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Wu Jianren
吴趼人/
Wu Woyao
吴沃尧
1866-1910
Présentation
par Brigitte Duzan, 4 septembre 2023
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Wu
Woyao |
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Wu Jianren (吴趼人),
alias Wu Woyao (吴沃尧),
est un écrivain de la fin des Qing connu pour son roman
« Curieux événements observés ces vingt dernières années » (《二十年目睹之怪现状》)
cité
par
Lu Xun,
au dernier chapitre de sa « Brève histoire de la fiction
chinoise » (《中国小说史略》),
comme l’un des quatre grands « romans de dénonciation » (qianze
xiaoshuo
谴责小说)
parus à la toute fin des Qing, dans les dix premières années du
20e siècle. Mais ses autres romans, comme « L’étrange
injustice faite à neuf destinées » (Jiuming qiyuan《九命奇冤》)
ou « Mer de regrets » (Hen hai《恨海》),
ont également exercé une influence sur la littérature chinoise
moderne.
Élément
biographiques
Wu Jianren est
né en 1866 à Foshan (佛山),
dans le Guangdong, dans une famille de lettrés ayant occupé des
postes officiels depuis plusieurs générations. Il signait
parfois du pseudonyme « Moi homme de Foshan » (Wo Foshanren
我佛山人)
et c’est ainsi que Lu Xun le désigne dans sa « Brève histoire de
la fiction chinoise ».
Il va à
l’école à huit ans et à douze entre à l’école privée de Foshan (Foshan
shuyuan
佛山塾院).
Mais, en 1883, son père meurt, plongeant la famille dans la
pauvreté. L’année suivante, il part à Shanghai où il travaille
comme serveur dans une maison de thé, puis entre comme
gratte-papier à la manufacture de Jiangnan, devenue plus tard le
Chantier naval de Jiangnan (江南造船厂).
Pour arrondir
ses fins de mois, il écrit de courtes histoires qu’il publie
dans des journaux. Comme beaucoup d’écrivains à l’époque, c’est
par la presse qu’il commence sa carrière littéraire. En 1897, on
le retrouve à la rédaction de différentes petites revues : la
« Forêt de lettres de Shanghai » (《字林沪报》),
le « Journal des nouvelles étranges » (《奇新报》)
et le « Journal des fables » (Yuyan bao《寓言报》).
En mars 1902, il démissionne de ce dernier journal et part à
Hankou où il commence à écrire de la fiction tout en travaillant
au quotidien de la ville.
C’est dans la
revue
Xin Xiaoshuo
(《新小说》)
fondée en 1902 à Yokohama par
Liang Qichao (梁啟超)
qu’il fait paraître successivement en feuilleton trois romans
qu’il écrit en parallèle : « L’étrange histoire de
l’électricité » (《电术奇谈》),
adapté de la traduction d’un roman japonais, puis
« Curieux événements observés ces vingt dernières années » et
« L’étrange injustice faite à neuf destinées ». En 1905,
il prend le poste de rédacteur en chef du Chubao (楚报),
édition en chinois du journal américain Central China Post édité
à Hankou. Mais la question du renouvellement des lois
américaines discriminatoires contre les Chinois entraînant un
boycott des biens et intérêts américains en Chine pour faire
pression sur le Congrès, Wu Jianren démissionne en juillet de
son poste au journal.
Il rentre à Shanghai.
En septembre,
il commence la sérialisation d’un nouveau roman dans une revue
qui vient d’être créée, le Journal du sud (Nanfang bao《南方报)
》).
Ce roman, c’est
« La nouvelle
Histoire de la Pierre » (Xin shitou ji《新石头记》),
une suite du « Rêve dans le pavillon rouge » (Hongloumeng《红楼梦》).
En janvier
1906 paraît le dernier numéro de la revue Xin Xiaoshuo et
en avril le dernier de la revue « Fiction brodée » (Xiuxiang
xiaoshuo《绣像小说》)
éditée par la Commercial Press. En novembre est lancée une
nouvelle revue dont Wu Jianren devient rédacteur en chef : le
« Mensuel de la fiction » (Yueyue xiaoshuo《月月小说》),
qui prend place aux côtés de la dernière, encore existante, des
quatre grandes revues de ce début de 20e siècle, le
« Mensuel de la Forêt de la fiction » (Xiaoshuo
lin yuekan《小说林月刊》)
de
Zeng Pu (曾朴)
qui cessera à son tour de publier en 1907.
Le premier
numéro de Yueyue xiaoshuo comporte une « Introduction » (《序》)
signée de Wu Jianren qui en définit les objectifs : « Par le
biais du plaisir de lecture et des émotions, contribuer à
l’éducation morale [des lecteurs] » (“借小说之趣味之感情,为德育之一助”).
Wu Jianren se place ainsi dans l’orbite de Liang Qichao appelant
à un renouveau de l’écriture de romans et nouvelles dans un but
politique et éducatif, en vue d’exposer les maux de la société.
La revue publie des romans historiques et des romans de mœurs,
des traductions de romans étrangers, des essais et des poèmes.
Mais elle aura
surtout contribué à la promotion de la nouvelle courte. La revue
en demande spécifiquement, régulièrement, dans des « annonces
spéciales » (“特别广告”) :
« Nous sollicitons des nouvelles de 2 000 à 3 000 caractères,
soit en chinois soit en traduction… » (“本社现欲征求短篇小说,每篇约二三千字,及中西丛谈逸事等稿。…”).
Les nouvelles occupent deux rubriques, « Nouvelles courtes » (《短篇小说》)
et « Nouvelles traduites » (《译本短篇小说》)
, auxquelles est jointe une rubrique « Plaisanteries » (《俏皮话》)
pour la publication de brèves histoires drôles (短篇笑话).
Ce trait
caractéristique est à relier aux changements apportés dans la
manière dont les romans étaient publiés en feuilleton dans la
presse, et qui a évolué au tout début du 20e siècle,
sous la pression des lecteurs et à l’initiative de Liang Qichao.
Au
début, les romans n’étaient pas sérialisés chapitre par
chapitre : le principe était de remplir une page entière, quelle
que soit la portion du roman laissée de côté, si bien que
parfois les lecteurs devaient attendre le numéro suivant pour
lire la fin d’une phrase restée en suspens. Liang Qichao a
réformé cette manière de faire, en adoptant le principe que,
dans chaque numéro de sa revue Xin Xiaoshuo, serait
publié un chapitre entier, ou plusieurs. Cette règle sera
reprise par les autres journaux. Les lecteurs demandaient en
effet à pouvoir lire une histoire entière à chaque numéro ; mais
cela obligeait les auteurs à écrire en conséquence, au point que
les romans avaient tendance à devenir des suites de nouvelles.
La démarche de Wu Jianren privilégiant les nouvelles pour
publication dans sa revue s’inscrit dans la logique de cette
évolution, liée aux goût du public
.
En 1907,
cependant, il est nommé directeur d’une école primaire fondée
par l’Association cantonaise de Shanghai. Ce travail l’absorbe
au point de lui faire négliger l’écriture et la revue où il
continue cependant de publier ses propres récits. Celle-ci
disparaît en janvier 1909, après 24 numéros. Wu Jianren
disparaît lui-même peu de temps plus tard, en octobre 1910, à
l’âge de 45 ans, frappé par une crise d’asthme, mais surtout usé
par le surmenage. Malgré toute l’activité qu’il avait déployée,
il ne lui restait que quelques centimes à sa mort, ses
funérailles ont été payées par des proches.
Lu Xun dit de
lui qu’il n’était pas très bon dans la forme courte, mais que,
après sa mort, en raison de sa notoriété, on a publié divers
recueils, dont un recueil de ses nouvelles (《趼人十三种》),
un recueil d’anecdotes et notes diverses dans le
genre biji
(《我佛山人笔记四种》)
ainsi qu’un recueil de bons mots publiés dans sa revue (《我佛山人俏皮谈》).
Il est cependant certain qu’il est surtout célèbre pour ses
romans.
Œuvre
S’adressant à
un public populaire, Wu Jianren écrivait en vernaculaire. Il
s’inspirait de faits divers parus dans les journaux, ou dont il
avait lui-même été témoin. S’il a subi l’influence de romans
occidentaux dont beaucoup ont été traduits en chinois à partir
de la fin du 19e siècle
,
mais son mode narratif s’inspire surtout de la tradition
chinoise des conteurs : il se pose en auteur-narrateur, usant de
ficelles pour faciliter à son lecteur la compréhension de son
récit, et allant jusqu’à commencer par un prologue pour en
présenter le contexte.
Il aura été
extrêmement prolixe, mais on ne connaît qu’une petite partie de
ce qu’il a publié, et très peu a été traduit. Il a par exemple
écrit des romans historiques : un « Roman des deux dynasties
Jin » (Liang Jin Yanyi《两晋演义》)
initialement publié en 1910 en 23 chapitres, sur le modèle du
« Roman des Trois Royaumes », et une « Histoire de la douleur »
(《痛史》),
que l’on pourrait presque traduire par « Annales de la
douleur » : il y relate en effet l’histoire de la chute de la
dynastie des Song du sud, en combinant narration historique
fondée sur les faits, avec une foule d’anecdotes, et narration
romancée à la façon d’un roman de wuxia ; mais le roman
est resté inachevé.
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Le Roman des deux
dynasties Jin, éd. 2009 |
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Histoire de la douleur |
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De ses
multiples publications, on peut retenir les quatre titres les
plus célèbres, ceux, aussi, qui ont exercé le plus d’influence :
le premier est représentatif des « romans de dénonciation » de
la toute fin des Qing, le deuxième est, selon les propres dires
de l’auteur, un roman du genre « sentimental » (写情小说),
le troisième est précurseur des romans policiers de la
littérature chinoise moderne et le quatrième se présente comme
une suite satirique au « Rêve dans le pavillon rouge ».
1/ Curieux
événements observés ces vingt dernières années
(《二十年目睹之怪现状》)
Ce roman a
commencé à être publié en feuilleton dans le numéro du 29 août
1903 de la revue « Nouvelle fiction » (Xin xiaoshuo《新小说》) ;
les 45 premiers chapitres étaient publiés fin 1905 quand la
revue a cessé ses opérations. La totalité des 108 chapitres a
ensuite été éditée par la maison d’édition Shanghai Guangzhi (上海广智书局) :
cinq premiers volumes en 1906, un sixième en 1909 et un septième
en 1910.
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Curieux événements des
vingt dernières années, éd. 1924 |
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La structure
épisodique du roman est influencée par celle du roman satirique
« Chronique indiscrète des mandarins » (Wulin waishi《儒林外史》)
de Wu Jingzi (吳敬梓)
publié en 1750. Le roman de Wu Jianren reprend une structure
semblable, mais en liant les épisodes grâce à un personnage
central, Jiusi Yisheng (九死一生),
littéralement « Neuf morts en une vie ». Le roman est présenté
comme étant les mémoires de ce personnage et ses réflexions sur
la période pendant laquelle il a vécu, les vingt années de 1884
à 1904, période de grands bouleversements. Un bref prologue, par
un dénommé Sili Taosheng (死里逃生),
soit « le rescapé de la mort », établit l’authenticité du roman,
comme le veut la tradition narrative du
xiaoshuo :
il explique qu’il a trouvé le manuscrit sur un étal de marché,
et qu’il l’a envoyé pour publication au Japon, à la revue Xin
Xiaoshuo – ce qui rejoint la vérité. Autre originalité : le
récit est conté à la première personne, avec un aspect
autobiographique.
Jiusi Yisheng
raconte que, depuis vingt ans qu’il a quitté la demeure
familiale, il n’a rencontré que des chacals, des charlatans et
des âmes damnées (littéralement des rats-serpents, des
tigres-chacals et des esprits démoniaques
“蛇鼠”、“豺虎”、“魑魅”)
.
Il a malgré tout réussi à survivre, ce qui lui fait penser qu’il
doit avoir vécu neuf existences. Dans le roman, il rencontre une
centaine de personnes, mais l’histoire commence par celle de la
décadence de sa propre famille. Quand il a quinze ans, son père
meurt en lui laissant un bon pécule, mais son oncle le trompe et
lui vole son héritage. Le jeune homme part à sa recherche à
Nankin. Il devient clerc dans un bureau de la magistrature, et
c’est là qu’il est témoin de faits « étranges », flagornerie,
subornation et autres entourloupes, dont il finit par réaliser
qu’elles n’ont rien d’étranges mais sont en fait le lot
quotidien de la vie en Chine. Devenu lui-même un homme
d’affaires qui finissent bien sûr par péricliter, il conclut de
ses diverses rencontres que « tous les hommes sont des voleurs
et toutes les femmes des prostituées. » Il rentre chez lui pour
éviter un total désastre : le roman se termine sur un retour aux
sources selon une structure circulaire traditionnelle.
La grand
différence avec les romans antérieurs comme la « Chronique
indiscrète des mandarins », c’est que, alors que ce roman
satirique est situé, prudemment, sous la dynastie des Ming,
celui de Wu Jianren, en revanche, est une satire sans voile de
la Chine contemporaine et s’inscrit ouvertement dans la mouvance
du « nouveau roman » promu par Liang Qichao. Il utilise en outre
des procédés narratifs innovants, flashbacks et autres, inspirés
de la littérature étrangère. Le roman de Wu Jianren est
d’ailleurs une sorte de Bildungsroman où le héros, lui
aussi, fait des retours sur sa vie antérieure pour réfléchir sur
ses expériences passées, mais Jiusi Yisheng n’est pas Wilhelm
Meister dont le parcours se termine par un état d’équilibre
harmonieux avec le monde extérieur. Dans la Chine des dernières
années des Qing selon Wu Jianren, il n’y a pas d’issue à un
monde vénal et sclérosé. C’est sans doute ce qui irritait Lu Xun
dans ce roman qu’il trouvait truffé d’exagérations et coupé de
la réalité.
2/ Une mer
de regrets (Hen hai《恨海》)
C’est une
histoire d’amour tragique de seulement dix chapitres qui aurait
été écrite en dix jours, et dont Wu Jianren a dit que c’était le
roman qu’il préférait de toute son œuvre. On peut le rapprocher
du courant populaire des « Canards mandarins et papillons » (Yuanyang
hudie pai
鸳鸯蝴蝶派)
qui a connu son heure de gloire en ces mêmes années du début du
20e siècle
.
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Une mer de regrets, éd.
originale |
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« Une mer de
regrets » est l’histoire de deux couples de jeunes fiancés qui,
en raison de la Révolte des Boxers, en 1900, ne peuvent
finaliser le mariage qui a été arrangé pour eux par leur
famille. L’un des deux hommes devient ermite après avoir appris
que sa fiancée est devenue prostituée ; l’autre meurt de son
addiction à l’opium tandis que sa fiancée se fait nonne.
C’est un
exemple des conséquences tragiques pour les individus du chaos
dans lequel est plongée la Chine, avec le même aspect de
critique sociale que le roman précédent, mais à l’opposé d’un
autre roman paru quelques mois plus tôt : « Pierres dans la
mer » (Qin hai shi《禽海石》)
de Fu Lin (符霖).
Dans ce roman-ci, la tragédie naît de l’impossibilité pour les
deux personnages de se marier selon leurs vœux. Chez Wu Jianren,
c’est le contraire : l’auteur défend l’institution du mariage
traditionnel, en mettant l’accent sur le respect dû aux parents.
Le roman a été
publié en 1906. Lu Xun n’avait peut-être pas tort de considérer
que Wu Jianren était un peu en dehors de la réalité sociale du
moment.
3/
L’étrange injustice faite à neuf destinées
(Jiuming
qiyuan《九命奇冤》)
Ce roman (en
38 chapitres) préfigure les romans policiers qui vont se
développer quelques années plus tard sous l’influence des
traductions de romans occidentaux, et en particulier les
« Aventures de Sherlock Holmes » sérialisées dans une revue de
Shanghai à la fin du 19e siècle.
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Jiuming qiyuan,
1925, collection de l’université de Jilin |
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Cependant,
même s’il emprunte des techniques narratives aux romans
occidentaux, le livre est en fait inspiré d’un roman chinois du
18e siècle : « L’étrange affaire de Liang Tianlai » (《梁天来警富奇书》),
d’un certain An He (安和).
L’histoire se passe sous le règne de l’empereur Yongzheng (雍正帝),
entre 1722 et 1735. Deux familles, les Liang et les Ling,
deviennent ennemies pour des questions de fengshui. La
famille Ling use de corruption pour gagner son procès contre les
Liang qui font parvenir une plainte à l’empereur. Celui-ci
envoie des émissaires enquêter, reconnaît les faits et redresse
les torts subis par la famille Liang.
Le roman est
donc proche des histoires de type gong’an (公案小说)
de la tradition chinoise. Mais ici pas de juge Di (狄仁杰)
ou de juge Bao (包公).
C’est l’empereur qui démêle les agissements des officiels
corrompus. « L’étrange injustice faite à neuf destinées » est
donc une autre forme de roman de critique sociale, et une
apologie emblématique de la politique réformatrice et
anti-corruption menée par l’empereur lui-même.
4/ La
nouvelle Histoire de la Pierre
(Xin
shitou ji《新石头记》)
Du roman
policier, Wiu Jianren est passé à un autre genre, la fantasy, en
imaginant comme une sorte d’utopie une suite au « Rêve dans le
pavillon rouge » (Hongloumeng《红楼梦》également
intitulé « Histoire de la Pierre » Shitou ji《石头记》).
Le roman est sérialisé à partir de septembre 1905 dans la revue
Xiuxiang xiaoshuo, alors que l’auteur participe
aux manifestations de boycott contre les produits et biens
américains. Il est donc probable que l’atmosphère d’intense
patriotisme de la période ait influé sur l’écriture du roman. Ce
n’est pas la première séquelle du Hongloumeng, mais elle
est plus innovante que les précédentes : Wu Jianren imagine Jia
Baoyu (贾宝玉)
transplanté dans la Shanghai du début du 20e siècle
et cherchant à comprendre pourquoi la Chine est tombée si bas.
Tandis qu’il s’étonne de ce qu’il voit et peine à y trouver sa
place, son domestique Xue Pan (薛蟠)
s’enrichit en faisant du commerce et jouit sans états d’âme de
la même vie dissolue que dans le roman original.
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La Nouvelle Histoire de
la Pierre |
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On peut
considérer qu’il y a quelque chose d’autobiographique dans le
nouvel avatar de Jia Baoyu : c’est en juillet 1905 que Wu
Jianren est revenu à Shanghai après avoir quitté Hankou et il
arrive en pleine crise du boycott anti-américain. C’est aussi en
octobre et novembre 1905 qu’il publie les chapitres 33 à 38 de
son autre roman en cours d’écriture, « Curieux événements des
vingt dernières années ». La société shanghaïenne est dépeinte
de la même manière critique sous le regard extérieur et
distancié de Jia Baoyu qui découvre une Lin Daiyu devenue l’une
des grandes courtisanes de Shanghai tandis que Xue Pan, lui,
achète avec enthousiasme des produits occidentaux tape-à-l’œil,
puis épouse aveuglément la cause des Boxers. D’un autre côté,
cependant, Shanghai reste un espace de liberté où l’on peut
exprimer ses idées, tandis que Baoyu est arrêté à Hankou et à
deux doigts d’être exécuté pour quelques remarques critiquant la
politique éducative locale.
Comme « Une
mer de regrets », « La nouvelle Histoire de la Pierre » est une
défense des valeurs traditionnelles chinoises, contre
l’influence des technologies occidentales appelées de leur vœux
par les réformateurs chinois, à l’instar des modèles Meiji. Dans
la Shanghai du futur, Jia Baoyu a pris conscience de l’existence
d’un monde riche de potentialités, mais difficilement
conciliable avec le monde d’où il vient. « La nouvelle Histoire
de la Pierre » est le reflet des incertitudes et angoisses
ressenties par un intellectuel comme Wu Jianren vis-à-vis de
l’avenir à un moment où la situation socio-politique en Chine
semblait bloquée.
Traduction
en français
Crime et
corruption chez les mandarins, trad. Jacques Reclus, Fayard
1979, 344 p.
Traductions
en anglais
The Sea of Regret: Two Turn-of-the-Century Chinese Romantic
Novels, “Sea of Regret” de Wu Jianren/ “Stones in the Sea” de Fu
Lin, tr.
Patrick Hanan,
University of Hawaii Press, 1995.
Deux romans publiés en 1906 qui s’inscrivent dans le débat dans
les cercles intellectuels chinois, dans les années qui suivent
la Révolte des Boxers, sur les sujets controversés de la
famille, du mariage et du statut des femmes.
Autre traduction : Sea of Regret: China’s first modern love
story & A Strange Case of Nine Murders, tr.
Douglas and Edel Lancashire, Enfield, Middlesex,
1998.
Bibliographie
Bringing the World Home: Appropriating the West in Late Qing and
Early Republican China, Theodore Huters, University of Hawai’i
Press, 2005. En
Open access.
Ch. 5: Wu Jianren, Engaging the World. Ch. 6: Melding East and
West, Wu Jianren’s New Story of the Stone.
The Columbia History of Chinese Literature, Victor H. Mair ed,
Columbia University Press, 2001.
(en particulier chap. 38: Fiction from the End of the Empire to
the Beginning of the Republic, by Milena , pp. 697-731.
Mouvement de boycott lancé et soutenu par un cercle
d’une dizaine d’intellectuels engagés : écrivains, dont,
outre Wu Woyao, Li Boyuan (李伯元),
Zeng
Pu (曾朴)
et Bao Tianxiao (包天笑),
le traducteur
Lin
Shu (林紓),
ainsi que des éducateurs, acteurs et éditeurs.
Voir :
In Search of Justice: The 1905–1906 Chinese
Anti-American Boycott
de Wang Guuanhua, Harvard East-Asian monographs, 2001,
p. 137
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