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Wang
Zhanhei (王占黑) |
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Née en 1991 à Jiaxing, dans le Zhejiang (浙江嘉兴),
Wang Zhanhei (王占黑)
vit depuis l’âge de 18 ans à Shanghai. Diplômée de
littérature chinoise de l’université Fudan, elle
représente la génération montante des écrivains
chinois « post’90 ».
2018 : les héros du jianghu de la ville moderne
Elle vit dans un vieux quartier d’immeubles de la
classe moyenne, au fond d’une ruelle où des
personnes âgées se promènent avec de jeunes enfants,
du linge sèche sur les balcons au milieu de fleurs
en pots. Cet environnement est celui qui lui est
familier, celui dans lequel elle a grandi, et que
l’on retrouve dans ses histoires.
Elle a en effet commencé par écrire des nouvelles
qui sont une peinture de la vie dans les franges
urbaines de la Chine moderne, dans une langue
originale qui utilise des expressions typiques de la
langue wu (吴语),
celle de Jiaxing et de Shanghai. Sa première
nouvelle, écrite alors qu’elle était tout juste
fraiche émoulue du secondaire, lui a été inspirée
par un gardien de sécurité. C’est l’une des
nouvelles du recueil intitulé Jiedao jianghu
(《街道江湖》),
que l’on pourrait traduire par « La jungle des
rues », nouvelles qui ont été publiées sur douban
et dans diverses revues littéraires, puis en
recueil en octobre 2018 aux éditions Octobre de
Pékin (北京十月文艺出版社).
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Jiedao jianghu
北京十月文艺出版社 octobre 2018 |
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Mais ce jianghu est en fait une référence
directe au grand classique « Au
bord de l’eau » (Shuihuzhuan《水浒传》)
et à son monde de marginaux au grand cœur, bandits
par la force des choses dans un empire corrompu qui
ne leur laissait pas d’autre choix. L’univers des
récits de Wang Zhanhei est ainsi défini dès
l’abord : ce sont les nouveaux héros de la
marginalité urbaine, thématique qu’elle a poursuivie
dans ses autres nouvelles.
L’image du jianghu se reflète dans le langage
de ses récits, nouveau vernaculaire où l’on retrouve
la saveur de la langue populaire de son Jiaxing
natal, et jusque dans les surnoms hauts en couleur
des personnages, comme dans le Shuihuzhuan :
小区里每个人都有自己的浑号*,好比一块行走的招牌,喊上去要响亮,问起来要好记,这样才打得开江湖世面。
有的人是乳名或排行,比如小官、阿大;有的人沿用绰号,麻子、怪脚刀;有的同职业相关,比如送牛奶的赵光明和捉垃圾的捉垃圾。有的因为出处少见,就取地名,比如卖白斩鸡的小绍兴,开修车铺的小山东。总之要上口。
*浑号
húnhào
surnom, pseudonyme.
Chacun dans le quartier a son surnom, comme une
enseigne ambulante. Il faut le hurler au passage
pour qu’il sonne haut et clair et qu’on s’en
souvienne facilement – facile à prononcer et à
retenir pour qu’ainsi il permette à chacun de se
faire sa place dans le quartier. Le surnom peut être
le nom qui a été donné à l’enfant
ou son rang dans la fratrie : Petit Fonctionnaire (Xiao
Guan) ou Da l’aîné (A da) ; d’autres
surnoms comme Le Grêlé (Mazi) ou Jambes
torses (Guai jiao dao) continuent d’être
utilisés ; d’autres encore font référence au métier,
comme Zhao Guangming Le Laitier, ou Zhuo Laji
L’Éboueur. D’autres utilisent comme surnom leur lieu
d’origine parce qu’il est distinctif : Petit
Shaoxing pour le vendeur de poulet cantonais ou
Petit Shandong pour le réparateur de voitures.
L’important, c’est que ça sonne bien.
Jiedao jianghu
est dédié à son père, aujourd’hui décédé. Pourtant,
il ne lisait jamais ses nouvelles ; il prenait le
livre, regardait le titre, émettait une brève et
vague approbation et le reposait. C’est sa mère qui
lisait ses nouvelles et en outre les montrait
fièrement autour d’elle. Son père lui a appris à
faire la cuisine ; elle allait faire les courses
avec lui et a ainsi appris à regarder autour d’elle
et observer les gens rencontrés. Sa mère lisait,
mais elle écrit avec le regard de son père, comme
s’il lui tenait la plume.
Wang Zhanhei a été lauréate du
prix Blancpain-Imaginist 2018
pour « Pétards à blanc » (Kongxiang pao《空响炮》),
qui a été son premier recueil publié, en mars 2018.
C’est un recueil de huit nouvelles qui, comme les
précédentes, sont intitulées « Histoires de… » (…的故事),
sauf la première (celle du titre du recueil) et la
sixième qui reprend l’idée des notes (ji
记).
En fait les deux recueils portaient initialement le
titre Jiedao jianghu.
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Kongxian pao
上海文艺出版社 janv. 2019 |
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2020 : Xiao Huadan
Un
nouveau recueil, « Xiao Huadan » (《小花旦》),
a été publié en octobre 2020 aux éditions Sanlian de
Shanghai (上海三联书店).
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Xiao huadan
上海三联书店 octobre 2020 |
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Le titre de ce dernier recueil est emprunté à la
novella (zhongpian xiaoshuo
中篇小说)
qu’il comporte et qui lui donne son titre :
« L’histoire de la petite Huadan » (《小花旦的故事》).
C’est la première novella écrite par
Wang Zhanhei, publiée dans le numéro six, de juin
2018, de la revue Littérature du Shanxi (《山西文学》).
L’histoire est contée à la première personne par une
narratrice qui raconte ses souvenirs d’un personnage
à l’identité ambiguë qui lui coupait les cheveux
quand elle était petite, ambiguïté qui ressort tout
de suite de son surnom de Xiao Huadan du à sa
voix très aiguë : le terme désigne des rôles
féminins, jeunes, vifs et délurés, de l’opéra de
Pékin.
Le
récit est construit de différents points de vue, en
mêlant souvenirs et histoire du processus
d’urbanisation de Shanghai, en faisant des allers
retours dans le temps et l’espace, avec un
personnage principal très original, entre marginal
sympathique et héros des temps modernes. Les
dialogues sont écrits en grande partie en langue
wu,
créant des scènes très vivantes qui rendent palpable
l’atmosphère de la vie urbaine.
La
novella a été couronnée, fin juin 2019, du prix
littéraire « Star de Zhongshan » ("《钟山》之星")
décerné aux œuvres remarquables de jeunes auteurs et
autrices. Le jury a justifié son choix en soulignant
la subtilité de la narration qui dépeint de manière
retenue de vives émotions, en portant un regard
distancié mais chaleureux sur le sort des individus
pris dans la croissance intensive de l’urbanisation
et les complexités de la nature humaine.
En
juin 2021, elle a publié dans la revue Littérature
de Shanghai (《上海文学》杂志) une
autre novella, « Wei Tuo » (《韦驮天》),
qui a été primée en octobre 2022 (中篇小说奖).
Wei Tuo est le surnom du personnage principal, un
être divin (ou deva) assimilé à un bodhisattva et
considéré comme le gardien des enseignements
bouddhiques, protecteur du Dharma (法).
C’est le personnage féminin de cette novella qui lui
a donné ce surnom, en raison de son nom de famille
(Wei
韦),
mais aussi en raison de son métier : il est livreur,
or la vitesse est l’un des attributs du bodhisattva
Wei Tuo. L’histoire est celle de l’amour secret de
ce livreur pour une jeune femme artiste.
À
l’automne 2023, Wang Zhanhei a participé au
Programme international d’écriture (International
Writing Program) de l’université de l’Iowa
.
2024 : Contact normal
En
septembre 2024, un nouveau recueil de nouvelles et
novellas de Wang Zhanhei a été publié aux éditions
Littérature du peuple du Yunnan (云南人民出版社) :
« Contact normal » (Zhengchang jiechu《正常接触》).
Le premier des six récits est le « Wei Tuo »
précédemment publié, et primé en octobre 2022.
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Zhengchang jiechu
云南人民出版社 septembre 2024 |
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Ces nouvelles sont légèrement différentes des
précédentes, bien que traitant des mêmes couches
sociales : elles ont été écrites pendant les trois
années 2020-2022, et sont à rattacher au courant que
l’on désigne désormais du terme de « littérature
épidémique » (yiqing wenxue “疫情文学”),
bien que l’épidémie ne soit ici qu’une toile de
fond. Ce sont les souvenirs des trois années passées
derrière des masques, comme en apnée sur une planète
sans air respirable, dans une société déboussolée.
« Contact normal » est comme une machine à remonter
le temps qui capte les souvenirs pénibles qui ne
cessent de refaire surface. Et comme toujours
revient la question lancinante de savoir ce qui, aux
confins de l’absurde, est « normal » et ce qui ne
l’est pas.
Mais on attend que Wang Zhanhei revienne à son
inspiration première et son style personnel, fait
d’une attention particulière aux détails, en
particulier l’étymologie des noms et les expressions
imagées dont ses nouvelles abondent et qui finissent
par faire partie de la trame narrative par leur
valeur allusive, comme dirait François Jullien.
Ainsi, parlant des ouvriers d’usine qui ont été
licenciés, elle utilise pour les désigner une
expression qui leur est propre, en quatre
caractères : nán bǎo nü chāo 男保
女超
, ce qui signifie que les hommes travaillent comme
gardiens (bǎowèi
保卫)
et les femmes comme caissières ou employées dans
des supermarchés (chāojí shìchǎng
超级市场).
Et chez Wang Zhanhei, le supermarché est un espace
très spécial de la société moderne, un espace commun
pour beaucoup, un espace affectif et sentimental, un
espace de vie.
La
critique culturelle et historienne du cinéma
Dai Jinhua (戴锦华)
a dit que, au cinéma, partager l’espace d’un film,
c’est partager l’espace de l’âme. On pourrait dire
la même chose de l’univers littéraire de Wang
Zhanhei. C’est peut-être ce qui attire les
réalisateurs en quête de nouvelles à adapter. C’est
aussi la vivacité de l’écriture et l’originalité des
personnages et des situations, sans compter le
facteur de mode que constituent aujourd’hui en Chine
et Shanghai et toute œuvre en langue de Shanghai.
Adaptations cinématographiques
-
Une première nouvelle a été adaptée en court métrage
en 2021 : « Une histoire de pétards » (《炮仗的故事》 ),
adaptation par le réalisateur Hao Zhizi (郝智梓)
de la nouvelle tirée du recueil « Pétards à blanc »
(《空响炮》 )
publié en 2018 et couronné du prix
Blancpain-Imaginist. Cette histoire met en scène les
tensions et divergences d’opinion entre divers
groupes sociaux à la suite de l’interdiction en
Chine des feux d’artifice, pour limiter les
accidents après des incendies catastrophiques
survenus de 2009 à 2011. Il s’agit d’ une
coproduction sino-britannique – Hao Zhizi vit à
Londres depuis 2017.
-
Un autre jeune réalisateur, Zhang Jin (赵晋), prépare
une adaptation de la novella « Wei Tuo » (《韦驮天》 )
primée en octobre 2022. Le film sera
intitulé « L’extraordinaire Jun Ji-hyun » (《了不起的全智贤》),
le nom de la jeune artiste dont est amoureux le
livreur Wei Tuo étant le même que celui de l’actrice
coréenne Jun Ji-hyun.
-
Une troisième adaptation est en cours de
réalisation, pour une sortie en 2026 : réalisé par
Zhao Hao (赵浩)
et intitulé « If I See a Rainbow », le film est
adapté de la nouvelle « Une forte pluie tombe sur
l’eau » (《清水落大雨》 ),
tirée du recueil « Xiao Huadan ». C’est l’histoire
des relations entre une mère et sa fille en quête
d’émancipation depuis sa petite enfance. Le film est
une coproduction sino-française (en shanghaïen et
mandarin) et a été retenu par le programme
« Next Step » de La Semaine de la critique
du festival de Cannes. L’actrice choisie pour
interpréter le rôle principal est Ma Yili (马伊琍),
actrice shanghaïenne de séries télévisées devenue
très populaire après son rôle dans la série « Blossoms
Shanghai » (Fanhua《繁花》 )
réalisée par
Wong Kar-wai
d’après le roman de
Jin Yucheng (金宇澄).
Traductions en anglais
Nouvelles
-
Goodbye, Bridge of the East,
tr. Dave Haysom, in
Granta 169: China,
Autumn 2024, pp. 241-251.
- The Story of Ah-Ming (《阿明的故事》),
tr. Christopher MacDonald, in
The Book of Shanghai, A City in Short Fiction,
Comma Press, April 2020.
(Ah Ming est une vieille femme comme on en voit
beaucoup dans la littérature et le cinéma chinois
contemporains : elle collecte les déchets ramassés
dans les poubelles).