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Yang
Benfen |
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Yang
Benfen (杨本芬)
est une écrivaine étonnante : elle a soudain fait parler
d’elle en 2020, à l’âge de 80 ans, en publiant son premier
roman (autobiographique), aussitôt devenu un bestseller.
Elle en a depuis lors publié trois autres qui ont rencontré
le même succès.
Elle a
vécu longtemps dans le Jiangxi, dans le sud de la Chine,
avant d’arriver à Nankin à l’âge de 60 ans pour vivre chez
sa deuxième fille, Zhang Hong (章红),
et, comme beaucoup d’autres, s’occuper de sa petite-fille
pour que sa fille puisse travailler. La différence, en ce
qui la concerne, est qu’elle préfère la lecture et
l’écriture aux danses dans les parcs et aux parties de
mahjong ou de cartes.
2020 : Jardin d’automne
Poussée
par sa fille, elle a voulu rendre hommage à sa mère, morte
en 2003, à l’âge de 89 ans, pour que son souvenir et ceux de
son époque ne soient pas oubliés. « Jardin d’automne » (Qiu
yuan《秋园》)
est cet hommage, écrit sur le coin de la table de la
cuisine, entre l’évier, la cuisinière et le réfrigérateur.
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Jardin d’automne Qiu
yuan |
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Elle a dit
avoir trouvé l’inspiration initiale dans un récit de Zheng
Shiping (郑世平),
autrement dit
Tujia Yefu
(土家野夫)
: « Ma mère disparue dans le fleuve » (《江上的母亲》),
écrit en hommage à sa mère qui s’est noyée après avoir été
persécutée. Yang Benfen a alors brusquement eu l’intuition
qu’elle pouvait, elle aussi, écrire ses souvenirs de sa
mère, née à Luoyang en 1914, trois ans après la chute de la
dernière dynastie impériale. Très bonne élève, elle n’a pu
continuer ses études car elle a été mariée à un jeune
officier du Guomingdang. Sa vie est un reflet des
bouleversements de l’époque et des conditions de vie : son
fils cadet est mort de pneumonie à l’âge de 13 mois, sa
fille cadette de dysenterie et son deuxième fils noyé ;
quant à son mari, il est mort de faim, persécuté dans les
années 1950.
Yang
Benfen a terminé un premier jet de plus de cent mille
caractères en 2007. Fascinée par le récit de sa mère, sa
fille, qui est elle-même une fervente lectrice, diplômée de
littérature chinoise de l’université de Nankin et auteure de
livres pour enfants, l’a aidée à le publier sur internet
deux ans plus tard. Les messages d’intérêt et de soutien se
sont multipliés. Mais ce n’est malgré tout que dix ans plus
tard, en 2019, que le récit sérialisé sur internet a attiré
l’attention d’une maison d’édition qui a décidé de publier
le livre, sorti en juin 2020. Ce fut le succès : 90 000
exemplaires vendus !.
Ce que
raconte Yang Benfen, ce sont des souvenirs que partagent des
millions de femmes de son âge qui ont connu des vies très
semblables. Née en 1940 à Xiangyin, dans le Hunan (湖南湘阴),
elle était l’aînée de la famille ; comme son père était
malade, elle dut quitter l’école pour aider sa mère, n’y
revint qu’à l’âge de 11 ans, mais réussit à entrer à 17 ans
dans une école technique du Hunan, lisant avec passion sous
les couvertures avec une lampe électrique. Elle fut
rattrapée par le passé de son père qui avait servi le
Guomingdang. Envoyée dans le Jiangxi, elle s’est mariée
parce que son mari lui promettait qu’elle pourrait continuer
ses études, mais ces espoirs ont été anéantis quand elle a
donné naissance à trois enfants à la suite. En 1972, elle
obtint un travail dans une compagnie de transport routier où
elle a travaillé jusqu’à sa retraite.
Elle
gardera l’éternel regret de ne pas avoir pu faire d’études
et de ne pas avoir connu l’amour, celui qu’elle lisait dans
les romans étrangers interdits qu’elle lisait en fraude… Son
désir le plus grand était de pouvoir envoyer ses trois
enfants à l’université, ce qu’elle a réussi à faire.
Si ses
souvenirs touchent, c’est qu’ils sont en outre écrits dans
une langue simple et directe, tout en fourmillant de détails
pittoresques rapportés dans l’un des dialectes du Guangxi.
Elle participe du mouvement actuel en Chine de retour
nostalgique vers le passé, y compris au cinéma. Il s’agit de
noter la vie telle qu’elle était avant que tout cela
disparaisse. D’où le succès de ses livres, dans un pays à la
mémoire incertaine, voire interdite.
2021 : Bois flottant
Yan Benfen
a continué et écrit deux autres livres de souvenirs,
fragmentés et fluctuants. Le second, « Bois flottant » (Fu
mu《浮木》),
est la suite directe du premier, publié en mars 2021. « Je
suis comme un bout de bois à la dérive, emporté par le
courant » dit-elle. Les gens dont elle parle sont morts, ce
sont comme des fantômes qu’elle fait revivre. Suite directe,
certes, mais construction originale.
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Bois à la dérive Fu
mu |
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Ce
deuxième livre est en trois parties. La première est écrite
comme un journal intime, à la première personne, avec les
dates exactes des naissances et des morts qu’elle évoque.
La seconde partie ressemble plus à un recueil de nouvelles
de fiction. Les voisins deviennent des personnages de
fiction, la chronologie est floue, bien des paragraphes
commencent par « Un jour… ». Dans la troisième partie,
enfin, Yang Benfen note les souvenirs concernant les
générations suivantes, enfants et petits-enfants. La
chronologie est rétablie. Son regard a changé d’orientation,
mais son besoin d’écrire n’en a pas changé pour autant.
2022 : Je suis une riche senteur
Elle a
complété sa trilogie de souvenirs avec un troisième
roman publié en février 2022: « Je suis une riche senteur »
(Wo ben fen fang《我本芬芳》),
un jeu de mots sur son nom. Dans ce roman, elle raconte, à
la troisième personne, un mariage chaotique et malheureux,
puis raconte sa propre expérience. Elle dépeint les
difficultés d’un couple ; la femme, qui avait des problèmes,
s’est mariée pour les résoudre, sans prendre en
considération ni contexte familial, ni éducation, ni
intérêts personnels. Cet arrangement de circonstance a
entraîné frustrations, amertume, haine et désespoir. C’est
un prototype du mariage traditionnel conclu dans le passé.
Les deux époux se parlent à peine, et ne s’adressent guère
la parole que quand ils se disputent. Le roman doit une
grande partie de son succès aux détails originaux sur la vie
quotidienne.
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Je
suis une riche senteur Wo
ben fen fang |
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Yang
Benfen a désormais délaissé la plume pour écrire à
l’ordinateur, mais son temps d’écriture est limité par les
obligations familiales au quotidien, le temps qu’elle doit
consacrer à son mari qui perd la mémoire, outre sa
petite-fille. Elle prépare cependant son quatrième livre…
Yang
Benfen en images :
https://www.dailymotion.com/video/x8a99gx
Photos de
famille :
http://www.xinhuanet.com/culturepro/20220222/7b3399a34de946c99db2696554d82166/c.html
2023 : Le thé aux haricots et graines de sésame
Alors que
ses précédents livres caracolent en tête des bestsellers
avec plus d’un million d’exemplaires édités fin 2023 et
qu’elle est devenue incroyablement populaire dans toute la
Chine,
Yang Benfen a publié un quatrième livre de souvenirs en
octobre 2023 : « Le thé aux haricots et graines de sésame »
(Dòuzi
zhīma chá《豆子芝麻茶》),
consacré aux personnes qu’elle a rencontrées et connues dans
sa vie, camarades de classe et collègues outre la famille.
Ce thé est une boisson traditionnelle dans son Hunan natal,
c’est ce qu’on offre aux invités et hôtes de passage.
Ce nouveau livre est donc comme une tasse de thé offerte à
ses lecteurs.
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Le thé aux haricots et
graines de sésame (photo China Daily) |
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Les
personnages dont elle parle sont en priorité, comme
auparavant, des femmes du peuple, ordinaires et anonymes,
ces femmes dont la littérature chinoise a jusqu’ici trop peu
parlé car il est facile de les ignorer. Elle a juste étendu
le cercle au-delà de sa proche famille.
Le livre
est en deux parties : « Mariages du passé » (过去的婚姻)
et « Les limites de la douleur » (伤心的极限).
Dans la première partie, elle relate l’histoire de trois
femmes qui représentent ce que peut avoir de misérable,
voire cruel, le sort des femmes du peuple en Chine, surtout
à la campagne : l’une, la vieille Qin (秦老太),
est une vieille femme qui ramasse des ordures ; la deuxième,
Xiangjun (湘君),
victime de violence domestique, n’a jamais réussi à y
échapper ; et la troisième, Donglian (冬莲),
est une paysanne qui s’est retrouvée veuve très jeune. Ce
sont trois cas typiques, quasiment emblématiques, de vies
féminines faites de malheurs récurrents et d’une formidable
résilience face aux épreuves.
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Yang Benfen en 2023 chez
elle à Nanchang, Jiangxi
(photo China
Daily) |
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La
deuxième partie est consacrée à la mort de la mère et du
frère aîné de l’écrivaine, comme si la première partie était
là pour fixer une toile de fond et replacer la douleur de
l’auteure au sein d’un tableau plus général de misère
affective et matérielle. Décrivant le dernier mois de la vie
de sa mère (à laquelle le premier livre rendait déjà
hommage), elle revient sur les difficultés familiales, son
frère et elle ayant été obligés de travailler jeunes pour
aider leur mère à subvenir aux besoins de la famille. Le
livre est sous-titré « Dernier bavardage avec ma mère » (和妈妈的最后絮叨).
Yang
Benfen a aujourd’hui une santé précaire. Une opération ratée
du genou il y a quelques années l’a laissée en proie à des
douleurs qui l’obligent à prendre régulièrement des
analgésiques. Et comme ceux-ci ont des effets secondaires
qui affectent sa vue, elle ne peut plus passer autant de
temps qu’auparavant à écrire. Finalement, la résistance à la
douleur est devenu un autre mode de résilience, une autre
preuve de volonté de vivre malgré tout, en écrivant.
Publications
2020
Jardin d’automne Qiu yuan
《秋园》
2021 Bois
à la dérive Fu mu《浮木》
2022 Je
suis une riche senteur Wo ben fen fang
《我本芬芳》
2023 Le
thé aux graines de sésame
Dòuzi
zhīma chá《豆子芝麻茶》
Selon les chiffres de ventes début mai 2022.