|
Xie Daoyun
謝道韞
(谢道韫)
Vers 334-après 402
Poétesse de la
période des Six Dynasties
par Brigitte Duzan, 30 juillet 2019
Célèbre poétesse et calligraphe, Xie Daoyun a vécu
au 4e siècle, pendant la période de
division dite des Six Dynasties (六朝)
qui suivit la chute de la dynastie des Han en 220.
C’est une période de troubles politiques, mais, en
même temps, de nombreuses avancées et inventions
dans divers domaines scientifiques ainsi que d’un
étonnant épanouissement de la poésie et des lettres
dans le sud.
Femme de lettres parmi les lettrés
Xie Daoyun a vécu sous la dynastie des Jin de l’Est
(东晋)
qui a succédé aux Jin de l’Ouest, de 317 à 420, dans
la moitié sud de la Chine, alors que le nord était
tombé aux mains de peuples non chinois. Elle est née
un peu avant 340 dans ce qui est aujourd’hui le
Henan, dans une famille qui comptait des personnages
politiques et militaires importants, piliers de la
dynastie des Jin orientaux. |
|
Xie Daoyun |
Son père, Xie Yi (谢奕),
était un général venu du nord après la chute de la dynastie
des Han. Elle était aussi la sœur du général Xie Xuan (謝玄),
l’un des vainqueurs de la bataille de la rivière Fei (淝水之战),
bataille décisive qui, en 383, a scellé la survie de la
dynastie des Jin.
Mais Xie Daoyun était surtout la nièce du lettré Xie An (謝安),
stratège politique et éminent homme d’Etat, nommé premier
ministre en 375 du jeune empereur Xiao Wu, puis, après la
bataille de la rivière Fei où se sont illustrés son frère et son
neveu Xie Xuan, Grand Protecteur de la dynastie. Il était très
proche de son frère Xie Yi dans la famille duquel il avait
grandi. Après la mort de Xie Yi, Xie Daoyun est allée vivre dans
sa famille et a bénéficié de son enseignement, comme les autres
enfants.
Ce grand lettré animait par ailleurs tout un cercle de poètes et
de calligraphes, reflétant, comme l’a dit Jacques Gernet dans
« Le Monde chinois »,
« l’indépendance
et la liberté d’esprit, l’horreur des conventions et la passion
de l’art pour l’art caractéristiques de toute l’époque troublée
qui s’étend du 3e au 6e siècle, »
mais surtout dans la Chine du Yangzi « aristocratique et
raffinée, avec ses cénacles, ses ermitages et sa vie de Cour. »
Préface au recueil du pavillon des
Orchidées
(copie de l’époque Tang de Feng Chengsu 冯承素) |
|
C’est lors d’une excursion au site célèbre du
pavillon des Orchidées (兰亭),
près de Shaoxing, que, pour la fête du Printemps de
l’année 353, Xie An organisa une fête restée
célèbre : chacun des trente-six participants
devaient participer à un concours dont le gage était
l’obligation de composer un poème et de boire une
coupe de vin dans un laps de temps déterminé. A la
fin de la journée, les participants avaient |
ainsi composé trente-sept
poèmes. C’est alors que le célèbre calligraphe Wang Xizhi (王羲之)
qui participait à la fête composa une préface pour le
recueil. Les poèmes sont perdus, mais il nous reste la
préface, restée célèbre dans l’histoire sous le titre de
« Préface au recueil du pavillon des Orchidées » (Lantingji
xu
《兰亭集序》).
C’est aussi un modèle de calligraphie dite courante ou
semi-cursive (xingshu
行书),
inspirée par les libations de la fête
.
C’est à des fêtes poétiques semblables que Xie An
invitait ses enfants, neveux et nièces, et en
particulier Xie Daoyun, sa préférée. Le recueil
compilé vers 430 par Liu Yiqing (刘义庆)
« Nouvelle anecdotes et menus propos sur le monde »
(Shishuo xinyu《世说新语》)
rapporte une anecdote qui a contribué à asseoir la
réputation d’enfant prodige de Xie Daoyun. L’oncle
avait invité les enfants à composer un poème
évoquant de |
|
Le Shishuo xinyu |
manière symbolique la neige qui venait de commencer à
tomber. Son neveu Xie Lang (谢朗)
écrivit :
“撒盐空中差可拟”
san yan kong zhong cha ke ni
Du sel saupoudré dans les airs, dirait-on presque…
A quoi sa cousine répondit du tac au tac :
“未若柳絮因风起”
wei ruo liu xu yin feng qi
Non, plutôt des chatons de saule emportés par le vent
Cai Wenji |
|
On ne pouvait imaginer plus brillant. Le chaton de
saule est devenu le symbole de cet art poétique
délicat de jeunes filles vives et impertinentes, peu
disposées à se couler dans le moule des convenances
sociales qui demandaient aux femmes de rester
discrètes et réservées. Et Xie Daoyun est restée
dans l’histoire littéraire comme l’emblème de cet
esprit féminin vif et brillant, forcément frondeur.
Même le classique des trois caractères (《三字经》),
au 13e siècle, en garde la trace, |
aux côtés d’une autre figure emblématique :
Cai Yan (蔡琰),
dite Wenji (文姬),
poétesse fille d’un grand lettré de la dynastie des Han,
veuve à quinze ans, capturée par les Xiongnu et demeurée
captive pendant douze ans, alors libérée grâce à Cao Cao (曹操)
pour reconstituer la bibliothèque de son père en partie
détruite :
“蔡文姬,能辨琴。谢道韫,能咏吟。”
Cai Wenji savait apprécier le guqin. Xie Daoyun, elle, pouvait
chanter des poèmes.
Veuve atypique
Xie Daoyun finit quand même par se marier, avec Wang Ningzhi (王凝之),
deuxième fils du célèbre calligraphe ami de son oncle Xie An,
Wang Xizhi. Le couple n’était, semble-t-il, pas très uni ; elle
a affiché son mépris à l’égard de son mari en le présentant
comme n’arrivant pas à la cheville de ses hommes de sa famille.
S’il était comme son père excellent calligraphe, il était aussi
très superstitieux et, adepte d’une secte taoïste, s’enfermait
pour prier. Ils eurent quand même plusieurs enfants. Finalement,
vers 399, Wang Ningzhi fut nommé inspecteur régional dans ce qui
est aujourd’hui le Jiangxi et gouverneur de Kuaiji (会稽),
c’est-à-dire l’actuelle ville de Shaoxing (绍兴),
dans le Zhejiang ; Xie Daoyun l’y accompagna avec leurs enfants,
ce qui était le lot commun des épouses de fonctionnaires
impériaux.
C’est justement à l’époque de la rébellion de Sun En (孫恩),
un descendant de Sun Xiu (孫休),
autrement dit le troisième empereur des Wu de l’Est pendant la
période des Trois Royaumes. A la tête de forces importantes, Sun
En réussit à prendre Kuaiji. Au lieu d’agir, Wang Ningzhi
s’était mis à prier le ciel de protéger la ville des esprits
mauvais et d’envoyer des troupes pour la défendre. Il fut
exécuté par les rebelles avec ses fils. Xie Daoyun tenta alors
de s’enfuir avec ses servantes et le fils de sa fille. Elle fut
vite capturée, mais elle sut fléchir les rebelles en demandant à
être exécutée, mais que l’enfant soit épargné, sur quoi,
impressionnés, les soudards lui laissèrent la vie sauve ainsi
qu’à l’enfant.
Elle est ensuite revenue à Kuaji vivre le restant de ses jours
dans la famille de son mari, comme le voulait la coutume. Elle
est morte quelque temps après 402, à plus de 70 ans, après avoir
écrit deux volumes de poésie et de prose.
Le Livre des Jin – histoire officielle de la dynastie - comporte
une brève biographie d’elle qui mentionne que son œuvre était
connue de ses contemporains et considérée comme un symbole de
talent féminin. On trouve des références aux chatons de saule
dans bien des poèmes ultérieurs, et même une citation directe,
par exemple, dans un poème de la poétesse des Tang
Yu Xuanji
(魚玄機/鱼玄机)
où la jeune femme regrette tristement de ne pas avoir le talent
de son aînée.
Malheureusement son œuvre est perdue, et ce depuis
les Tang, à l’exception d’un commentaire sur le Lun
Yu.et de deux poèmes reflétant tous deux la douce
quiétude d’une vie paisible loin du monde qui a dû
être celle de ses dernières années :
- Gravir la montagne Deng shan
《登山》ou
Chant du mont Tai Taishan yin
《泰山吟》
:
expression de son aspiration au calme, retirée sur
le mont Tai.
- Chant des pins à la manière de Ji (Kang)《拟嵇中散咏松诗》:
expression de son empathie nostalgique pour le
poète et musicien Ji Kang (嵇康),
l’un des |
|
Les sept sages de la forêt de bambou
(briques décorant des tombes près de la
capitale des Jin de l’Est, l’actuelle
Nankin)
Musée provincial du Shaanxi |
« Sept sages de la forêt de bambous » (竹林七贤),
personnages emblématiques qui, au 3e siècle, ont
fui les intrigues de la cour et les troubles de leur époque
en se réfugiant, dit-on, dans un bosquet de bambous près de
la maison de Ji Kang, à Shanyang (山阳)
dans l’actuel Henan, donc près du lieu de naissance de Xie
Daoyun.
Bibliographie
-
Xie Daoyun in: Biographical Dictionary of
Chinese Women: Antiquity Through Sui, 1600 B.C.E.- 618 C.E,
Lily Xiao Hong Lee, A.D. Stefanowska, Sue Wiles, Routledge,
2015, p. 360-363.
- Xie Daoyun: The Style of a Woman Mingshi, in: The
Virtue of Yin, Studies on Chinese Women,
Lily Xiao Hong Lee, Wild Peony, 1994, pp. 25-46.
|
|