Wang Zhanhei 王占黑
Présentation
par
Brigitte Duzan, 30 juin 2025
|

Wang
Zhanhei (王占黑) |
|
Née en
1991 à Jiaxing, dans le Zhejiang (浙江嘉兴),
Wang Zhanhei (王占黑)
vit depuis l’âge de 18 ans à Shanghai. Diplômée de
littérature chinoise de l’université Fudan, elle représente
la génération montante des écrivains chinois « post’90 ».
2018 : les héros du jianghu de la ville moderne
Elle vit
dans un vieux quartier d’immeubles de la classe moyenne, au
fond d’une ruelle où des personnes âgées se promènent avec
de jeunes enfants, du linge sèche sur les balcons au milieu
de fleurs en pots. Cet environnement est celui qui lui est
familier, celui dans lequel elle a grandi, et que l’on
retrouve dans ses histoires.
Elle a en
effet commencé par écrire des nouvelles qui sont une
peinture de la vie dans les franges urbaines de la Chine
moderne, dans une langue originale qui utilise des
expressions typiques de la langue wu (吴语),
celle de Jiaxing et de Shanghai. Sa première nouvelle,
écrite alors qu’elle était tout juste fraiche émoulue du
secondaire, lui a été inspirée par un gardien de sécurité.
C’est l’une des nouvelles du recueil intitulé Jiedao
jianghu (《街道江湖》),
que l’on pourrait traduire par « La jungle des rues »,
nouvelles qui ont été publiées sur douban et dans
diverses revues littéraires, puis en recueil en octobre 2018
aux éditions Octobre de Pékin (北京十月文艺出版社).
|

Jiedao jianghu
北京十月文艺出版社 octobre 2018 |
|
Mais ce
jianghu est en fait une référence directe au grand
classique « Au bord de l’eau »
(Shuihuzhuan《水浒传》)
et à son monde de marginaux au grand cœur, bandits par la
force des choses dans un empire corrompu qui ne leur
laissait pas d’autre choix. L’univers des récits de Wang
Zhanghei est ainsi défini dès l’abord : ce sont les nouveaux
héros de la marginalité urbaine, thématique qu’elle a
poursuivie dans ses autres nouvelles.
Jiedao
jianghu
est dédié
à son père, aujourd’hui décédé. Pourtant, il ne lisait
jamais ses nouvelles ; il prenait le livre, regardait le
titre, émettait une brève et vague approbation et le
reposait. C’est sa mère qui lisait ses nouvelles et en outre
les montrait fièrement autour d’elle. Son père lui a appris
à faire la cuisine ; elle allait faire les courses avec lui
et a ainsi appris à regarder autour d’elle et observer les
gens rencontrés. Sa mère lisait, mais elle écrit avec le
regard de son père, comme s’il lui tenait la plume.
Wang
Zhanhei a été lauréate du
prix Blancpain-Imaginist 2018
pour « Pétards à blanc » (Kongxiang pao《空响炮》),
qui a été son premier recueil publié, en mars 2018. C’est un
recueil de huit nouvelles qui, comme les précédentes, sont
intitulées « Histoires de… » (…的故事),
sauf la première (celle du titre du recueil) et la sixième
qui reprend l’idée des notes (ji
记).
En fait les deux recueils portaient initialement le titre
Jiedao jianghu.
|

Kongxian pao
上海文艺出版社 janv. 2019 |
|
2020 : Xiao Huadan
Un nouveau
recueil, « Xiao Huadan » (《小花旦》)
,
a été publié en octobre 2020 aux éditions Sanlian de
Shanghai (上海三联书店).
|

Xiao huadan
上海三联书店 octobre 2020 |
|
Le titre de ce dernier recueil est emprunté à la novella (zhongpian
xiaoshuo
中篇小说)
qu’il comporte et qui lui donne son titre : « L’histoire de
la petite Huadan » (《小花旦的故事》).
C’est la première novella écrite par
Wang
Zhanhei, publiée dans le numéro six, de juin 2018, de la
revue Littérature du Shanxi (《山西文学》).
L’histoire est contée à la première personne par une
narratrice qui raconte ses souvenirs d’un personnage à
l’identité ambiguë qui lui coupait les cheveux quand elle
était petite, ambiguïté qui ressort tout de suite de son
surnom de Xiao Huadan du à sa voix très aiguë : le
terme désigne des rôles féminins, jeunes, vifs et
délurés, de l’opéra de Pékin.
Le récit
est construit de différents points de vue, en mêlant
souvenirs et histoire du processus d’urbanisation de
Shanghai, en faisant des allers retours dans le temps et
l’espace, avec un personnage principal très original, entre
marginal sympathique et héros des temps modernes. Les
dialogues sont écrits en grande partie en langue
wu
,
créant des scènes très vivantes qui rendent palpable
l’atmosphère de la vie urbaine.
La novella
a été couronnée, fin juin 2019, du prix littéraire « Star de
Zhongshan » ("《钟山》之星")
décerné aux œuvres remarquables de jeunes auteurs et
autrices. Le jury a justifié son choix en soulignant la
subtilité de la narration qui dépeint de manière retenue de
vives émotions, en portant un regard distancié mais
chaleureux sur le sort des individus pris dans la croissance
intensive de l’urbanisation et les complexités de la nature
humaine.
En juin
2021, elle a publié dans la revue Littérature de Shanghai (《上海文学》杂志) une
autre novella, « Wei Tuo » (《韦驮天》),
qui a été primée en octobre 2022 (中篇小说奖).
Wei Tuo est le surnom du personnage principal, un être divin
(ou deva) assimilé à un bodhisattva et considéré comme le
gardien des enseignements bouddhiques, protecteur du Dharma
(法).
C’est le personnage féminin de cette novella qui lui a donné
ce surnom, en raison de son nom de famille (Wei
韦),
mais aussi en raison de son métier : il est livreur, or la
vitesse est l’un des attributs du bodhisattva Wei Tuo.
L’histoire est celle de l’amour secret de ce livreur pour
une jeune femme artiste.
À
l’automne 2023, Wang Zhanhei a participé au Programme
international d’écriture (International Writing Program) de
l’université de l’Iowa
.
2024 : Contact normal
En
septembre 2024, un nouveau recueil de nouvelles et novellas
de Wang Zhanhei a été publié aux éditions Littérature du
peuple du Yunnan (云南人民出版社) :
« Contact normal » (Zhengchang jiechu《正常接触》).
Le premier des six récits est le « Wei Tuo » précédemment
publié, et primé en octobre 2022.
|

Zhengchang jiechu
云南人民出版社 septembre 2024 |
|
Ces
nouvelles sont légèrement différentes des précédentes, bien
que traitant des mêmes couches sociales : elles ont été
écrites pendant les trois années 2020-2022, et sont à
rattacher au courant que l’on désigne désormais du terme de
« littérature épidémique » (yiqing wenxue “疫情文学”),
bien que l’épidémie ne soit ici qu’une toile de fond. Ce
sont les souvenirs des trois années passées derrière des
masques, comme en apnée sur une planète sans air respirable,
dans une société déboussolée. « Contact normal » est comme
une machine à remonter le temps qui capte les souvenirs
pénibles qui ne cessent de refaire surface. Et comme
toujours revient la question lancinante de savoir ce qui,
aux confins de l’absurde, est « normal » et ce qui ne l’est
pas.
Mais on
attend que Wang Zhanhei revienne à son inspiration première
et son style personnel, fait d’une attention particulière
aux détails, en particulier l’étymologie des noms et les
expressions imagées dont ses nouvelles abondent et qui
finissent par faire partie de la trame narrative par leur
valeur allusive, comme dirait François Jullien. Ainsi,
parlant des ouvriers d’usine qui ont été licenciés, elle
utilise pour les désigner une expression qui leur est
propre, en quatre caractères : nán bǎo nü chāo 男保
女超
, ce qui signifie que les hommes travaillent comme gardiens
(bǎowèi
保卫)
et les femmes comme caissières ou employées dans des
supermarchés (chāojí shìchǎng
超级市场).
Et chez Wang Zhanhei, le supermarché est un espace très
spécial de la société moderne, un espace commun pour
beaucoup, un espace affectif et sentimental, un espace de
vie.
La
critique culturelle et historienne du cinéma
Dai Jinhua (戴锦华)
a dit que, au cinéma, partager l’espace d’un film, c’est
partager l’espace de l’âme. On pourrait dire la même chose
de l’univers littéraire de Wang Zhanhei. C’est peut-être ce
qui attire les réalisateurs en quête de nouvelles à adapter.
C’est aussi la vivacité de l’écriture et l’originalité des
personnages et des situations, sans compter le facteur de
mode que constituent aujourd’hui en Chine et Shanghai et
toute œuvre en langue de Shanghai.
Adaptations cinématographiques
- Une
première nouvelle a été adaptée en court métrage en 2021 :
« Une histoire de pétards » (《炮仗的故事》 ),
adaptation par le réalisateur Hao Zhizi (郝智梓)
de la nouvelle tirée du recueil « Pétards à blanc » (《空响炮》 )
publié en 2018 et couronné du prix Blancpain-Imaginist.
Cette histoire met en scène les tensions et divergences
d’opinion entre divers groupes sociaux à la suite de
l’interdiction en Chine des feux d’artifice, pour limiter
les accidents après des incendies catastrophiques survenus
de 2009 à 2011. Il s’agit d’ une coproduction
sino-britannique – Hao Zhizi vit à Londres depuis 2017.
- Un autre
jeune réalisateur, Zhang Jin (赵晋), prépare
une adaptation de la novella « Wei Tuo » (《韦驮天》 )
primée en octobre 2022. Le film sera
intitulé « L’extraordinaire Jun Ji-hyun » (《了不起的全智贤》),
le nom de la jeune artiste dont est amoureux le livreur Wei
Tuo étant le même que celui de l’actrice coréenne Jun
Ji-hyun.
- Une
troisième adaptation est en cours de réalisation, pour une
sortie en 2026 : réalisé par Zhao Hao (赵浩)
et intitulé « If I See a Rainbow », le film est adapté de la
nouvelle « Une forte pluie tombe sur l’eau » (《清水落大雨》 ),
tirée du recueil « Xiao Huadan ». C’est l’histoire des
relations entre une mère et sa fille en quête d’émancipation
depuis sa petite enfance. Le film est une coproduction
sino-française (en shanghaïen et mandarin) et a été retenu
par le programme
« Next Step » de La Semaine de la critique
du festival de Cannes. L’actrice choisie pour interpréter le
rôle principal est Ma Yili (马伊琍),
actrice shanghaïenne de séries télévisées devenue très
populaire après son rôle dans la série « Blossoms
Shanghai » (Fanhua《繁花》 )
réalisée par
Wong Kar-wai
d’après le roman de
Jin Yucheng (金宇澄).
Traductions en anglais
Nouvelles
-
Goodbye, Bridge of the East,
tr. Dave Haysom, in
Granta 169: China,
Autumn 2024, pp. 241-251.
- The Story of Ah-Ming (《阿明的故事》),
tr. Christopher MacDonald, in
The Book of Shanghai, A City in Short Fiction,
Comma Press, April 2020.
(Ah Ming
est une vieille femme comme on en voit beaucoup dans la
littérature et le cinéma chinois contemporains : elle
collecte les déchets ramassés dans les poubelles
).