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Xi Chuan 西川

Présentation

par Brigitte Duzan, 24 mai 2025

 

 

Xi Chuan

 

 

Également essayiste et traducteur, Xi Chuan est l’un des poètes chinois contemporains les plus influents.

 

De son vrai nom Liu Jun (刘军), Xi Chuan est né en 1963 à Xuzhou (徐州), dans le nord-ouest du Jiangsu, mais a été élevé à Pékin. En 1985, il est sorti diplômé du département d’anglais de l’université de Pékin (北京大学英文系) avec une thèse sur les traductions de poésie chinoise d’Ezra Pound et il a ensuite travaillé à l’agence Chine nouvelle. En 2002, il a été chercheur invité à l’université de Harvard, en 2007 professeur invité à l’université de New York, puis en 2009 artiste invité à l’université de Victoria, au Canada. Il enseigne maintenant la littérature chinoise classique et moderne à l’Institut central des Beaux-arts à Pékin.

 

Poète et traducteur

 

Il a commencé à écrire et à traduire au début des années 1980. Il est devenu célèbre à la fin des années 1980, après l’âge d’or de la poésie dite « obscure » (menglong shi 朦胧诗). En 1989, deux de ses amis proches, également poètes, sont morts coup sur coup : Hai Zi (海子) s’est suicidé le 26 mars à l’âge de 25 ans [1], et Luo Yihe (骆一禾) est décédé le 31 mai d’une hémorragie cérébrale à l’âge de 28 ans. Ces deux décès suivis du désastre de Tian’anmen ont eu un profond impact sur Xi Chuan : il n’a plus écrit que sporadiquement dans les deux années suivantes. Il a cependant participé à des activités éditoriales.

 

En 1988, il lance et édite avec d’autres poètes la revue « Tendances » (Qingxiang《倾向》), qui met la clef sous la porte en 1992 après trois numéros. De 1990 à 1995, il participe au travail éditorial de la revue non officielle « Poésie moderne en langue chinoise » (Xiandai hanshi《现代汉诗》). En 1995, il est invité au Festival international de poésie de Rotterdam et en 1997 à la « Biennale internationale des poètes en Val-de-Marne » en France. Il est aujourd’hui l’un des deux éditeurs-en-chef d’une revue de poésie mondiale contemporaine.

 

Il a traduit Ezra Pound, puis Jorge Luis Borges, Tomas Tranströmer, Czeslaw Milosz et autres, mais aussi deux anthologies : une Anthologie de la poésie contemporaine de l’Afrique noire et une Anthologie de la poésie anglaise au XXe siècle.

 

Outre une pièce de théâtre, il a publié cinq recueils de poèmes dont, en 1997, « Un arbre généalogique fictif » (《虚构的家谱》) et « Grosso modo » (《大意如此》), mais aussi deux recueils d’essais et un autre de critiques de poésie. Il a été lauréat, en Chine, des prix littéraires Lu Xun (鲁迅文学奖) en 2001 et Zhuang Zhongwen (庄重文文学奖) en 2003. Et pour ses essais, il a été primé en 1999 au festival international de Weimar en Allemagne.

 

 

Grosso modo Dayi ruci

 

 

En 2004, son poème « Lointain Voyage » (Yuanyou《远游》) a été mis en musique par le compositeur Guo Wenjing (郭文景). En 2005, Xi Chuan a été parmi les douze poètes dont les poèmes ont été adaptés en une installation géante intitulée « Poetry Island » exposée en avril à la 51e Biennale de Venise.

 

 

Profond et superficiel Shen qian

 

 

En 2007, sa série de poèmes « Fleurs dans le miroir et Lune sur l’eau » (Jinghua Shuiyue《镜花 .水月》) a été adaptée au théâtre par le metteur en scène expérimental Meng Jinghui (孟京辉) pour le 35e Festival international Cervantino de Mexico.

 

 

Le Monstre Jùshòu

 

 

1989, le choc et la rupture

 

La période qui a suivi le décès de ses deux amis et l’hécatombe de la place Tian’anmen a été marquée par une intense méditation, et une évolution très nette dans son style : il est passé d’une écriture lyrique combinant tradition classique chinoise et modernisme occidental – comme beaucoup d’autres écrivains chinois dans les années 1980 – à un style méditatif de poèmes en prose en rupture avec l’esthétisme de ses poèmes antérieurs. Il a abandonné la « culture révolutionnaire de la jeunesse » de la période des années 1980 pour investir le champ mouvant du quotidien, fait d’étrangetés et d’absurdités, en marge de l’histoire.

 

Comme il le suggère dans son poème « Bloom » (voir ci-dessous), il est héritier des voix du passé, et partie intégrante de ce passé. On retrouve en filigrane dans ses vers l’ombre de Thomas More aussi bien que celle de la poésie des Han, recréés par le biais d’internet. Inspiré en particulier par Borges, il tend à déstructurer le temps en jouant sur ses « bifurcations » qui sont celles de la mémoire. C’est ce qu’il suggère en particulier dans son poème en hommage à Borges :

 

Relire la poésie de Borges《重读博尔赫斯诗歌》  (janvier 1997)

——给Anne  (dédié à « Anne »)
这精确的陈述出自全部混乱的过去      Cette déclaration précise émerge du chaos du passé
这纯净的力量,像水笼头滴水的节奏
Cette force pure, rythmée comme un robinet qui fuit,
注释出历史的缺失                               
marque en cadence les déficiences de l’histoire.  
我因触及星光而将黑夜留给大地         
Touchant la lumière des étoiles je laisse la nuit à la terre,
黑夜舔着大地的裂纹:那分岔的记忆  
la nuit qui en lèche les fissures : souvenir qui bifurque.
无人是一个人,乌有之乡是一个地方  
Nul n’est un   homme, il n’est d’endroit nulle part,
一个无人在乌有之乡写下这些             
c’est cet homme qui n’est pas, n’est nulle part, qui a écrit tout cela
需要我在阴影中辨认的诗句                 
ces vers qu’il me faut déchiffrer dans la pénombre.
我放弃在尘世中寻找作者,抬头望见
 Je renonce à sonder la poussière du monde en quête de l’auteur,

                                                    je lève la tête et vois  
一个图书管理员,懒散地,仅仅为了生计
un bibliothécaire qui, négligemment, juste pour sa survie
而维护着书籍和宇宙的秩序      
           s’attache à préserver l’ordre des livres et de l’univers.

 

Xi Chuan apparaît tout aussi elliptique que ses illustres prédécesseurs, occidentaux et autres, à commencer par les poètes de la tradition chinoise. Il a quelque chose d’ « obscur » bien qu’ayant émergé des limbes de la littérature après la poésie menglong. Ses poèmes sont des méditations syncopées comme des rêves sur le temps, l’histoire et la culture d’aujourd’hui aussi bien que celles d’hier, poèmes offerts au lecteur qui y est finalement attiré comme dans un labyrinthe sans fin : « en chaque homme l’obscurité … pas de lumière / les rêves de chacun disparaissent peu à peu en lui ». Il reste au poète à fouiller dans cette obscurité.

 


 

Principales publications

 

1991 : Roses chinoises Zhongguo de meigui《中国玫瑰》

1997 : Généalogie familiale fictive Xugou de jiapu《虚构的家谱》

1997 : Grosso modo Dayi ruci《大意如此》

1997 : Convergence secrète  Yinmi de huihe《隐秘的汇合》

1999 : La poésie de Xi Chuan《西川的诗》

2001 : Taches d’humidité  Shuizi《水渍》(essais 散文集)

2006 : Profond et superficiel  Shen qian《深浅》

2004 : Souvenirs de Borges à 80 ans 《博尔赫斯八十忆旧》

2008 : Préférences personnelles  Geren haowu 《个人好恶》 

 


 

Traductions en français

 

Le Monstre (Jùshòu《巨兽》), trad. Chantal Chen-Andro, éd. Caractères (éd. bilingue), 2016.

Dans des anthologies :

- Noir sur blanc, une anthologie, Fourbis (anthologie de la quatrième biennale de poésie du Val-de-Marne), 1998

- Le ciel en fuite, anthologie de la nouvelle poésie chinoise, traduit et présenté par Chantal Chen-Andro et Martine Vallette-Hémery, éd. Circé, 2004.

 


 

Traductions en anglais

 

Notes on the Mosquito: Selected Poems, tr. Lucas Klein, New Directions, bilingual, 2012.

Bloom and Other Poems 《开花及其他诗篇》, tr. Lucas Klein, New Directions, bilingual, 2022 [2].

  (à la fin du recueil figure la transcription d’une longue conversation entre Xi Chuan et le journaliste Xu Zhiyuan (许知远) datant de novembre 2017) [3].

 


 

À lire en complément

 

Notes on the Mosquito, un blog sur Xi Chuan et la poésie chinoise en anglais.

 

 


[1] Il a publié les œuvres complètes de Hai Zi à titre posthume en 1997.

[2] Voir l’analyse des poèmes par David Harrison Horton, en partant de Harold Bloom (auquel le titre fait allusion), auteur d’une « théorie de l’influence » et du « principe d’anxiété » qui en découle, énoncés dans un ouvrage de 1973 : « The Anxiety of Influence ». Selon Bloom, tout poète est inspiré par ses prédécesseurs, mais leur ombre plane sur sa propre inspiration qui court le risque d’en être affaiblie. Xi Chuan, quant à lui, offre un argument contraire : il reconnaît ses prédécesseurs, en les nommant même, mais sans se laisser impressionner par leur formidable présence : il s’agit d’abord de s’affirmer soi-même, en lien avec les figures du passé, dans un processus en abîme tenant de l’infini. C’est ce que suggère le premier poème en jouant sur la signification de « bloom » (开花), comme en anglais :

“ to bloom is liberation to bloom is revolution  开花就是解放开花就是革命 /

the universe did not begin with a bang but a bloom 一个宇宙的诞生不始于一次爆炸而始于一次花开”…

Nota : le poème a été écrit en juin 2014, pour le 25e anniversaire du massacre de Tian’anmen.

[3] Cette « conversation » est l’une de celles menées par Xu Zhiyuan dans le cadre d’un « talk-show » très populaire ; celles de la « troisième saison », incluant celle de Xi Chuan et de douze autres auteurs chinois contemporains, ont été soigneusement révisées et publiées en 2020 dans un ouvrage publié intitulé : « Treize invitations, saison 3. Nous sommes tous des notes en bas de page sur de grands problèmes » (十三邀第三季. 我们都在给大问题做注脚). Le dialogue avec Xi Chuan est l’un de ceux qui a eu le plus de succès auprès du public ; il est intitulé « À l’origine, je voulais devenir un saint, mais finalement j’ai réalisé que j’étais le démon incarné. » (原来我想成圣,但后来发现自己是一个牛魔王) .

Le dialogue sur YouTube (54’, sous-titres chinois) : https://www.youtube.com/watch?v=F7bkJhz4wns

 

     

 

 

 

 

     

 

 

 

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