Auteurs de a à z

 
 
 
     

 

 

Wei Sixiao  魏思孝

Présentation

par Brigitte Duzan, 26 octobre 2024

 

 

Wei Sixiao (photo baidu)

 

 

Wei Sixiao (魏思孝) a émergé sous les feux des projecteurs quand il a été lauréat en 2024 du prix Blancpain-Imaginist  pour son roman « Un minuscule village sur la vaste terre » ( guǎng cùn mù《土广寸木》) [1], représentatif d’une thématique rurale qui lui est propre, mais avec une grande originalité dans l’écriture.

 

Né en 1986 à Zibo (淄博), dans le Shandong, il appartient à ce que l’Association des écrivains appelle maintenant « la génération des post’85 » (85后”), mais un écrivain post’85 « rare » car il est devenu le chantre de la ruralité [2] après s’être consacré à la jeunesse des petites villes. Il est revenu pour cela vivre chez lui, à la campagne et vit maintenant de sa plume. Son environnement rappelle celui de Yan Lianke (阎连科) ou de Sheng Keyi (盛可以) : sa mère, toujours au village, ne lit pas ce qu’il écrit et ne s’y intéresse pas ; ses personnages sont inspirés par ses amis qui ne lisent pas beaucoup non plus.

 

Mais il a aussi été inspiré à ses débuts par des poètes et des écrivains, dont Wang Xiaobo (王小波) dont il a lu « L’âge d’or » (《黄金时代》) en 2005 dans une version piratée, et dont il a aimé l’humour décapant et décalé.

 

Mais l’expérience de l’auteur, ses sources d’inspiration et ses influences, comme chez tout bon écrivain, sont transcendées par l’écriture.

 

Nouvelles

 

Il a d’abord écrit un roman, publié en 2011 : « Objet anonyme » (《不明物》). C’est une suite de cinq chapitres qui pourraient aussi bien être des nouvelles, pour raconter par bribes et sur le mode absurde la vie de plusieurs jeunes dont le premier a perdu sa carte d’identité, ce qui entraîne comme par ricochet des conséquences inattendues, mais qui tiennent surtout à l’imagination désopilante de l’auteur.

 

 

Objet anonyme

 

 

C’est en quelque sorte la matrice des nouvelles qui suivent, dont Wei Sixiao a publié un recueil en août 2016 : « Dix-huit manières de mourir pour un jeune déprimé dans un petit bled » (《小镇忧郁青年的十八种死法》). Comme le titre l’annonce, ce sont dix-huit nouvelles comme autant de possibilités de survie dans une petite ville comme il y en a des milliers en Chine, des petites villes où la vie est d’un ennui mortel pour les jeunes qui y vivent et y mènent des vies moroses et sans éclat, loin de l’animation des grand centres urbains.

 

 

Dix-huit manières de mourir pour

un jeune déprimé dans un petit bled

 

  

C’est là un univers qui rappelle celui des films de Li Hongqi (李红旗), des variations sur le thème du vide existentiel, mais avec une touche d’humour, pour mieux faire ressortir l’absurde du quotidien. Et de manière caractéristique, ce recueil de Wei Sixiao est préfacé par nul autre que Cao Kou (曹寇), lui-même maître de l’absurde des petites villes et de leur jeunesse qui se meurt d’ennui [3] - un hommage en forme d’adoubement.

 

Extrait : 这个月的星座运势出来了吗 L’horoscope de ce mois est-il sorti ?

 

Wei Sixiao a poursuivi dans cette même veine avec le roman paru fin 2018, « Pourquoi s’ennuie-t-on autant ? » (《我们为什么无聊》) : un roman sur la jeunesse d’une petite ville qui fait tout ce qu’elle peut pour tromper son ennui, ce qui conduit à des situations cocasses et inattendues. Mais la question reste : on arrive à la trentaine en vivant bien, avec femme et enfant, mais pourquoi ne peut-on vivre quelque chose de plus excitant ?

 

Wei Sixiao pouvait cependant difficilement continuer à dépeindre la Chine comme le royaume de l’ennui (même s’il s’agit sous sa plume de celle des petites villes). En 2020 et 2021, il a encore publié deux nouvelles, l’une – « Le soutien de l’écrivain » (《写作者的后盾》) – dans la revue Littérature du Shandong (《山东文学》), l’autre – « Deux sujets concernant les hommes de la campagne » (《乡村男性两题》) – dans la revue Furong (《芙蓉》).

 

Cette dernière nouvelle annonçait le virage thématique dans son œuvre, vers des nouvelles et romans ancrés en profondeur dans la réalité rurale, ce qui est un sujet plus « consensuel » actuellement [4], mais nécessitait un regard et une écriture sortant de l’ordinaire, écriture peaufinée tout au long des dix années précédentes.

 

Romans

 

Aujourd’hui, Wei Sixiao est surtout connu pour sa « trilogie rurale » (乡村三部曲), trois romans parus entre 2020 et 2022 :

- août 2020 : « Ne prenez rien d’autre » (《余事勿取》),

- octobre 2020 : « Tout ça, ce sont les masses » (《都是人民群众》)

- mars 2022 : « Wang Nenghao » (《王能好》), personnage tragique et pitoyable qui a été comparé au AQ de Lu Xun.

 

 

Ne prenez rien d’autre

 

 

 

Tout ça, ce sont les masses

 

 

 

Wang Nenghao

 

 

Après « Shen Ying et Chen Zikai » (《沈颖与陈子凯》) [5], un roman très différent, publié  en mai 2023, la trilogie a été complétée en avril 2024 par « Un minuscule village sur la vaste terre » (《土广寸木》) où Wei Sixiao a affiné encore la recherche sur la forme, ce qui lui a valu le prix Blancpain-Imaginist en octobre.

 

 

Shen Ying et Chen Zikai

 

 

 

Un minuscule village sur la vaste terre

 

 

Ce village, c’est Xinliu (辛留村), que l’on a déjà comparé au Yoknapatawpha de Faulkner, mais qui évoque bien plus tous les autres lieux emblématiques de la littérature chinoise liés au terroir spécifique de chaque auteur. En fait, Wei Sixiao a expliqué que son inspiration récente vient bien plus d’Annie Proulx que de Faulkner, et plus encore que de sa nouvelle « Brokeback Mountain » [6], de son roman de 1996 « Accordion Crimes », une histoire de l’immigration dans l’Amérique du 20e siècle, à travers la vie, et la mort, de huit immigrants de diverses origines qui possédaient un petit accordéon vert. C’est la technique d’écriture d’Annie Proulx qui l’a particulièrement intéressé, et que l’on retrouve en effet chez Wei Sixiao, dans ses récits de vies apparemment déconnectées. Il faut noter aussi qu’Annie Proulx, après son troisième mariage, s’est retirée dans la campagne du Vermont avec ses enfants, sa vie venant directement inspirer son œuvre.

 

La première partie est plus spécifiquement constituée de scènes originales de la vie au village, la deuxième partie étant plus documentaire, inspirée de la vie de sa mère durant les douze mois de l’année. Mais, à l’instar de l’écrivain allemand Winfried Sebald, Wei Sixiao a soigneusement brouillé les frontières, déjà ténues, entre réalité et fiction. Son « roman » a été salué comme poursuivant la tradition réaliste de « Terre de vie et de mort »  (《生死场》) de Xiao Hong (萧红), en reflétant le caractère immuable de la campagne chinoise et de ses valeurs profondes, en dépit de tous les changements, dans l’esprit de l’analyse de la Chine rurale par Fei Xiaotong (费孝通) [7].

 

 

 

[1] Traduction provisoire d’un titre très subtil évoquant une expression de type chengyu, qui est en fait un jeu sur les caractères « terre » ( ) et « village » (cūn), le caractère cūn de village étant éclaté en ses deux composants, l’élément phonétique cùn () et (), la clé du bois. En même temps, cùn () désigne une unité de longueur de l’ordre du pouce, quelque chose de tout petit (s’opposant dans le titre à guǎng 广) : tout petit comme les villages autrefois, bâtis en bois…

Mais les deux premiers caractères peuvent également être considérés comme étant les deux éléments d’un autre caractère : le caractère ancien kuàng () désignant une tombe (墓穴), une sépulture dans une vaste étendue sauvage, et par extension cette vaste étendue désolée même. Ce qui suggère un sens allusif et symbolique  supplémentaire.  

[2] Distinction nettement posée dans la présentation de Wei Sixiao en introduction à son interview publiée en janvier 2024 sur le site de l’association : un « des rares écrivains de la génération post’85 à écrire sur des thèmes ruraux » ( 85后”罕有乡村题材作家). Distinction toute en subtilité qui tend à distinguer ces écrivains de ceux nés au début des années 1980, Han Han ( 韩寒) en tête, dont la médiatisation aura été éphémère.

[3] Voir par exemple « Continue de creuser, au bout c’est l’Amérique » (《挖下去就是美国》), recueil de trois novellas de Cao Kou, trad. Brigitte Duzan/Zhang Xiaoqiu, Gallimard/Bleu de Chine, 2015.

[4] Comme le montre en particulier le dernier prix Mao Dun.

[5] Un roman en deux parties, autour du personnage de Shen Ying, jeune femme solitaire dont la mère est morte d’un cancer, dont le père a été absent une grande partie de sa jeunesse, et dont le mariage a été un désastre. La rencontre de Chen Zikai est donc venue illuminer sa vie ; mais l’indifférence de cet homme et la rupture finale seront une désillusion de plus …

[6] Nouvelle publiée dans The New Yorker en octobre 1997, couronnée du prix Pulitzer et adaptée au cinéma par Ang Lee… et même à l’opéra, sur un livret de l’auteur lui-même.

[7] « Aux racines de la société chinoise » (《乡土中国》), trad. Yann Varc’h Thorel/Huang Hong, Presses de l’Inalco, 2021. L’ouvrage initial datant de 1947.

 

 

     

 

 

 

 

     

 

 

 

© chinese-shortstories.com. Tous droits réservés.