Xi Xi (西西),
ou Sai Sai en cantonais, est l’une des grandes écrivaines
contemporaines de Hong Kong, célèbre autant pour ses
nouvelles et ses romans que ses poésies, ses essais et même
ses scénarios. Elle n’a cessé de dépeindre dans son œuvre
l’espace urbain de cette métropole en constant
bouleversement, partagée entre tradition et modernité, de
même qu’entre mandarin et cantonais. Son décès, le 18
décembre 2022, est comme le sombre symbole de la fin d’une
époque à Hong Kong.
De Shanghai à Hong
Kong
Zhan Yan ou Cheung Yin (張彥)
pour l’état civil, elle est née en 1938 à Shanghai, dans une
famille d’origine cantonaise partie en 1950 s’installer à
Hong Kong. Elle a douze ans, deux frères et deux sœurs. Son
père trouve un emploi de contrôleur de bus à Kowloon. Elle
va au collège Heep Yunn (協恩中學)
de Kowloon, une école fondée en 1936 par des missionnaires
anglicans où les cours sont en cantonais.
Xi
Xi jeune
Elle commence à écrire des
poèmes encore au collège. Le premier est publié dans le
journal « Everyone Literature » (《人人文學》)
au milieu des années 1950. Puis elle continue ses études au
Grantham College of Education, du nom du gouverneur de Hong
Kong en poste lors de sa création en 1951. C’est l’un des
établissements dédiés à la formation des enseignants qui
sera ensuite intégré dans The Education University of Hong
Kong, Elle devient donc institutrice à sa sortie de l’école.
Scénarios et poésie
Dans les années 1960-1970,
Xi Xi écrit des poèmes, des nouvelles et des contes, mais
aussi des scénarios pour le cinéma et la télévision. À
partir d’avril 1966, elle publie aussi des critiques de
films dans la rubrique « Camera Eye » (開麥拉眼)
de la revue cinématographique Hong Kong Movie News. Puis, en
août, à la demande de Stephen Soong, elle écrit le scénario
« The Dark Green Age » (《黛綠年華》)
du film qui sortira en 1967 sous le titre « The Splendor of
Youth » ou « A Tender Age » ; c’est elle aussi qui a écrit
les paroles des dix chansons du film. Puis, en octobre 1968,
elle écrit le scénario du film « The Window » (《窗》),
réalisé par Patrick Lung (龍剛)
[1].
The Splendour of Youth
Pendant cette période, elle
publie des poèmes dans de nombreux journaux et revues :
d’abord dans la rubrique poésie du Chinese Students’ Weekly,
puis, à partir de sa création en 1975, dans l’hebdomadaire
« Thumb Weekly » (《大拇指周報》).
En 1981, elle participe à la fondation de la revue « Plain
Leaf Literature » (《素葉文學》)
publiée par les éditions Su Yeh (素葉出版社)
qui, grâce à leurs publications de recueils de poèmes et
d’essais, contribueront par ailleurs à faire connaître de
nombreux auteur.e.s de Hong Kong.
En juin 1982, Xi Xi publie
chez cet éditeur son premier recueil de poésies : « Pierres
musicales » (Shí
qìng《石磬》)
[2],
mais aussi son premier recueil de nouvelles : « Dans
l’attente du printemps » (《春望》).
Nouvelles et romans
Le tournant de 1983
La fin des années 1970
marque un tournant dans ses publications : en mars 1979
paraît aux éditions Su Yeh le roman « My City » (《我城》),
initialement publié en feuilleton dans le journal « Hong
Kong Express », avec des illustrations de sa main. Elle y
dépeint le monde hongkongais vu par les yeux des jeunes,
montrant une ville surpeuplée, et des étudiants sous
pression. C’est devenu un classique de la littérature de
Hong Kong, classé 51ème parmi les cent meilleurs
romans chinois du 20e siècle par l’hebdomadaire
« Asia Weekly » (Yazhou Zhoukan
《亞洲週刊》).
My City, roman de Xi Xi
Son deuxième roman, publié
en juin 1982 chez le même éditeur Su Yeh, « Deer Hunt » (《哨鹿》),
est inspiré de l’histoire d’une tentative d’assassinat de
l’empereur Qianlong des Qing. Mais c’est son recueil de
nouvelles « A Woman Like Me » (《像我這樣的一個女子》),
d’abord publié aux éditions Su Yeh puis en 1983 à Taiwan
dans le supplément du United Daily News, qui l’a rendue
célèbre. Ces nouvelles, écrites entre 1976 et 1982, sont
primées par le journal. Elles sont publiées en avril 1984
aux éditions Hongfan (洪范书店)
de Taipei. C’est un tournant pour Xi Xi : elle décide alors
de se consacrer exclusivement à l’écriture.
A Woman Like Me
L’épreuve de 1989
En 1989, atteinte d’un
cancer du sein, elle doit subir une opération suivie d’une
chimiothérapie dont les suites sont lourdes ; elle perd
l’usage de la main droite et doit désormais écrire de la
main gauche. Mais elle écrit quand même.
En septembre 1991, elle
publie à Taipei, aux éditions Hongfan, le premier volet de
son autobiographie, « Oiseaux migrateurs » (《候鸟》),
dont le deuxième volet paraîtra en août 2018. Puis elle
écrit un roman inspiré de son cancer, « En deuil d’un sein »
(《哀悼乳房》),
publié en septembre 1992 à Taiwan. Le roman a inspiré le
film réalisé en 2006 par l’assistant de Johnnie To, Law Wing
Cheong (羅永昌)
: « 2 Become One » ou « Perfect Match » (《天生一對》).
Oiseaux migrateurs
En 1993, elle commence la
publication d’une série d’essais sanwen (散文作品)
initialement intitulés « Amusantes boutiques » (《有趣的店》),
puis simplement « Boutiques » (《店铺》).
Elle y exprime de la nostalgie pour la disparition des vieux
magasins de son enfance victimes de l’impitoyable
modernisation de la ville.
1999 : l’histoire de
Hong Kong comme un tapis volant
Elle revient ensuite vers
le roman tout en restant dans la thématique de l’histoire de
Hong Kong : commencé en 1996 et publié en 1999, « Tapis
volant » (《飛氈》)
retrace cent ans de cette histoire sous couvert de
l’histoire fictive de la croissance sur trois générations
d’une ville nommée Fertilia (肥土鎮),
située aux confins du Pays du Dragon (巨龍國),
où l’on devine bien sûr un avatar de la Chine continentale.
Tapis volant
Peluches, poèmes,
contes etc
C’est comme thérapie pour
sa main droite qu’elle commence en 2000 à apprendre à coudre
des poupées et des petites peluches. Elle fabrique ainsi
singes et nounours et, en 2005, cinq personnages du roman
« Au bord de l’eau ».
En 2009, ses peluches lui
inspirent les « Chroniques des Nounours » (《縫熊志》)
[littéralement « Chroniques des nounours cousus »],
illustrées de photos. En 2018, elle donnera les peluches et
les photos à la bibliothèque de l’Université chinoise de
Hong Kong.
Chroniques de nounours
On n’en finirait pas de citer ses
publications : elle a publié plus de trente livres, dans les
genres les plus divers, y compris des contes
[3].
On n’en finirait pas non plus de citer les prix qui lui ont
été décernés. Mentionnons les derniers, en 2019 : le Newman Prize for Chinese
Literature et le
prix Cikada, prix littéraire suédois récompensant des poètes
d’Asie de l’Est qui lui a été décerné pour son recueil de
poèmes « Not Written Words » publié en 2016.
Elle a en outre inspiré
cinéastes et dramaturges, y compris dans le genre rare de
l’opéra de chambre cantonais.
Cinéma et opéra
oHommage
cinématographique : « My City »
Le roman de Xi Xi « My
City » (《我城》)
a été l’inspiration première du documentaire éponyme réalisé
par Fruit Chan (陈果)
en 2015. Il y retrace la carrière de Xi Xi en partant de son
roman, en superposant des lectures d’extraits de ses textes
sur un fond de photos de la ville en plein bouleversement et
en insérant des personnages pris dans l’œuvre de
l’écrivaine. Le film comporte en outre des interviews et des
analyses de son œuvre par un grand nombre d’écrivains, de
chercheurs, de critiques et d’amis, mais aussi des séquences
d’animation de ses créations en stop-motion, des photos de
ses nombreux voyages, ainsi que des séquences de films dont
elle a écrit le scénario.
Inclassable, le film est un
véritable hommage à Xi Xi et à son œuvre, film protéiforme
de plus de deux heures utilisant différentes techniques
cinématographiques et un montage à un rythme rapide pour
rendre l’atmosphère de la ville, en miroir de celle du
roman.
Le documentaire « My City »
(sous-titres anglais) :
oAdaptations en
opéra de chambre cantonais
En 2021 a été créé à Hong
Kong un opéra de chambre cantonais commissionné par le Hong
Kong Arts Festival : « Women Like Us » (《兩個女子》),
adapté de deux nouvelles de Xi Xi, « Un rhume » (《感冒》)
et « Une femme comme moi » (《像我這樣的一個女子》).
Une scène de l’opéra de
chambre « Women Like Us » donné en mai 2021
dans le cadre du Hong
Kong Arts Festival (photo du festival)
Le livret a été confié à
l’écrivaine
Wong Yi (黃怡).
Les deux nouvelles de Xi Xi évoquent les difficultés et les
conflits intérieurs de deux femmes luttant pour affirmer
leur identité et rechercher un espace de liberté ; elles
datent des années 1980, mais sont toujours aussi actuelles.
Wong Yi s’est efforcée de traduire en images le langage
poétique de Xi Xi, en particulier dans « Un rhume » où
abondent les références à des poèmes anciens pour illustrer
les sentiments de la femme au centre du récit.
Selon le principe retenu
pour cet opéra de chambre visant à préserver la qualité
littéraire du texte – « paroles d’abord, musique ensuite »
("先詞後曲")
- son texte a impulsé un rythme qu’il est revenu ensuite au
compositeur
Daniel Lo Ting-cheung (盧定彰)
de mettre en
musique. Il a donné la primeur au chœur, les voix solos
représentant les « démons intérieurs » des deux femmes. Mise
en scène par Olivia Yan (甄詠蓓),
la pièce devait être représentée en 2020, après des
répétitions de janvier à mars 2019 au village d’artistes
Cattle Depot Artist Village
à Kowloon ; en raison de l’épidémie de covid, le programme a
été repoussé au printemps 2021, et la première a eu lieu
lors de la 49ème édition du festival
[4].
Daniel Lo poursuit là ses recherches sur l’adaptation en
opéra cantonais d’œuvres littéraires de Hong Kong. En 2017,
il avait déjà composé une pièce pour chœur adaptée d’une
autre nouvelle de Xi Xi : « Le cas de Marie » (《瑪麗個案》) ;
une autre composition pour chœur, adaptée d’une nouvelle de
l’écrivain Leung Ping-kwan alias Ye Si (也斯),
« Le banquet d’Abel » (《艾布爾的夜宴》),
a été mise en scène
en novembre 2019.
Daniel Lo et Xi Xi lors
de la préparation de l’opéra de
chambre « Deux femmes »
en 2019 (photo China Daily)
- My City: a
Hongkong Story [《我城》],
tr. Eva Hung, HK Renditions Paperbacks, 1993.
- A Woman Like
Me [《像我這樣的一個女子》],
tr. Howard Goldblatt. The
Chinese Pen, Spring 1984, pp. 1-19. Republished
in Michael S. Duke ed., Worlds
of Modern Chinese Fiction, M.E. Sharpe, 1991,
pp. 163-73.
Also trans. as
“A Girl Like Me” by Rachel May and Zhu Zhiyu. In Stephen C.
Soong and John Minford eds., Trees
on the Mountain: An Anthology of New Chinese Writing. HK:
Chinese University Press, 1984, pp. 107-114.
- Marvels of a
Floating City and Other Stories [],
Eva Hung (ed.), Renditions Paperbacks, Hong Kong, 1997
- Flying Carpet: A Tale of Fertilla [《飛氈》],
tr. Diana Yue, Hong Kong University Press, 2000.
- Sunday Morning
[5],
in Loud
Sparrows: Contemporary Chinese Short-Shorts,
selection and tr. Aili Mu, Julie Chiu, and Howard Goldblatt,
Columbia University Press, 2006, pp. 36-37.
- Mourning a Breast [《哀悼乳房》],
tr. Jennifer Feeley, New York Review of Books, 2023
[6].
Interviews,
essais et poèmes
- Chatting
about Fairy Tales: Excerpts from a Conversation with Xi Xi
(Interview by Ho Fuk Yan), tr. Tammy Lai-Ming Ho, Chinese
Literature Today 2019/ 8, 1, pp. 18-25.
- Newman Prize
for Chinese Literature Acceptance Speech, 2019, tr. Jennifer
Feeley, Chinese
Literature Today 2019/8, 1, pp. 10-13.
- Stone Chimes
[《石罄》],
tr. Jennifer Feeley, The
Taipei Chinese Pen 172, Spring 2015, pp. 22-24.
- Not Written Words, recueil de poèmes,
tr. Jennifer
Feeley. St Paul, MN: Zephyr Press, 2015.
- The Teddy Bear
Chronicles [《縫熊志》],
tr. Christina Sanderson, John Minford (ed.), The Chinese
University of Hong Kong Press, 2020
[5]Un texte amusant de
1975 qui se présente comme un QCMdont les
réponses aux questions ne sont pas cochées, ce qui
laisse donc l’histoire ouverte à toutes les
possibilités sans que soit précisé ni la date ni
l’heure ni le temps qu’il fait etc…