Wei Sixiao (魏思孝)
a émergé sous les feux des projecteurs quand il a
été
lauréat en 2024 du prix Blancpain-Imaginist
pour son roman « Un
minuscule village sur la vaste terre » (tǔ
guǎng cùn mù《土广寸木》)
,
représentatif d’une thématique rurale qui lui est
propre, mais avec une grande originalité dans
l’écriture.
Né
en 1986 à Zibo (淄博),
dans le Shandong, il appartient à ce que
l’Association des écrivains appelle maintenant « la
génération des post’85 » (“85后”),
mais un écrivain post’85 « rare » car il est devenu
le chantre de la ruralité
après s’être consacré à la jeunesse des petites
villes. Il est revenu pour cela vivre chez lui, à la
campagne et vit maintenant de sa plume. Son
environnement rappelle celui de
Yan Lianke (阎连科)
ou de
Sheng Keyi (盛可以) :
sa mère, toujours au village, ne lit pas ce qu’il
écrit et ne s’y intéresse pas ; ses personnages sont
inspirés par ses amis qui ne lisent pas beaucoup non
plus.
Mais il a aussi été inspiré à ses débuts par des
poètes et des écrivains, dont
Wang Xiaobo (王小波)
dont il a lu « L’âge d’or » (《黄金时代》)
en 2005 dans une version piratée, et dont il a aimé
l’humour décapant et décalé.
Mais l’expérience de l’auteur, ses sources
d’inspiration et ses influences, comme chez tout bon
écrivain, sont transcendées par l’écriture.
Nouvelles
Il
a d’abord écrit un roman, publié en 2011 : « Objet
anonyme » (《不明物》).
C’est une suite de cinq chapitres qui pourraient
aussi bien être des nouvelles, pour raconter par
bribes et sur le mode absurde la vie de plusieurs
jeunes dont le premier a perdu sa carte d’identité,
ce qui entraîne comme par ricochet des conséquences
inattendues, mais qui tiennent surtout à
l’imagination désopilante de l’auteur.
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Objet anonyme |
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C’est en quelque sorte la matrice des nouvelles qui
suivent, dont Wei Sixiao a publié un recueil en août
2016 : « Dix-huit manières
de mourir pour un jeune déprimé dans un petit bled »
(《小镇忧郁青年的十八种死法》).
Comme le titre l’annonce, ce sont dix-huit nouvelles
comme autant de possibilités de survie dans une
petite ville comme il y en a des milliers en Chine,
des petites villes où la vie est d’un ennui mortel
pour les jeunes qui y vivent et y mènent des vies
moroses et sans éclat, loin de l’animation des grand
centres urbains.
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Dix-huit manières de
mourir pour
un jeune déprimé dans un
petit bled |
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C’est là un univers qui rappelle celui des films de
Li Hongqi (李红旗),
des variations sur le thème du vide existentiel,
mais avec une touche d’humour, pour mieux faire
ressortir l’absurde du quotidien. Et de manière
caractéristique, ce recueil de Wei Sixiao est
préfacé par nul autre que
Cao Kou
(曹寇),
lui-même maître de l’absurde des petites villes et
de leur jeunesse qui se meurt d’ennui
- un hommage en forme d’adoubement.
Extrait :
这个月的星座运势出来了吗
L’horoscope de ce mois est-il sorti ?
Wei Sixiao a poursuivi dans cette même veine avec le
roman paru fin 2018, « Pourquoi s’ennuie-t-on
autant ? » (《我们为什么无聊》) :
un roman sur la jeunesse d’une petite ville qui fait
tout ce qu’elle peut pour tromper son ennui, ce qui
conduit à des situations cocasses et inattendues.
Mais la question reste : on arrive à la trentaine en
vivant bien, avec femme et enfant, mais pourquoi ne
peut-on vivre quelque chose de plus excitant ?
Wei Sixiao pouvait cependant difficilement continuer
à dépeindre la Chine comme le royaume de l’ennui
(même s’il s’agit sous sa plume de celle des petites
villes). En 2020 et 2021, il a encore publié deux
nouvelles, l’une – « Le soutien de l’écrivain » (《写作者的后盾》)
– dans la revue Littérature du Shandong (《山东文学》),
l’autre – « Deux sujets concernant les hommes de la
campagne » (《乡村男性两题》)
– dans la revue Furong (《芙蓉》).
Cette dernière nouvelle annonçait le virage
thématique dans son œuvre, vers des nouvelles et
romans ancrés en profondeur dans la réalité rurale,
ce qui est un sujet plus « consensuel » actuellement
,
mais nécessitait un regard et une écriture sortant
de l’ordinaire, écriture peaufinée tout au long des
dix années précédentes.
Romans
Aujourd’hui, Wei Sixiao est surtout connu pour sa
« trilogie rurale » (“乡村三部曲”),
trois romans parus entre 2020 et 2022 :
-
août 2020 : « Ne prenez rien d’autre » (《余事勿取》),
-
octobre 2020 : « Tout ça, ce sont les masses » (《都是人民群众》)
-
mars 2022 : « Wang Nenghao » (《王能好》),
personnage tragique et pitoyable qui a été comparé
au AQ de
Lu Xun.
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Ne prenez rien d’autre
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Tout ça, ce sont les
masses |
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Wang Nenghao |
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Après « Shen Ying et Chen Zikai » (《沈颖与陈子凯》)
,
un roman très différent, publié en mai 2023, la
trilogie a été complétée en avril 2024 par « Un
minuscule village sur la vaste terre » (《土广寸木》)
où Wei Sixiao a affiné encore la recherche sur la
forme, ce qui lui a valu le prix Blancpain-Imaginist
en octobre.
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Shen
Ying et Chen Zikai |
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Un minuscule village sur
la vaste terre |
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Ce
village, c’est Xinliu (辛留村),
que l’on a déjà comparé au Yoknapatawpha de
Faulkner, mais qui évoque bien plus tous les autres
lieux emblématiques de la littérature chinoise liés
au terroir spécifique de chaque auteur. En fait, Wei
Sixiao a expliqué que son inspiration récente vient
bien plus d’Annie Proulx que de Faulkner, et plus
encore que de sa nouvelle « Brokeback Mountain »
,
de son roman de 1996 « Accordion Crimes », une
histoire de l’immigration dans l’Amérique du 20e
siècle, à travers la vie, et la mort, de huit
immigrants de diverses origines qui possédaient un
petit accordéon vert. C’est la technique d’écriture
d’Annie Proulx qui l’a particulièrement intéressé,
et que l’on retrouve en effet chez Wei Sixiao, dans
ses récits de vies apparemment déconnectées. Il faut
noter aussi qu’Annie Proulx, après son troisième
mariage, s’est retirée dans la campagne du Vermont
avec ses enfants, sa vie venant directement inspirer
son œuvre.
La
première partie est plus spécifiquement constituée
de scènes originales de la vie au village, la
deuxième partie étant plus documentaire, inspirée de
la vie de sa mère durant les douze mois de l’année.
Mais, à l’instar de l’écrivain allemand Winfried
Sebald, Wei Sixiao a soigneusement brouillé les
frontières, déjà ténues, entre réalité et fiction.
Son « roman » a été salué comme poursuivant la
tradition réaliste de « Terre de vie et de mort » (《生死场》)
de
Xiao Hong (萧红),
en reflétant le caractère immuable de la campagne
chinoise et de ses valeurs profondes, en dépit de
tous les changements, dans l’esprit de l’analyse de
la Chine rurale par Fei Xiaotong (费孝通).
Mais les deux premiers caractères peuvent
également être considérés comme étant les
deux éléments d’un autre caractère : le
caractère ancien kuàng (圹)
désignant une tombe (墓穴),
une sépulture dans une vaste étendue
sauvage, et par extension cette vaste
étendue désolée même. Ce qui suggère un sens
allusif et symbolique supplémentaire.
Un roman en deux parties, autour du
personnage de Shen Ying, jeune femme
solitaire dont la mère est morte d’un
cancer, dont le père a été absent une grande
partie de sa jeunesse, et dont le mariage a
été un désastre. La rencontre de Chen Zikai
est donc venue illuminer sa vie ; mais
l’indifférence de cet homme et la rupture
finale seront une désillusion de plus …