ; « Les montagnes enneigées » (雪山)
relate simplement une virée au supermarché pour acheter des
chaussettes, et « Le sel du printemps » (春之盐)
se passe pendant le mois dit yuezi (月子),
c’est-à-dire la période traditionnelle de confinement d’une
femme après un accouchement. Rien n’est appuyé ; c’est un
reflet de la culture matérielle populaire, consumériste sans
état d’âme, qui affecte directement les femmes.
La
narration est volontairement simple, mais le regard est
acéré et le trait souvent incisif : ainsi, regarder un
supermarché d’en haut donne l’impression d’observer un lac
sans fond… sans fond comme la misogynie, le désir constant
de sortir de son rang, de monter en grade, en se moulant
dans les modes, dans un monde où tout se règle par WeChat
Pay et où le téléphone est roi avec ses applis décérébrées,
Douyin et autres. Les Lili de Zhang Tianyi, malgré tout,
étonnent par leur liberté. Le gouvernement chinois aura bien
du mal à les faire rentrer dans le rang et refaire des
enfants.
Les
critiques ont adoubé Zhang Tianyi, Li Jingze (李敬泽)
en tête,
mais plus, pour l’instant, pour son style fantastique que
pour sa reconversion dans le réalisme du quotidien.